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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 13 septembre 2024, n° 24/01498

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bureau Carte Grise (SAS)

Défendeur :

Google Ireland Limited, Google France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme Le Cotty, M. Birolleau

Avocats :

Me Lehman, Me Moisan, Me Michot

T. com. Paris, du 21 déc. 2023, n° 20230…

21 décembre 2023

*****

La société Google Ireland limited est la principale filiale européenne de la société Google LLC, qui exploite un moteur de recherche sur internet. Les recettes de la société Google LLC découlent notamment de la publicité qu'elle diffuse, en particulier via son programme Google Ads, exploité par Google Ireland limited (ci-après Google) en Europe.

Google Ads est un service de publicité qui permet d'afficher des annonces sur les pages de résultats du moteur de recherche Google en fonction des mots clés qui ont été tapés par les internautes. Les annonceurs versent à la société Google une rémunération pour les clics effectifs d'internautes sur leurs annonces : le « coût par clic ».

Les annonces qui sont diffusées et le coût facturé sont déterminés par un système d'enchères géré par un algorithme, chaque annonceur déterminant son enchère maximum pour les mots clés de recherche qui l'intéressent. Toute personne ou entreprise peut s'inscrire sur le programme Google Ads via une procédure en ligne sur le site internet Google Ads.

La société Bureau carte grise est une société française qui propose aux internautes d'effectuer leur demande de certificat d'immatriculation (ou carte grise) auprès de l'administration à leur place moyennant le versement d'une somme de 39,50 euros. Elle bénéficie à ce titre d'une habilitation du ministère de l'Intérieur.

En octobre 2018, elle a lancé le site www.bureau-carte-grise.fr.

Elle a recours à Google Ads pour la promotion de son site.

Le 19 mars 2020, la société Google a notifié aux annonceurs sa décision de modifier les règles Google Ads, qui détaillent les consignes relatives au contenu des annonces, pour introduire une règle intitulée « Documents officiels et services publics », afin de ne plus autoriser la diffusion d'annonces faisant la promotion de documents officiels et/ou de services publics qui peuvent être obtenus directement auprès d'une administration publique ou d'un prestataire délégué.

Cette règle « Documents officiels et services publics » est entrée en vigueur le 26 mai 2020 pour les annonceurs Google Ads du monde entier.

Les annonces de la société Bureau carte grise ont dès lors été refusées, son activité entrant dans le champ d'application de cette règle.

Par ordonnance du 22 février 2021, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 avril 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a enjoint à la société Google de diffuser à nouveau les annonces de la société Bureau carte grise.

En exécution de cette ordonnance de référé, la société Google a rétabli la diffusion des annonces Google Ads de la société Bureau carte grise à compter de mars 2021.

Parallèlement, la société Bureau carte grise a assigné les sociétés Google Ireland et Google France au fond devant le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 28 juin 2023, leur a ordonné de maintenir la publication et la diffusion des annonces de la société Bureau carte grise en lien avec le service de délivrance des cartes grises et les a condamnées à lui payer la somme de 68.182 euros à titre de dommages et intérêts pour la période de décembre 2020 à mars 2021.

Le 24 mai 2023, la société Google a de nouveau modifié sa règle « Documents officiels et services publics » afin de permettre aux prestataires habilités (et non plus seulement « délégués ») par l'administration de faire la promotion de services et documents officiels sur Google Ads.

Depuis le 24 mai 2023, tous les intermédiaires qui, comme la société Bureau carte grise, figurent sur la liste officielle des professionnels habilités, peuvent donc être autorisés à diffuser des annonces.

En novembre 2023 puis en janvier 2024, le compte Google Ads de la société Bureau carte grise a été suspendu en raison du non-paiement de ses factures.

Par acte du 30 novembre 2023, la société Bureau carte grise a assigné les sociétés Google Ireland limited et Google France en référé à heure indiquée devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin de voir :

ordonner la nomination d'un expert, avec pour mission de déterminer :

les circonstances et les conditions de fixation par la société Google du prix payé par elle ;

les circonstances et les conditions de fixation du coût par clic (CPC) et du prix de réserve fixé par la société Google pour elle ;

les circonstances et les conditions entourant le classement de ses annonces ;

le prix payé par ses principaux concurrents, la position qu'ils ont occupée et le budget GoogleAds qu'ils ont alloué depuis octobre 2018 ;

pour ce faire, autoriser l'expert à :

prendre connaissance de tous documents, courriels, plus généralement tous fichiers utiles, dans les archives, logiciels, serveurs entourant la fixation des prix fixés par la société Google la concernant ;

se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission,

entendre tous sachant qu'il estimera utiles ;

s'il l'estime nécessaire, se rendre sur place et visiter les lieux ;

dire et juger que, dans l'attente des résultats de l'expertise qui sera menée sur les prix fixés par la société Google, elle sera autorisée à ne provisoirement régler que la moitié du prix des factures émises mensuellement par la société Google à compter du mois de juin 2023 et ce jusqu'au dépôt du rapport de l'expert, sans pénalité ni intérêt.

Par ordonnance contradictoire du 21 décembre 2023, le juge des référés a :

mis hors de cause la société Google France ;

rejeté la demande de la société Bureau carte grise de nomination d'un expert ;

rejeté les demandes de la société Bureau carte grise liées à l'attente des résultats de l'expertise ;

condamné la société Bureau carte grise à verser aux sociétés Google Ireland et Google France la somme de 2.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

rejeté toutes demandes plus amples ou contraires ;

condamné la société Bureau carte grise aux entiers dépens.

Par déclaration du 8 janvier 2024, la société Bureau carte grise a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 mai 2024, elle demande à la cour de :

réformer l'ordonnance entreprise ;

En conséquence,

ordonner la nomination de tout expert qu'il plaira à la cour de désigner, avec pour mission de déterminer, entre le 19 mars 2021 et la date de l'assignation :

les circonstances et des conditions de fixation par la société Google du prix payé par elle ;

les circonstances et les conditions de fixation du coût par clic (CPC) et du prix de réserve fixé par la société Google en ce qui la concerne ;

les circonstances et les conditions entourant le classement de ses annonces ;

pour ce faire, dire que l'expert pourra :

prendre connaissance de tous documents, courriels, plus généralement tous fichiers utiles, dans les archives, logiciels, serveurs entourant la fixation des prix fixés par la société Google pour elle ;

se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission ;

entendre tous sachants qu'il estimera utiles ;

s'il l'estime nécessaire se rendre sur place et visiter les lieux ;

dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à ce stade.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 28 mai 2024, les sociétés Google Ireland limited et Google France demandent à la cour de :

confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

débouter la société Bureau carte grise de l'intégralité de ses demandes ;

condamner la société Bureau carte grise à leur payer la somme de 15.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Bureau carte grise aux entiers dépens

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 mai 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande de mise hors de cause de la société Google France

Il est établi - et au demeurant non contesté à hauteur d'appel - que la société Google France n'exploite pas le service Google Ads en Europe, lequel est exploité par la société Google Ireland limited, qui a émis l'ensemble des factures adressées à la société Bureau carte grise et que celle-ci conteste.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a mis hors de cause la société Google France, qui n'est pas susceptible d'être partie au futur litige éventuel susceptible d'opposer l'appelante à la société Google.

Sur la demande d'expertise

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Pour solliciter une expertise destinée à déterminer les circonstances et conditions de fixation par la société Google du prix qu'elle a payé pour ses annonces entre le 19 mars 2021 et la date de l'assignation, ainsi que les circonstances et conditions entourant le classement de ses annonces, la société Bureau carte grise soutient que la société Google viole l'article 1591 du code civil, selon lequel « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties », et l'article L. 441-1, III, du code de commerce, aux termes duquel « lorsque le prix d'un service ne peut être déterminé a priori ou indiqué avec exactitude, le prestataire de services est tenu de communiquer au destinataire qui en fait la demande la méthode de calcul du prix permettant de vérifier ce dernier, ou un devis suffisamment détaillé ».

L'appelante soutient que la société Google ne détermine pas le prix de son service, ne communique pas de devis détaillé à l'annonceur lui permettant de connaître le prix et ne communique pas la méthode de calcul du prix permettant de le vérifier.

Elle soutient que le système d'enchères de la société Google est opaque et laissé à la subjectivité de celle-ci, qu'il lui permet de manipuler les enchères et le classement des annonces, les règles étant appliquées de manière aléatoire et discrétionnaire.

Selon elle, le système publicitaire inventé par la société Google rend le coût par clic non seulement imprévisible, indéterminé et indéterminable pour l'annonceur mais conduit à une fixation de ce coût arbitraire et potentiellement discriminatoire ; ainsi, lorsqu'un annonceur souhaite faire la promotion de son site via Google Ads, il ignore quelle promotion sera assurée par la société Google et à quel prix. Ce procédé serait inédit et ne perdurerait que parce que les annonceurs n'ont pas le choix : soit ils l'acceptent, soit ils disparaissent car ils ne peuvent plus faire de publicité en ligne.

Elle ajoute qu'elle a eu la preuve de la fixation fautive des prix par la société Google car elle s'est trouvée, à compter de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 22 février 2021 ayant enjoint à la société Google de diffuser ses annonces, seule à enchérir en France sur Google Ads. Or, selon elle, en dépit de cette situation d'absence de concurrence, le coût par clic qu'elle a dû payer n'a cessé d'augmenter.

Elle indique avoir fait diligenter deux expertises amiables, l'une de M. [M] du cabinet Abergel en date du 23 octobre 2023, l'autre de M. [I] en date du 5 décembre 2023, qui constatent toutes deux que la hausse du coût par clic sur la période de mars 2021 à mai 2023 a été artificiellement orchestrée par la société Google.

Elle en conclut que, la société Google ne communiquant pas aux annonceurs les éléments fondamentaux permettant de déterminer les conditions dans lesquelles le prix des enchères est fixé, elle n'a d'autre choix que de demander la nomination d'un expert judiciaire pour qu'il se fasse communiquer et analyse ces éléments pertinents qui ne lui sont pas transmis.

Enfin, elle prétend que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'expertise ne revient pas à « investiguer l'essentiel de l'activité de la société Google lreland » mais seulement à expertiser les modalités de fixation d'un prix d'une entreprise.

La société Google réplique que la demande d'expertise ne repose sur aucun motif légitime dès lors que la détermination du prix des annonces Google Ads résulte d'un système d'enchères classique dans lequel l'annonceur a la complète maîtrise de son budget et qui est géré de manière entièrement automatisée par un algorithme pour les millions d'annonces diffusées quotidiennement dans le monde, dont l'Autorité de la concurrence a souligné la pertinence, que les règles de fixation du coût par clic sont connues, transparentes, prévisibles et non manipulables et que l'appelante n'invoque aucun fondement juridique crédible susceptible de fonder un éventuel procès futur entre les parties, rappelant que la liberté des prix est un principe fondamental du droit de la concurrence résultant notamment de l'article L. 410-2 du code de commerce.

Elle estime que la difficulté rencontrée par la société Bureau carte grise, à savoir l'augmentation du coût par clic et donc de ses factures, provient en réalité du retour de la concurrence sur son marché depuis 2023 à la suite de la modification de la règle Google Ads « Documents officiels et services publics », qui permet désormais à l'ensemble des professionnels habilités de diffuser des annonces pour leur service de demande de carte grise.

Elle ajoute que l'expertise serait inutile dès lors que le prix est déterminé automatiquement et instantanément par l'algorithme de Google Ads, sans aucune intervention humaine, et que la société Bureau carte grise a déjà accès à l'ensemble des informations historiques relatives au prix payé. Selon elle, l'appelante n'explique pas en quoi la mesure d'expertise qu'elle sollicite permettrait d'éclairer le juge du fond.

Elle fait encore valoir que la mesure a un caractère disproportionné car, sur la période considérée, les annonces de la société Bureau carte grise ont reçu des millions de clics, avec un prix à chaque fois différent déterminé par l'algorithme de Google Ads, dont le fonctionnement relève du secret des affaires.

La cour rappelle que l'application de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constatée l'existence d'un procès « en germe » possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, l'expertise judiciaire ordonnée n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.

Il n'appartient pas, en effet, au juge des référés saisi sur le fondement de ce texte de statuer sur le bien-fondé de l'action future.

Il lui appartient, en revanche, de vérifier que l'expertise judiciaire est utile et pertinente pour éclairer le juge du fond qui sera éventuellement saisi.

En outre, la mesure ordonnée doit être légalement admissible et, par conséquent, proportionnée au droit à la preuve du demandeur et aux droits de la personne qui subit la mesure.

A cet égard, si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, c'est à la condition que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie au regard de l'objectif poursuivi (2e Civ., 10 juin 2021, pourvoi n° 20-13.737, publié).

Au cas présent, l'article 1591 du code civil visé par l'appelante ne peut fonder un procès futur entre les parties puisqu'il concerne le contrat de vente, alors que le contrat liant les parties est un contrat de prestation de service ; en revanche, l'article L. 441-1, III, du code de commerce pourrait éventuellement fonder une action future, si l'absence de communication de la méthode de calcul du prix du service ou de devis détaillé était avérée.

Toutefois, la société Google communique aux annonceurs les règles de fixation du coût par clic, qui reposent sur un système d'enchères décrit en détail dans les documents mis à la disposition de ceux-ci.

Les documents en ligne de Google Ads précisent ainsi que « les enchères publicitaires permettent à Google de déterminer quelles annonces peuvent être diffusées, puis de déterminer leur classement. Google calcule les scores du classement des annonces aux phases d'éligibilité et de classement. En règle générale, l'annonce la mieux classée apparaît en première position, la deuxième du classement apparaît en deuxième position (si les annonces atteignent les seuils minimums), et ainsi de suite ».

Ainsi que l'expose l'intimée, la décision de l'Autorité de la concurrence n° 19-D-26 du 19 décembre 2019, qui l'a sanctionnée pour abus de position dominante, ne concerne pas les modalités de fixation des prix du service Google Ads, lesquelles n'ont pas été sanctionnées, mais les modalités de détermination et d'application des règles de Google Ads.

Le système d'enchères lui-même a été décrit par l'Autorité de la concurrence comme étant une technique efficace et pertinente en matière de publicité en ligne : « compte tenu de l'espace publicitaire limité disponible sur une page Web, les fournisseurs de publicité de recherche en ligne doivent pouvoir sélectionner et afficher les annonces de recherche en ligne les plus pertinentes pour une requête donnée. Un mécanisme d'enchères semble être le meilleur moyen de le faire de manière rentable et efficace » (décision n° 19-D-26 du 19 décembre 2019, § 318).

De plus, l'annonceur conserve la maîtrise du prix maximum qu'il consent à payer puisque le système d'enchères le conduit à déterminer au cas par cas le prix maximum qu'il paiera pour chaque clic d'un internaute. Le prix payé correspond également à un service effectif dès lors qu'il correspond aux clics des internautes sur son annonce et non à un simple affichage de l'annonce sur le moteur de recherche.

L'annonceur peut également, à tout moment, mettre un terme à ses dépenses de publicité sur Google Ads en cessant de recourir à ce service.

Certes, le prix de réserve, prix minimum en dessous duquel l'annonce n'est pas diffusée, est déterminé par l'algorithme de Google Ads et inconnu à l'avance de l'annonceur.

Sa méthode de calcul est complexe et repose notamment sur un critère de « qualité de l'annonce », dénoncé par l'appelante en raison de son caractère subjectif.

Il ressort des documents en ligne mis à disposition des annonceurs par Google Ads que le niveau de qualité de l'annonce est calculé sur la base des performances cumulées de trois éléments :

« Taux de clics attendu (CTR) : indique la probabilité qu'un internaute clique sur votre annonce lorsqu'elle est diffusée.

Pertinence de l'annonce : indique à quel point une annonce se rapproche de l'intention associée à la recherche d'un utilisateur.

Expérience sur la page de destination : indique la pertinence et l'utilité de votre page de destination pour les utilisateurs qui cliquent sur votre annonce. »

La société Google précise, dans ses documents mis en ligne (« A propos de la qualité des annonces »), que « la qualité des annonces est une estimation de l'expérience des utilisateurs lorsqu'ils voient vos annonces sur le réseau de recherche. Elle repose sur plusieurs facteurs, parmi lesquels la pertinence du texte de votre annonce par rapport aux recherches, la probabilité que les utilisateurs cliquent dessus et la qualité de leur expérience une fois qu'ils se trouvent sur votre page de destination. [...] Globalement, plus la qualité des annonces est bonne, meilleures sont les performances : entre autres, les annonces sont mieux positionnées et le coût est moindre ».

Dans sa note technique du 5 décembre 2023, M. [I], expert informatique, relève que « c'est donc Google qui détermine la qualité d'une annonce ; l'annonceur ne dispose lui que d'indications très générales sur les critères susceptibles d'influer sur celle-ci » (pièce n° 9 de l'appelante).

Cependant, ces critères, certes subjectifs et peu transparents - ainsi que les termes « estimation de l'expérience des utilisateurs » en attestent -, sont évalués par l'algorithme de Google Ads, qui relève du secret des affaires absolu de la société Google et qu'un expert ne saurait, pour cette raison, examiner en détail au contradictoire des parties.

L'appelante critique également la possibilité que se réserve la société Google de faire évoluer les prix de réserve pour « tenir compte de l'augmentation des coûts » qu'elle supporte en tant que prestataire de services et dénonce une absence d'automaticité de la détermination de ce prix de réserve ainsi que l'intervention de la société Google sur son algorithme pour le modeler à sa guise.

Mais il ne saurait être reproché à un prestataire d'ajuster ses prix en fonction de l'augmentation des coûts qu'il supporte et, à l'évidence, tout algorithme est généré par des interventions humaines.

Les conditions de classement des annonces, également dénoncées par la société Bureau carte grise, sont tout aussi complexes, alors que l'enjeu est essentiel, la diffusion de l'annonce et son rang de classement sur le moteur de recherche en dépendant.

Cependant, là encore, les critères de classement sont énoncés dans les documents en ligne de Google Ads, à savoir le montant de l'enchère, la qualité de l'annonce, les seuils minimums de classement des annonces, la concurrence des enchères, le contexte de la recherche et l'impact estimé des composants d'annonces.

Si ces critères ne permettent pas à l'annonceur de connaître à l'avance le rang de classement de son annonce, leur mise en oeuvre par l'algorithme relève du secret des affaires, étant précisé que celui-ci gère plusieurs centaines de millions d'enchères par jour, ainsi que l'expose la société Google sans que cela ne soit contesté par l'appelante.

De plus, les annonceurs ont accès à tout moment à l'ensemble des données relatives à leur activité sur Google Ads. Ils ont ainsi accès au coût par clic payé pour leurs annonces, au coût moyen payé sur une période donnée, au montant des dépenses, au nombre de clics et de conversions (achats effectués à la suite d'un clic sur une annonce), données qui leur permettent de gérer leurs campagnes de publicité.

Enfin, l'appelante soutient que, sur la période de mars 2021 à mai 2023, la hausse du coût par clic payé par elle a été « artificiellement orchestrée par Google », alors qu'elle se trouvait dans une situation de non concurrence en raison du blocage de tous ses concurrents sur son secteur d'activité d'intermédiaire en ligne de cartes grises, et que seule la manipulation du prix de réserve par la société Google peut expliquer la variation de son coût par clic sur cette période.

Mais il ne peut qu'être constaté que, sur ce point, elle dispose de tous les éléments chiffrés lui permettant, le cas échéant, de saisir le juge du fond, sans qu'une expertise judiciaire ne soit nécessaire pour améliorer sa situation probatoire. Elle produit en effet l'expertise amiable d'un expert-comptable (M. [M] du cabinet Abergel), la note technique d'un expert informatique (M. [I]), ainsi que le rapport Ledouble de septembre 2021 de la société Google elle-même, éléments qui sont complétés par les données chiffrées issues de son compte Google Ads et mises à sa disposition par la société Google.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît, d'une part, que les règles de fixation des prix du service Google Ads sont communiquées par la société Google et que, pour le surplus, la mesure sollicitée, qui reviendrait à analyser l'algorithme de Google Ads, porterait une atteinte disproportionnée au secret des affaires au regard de l'objectif poursuivi, s'agissant de l'examen, au contradictoire des parties, de son « secret de fabrique », constituant l'essentiel de la valeur de l'entreprise, d'autre part, que, pour la période de mars 2021 à mai 2023, au cours de laquelle la société Bureau carte grise s'est trouvée dans une situation de quasi non concurrence avérée, celle-ci dispose de tous les éléments pour saisir le juge du fond, de sorte que l'expertise serait inutile.

La demande d'expertise sera en conséquence rejetée et l'ordonnance entreprise confirmée en toutes ses dispositions.

Sur les frais et dépens

La société Bureau carte grise, demanderesse à l'expertise, sera tenue aux dépens.

L'équité et la situation économique des parties commandent toutefois de la dispenser de toute condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société Bureau carte grise aux dépens d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.