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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 septembre 2024, n° 21/10559

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Traitements de Surfaces de l'Ouest (SARL)

Défendeur :

Établissements Roy (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Ranoux-Julien

Avocats :

Me Pimor, Me Buffon, Me Regnier, Me Masson

T. com. Paris, 13e ch., du 25 mai 2021, …

25 mai 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Traitement de Surfaces de l'Ouest (ci-après la société TSO) est spécialisée dans le traitement de surfaces de pièces métalliques.

La société Etablissements Roy (ci-après société Roy) fabrique et commercialise des fournitures en métal : portails, clôtures, garde-corps extérieurs, rambardes, marquises, appuis de fenêtres.

La société Roy a passé plusieurs commandes à la société TSO pour le traitement de surface de structures en acier et en aluminium qu'elle fabriquait.

Par jugement du 27 février 2014, publié au BODACC le 14 mars 2014, le tribunal de commerce de Chartres a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Roy.

Par jugement du 30 janvier 2015, le tribunal de commerce de Chartres a adopté le plan de continuation présenté par la société Roy.

Se plaignant d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société TSO a, par acte du 21 décembre 2018, assigné la société Roy devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation du préjudice subi.

Par jugement du 25 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit la société TSO irrecevable en son action,

- Débouté la société Etablissements Roy de sa demande de dommages-intérêts,

- Condamné la société TSO à payer à la société Etablissements Roy la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres plus ample ou contraires,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement, en toutes ses dispositions,

- Condamné la société TSO aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 109,71 euros dont 18,07 euros de TVA.

Par déclaration du 4 juin 2021, la société TSO a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- Dit la société TSO irrecevable en son action,

- Condamné la société TSO à payer à la société Etablissements Roy la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la société TSO de ses demandes autres, plus amples ou contraires,

- Ordonné l'exécution provisoire,

- Condamné la société TSO aux dépens.

Prétentions et moyens des parties

Par ses dernières conclusions notifiées le 9 juin 2022, la société TSO demande, au visa des articles L442-6 du code de commerce, et 1134, 1135 et 1147 du code civil, et 1382 du code civil ancien, de :

- Déclarer la société TSO recevable et bien fondée en son appel

- Déclarer la société Roy non fondée en ses prétentions, demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

- Confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a

Débouté la société Roy de sa demande de dommages et intérêts,

Débouté la société Roy de ses demandes autres plus amples ou contraires,

- Et Infirmer ou réformer le jugement dont appel, en ce qu'il a :

* Dit la société TSO irrecevable en son action ;

* Condamné la société TSO à payer à la société Roy la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* Débouté la société TSO de ses demandes autres plus amples ou contraires,

* Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, en toutes ses dispositions,

* Condamné la société TSO aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 109,71 euros dont 18,07 euros de TVA,

Puis, statuant à nouveau, de :

- Déclarer la société TSO recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Déclarer la société Roy non fondée en ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence, et y faisant droit,

- Débouter la société Roy de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- Dire et juger que la société Roy a rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la société TSO,

- Dire et juger que le préavis qui aurait dû être respecté est de 16 mois,

- Dire et juger que l'indemnité réparatrice doit être calculée sur la base de la marge brute qui aurait dû être réalisée,

- Evaluer le montant des dommages et intérêts dus au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies à la somme de 635 344,86 euros HT,

- Evaluer le montant des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier complémentaire subi au titre des stocks perdus à la somme de 3 000 euros HT,

A titre principal,

- Condamner la société Roy à verser à la société TSO une somme totale de 635 344,86 euros HT à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture brutale,

- Condamner la société Roy à verser à la société TSO une somme totale de 3 000 euros HT à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier complémentaire subi au titre des stocks perdus,

- Condamner la société Roy à payer à la société TSO la somme de 14 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire

- Fixer la créance détenue par la société TSO au passif de la société Roy à la somme totale de 635 344,86 euros HT au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture brutale des relations commerciales établies,

- Fixer la créance détenue par la société TSO au passif de la société Roy à la somme totale de 3 000 HT au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier complémentaire subi au titre des stocks perdus,

- Fixer la créance détenue par la société TSO au passif de la société Roy à la somme de 14 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

En toutes hypothèses,

- Condamner la société Roy à restituer à la société TSO la somme de 7 500 euros versée en exécution du jugement dont appel,

- Condamner la société Roy aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions notifiées le 29 février 2024, la société Etablissements Roy demande, au visa des articles L442-6 I 5°, L622-13, L622-14, L 622-174, L622-24, L622-26, R622-21 et R622-24 du code de commerce, et 1104 du code civil, de :

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la créance indemnitaire de la société TSO était postérieure au jugement d'ouverture ;

Statuant à nouveau,

- Constater que la créance indemnitaire de la société TSO est antérieure au jugement d'ouverture ;

- En l'absence de déclaration de créance ou de relevé de forclusion, constater que la créance de la société TSO est frappée de forclusion et inopposable à la procédure collective de la société Roy ;

- En conséquence, déclarer la société TSO irrecevable en son action, la débouter de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire,

- Dans l'hypothèse où la cour constaterait que la créance indemnitaire de la société TSO est postérieure au jugement d'ouverture ;

- En l'absence de déclaration de créance ou de relevé de forclusion, constater que la créance de la société TSO est frappée de forclusion et inopposable à la procédure collective de la société Roy ;

- En conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il déclaré irrecevable la société TSO en son action et l'a déboutée de toutes ses demandes ;

Subsidiairement, au fond

A titre principal,

- Dire et juger que la société Roy n'a pas rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la société TSO ;

- Constater l'absence de toute relation commerciale établie entre les parties ;

- Rejeter par conséquent l'ensemble des demandes de la société TSO

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que la fin des relations avec la société TSO résulte des manquements de cette dernière ;

- Rejeter par conséquent l'ensemble des demandes de la société TSO.

A titre infiniment subsidiaire,

- Dire et juger que la fin des relations avec la société TSO ne lui a occasionné aucun préjudice ;

- Constater l'absence de dépendance économique de la société TSO par rapport à la société Roy ;

- Rejeter par conséquent l'ensemble des demandes de la société TSO.

En tout état de cause

- Constater la mauvaise foi de la société TSO ;

- En conséquence, condamner la société TSO au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts au profit de la société Roy.

En tout état de cause

- Condamner la société TSO à payer 12 000 euros au profit de la société Roy

- Condamner la société TSO aux entiers dépens de la procédure.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2024.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'action

La société TSO critique le jugement ayant déclaré irrecevable son action en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies qu'elle impute à la société Roy en ce qu'il a considéré qu'il s'agissait d'une créance postérieure à l'ouverture de la procédure collective de cette dernière qui aurait dû être déclarée. Elle considère qu'en matière de rupture brutale des relations commerciales établies, le fait dommageable réside non pas dans la rupture mais dans la brutalité de la rupture. Ainsi elle estime qu'en l'espèce, en l'absence de notification écrite de la rupture avec un délai de préavis, la brutalité de la rupture n'est pas intervenue à la date de la dernière commande du 21 février 2014. Elle affirme que, pour fixer la date du fait générateur, il convient de prendre en compte le flux d'affaires et les caractéristiques de la relation commerciale établie (rythme, volume, espacement, régularité et ancienneté des commandes). Elle fait valoir qu'au vu de ces éléments et du fait que des livraisons et des factures intervenaient encore entre les parties au début du mois de mars 2014, la relation existait toujours à la date du jugement d'ouverture et que la créance ne peut donc pas être considérée comment antérieure à l'intervention de la procédure collective. Elle ajoute qu'elle pouvait légitimement penser que la relation était suspendue pendant la période d'observation et qu'elle allait reprendre une fois qu'un plan de continuation aurait été adopté. Elle soutient encore qu'eu égard aux caractéristiques de la relation commerciale, un préavis de 16 mois aurait dû être respecté et que ce n'est que passé ce délai qu'elle a été en mesure de se rendre compte de la brutalité de la rupture. Elle considère ainsi que la créance est née postérieurement à l'adoption du plan de redressement et qu'elle n'est donc ni antérieure ni postérieure et n'était donc pas soumise à l'obligation de déclaration à la procédure collective.

A titre subsidiaire, si la cour considérait qu'il s'agit d'une créance indemnitaire née postérieurement au redressement judiciaire, mais antérieurement à l'adoption du plan de continuation, elle affirme que le délai pour déclarer la créance courait à compter de sa date d'exigibilité en application de l'article L. 622-24 alinéa 6 du code de commerce. Or elle soutient que dès lors qu'il appartient aux juges du fond d'estimer la durée du préavis qui devait être respecté, l'exigibilité de la créance ne peut pas intervenir tant qu'une décision définitive ne l'a pas constatée. En tout état de cause, elle considère que le défaut de déclaration n'emporte pas extinction de la créance mais inopposabilité à la procédure collective et qu'aucune irrecevabilité ne peut lui être opposée.

La société Roy estime tout d'abord que pour déterminer le régime applicable à la créance litigieuse, il convient de déterminer sa date de naissance. Or elle rappelle qu'en matière de créances délictuelles, la date de naissance de la créance est celle du fait générateur du dommage. Selon elle, le fait générateur consiste dans la rupture et non dans sa brutalité comme le soutient la société TSO. Elle fait valoir qu'en l'absence de notification écrite, le fait générateur est la date à laquelle la partie victime a pu avoir connaissance de la rupture, soit à l'expiration du délai moyen constaté entre chaque commande à compter de la dernière commande. Elle considère que les deux dernières commandes ayant eu lieu les 19 et 21 février 2014 et le délai moyen espaçant les commandes étant de 2 à 3 jours ouvrés, la société TSO a eu connaissance de la rupture au plus tard le lundi 24 février 2014 pour l'acier et le mardi 25 février 2014 pour l'aluminium. Elle affirme que ces dates étant antérieures à celle du jugement d'ouverture de la procédure collective du 27 février 2014, la créance indemnitaire obéit au régime des créances antérieures et qu'elle devait être déclarée au mandataire judiciaire dans le délai de 2 mois à compter de la publication du jugement d'ouverture, soit au plus tard le 14 mai 2014. Elle relève qu'en l'absence de déclaration, la créance est inopposable à la procédure collective. En tout état de cause, elle affirme que la société TSO devait déclarer sa créance à la procédure collective quand bien même elle serait considérée comme postérieure au jugement d'ouverture. Elle soutient que la notion d'exigibilité de l'article L. 622-24 alinéa 6 du code de commerce correspond, en matière de créance indemnitaire de rupture brutale, à celle du fait générateur. Elle fait ainsi valoir qu'en l'absence de déclaration de sa créance, celle-ci est inopposable à la procédure collective et que la société TSO est forclose en son action. Elle observe que la société TSO n'a demandé aucun relevé de forclusion.

Les parties s'opposent sur le régime de la créance litigieuse compte tenu de l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société Roy.

Selon l'article L. 622-21-I du code de commerce, « Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, 2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent. »

Le juge est tenu de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'arrêt des poursuites individuelles, consécutive à l'ouverture d'une procédure collective. La décision arrêtant le plan de redressement ne met pas fin à l'interdiction ou la suspension des poursuites individuelles.

L'article L. 622-17-I du code de commerce vise « les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période ».

Il résulte de ces dispositions que toutes les actions en justice à l'encontre d'un débiteur en procédure collective sont interdites ou suspendues à l'exception des actions tendant au paiement de créances postérieures privilégiées et des actions non visées à l'article L. 622-21 I du code de commerce.

Par ailleurs, il résulte des articles L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014- 326 du 12 mars 2014 et R.624-5 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret du 30 juin 2014 que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation.

L'action de la société TSO à l'encontre de la société Roy est fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige qui dispose que : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. »

Il s'agit donc d'une action tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. En outre, il n'est pas démontré ni même soutenu que la créance litigieuse relève des dispositions de l'article L. 622-17 du code de commerce.

Dans ces conditions, il convient, avant dire droit, d'inviter les parties à présenter leurs observations quant à la recevabilité de l'action de la société TSO au regard de la règle de l'interdiction des poursuites individuelles posée à l'article L. 622-21-I du code de commerce et de la compétence exclusive du juge commissaire pour statuer sur les créances déclarées.

Il sera sursis à statuer sur l'ensemble des demandes dans l'attente des observations des parties et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Avant dire droit,

Ordonne la réouverture des débats à l'audience collégiale du jeudi 7 novembre 2024 à 14h00 ;

Invite les parties à présenter leurs observations quant à la recevabilité de l'action de la société TSO au regard de l'article L. 622-21-I du code de commerce ;

Sursoit à statuer sur l'ensemble des demandes des parties ;

Réserve les dépens .