CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 13 septembre 2024, n° 22/13215
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Air Technologies Services (SARL)
Défendeur :
Dixit Energies (SASU), Dixit (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Marcade, Mme Douillet
Avocats :
Me Robin, Me Baechlin, Me Deluc
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 27 juin 2022 par le tribunal de commerce de Paris.
Vu l'appel principal interjeté le 11 juillet 2022 par la société Air Technologies Services.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 11 octobre 2022 par la société Air Technologies Services, appelante à titre principal et intimée à titre incident.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 22 décembre 2022 par M. [M] [X] E [E] et les sociétés Dixit Energies et Dixit, intimés à titre principal et appelants à titre incident.
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 14 décembre 2023.
SUR CE, LA COUR
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La société Air Technologies Services (ATS) a pour objet et activité la fabrication, l'installation, l'entretien d'équipements aérauliques et frigoriques industriels et commerciaux.
La société Dixit Energies, est une société holding, immatriculée le 5 novembre 2019, présidée par M. [X] E [E] (M. [X]). Le 2 décembre 2019, elle a racheté la société Dixit dont elle est depuis la présidente.
La société Dixit, intervient dans l'installation, l'étude, la maintenance, la conception et la réalisation de systèmes d'électricité, climatisation, chauffage, plomberie, soit une activité concurrente de celle de la société ATS.
M. [X] a été salarié de la société ATS à compter du 3 juillet 2007 avec un contrat à durée indéterminée. Il exerçait depuis le 1er janvier 2018 les fonctions de « responsable SAV et technico-commercial » sous le statut de cadre. Il a démissionné par lettre du 19 septembre 2019 et a sollicité une dispense partielle de son préavis à compter du 13 novembre 2019. La société ATS a accepté la demande du salarié.
Le 4 janvier 2020, M. [B], salarié de la société ATS depuis le 2 octobre 2000 et occupant les fonctions de « responsable technique SAV », a également donné sa démission. Ce salarié a été le « maître d'apprentissage » de M. [X].
Reprochant à M. [X] et aux sociétés Dixit et Dixit Energies d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et détourné deux de ses clients, les sociétés Patriarca et Cofely-Engie, la société ATS a été autorisée, sur requête au visa de l'article 145 du code de procédure civile, par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du 26 janvier 2021, à : « (...) rechercher ou se faire remettre tous les éléments de preuve en relation avec la nature des relations entretenues par M. [X], les sociétés Patriarca et Cofely, les pièces en relation avec tous indices témoignant du détournement desdits clients ; pour se faire, accéder aux postes informatiques utilisés par M. [X] et M. [B], prendre copie des documents utiles, mener toutes recherches numériques sous différents mots-clés. »
L'huissier de justice, auquel était adjoint un expert informatique, n'a pas pu exécuter sa mission car les adresses des sièges sociaux des deux structures correspondaient à des simples domiciliations commerciales, ce dont il a rendu compte par lettre du 15 avril 2021.
Par actes en date des 22 et 26 avril 2021, la société ATS a fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris les sociétés Dixit et Dixit Energies ainsi que M. [M] [X] E [E] en concurrence déloyale.
C'est dans ce contexte qu'a été rendu le jugement dont appel, qui a :
- débouté la société Air Technologies Services (ATS) de toutes ses demandes,
- débouté M. [X] E [E], les sociétés Dixit et Dixit Energies de leur demande à titre reconventionnel,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,
- condamné la société Air Technologies Services (ATS) à payer à M. [X] E [E], les sociétés Dixit et Dixit Energies la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit selon les conditions de l'article 514 du code de procédure civile,
- condamné la société Air Technologies Services (ATS) aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 101,64 euros dont 16,73 euros de TVA.
La société ATS a interjeté appel de ce jugement et par ses dernières conclusions demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 27 juin 2022 par la 15ème Chambre du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
- débouté la société Air Technologies Services (ATS) de toutes ses demandes,
- condamné la société Air Technologies Services (ATS) à payer à M. [M] [X] E [E], la société Dixit et la société Dixit Energies la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Air Technologies Services (ATS) aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 101,64 euros dont 16,73 euros de TVA,
- confirmer le jugement rendu le 27 juin 2022 par la 15ème chambre du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
- débouté M. M. [X] E [E], la société Dixit et la société Dixit Energies de leurs demandes à titre reconventionnel.
En conséquence, et statuant à nouveau,
- condamner solidairement M. [X] E [E], la société Dixit et la société Dixit Energies à lui payer la somme de 455 617,73 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale,
- condamner solidairement M. [X] E [E], la société Dixit et la société Dixit Energies à lui payer la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- condamner solidairement M. [X] E [E], la société Dixit et la société Dixit Energies au paiement d'une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause,
- condamner solidairement M. [X] E [E], la société Dixit et la société Dixit Energies aux entiers dépens dont distraction sera ordonnée au profit de Me Robin conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [X] E [E], les sociétés Dixit et Dixit Energies demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Air Technologies Services de toutes ses demandes,
- l'infirmer en ce qu'il a débouté M. [X] E [E] et les sociétés Dixit et Dixit Energies de leur demande tendant à voir condamner la société Air Technologies Services pour procédure abusive,
- recevoir M. [X] E [E], les sociétés Dixit et Dixit Energies en leur appel incident,
Le reformant
- juger que la société Air Technologies Services a commis une faute en engageant la procédure et en en faisant de la publicité et ce, en vertu de l'article 1240 du code civil,
- la condamner à verser à M. [X] E [E], la société Dixit et la société Dixit Energies, chacun, 3 000 euros en réparation de leur préjudice,
- la condamner à leur payer, à chacun, la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens d'appel dont distraction a profit de Me Baechlin, avocat qui pourra les recouvrer directement en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur la concurrence déloyale
Fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, la concurrence déloyale suppose l'existence d'une faute commise par la personne dont la responsabilité est recherchée, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Elle se définit comme la commission de man'uvres déloyales, constitutives de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine pour le concurrent d'un préjudice.
La société ATS reproche à M. [X] ainsi qu'aux sociétés Dixit Energie et Dixit plusieurs actes déloyaux commis à son préjudice. Elle critique le jugement qui s'est selon elle abstenu d'analyser la situation dans son ensemble.
En premier lieu elle impute à M. [X] d'avoir préparé le détournement de ses clients pendant l'exécution de son contrat de travail, d'avoir par des moyens illicites « maltraité le sort » de son principal client, la société Patriarca, et d'avoir transféré aux sociétés Dixit et Dixit Energies des informations techniques et commerciales et des procédés constituant le savoir-faire de la société ATS.
M. [X] a donné sa démission de la société ATS le 13 septembre 2019 qui a pris effet d'un commun accord entre les parties le 13 novembre 2019.
Il a créé la société Dixit Energies le 5 novembre 2019, cette société ayant pour objet la prise de participations dans toutes sociétés et prestations de services. Cette société a été créée alors que M. [X] était encore salarié de la société ATS. Néanmoins, la seule constitution de la Dixit Energies créée en vue d'acquérir d'autres sociétés, s'il peut être considéré comme un acte préparatif d'une activité, ne démontre pas en soi un acte de concurrence déloyale.
La société Dixit créée en 2002, qui a une activité concurrente de la société ATS, a été acquise par la société Dixit Energies le 2 décembre 2019, soit après la rupture du contrat de travail entre M. [X] et la société ATS. Le président de cette société par action simplifiée est la société Dixit Energies.
Pour autant, il n'est pas démontré ni même allégué que M. [X] était tenu envers la société ATS d'une obligation de non-concurrence. Or, en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, M. [X] était libre de racheter une entreprise concurrente de celle de son ancien employeur, ce quand bien même ce rachat a été préparé alors qu'il était encore salarié de la société ATS. La circonstance que M. [X] a demandé à la société ATS que la date de sa démission soit avancée, ce que cette dernière a accepté, est inopérante à caractériser une faute de M. [X].
Aucun acte fautif n'est à ce titre caractérisé.
Le démarchage de la clientèle d'autrui comme le détournement de cette clientèle sont libres et ne sont pas en eux-mêmes fautifs, même de la part d'un ancien salarié, ou de la société qu'il a rejointe ou constituée, et ils ne deviennent fautifs que s'ils sont accompagnés d'actes déloyaux.
Or, la société ATS ne démontre nullement des actes déloyaux de M. [X]. Le fait que la société Patriarca a rompu ses relations d'affaires avec la société ATS un an après le départ de M. [X], avec qui elle avait un rapport privilégié, celui-ci réalisant en tant que salarié de la société ATS un chiffre d'affaires important avec ce client, ne prouve pas l'existence de man'uvres déloyales de la part de M. [X] qui est d'ailleurs démentie par la société Patriarca. L'attestation de la société Patriarca fournie au débat pas les intimés qui explique les raisons de la fin de ses relations d'affaires avec la société ATS par la dégradation de la relation de confiance notamment pour les prestations de maintenance, et les difficultés structurelles liées à la crise sanitaire, ou qui témoigne que M. [X] l'a informée de son projet de démission « pour des raisons personnelles » sans plus de précision et qu'elle n'a pas été sollicitée par ce dernier pour une collaboration, corrobore l'absence de faute de M. [X].
La société ATS qui ne procède que par déduction se contente en outre d'alléguer sans le démontrer que M. [X] a « saboté » les prestations de la société ATS.
Elle reproche également à la société Dixit le débauchage de M. [B] par un procédé déloyal ayant conduit à sa désorganisation.
M. [B] qui était le responsable SAV a démissionné de la société ATS le 4 janvier 2020, son contrat de travail a pris fin le 4 avril 2020 au sein de la société ATS et il a commencé son activité au sein de la société Dixit le 14 avril 2020.
La société ATS déduit que ce débauchage était accompagné d'un procédé déloyal car il intervient après celui de M. [X], concerne un salarié techniquement dédié à la société Patriarca et à quelques autres, ce en recherche de la désorganisation de la société ATS, et que les pièces lacunaires produites par les intimés révèlent d'autres procédés déloyaux.
Il sera rappelé que le débauchage de salariés n'est illicite que s'il est justifié de man'uvres déloyales et d'une désorganisation de l'entreprise. A cet égard doivent être notamment pris en compte le caractère massif du débauchage, l'importance des fonctions des salariés débauchés et le rôle de la société concurrente pour inciter le départ des salariés. En outre, le débauchage fautif doit avoir eu pour effet de désorganiser l'entreprise et non pas seulement de la perturber.
Le débauchage fautif de M. [B] qui était libre de quitter la société ATS pour rejoindre un ancien collègue et apprenti au sein de la société Dixit, n'est nullement établi, la proposition d'un salaire supérieur qui est d'ailleurs démentie par l'attestation de M. [B], associée à un système de participation dans la société Dixit pour un emploi équivalent ne caractérise pas une man'uvre déloyale.
De même, la société ATS se contente d'affirmer sans le démontrer la désorganisation dont elle aurait été victime en raison du départ de M. [B].
La société ATS n'apporte aucun élément de preuve du caractère fautif des agissements de la société Dixit dans le débauchage de son salarié qui témoigne quant à lui avoir démissionné pour des raisons personnelles et avoir lui-même contacté M. [X] pour trouver un emploi, sa recherche étant plus compliquée qu'attendue en suite de la crise sanitaire.
Pour ce qui concerne l'utilisation d'informations détenues par un ancien salarié, outre que comme l'a rappelé le tribunal, toute entreprise peut bénéficier du savoir-faire antérieurement acquis chez un concurrent par les salariés qu'elle a loyalement embauché, aucun élément n'est fourni par la société ATS pour conforter les agissements déloyaux dénoncés.
Enfin, comme il a été dit précédemment, le débauchage de clientèle est libre et aucune faute ne peut être déduite des relations entretenues par les sociétés Dixit et Dixit Energies avec les anciens clients de la société ATS tels les sociétés Patriarca et Cofely. De même, aucune dissimulation de ces relations n'est caractérisée par le fait que les sociétés Dixit et Dixit Energies ne donnent pas le détail des relations entretenues avec ces clients ni leur ampleur. Il sera à cet égard relevé que la société Cofely était déjà cliente de la société Dixit avant le rachat de cette dernière par M. [X], et que la société Dixit a fourni le chiffre d'affaires réalisé avec la société Patriarca qui s'est révélé inférieur à celui effectué par la société ATS, ce qui, contrairement à ce que soutient l'appelante, ne démontre nullement que la société Dixit a détourné les recettes réalisées par la société ATS auprès de ses clients Patriarca et Engie qui étaient libres, pour la société Dixit de reprendre la clientèle d'un concurrent, et pour les sociétés Patriarca et Engie, de changer de fournisseur.
La société ATS qui échoue à caractériser des agissements déloyaux de M. [X] et des sociétés Dixit et Dixit Energies sera déboutée de l'ensemble de ses demandes à ce titre.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la demande incidente au titre de la procédure abusive
Le fait d'exercer une action en justice ne constitue pas une faute, sauf s'il dégénère en abus. En l'espèce, aucun des moyens développés par la société appelante ne caractérise une telle faute, la société ATS ayant pu légitimement se méprendre sur la portée de ses droits.
La société Dixit ne démontre par ailleurs pas les faits de dénigrement allégués en raison de la publicité concernant cette procédure faite par la société ATS auprès des clients pour nuire à son image.
En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit mal fondés M. [X], les sociétés Dixit et Dixit Energies en leur demande de dommages intérêts.
Sur les autres demandes
L'issue du litige commande de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et au remboursement de frais irrépétibles.
Partie perdante, la société ATS sera condamnée aux dépens d'appel.
Enfin M. [X], les sociétés Dixit Energies et Dixit ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Air Technologies Services à payer à M. [M] [X] E [E] et aux sociétés Dixit et Dixit Energies la somme de 1 000 euros à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Air Technologies Services aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.