CA Toulouse, 2e ch., 17 septembre 2024, n° 22/03444
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Garage Colleoni (SARL)
Défendeur :
Garage Colleoni (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Moulayes, Mme Norguet
Avocats :
Me Pastre, Me Avenas
Faits et procédure
Le 27 avril 2013, Madame [G] [N] a acquis de Madame [O] un véhicule Citroen C3 immatriculé [Immatriculation 5] moyennant le prix de 4 500 euros.
Le 16 octobre 2013 Madame [N] a déposé ledit véhicule au Garage Colleoni pour effectuer des réparations suite à une panne.
Madame [N] a réglé à la Sarl Garage Colleoni la somme de 527,52 euros par chèque au titre de cette réparation.
Un litige a opposé Madame [N] à Madame [O] quant à l'état du véhicule au moment de la vente ; après expertise judiciaire confiée à Monsieur [Z] par ordonnance de référé du 5 septembre 2014, le tribunal judiciaire de Toulouse a, par jugement du 6 décembre 2019, prononcé la résolution de la vente et débouté Madame [N] de ses demandes indemnitaires.
Par arrêt du 1er mars 2021, la Cour d'Appel de Toulouse a confirmé cette décision, notamment s'agissant des demandes indemnitaires de Madame [N], estimant que la preuve n'était pas rapportée de la connaissance, par la venderesse, du défaut affectant le véhiculé cédé.
A l'issue de cette procédure, par courrier d'avocat du 7 février 2020, la Sarl Garage Colleoni a mis en demeure Madame [N] de lui payer les frais de gardiennage pour son véhicule, toujours en dépôt dans ses locaux, en vain.
Par acte du 29 septembre 2020, la Sarl Garage Colleoni a fait délivrer assignation devant le tribunal judiciaire de Toulouse à Madame [N], afin d'obtenir sa condamnation au paiement des frais de gardiennage.
Par jugement du 16 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a :
- débouté la Sarl Garage Colleoni de sa demande en paiement des frais de gardiennage ;
- débouté la Sarl Garage Colleoni de sa demande de dommages et intérêts,
- débouté Mme [G] [N] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;
- condamné la Sarl Garage Colleoni aux dépens de l'instance qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle ;
- condamné la Sarl Garage Colleoni payer à Mme [G] [N] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par déclaration du 27 septembre 2022, la Sarl garage Colleoni a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation de l'ensemble des chefs du jugement, que la déclaration d'appel critique tous expressément.
La clôture est intervenue le 22 avril 2024, et l'affaire a été appelée à l'audience du 22 mai 2024.
Prétentions et moyens
Vu les conclusions d'appelant n°2 notifiées le 24 janvier 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Garage Colleoni demandant, aux visas des articles 1915, 1917, 1927, 1928 et suivants, et 1948 du Code Civil, de :
- dire et juger qu'un contrat d'entreprise a été conclu entre Madame [G] [N] à la Sarl Garage Colleoni ;
- dire et juger qu'un contrat de dépôt accessoire au contrat d'entreprise lie Madame [G] [N] à la Sarl Garage Colleoni ;
- dire et juger que Madame [N] n'apporte pas la preuve du caractère gratuit du contrat d'entreprise ;
- dire et juger que la Sarl Garage Colleoni dispose d'un droit de rétention au visa de l'article 1928 du Code civil ;
- infirmer le jugement du 16 septembre 2022 en ce qu'il a débouté la Sarl Garage Colleoni de l'intégralité de ses demandes ;
- A titre principal,
- condamner Madame [G] [N] au paiement de la somme de 25.200 euros TTC correspondant à 84 mois de gardiennage (84 x 300) soit du 16 octobre 2013 au 16 octobre 2020.
- A titre subsidiaire,
- condamner Madame [G] [N] au paiement de la somme de 11.160 euros TTC correspondant à 31 mois de gardiennage tel que ressortant du devis demandé et produit par son Conseil le 02/06/2016 (31 x 300) soit du 16 octobre 2013 au 16 mai 2016.
- A titre infiniment subsidiaire,
- condamner Madame [G] [N] au paiement de la somme de 5.400 euros TTC correspondant au forfait sur 15 mois retenu par l'Expert judiciaire dans son rapport (15 x 300).
- En tout état de cause :
- condamner Madame [G] [N] au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommage et intérêt en réparation du préjudice économique subi ;
- condamner Madame [G] [N] à verser à la Sarl Garage Colleoni la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.
- débouter Madame [G] [N] de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles.
Vu les conclusions d'intimé notifiées le 10 janvier 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Madame [G] [N] demandant de :
- A titre principal :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel en ce qu'il a débouté le Garage Colleoni de toutes ses demandes ;
- accueillir l'appel incident formulée par Madame [G] [N] ainsi que la demande reconventionnelle en dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code Civil ;
- condamner le garage Colleoni à payer à Madame [G] [N] une somme de 25 200 € à titre de dommages et intérêts, à parfaire ;
- condamner le garage Colleoni à payer à Madame [G] [N] une somme d'un montant de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ou, si mieux ne plaise au tribunal, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, puisque Madame [G] [N] est bénéficiaire d'une aide juridictionnelle totale ;
- A titre subsidiaire, et à la suite de la confirmation de la décision de Première Instance, déboutant le Garage Colleoni de toutes ses demandes,
- dire et juger que l'opposition à la restitution a placé Madame [G] [N] dans une situation inconfortable et que cela constitue un préjudice qui doit être réparé par l'allocation de justes dommages et intérêts qu'il plaira à la Cour de fixer à la somme de 10 000 € ;
- si par extraordinaire le tribunal venait à faire droit à la demande de frais de gardiennage, suivant l'arbitrage qui serait effectué par le Tribunal, celui-ci ordonnerait également la compensation judiciaire entre toutes les sommes ;
- condamner le garage Colleoni aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la demande en paiement des frais de gardiennage
Il ressort des dispositions de l'article 1917 du code civil que le dépôt proprement dit est un contrat essentiellement gratuit.
Les articles 1927 et 1928 de ce même code disposent que le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.
Cette disposition doit être appliquée avec plus de rigueur : 1o si le dépositaire s'est offert lui-même pour recevoir le dépôt ; 2o s'il a stipulé un salaire pour la garde du dépôt ; 3o si le dépôt a été fait uniquement pour l'intérêt du dépositaire ; 4o s'il a été convenu expressément que le dépositaire répondrait de toute espèce de faute.
Sur le fondement de ces dispositions, il est constant que le contrat de dépôt d'un véhicule auprès d'un garagiste, accessoire à un contrat d'entreprise, est présumé fait à titre onéreux ; il appartient au propriétaire du véhicule qui conteste devoir des frais de gardiennage de rapporter la preuve du caractère gratuit du contrat.
Cette présomption d'onérosité présente en conséquence un caractère réfragable.
En l'espèce, le 16 octobre 2013, le véhicule qui appartenait à Madame [N] a été remorqué suite à une panne auprès du garage Colleoni, qui a procédé à des réparations détaillées tant dans le rapport d'expertise amiable que dans l'expertise judiciaire, établissant une facture d'un montant de 527,52 euros, le 14 janvier 2020, dont Madame [N] s'est acquittée ; cette facture est relative à la dépose de la pompe à injonction.
Il existe donc bien un contrat d'entreprise liant les parties, dont le dépôt du véhicule est l'accessoire ; ce dépôt a perduré une fois les réparations effectuées.
Il appartient ainsi à Madame [N] de rapporter la preuve de la gratuité du dépôt.
Cette dernière estime que la gratuité se déduit de l'absence d'accord entre les parties sur le caractère onéreux du dépôt ou sur son prix, ainsi que de l'attitude du Garage Colleoni qui n'a formulé aucune demande en paiement jusqu'à son assignation devant la juridiction de première instance.
Il ne peut toutefois qu'être rappelé qu'en application d'une jurisprudence constante, l'absence de contrat de dépôt ne suffit pas à renverser la présomption d'onérosité du dépôt accessoire à un contrat d'entreprise ; par ailleurs, le défaut d'accord des parties sur le prix n'est pas plus probant dans la mesure où le juge peut toujours déterminer le coût de ce dépôt.
S'agissant de l'attitude du dépositaire, la Cour constate qu'aucune facture ni mise en demeure n'a été adressée à Madame [N] concernant le dépôt de son véhicule ; pour autant, le Garage Colleoni produit des estimations de frais de gardiennage du 2 juin 2016 et du 9 mars 2018, qui étaient bien en possession de Madame [N] dans la mesure où son avocat lui-même a produit la première au cours des opérations d'expertise judiciaire dans le dire adressé par son conseiller technique le 7 juin 2016.
L'intention du dépositaire de faire payer le dépôt du véhicule objet du litige était en conséquence connue de Madame [N], et a été réitérée lors des opérations d'expertise, le Garage Colleoni ayant indiqué à l'expert judiciaire les sommes qu'il entendait réclamer au titre du gardiennage.
Dans l'instance l'opposant au vendeur du véhicule, Madame [N] a sollicité dès l'assignation le remboursement des frais de gardiennages invoqués par le Garage Colleoni lors des opérations d'expertise ; elle n'ignorait donc pas le caractère onéreux de ce dépôt.
Les moyens opposés par l'intimée ne permettent pas en conséquence d'apporter la preuve de la gratuité du dépôt de son véhicule.
Le Garage Colleoni est donc fondé à demander à Madame [N] le paiement du gardiennage du véhicule dont il avait reçu le dépôt ; le coût du dépôt tend à compenser les frais nécessairement engagés par le dépositaire, qui assume la responsabilité de la garde du véhicule, pour conserver le bien en sécurité et dans l'état dans lequel il a été confié.
En l'espèce la société appelante sollicite des frais de gardiennage à hauteur de 300 euros par mois, à compter du 16 octobre 2013.
La Cour constate que le véhicule objet du litige a été mis en circulation 10 ans avant son acquisition par Madame [N], et présentait lors de son achat un kilométrage proche de 100 000 km ; l'appelant ne produit pas de justificatif des frais engagés pour l'entretien du véhicule gardienné ; en outre la société Garage Colleoni ne démontre pas la gène occasionné par le véhicule, et ne justifie pas du peu d'empressement dont elle a fait preuve, pour faire évacuer ledit véhicule.
Au regard de ces éléments, il convient de revoir à de plus justes proportions le coût de son gardiennage par le dépositaire, en le réduisant à la somme de 2 euros par jour, soit sur 84 mois la somme de 5 040 euros.
Le premier jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté le Garage Colleoni de sa demande de ce chef, et Madame [N] sera condamnée à lui verser la somme de 5 040 euros.
Sur les dommages et intérêts
Sur la demande formée par le Garage Colleoni
La Sarl Garage Colleoni demande à la Cour de condamner Madame [N] à l'indemniser de son préjudice économique à hauteur de 5 000 euros ; elle explique avoir engagé des frais en terme de surveillance et d'entretien du véhicule déposé, ce dernier ayant d'ailleurs occupé une place qui n'a pas pu être mise à profit pour l'activité de l'entreprise.
Elle ne démontre toutefois pas un préjudice distinct de celui destiné à être réparé par le coût du contrat de dépôt.
Dès lors, c'est à bon droit qu'elle a été déboutée de sa demande de ce chef par le premier jugement, qui sera confirmé.
Sur la demande formée par Madame [N]
Madame [N] sollicite la condamnation du Garage Colleoni à lui payer la somme de 25 200 euros en réparation du préjudice subi du fait de son refus de restitution du véhicule ; elle ajoute une demande de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de l'abus de droit commis par la société appelante.
Dans le cadre de l'instance l'opposant au vendeur du véhicule, il a été ordonné à Madame [N] par jugement du tribunal judiciaire, confirmé en appel, de restituer le véhicule à Madame [O], à charge pour cette dernière de venir le récupérer à ses frais au Garage Colleoni.
Or, la société appelante a refusé de restituer ce véhicule au motif que Madame [N] était débitrice des frais de gardiennage.
Ce faisant, la Sarl Garage Colleoni a justement exercé son droit de rétention à l'égard de sa débitrice Madame [N] ; son comportement n'est pas plus fautif en ce qu'il a appliqué les dispositions de l'article 1937 du code civil, faisant obligation au dépositaire de ne restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, indépendamment de sa qualité de propriétaire, et ce alors que le Garage Colleoni n'était pas partie au jugement ordonnant la restitution du véhicule à Madame [O].
Dès lors, son refus de restitution du véhicule ne présentait ni de caractère fautif ni de caractère abusif, et ne justifie pas de l'octroi de dommages et intérêts ni de l'indemnisation d'un préjudice.
Le chef de jugement ayant débouté Madame [N] de sa demande d'indemnisation sera donc confirmé ; elle sera par ailleurs déboutée de sa demande de dommage et intérêts fondée sur l'abus de droit.
Sur les demandes accessoires
Le premier jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la Sarl Garage Colleoni à payer à Madame [N] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Madame [N], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991.
En revanche, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; les parties seront déboutées de leurs demande sur ce fondement, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la Sarl Garage Colleoni de sa demande en paiement des frais de gardiennage, et a mis à sa charge les dépens et une indemnité au titre des frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne Madame [G] [N] à payer à la Sarl Garage Colleoni la somme de 5 040 euros au titre des frais de gardiennage du véhicule ;
Déboute Madame [G] [N] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre la Sarl Garage Colleoni au titre d'un abus de droit ;
Déboute Madame [G] [N] et la Sarl Garage Colleoni de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Condamne Madame [G] [N] aux dépens de première instance et d'appel ;