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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 17 septembre 2024, n° 22/06154

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kit Aero (SAS)

Défendeur :

Cli (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

Mme Bourdon, M. Graffin

Avocats :

Me Gonzalez, Me Auché Hedou

T. com. Montpellier, du 7 nov. 2022, n° …

7 novembre 2022

FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

La SA Cli, située [Adresse 1] à [Localité 2], exerce des activités de distribution et négoce de composants électroniques, informatiques et industriels.

La SAS Kit-Aero, située [Adresse 4] à [Localité 3], est spécialisée dans le commerce de gros de tous types de composants et d'équipements destinés à l'industrie principalement aéronautique.

Le 4 mai 2020, la société Kit-Aero a sollicité l'ouverture d'un compte auprès de la société Cli.

Le 11 mai 2020, la société Kit-Aero a passé une commande n° CF2020158 auprès de la société Cli, suivant l'offre de celle-ci en date du 30 avril 2020, relative à deux « band tool digital calibration kit device'», pour un montant de 23 473,52 euros HT, avec une date de livraison prévue au 8 juin 2020. Cette commande a été réceptionnée le même jour par la société Cli.

Par courriel du 10 juin 2020, en réponse au courriel du même jour de la société Cli lui exposant que la livraison était retardée, la société Kit-Aero a indiqué que le report des délais ne pouvait être accepté «'malheureusement'» et sollicité l'annulation de la commande.

Par courriel en date du 16 juin suivant, la société Kit-Aero a accusé réception de la livraison d'une des deux pièces commandées, survenue la veille, «'sans refus de livraison pour éviter la perte du colis et sollicité un accord de retour'».

Par courriel du 30 juin 2020, la société Cli a confirmé ne pas pouvoir reprendre le matériel livré.

Par courriel en date du 1er juillet 2020, la société Kit-Aero a refusé tout paiement, maintenant sa demande de reprise.

Par lettre recommandée du 28 juillet 2020 avec avis de réception (signé le 30 juillet suivant), la société Cli, par l'entremise de son conseil, a vainement mis en demeure la société Kit-Aero de lui payer le montant de la facture n°FV201758 de 14 108,11 euros en date du 19 juin 2020 correspondant au matériel livré le 15 juin.

Par ordonnance portant injonction du 13 janvier 2021, le président du tribunal de commerce de Montpellier a enjoint à la société Kit-Aero de payer à la société Cli les sommes de 14 085,20 euros en principal, 2 347,33 euros au titre des intérêts au taux contractuel de 20%, 40 euros au titre des accessoires, 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Statuant sur opposition, par jugement du 7 novembre 2022, le tribunal de commerce de Montpellier a :

- déclaré recevable en la forme l'opposition de la société Kit-Aero ;

- se substituant à l'ordonnance, débouté la société Kit-Aero de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné la société Kit-Aero à payer à la société Cli les sommes suivantes:

- 14 085,20 euros au titre de la facture n° FV201758 demeurée impayée ;

- 2 347,33 euros au titre des intérêts au taux contractuel de 20% ;

- 40 euros au titre des frais de recouvrement ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- condamné la société Kit-Aero à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 8 décembre 2022, la société Kit-Aero a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 10 juin 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 1104, 1112-1, 1217, 1219, 1220, 1604 et suivants du code civil, de :

- infirmer le jugement entrepris ce qu'il l'a condamnée ;

- constater qu'elle a formulé une exigence spécifique relative au respect du délai de livraison qui a été méconnue par la société Cli ;

- constater que le temps convenu par les parties pour la livraison a été méconnu par la société Cli ;

- constater qu'un seul des deux bands-tools a été livré alors que le contrat prévoyait une seule livraison par commande ;

- constater la résolution du contrat au motif que la société Cli a manqué à ses obligations contractuelles et à son obligation de délivrance conforme ;

- débouter la société Cli de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Cli à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait valoir les moyens suivants':

- la demande de constat de la résolution du contrat constitue un moyen au soutien de la demande de débouté,

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle a demandé dans le dispositif de ses conclusions le rejet des demandes de la société Cli au motif notamment qu'elle avait manqué à son obligation de délivrance conforme,

- les dispositions de l'article 768 du code de procédure civile retenues par le tribunal ne sont pas applicables, la procédure est orale et il n'existe aucune exigence quant à la présentation du dispositif des conclusions,

- le jugement a constaté que le moyen relatif à la délivrance non conforme avait été plaidé, mais n'y a pas répondu'; compte tenu de ces trois erreurs de droit, le jugement doit être annulé,

- la force majeure invoquée est un moyen, qui n'avait pas à figurer dans le dispositif, le tribunal devait y répondre,

- la commune intention des parties était de faire du délai de livraison une condition impérative, la commande devait arriver le 8 juin, le retard de sept semaines était excessif,

- seule une partie de la commande a été livrée le 16 juin alors que le bon de commande exigeait une livraison en une seule fois,

- en ne respectant pas les modalités de livraison prévues (une seule livraison), la société Cli a manqué à son obligation de délivrance conforme,

- l'exécution de la commande demeure incomplète à ce jour,

- aucune force majeure n'est rapportée, la commande a été passée après la réouverture de l'usine Glenair et le fournisseur auprès duquel elle a dû se rabattre le 10 juin 2020 a été en mesure de lui livrer les deux pièces le 26 juin,

- la société Cli ne l'a pas informée du retard de livraison,

- elle n'a choisi un autre fournisseur qu'après la défaillance de la société Cli, et a constaté à cette occasion qu'elle vendait plus cher des produits obsolètes.

Par conclusions du 28 avril 2023, la société Cli demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1104 du code civil et des articles 446-2, 954 et 700 du code de procédure civile de :

- recevoir l'intégralité de ses moyens et prétentions ;

- rejeter toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées ;

- déclarer que le tribunal de commerce de Montpellier, qui a statué sur les prétentions qui lui étaient dûment formulées par la société Kit-Aero dans son dispositif, n'a commis aucune omission de statuer ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- débouter la société Kit-Aero de l'intégralité de ses demandes ;

- en tout état de cause, condamner la société Kit-Aero à payer la somme de 10000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle expose en substance les moyens suivants :

- l'appelante ne forme dans son dispositif qu'une demande de résolution fondée sur le retard de livraison caractérisant un manquement à l'obligation de délivrance dans le délai convenu et non une demande de résolution pour manquement à l'obligation de délivrance du fait de la non-conformité de la chose vendue,

- le visa de l'article 768 du code de procédure civile, qui reprend les dispositions de l'article 446-2 de ce code, est une erreur de plume'; le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, qui, en l'espèce, ne contenait devant le premier juge, aucune demande au titre d'une non-conformité de la chose elle-même et il n'y a aucune omission de statuer,

- elle a livré le produit le 15 juin 2020 avec un léger retard de sept jours dans le délai de 5 semaines initialement annoncé,

- elle a accepté d'annuler la seconde livraison, bien que les conditions générales de vente lui permettaient de s'y opposer,

- le délai de livraison n'était pas une condition impérative, elle n'a reçu le bon de commande signé que le 11 mai 2020 après une signature le 6 mai 2020,

- elle n'a pas été informée de la date à laquelle la société Kit-Aero devait elle-même livrer les produits,

- la livraison en deux temps visait à respecter un délai raisonnable de livraison, et l'absence de livraison du second produit résulte de l'annulation de la commande par la société Kit-Aero,

- elle ne se prévaut pas d'un cas de force majeure, lié à la crise sanitaire, ayant avisé sa cocontractante que l'usine rouvrait à peine,

- le premier retard était limité et dans la période de cinq semaines, le second retard avec une livraison au 6 juillet n'était que de trois semaines et permettait une livraison au client final avant le 17 juillet,

- le client final n'a pas annulé sa propre commande et il n'est pas justifié qu'il n'aurait pas accepté un retard de livraison dans le contexte de l'après pandémie,

- les produits commandés auprès d'un autre fournisseur sont distincts, ils sont substituables, mais présentent des performances différentes justifiant un prix moindre,

- la société Kit-Aero connaissait ces autres produits depuis 2018 et l'obsolescence décrite par le client final ne concerne pas les produits commandés.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 11 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

1- Au préalable, la cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties, elle n'est pas saisie de la demande d'annulation du jugement pour erreurs de droit, formée par la société Kit-Aero, qui n'est développée que dans la partie «'discussion'» (II- 1 à 5) de ses conclusions, sans être énoncée dans le dispositif de celles-ci.

De même, les parties peuvent parfaitement, à hauteur de cour comme devant le premier juge, développer, au soutien de leurs prétentions énoncées au dispositif, différents moyens, y compris, devant le juge d'appel, des moyens nouveaux.

La demande de constat de la résolution du contrat, qui est une prétention, régulièrement énoncée dans le dispositif des conclusions de l'appelante, sera, donc, analysée au regard du moyen tiré d'un manquement de la société Cli à ses obligations contractuelles, en ce compris l'obligation de délivrance conforme du vendeur, étant constaté que le défaut de réponse à un moyen fonde, le cas échéant, une infirmation, à l'exclusion d'une omission de statuer.

2- Selon l'article 1104 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

L'article 1217 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, prévoit que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté ou l'a été imparfaitement, peut refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation, poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation, obtenir une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat, demander réparation des conséquences de l'inexécution. Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

Le juge peut, en application de l'article 1228 suivant, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.

Les articles 1604 et 1610 de ce code, relatifs au contrat de vente, précisent que le vendeur est tenu de délivrer la chose vendue, le non-respect de cette obligation autorisant l'acquéreur à opter pour l'exécution forcée du contrat ou sa résolution avec dommages et intérêts et que si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur peut, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur.

Les conditions générales de vente de la société Cli, qui sont opposable à la société Kit-Aero, qui les a acceptées lorsqu'elle a ouvert un compte, prévoient, dans leur article 3 « délais de livraison », que les délais de livraison prévus dans les accusés de réception de commandes sont donnés à titre indicatif. Les retards ne peuvent en aucun cas justifier l'annulation de la commande, une indemnité quelconque ou l'application de pénalités de retard. Le vendeur est dégagé de plein droit de tout engagement de délai relatif à ses livraisons et se réserve expressément le droit de le suspendre :

- dans le cas où les renseignements techniques ou commerciaux, spécifications, à fournir par le client ne seraient pas reçus en temps voulu par le vendeur ;

- en cas de force majeure ou d'évènements tels que : conflits sociaux, épidémie, guerre ; réquisition, incendie, inondation, accidents d'outillage, rebut important de pièces en cours de fabrication, interruption ou retard dans les transports ou toute autre cause amenant un chômage total ou partiel chez le vendeur ou ses fournisseurs.

Est considéré entre autres comme cas de force majeure, l'interdiction éventuelle d'exporter édictée par le gouvernement du pays d'origine du matériel.

Il résulte des échanges de courriels entre les parties, entre le 31 mars 2020 et le 30 avril 2020, que la société Kit-Aero était informée que les délais ne seraient pas inférieurs à cinq semaines à compter de la commande compte tenu de la réouverture progressive de l'usine Glenair et que le délai de deux semaines, qu'elle sollicitait, n'était pas réalisable.

La société Kit-Aero a fixé une date de livraison au 8 juin 2020, dans son bon de commande en date du 11 mai 2020 (soit quatre semaines), avec un courriel, accompagnant celle-ci, qui précise qu'elle est dans l'attente d'un «'accusé de réception confirmant la meilleure date de livraison'», ce que reprend ledit accusé de réception, daté du même jour, avec la mention «'8 juin 2020 à réduire'sous réserve de nouvelles informations fournisseur ». Elle n'a sollicité la société Cli à propos de cette livraison que le 9 juin 2020 considérant que cette dernière date était celle de la livraison effective. La date du 8 juin 2020 n'était, donc, pas une condition déterminante de la vente.'

La livraison d'une seule pièce sur les deux pièces commandées est intervenue le 15 juin 2020 et correspond au délai de cinq semaines initialement annoncé. La société Kit-Aero ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait informé sa cocontractante de ce qu'elle devait, elle-même, effectuer la livraison au client final, à savoir la société Airbus Helicopters Gmbh, le 17 juillet 2020.

Au demeurant, elle ne conteste pas que, bien qu'ayant ouvert un compte auprès de la société Cli le 4 mai 2020, dans le cadre des échanges de courriels visés ci-dessus, faisant état de sa volonté d'une livraison rapide, elle n'a passé la commande, le 11 mai, qu'à la suite d'une relance du vendeur.

La société Kit-Aero ne peut se prévaloir de ce que la livraison était incomplète en ce qu'elle a, elle-même, annulé la seconde livraison.

La mention sur le bon de commande selon laquelle elle n'acceptait «'aucune livraison anticipée ou partielle sans accord », que la société Cli a repris dans l'accusé de réception de la commande, en indiquant «'une seule livraison par commande'», montre que le caractère complet de la livraison n'était pas impératif, puisque la société Kit-Aero indiquait la possibilité d'y déroger.

Au demeurant, l'annulation de la livraison n'était pas fondée, dans le courriel du 10 juin 2020 de la société Kit-Aero, sur le caractère isolé, mais sur le retard et l'annulation de la commande par le client final (non avérée).

Par ailleurs, la société Kit-Aero a sollicité un devis, dès le 9 juin 2020, soit avant d'annuler la commande effectuée auprès de la société Cli, auprès d'une société tierce, annonçant un délai de livraison de six à huit semaines. Le bon de livraison, en date du 24 juin 2020, relatif à cette commande, ne mentionne la livraison que d'une seule pièce, susceptible de remplacer celles commandées auprès de la société Cli. Le bordereau de livraison, émis par la société Kit-Aero le 17 juillet 2020, a été signé par la société Airbus Helicopters le 20 juillet suivant, il ne comporte pas les mêmes références et quantité que le devis du 9 juin et le bon de livraison du 20 juin 2020. Il en résulte que la société Kit-Aero ne démontre pas qu'elle aurait livré à son client final, à cette date, les pièces commandées le 9 juin 2020.

Enfin, les courriels échangés entre la société Airbus Helicopters et la société Kit-Aero entre le 13 juin 2018 et le 16 octobre 2018 ne peuvent raisonnablement permettre de retenir une obsolescence des produits commercialisés par la société Cli en 2020.

Il s'ensuit que la société Cli n'a pas manqué à ses obligations contractuelles, en ce compris son obligation de délivrance conforme, au titre du délai de livraison et de la quantité livrée. La demande de constat de la résolution du contrat de vente, formée par la société Kit-Aero, sera rejetée.

La société Kit-Aero ne conteste pas le montant des sommes réclamées et sera condamnée à leur paiement.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

3- Succombant sur son appel, la société Kit-Aero sera condamnée aux dépens et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 2'500 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement déféré';

Et ajoutant,

Condamne la SAS Kit-Aero à payer à la SA Cli la somme de 2'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Kit-Aero aux dépens d'appel.