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Décisions

CA Nancy, 1re ch., 16 septembre 2024, n° 23/01535

NANCY

Arrêt

Autre

CA Nancy n° 23/01535

16 septembre 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2024 DU 16 SEPTEMBRE 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/01535 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGTP

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de VAL DE BRIEY,

R.G.n° 20/00617, en date du 12 mai 2023,

APPELANT :

Monsieur [J] [W]

domicilié [Adresse 1]

Représenté par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

AGENCE NATIONALE DE L'HABITAT (ANAH), prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié [Adresse 3]

Représentée par Me Joëlle FONTAINE de l'AARPI MILLOT-LOGIER, FONTAINE & THIRY, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Avril 2024, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 17 Juin 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Puis, à cette date, le délibéré a été prorogé au 16 Septembre 2024.

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 16 Septembre 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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FAITS ET PROCÉDURE :

Monsieur [L] [R] et Monsieur [J] [W] ont créé la SCI Quercus.

Le 31 mars 2010, la SCI Quercus a déposé auprès de l'Agence Nationale de l'Habitat (ANAH) une demande de subvention pour des travaux de réhabilitation d'un immeuble sis [Adresse 2] à Commercy (Meuse). Une subvention prévisionnelle de 132833 euros lui a été accordée.

À la demande de la SCI Quercus, un paiement de 70% du montant prévisionnel, soit 92983 euros, lui a été versé le 16 août 2010.

La SCI Quercus a sollicité le versement du solde de la somme prévisionnelle. Avant d'y procéder, l'ANAH a effectué une vérification des travaux effectués.

Se rendant compte que les travaux n'étaient conformes ni aux devis ni aux factures fournies par la société, l'ANAH a diligenté une procédure de retrait et de reversement de la subvention versée par décision en date du 19 novembre 2012.

Le 20 février 2013, Monsieur [W] a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par le tribunal judiciaire de Metz.

Parallèlement, le 13 mars 2013, la SCI Quercus a été placée en redressement judiciaire par le tribunal judiciaire de Metz, procédure convertie en liquidation judiciaire le 3 juillet 2018.

Le 29 janvier 2019, le mandataire liquidateur a délivré à l'ANAH un certificat d'irrecouvrabilité.

Par lettres recommandées avec accusé de réception, l'ANAH a sollicité le remboursement de la somme due auprès des associés de la SCI Quercus.

Par exploit de commissaire de justice délivré à étude le 17 juin 2020, l'ANAH a assigné Monsieur [W] devant le tribunal judiciaire de Val-de-Briey.

Par jugement contradictoire du 12 mai 2023, le tribunal judiciaire de Val-de-Briey a :

- déclaré recevable et bien fondée la demande de l'ANAH,

- condamné Monsieur [W] à payer à l'ANAH la somme de 47893 euros, versée au titre de la subvention prévisionnelle,

- dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 12 février 2019,

- débouté Monsieur [W] de l'ensemble de ses prétentions,

- condamné Monsieur [W] à payer à l'ANAH la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [W] aux entiers dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a rappelé qu'aux termes de l'article 1858 du code civil, les créanciers ne pouvaient poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale. Il a précisé par ailleurs que les dettes des SCI étaient dues par les associés, soit à la date de leur exigibilité, soit au jour de la cessation des paiements.

Sur ce fondement, le tribunal a expliqué que l'ANAH n'aurait pu agir contre la SCI Quercus alors qu'un plan de redressement judiciaire avait été mis en place puisque la société n'était pas en cessation de paiements. Il a donc relevé que c'était à bon droit que l'ANAH avait attendu la fin de la procédure de la liquidation judiciaire et la publication du certificat d'irrecouvrabilité de la SCI Quercus pour assigner ses associés en remboursement de la somme de 47893 euros. En effet, ce certificat attestant que l'ANAH n'avait plus de recours pour voir sa dette remboursée, elle avait la possibilité de se retourner contre les associés. Il a alors précisé que cette dette était née à leur encontre au jour où la SCI Quercus n'avait plus été en mesure d'y faire face.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 12 juillet 2023, Monsieur [W] a relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 9 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [W] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

- déclarer la demande de l'ANAH irrecevable, subsidiairement mal fondée,

En tout état de cause,

- débouter l'ANAH de l'intégralité de ses prétentions,

- condamner l'ANAH à 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 8 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, l'ANAH demande à la cour, sur le fondement des articles 1857 et suivants du code civil, de :

- déclarer l'appel de Monsieur [W] recevable en la forme mais mal fondé,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Val-de-Briey en toutes ses dispositions,

- condamner Monsieur [W] à lui payer la somme de 3500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner en tous les frais et dépens dont le montant pourra être recouvré directement par Maître Joëlle Fontaine, avocat aux offres de droit.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 12 mars 2024.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 15 avril 2024 et le délibéré au 17 juin 2024 prorogé au 9 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par Monsieur [W] le 9 février 2024 et par l'ANAH le 8 décembre 2023 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 12 mars 2024 ;

Sur la recevabilité de l'action de l'Anah

Au soutien de ses prétentions, Monsieur [W] fait valoir que le tribunal judiciaire a commis une erreur de droit, en retenant que l'ouverture d'une procédure collective impliquait la démonstration d'un état de cessation de paiement ;

L'appelant affirme qu'il est admis que les actions du créancier contre la société et ses associés ont toutes deux, le même point de départ ; il indique donc que la créance de l'ANAH est née et a été définitivement acquise à l'émission du titre exécutoire le 19 décembre 2012, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure collective contre lui le 20 février 2013 ;

Dès lors, faisant application des dispositions des articles L. 622-26 et L. 622-24 du code de commerce, il indique que les créanciers n'ayant pas déclaré leurs créances dans le temps imparti ne sont pas admis à la répartition des dividendes ;

Monsieur [W] affirme donc que l'ANAH dont la créance était née à son égard le 19 décembre 2012, avait l'obligation de déclarer sa créance dans la procédure de redressement ouverte à son encontre et que, ne l'ayant pas fait, celle-ci n'était plus opposable ; il ajoute que l'ANAH pouvait poursuivre les associés de la SCI Quercus pendant le plan de redressement de la société conformément aux dispositions de l'article L 631-20 ancien du code de commerce (applicable en l'espèce) qui prévoyait que les coobligés ne pouvaient se prévaloir de cette procédure pour se défaire de leurs obligations à l'égard de leurs créanciers ;

Ainsi, Monsieur [W] affirme que l'ANAH, qui ne peut se prévaloir d'aucune impossibilité d'agir, est forclose à déclarer sa créance pendant et après la procédure collective qu'il subit ;

En réponse l'ANAH fonde ses prétentions sur les articles 1857 et 1858 du code civil qui disposent respectivement qu''à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements' et que 'les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ' ;

Elle rappelle ainsi, qu'elle a déclaré sa créance dans la procédure collective ouverte contre la SCI Quercus le 13 mars 2013 ; une procédure collective a également été ouverte à l'encontre de Monsieur [W], le 20 février 2013 ;

L'ANAH soutient alors que sa créance contre Monsieur [W] est née à l'émission du certificat d'irrecouvrabilité de la SCI Quercus le 29 janvier 2019 ; elle estime par conséquent, que sa dette, née de l'incapacité de la SCI Quercus de s'en acquitter, est postérieure à l'ouverture du plan de redressement de Monsieur [W] et qu'elle n'était donc pas tenue de la déclarer lors de cette seconde procédure ;

En tout état de cause, l'ANAH précise qu'elle n'aurait pas été autorisée à se retourner contre Monsieur [W], associé de la SCI Quercus, avant l'émission du certificat d'irrecouvrabilité dès lors qu'elle n'avait pas épuisé tous les recours contre la personne morale ; à présent elle est recevable à poursuivre les associés en remboursement de la dette de la SCI Quercus, chacun pour moitié du montant ;

Aux termes respectivement, des article 1858 et 1859 du code civil, « A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements » ;

« Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale » ;

En application des dispositions de l'article L 622-26 du code de commerce, à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24 du même code, les créanciers ne sont pas admis dans la répartition des dividendes à moins qu'ils ne soient relevés de la forclusion ; les créances non déclarées régulièrement dans les délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et même, dans certaines hypothèses, après cette exécution ;

En l'espèce, s'agissant du premier argument développé par l'intimée, la créance de l'ANAH est antérieure à l'ouverture de la procédure collective de Monsieur [W], comme étant née le 19 décembre 2012, date de l'émission d'un titre exécutoire, tant à l'égard de la SCI que de ses associés co-obligés ;

Ainsi elle est exigible le 19 décembre 2012, date antérieure à l'ouverture de la procédure collective dont a bénéficié le concluant le 20 février 2013 et non, comme improprement retenu par les premiers juges, à la date d'émission du certificat d'irrecouvrabilité dans la procédure collective ouverte dans l'intérêt de la SCI Quercus ;

En effet la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2022, rendu au visa des dispositions des articles 1857, 1858, 2231, 2241 et 2242 du Code Civil (Civ. 3ème 19 janvier 2022, n° 20-22.205, publié au bulletin) a décidé qu'il « résulte de la combinaison de ces textes, que l'associé débiteur subsidiaire du passif social, est en droit d'opposer au créancier la prescription de la créance détenue contre la société et que la poursuite préalable et vaine de la société ne constitue pas le point de départ de la prescription de l'action du créancier contre l'associé qui est le même que celui de la prescription de l'action contre la société ; »

Ainsi la créance naît en même temps à l'égard de la société civile et de l'associé ; la date de la naissance d'une créance ne doit pas se confondre avec la date à laquelle le créancier peut régulièrement exercer une action fondée sur elle ;

C'est par conséquent inexactement soutenu par l'intimée, que l'ANAH ne disposait pas du droit de se retourner contre les associés de la SCI avant la délivrance par son liquidateur d'un certificat d'irrecouvrabilité ;

En l'espèce, la procédure collective de Monsieur [J] [W] ayant été ouverte le 20 février 2013, l'ANAH devait déclarer sa créance dans le cadre de sa procédure collective, pour que celle-ci puisse être prise en compte ; la déclaration par elle faite, dans le cadre de la procédure collective de la SCI Quercus est en effet, sans emport s'agissant de l'application des règles de la prescription de l'action contre ses co-obligés ;

S'agissant du second moyen avancé par l'intimée, tenant à l'impossibilité d'agir durant le plan octroyé à la SCI Quercus, il y a lieu de se référer aux dispositions de l'article L.631-20 du code de commerce alors applicables au litige ; elles prévoient que « par dérogation aux dispositions de l'article L. 626-11, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan ; »

Ainsi les associés d'une société civile, co-obligés, ne peuvent se prévaloir du plan de redressement ; dès lors les créanciers pour ne pas encourir de prescription, doivent agir contre ces coobligés sans que l'existence d'un plan de redressement n'ait un effet s'agissant de la recevabilité de leur action ;

A défaut de déclaration d'une créance antérieure à la procédure collective d'un associé, la créance est inopposable au débiteur durant le plan et ensuite de son exécution s'il a été respecté ; l'ANAH ne peut se prévaloir en l'espèce, d'une impossibilité à agir contre Monsieur [W] durant le plan de redressement de la SCI Quercus ;

Néanmoins la prescription de l'action de l'ANAH à l'encontre de Monsieur [W] a été suspendue par l'effet du jugement ordonnant l'ouverture de la procédure collective à son égard jusqu'à la clôture de la procédure (Cass. Com. 9 septembre 2020 n° 19-10.206) et le délai pour agir pour l'ANAH n'a couru à nouveau, qu'à compter du 29 janvier 2019, date de la délivrance du certificat d'irrecouvrabilité de la créance à l'encontre de la SCI Quercus, par son liquidateur judiciaire ;

Ainsi en agissant le 17 juin 2020 à l'encontre de Monsieur [W], l'ANAH n'est pas prescrite en son action ;

Il en résulte que l'action de l'ANAH est recevable et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable sa demande ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'ANAH voyant ses prétentions accueillies, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [W] aux dépens de première instance et mis à sa charge une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Monsieur [W], partie perdante, devra supporter les dépens ; en outre, il sera condamné à payer à l'ANAH la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ; en revanche il sera débouté de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [J] [W] à payer à l'ANAH la somme de 2500 euros (DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Monsieur [J] [W] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [J] [W] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en sept pages.