CA Chambéry, 1re ch., 17 septembre 2024, n° 22/00042
CHAMBÉRY
Autre
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
U BTP (SAS)
Défendeur :
Track Tp (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Reaidy, M. Sauvage
Avocats :
Me Forquin, Me Gonnet, SCP Girard-Madoux et Associés, Me Abel
Faits et procédure
Dans le cadre d'un chantier à [Localité 2], la société [U] Btp, entreprise de travaux publics, a confié au mois d'août 2018 à la société Track TP des travaux d'enrochement en rivière avec guidage GPS.
Les prestations commandées ont été exécutées entre le 5 septembre et le 5 octobre 2018, aboutissant à l'émission, les 30 septembre et 5 octobre 2018, de quatre factures d'un montant total de 56 280 euros TTC, sur la base d'un devis établi le 29 août 2018.
Deux règlements de 19 680 euros chacun ont été effectués les 24 janvier et 25 février 2019, après relances, par la société [U] Btp, qui a contesté le 24 janvier 2019 le solde restant dû de 16 920 euros TTC, estimant n'avoir jamais exprimé son accord sur les tarifs pratiqués par sa contractante.
Suivant exploit d'huissier du 3 février 2021, la société Track TP a fait assigner la société [U] BTP devant le tribunal de commerce d'Annecy aux fins d'obtenir le règlement du solde de ses factures.
Par jugement du 22 décembre 2021, le tribunal de commerce d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- déclaré recevable et en partie bien fondées les demandes de la société Track TP ;
- condamné la société [U] BTP à payer à la société Track TP la somme de 16 920 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2019 ;
- condamné la société Deecremps BTP à payer à la société Track TP la somme de 160 euros au titre des indemnités de recouvrement ;
- condamné la société [U] BTP à payer à la société Track TP la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société [U] BTP aux entiers dépens ;
- dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire ;
- rejeté les autres demandes.
Au visa principalement des motifs suivants :
il appartenait à la société [U] BTP de s'enquérir des modalités de facturation par la société Track TP de ses prestations avant, ou au plus tard dès le commencement des travaux litigieux, dès lors qu'elle invoque l'inexistence du devis du 29 août 2018 ;
il appartenait également à la société [U] TP de contester les taux horaires de location et les prix de transfert à réception des 4 factures émises entre le 30 septembre et le 05 octobre 2018, ce qu'elle n'a pas fait.
Par déclaration au greffe du 11 janvier 2022, la société [U] BTP a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a :
- déclaré recevable et en partie bien fondées les demandes de la société Track TP ;
- dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de ses dernières écritures du 7 mars 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [U] BTP sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- la recevoir en son appel et la déclarer recevable et bien fondée ;
Statuant à nouveau,
- déclarer que la société Track TP n'établit pas la preuve de son acceptation du devis qu'elle invoque en date du 29 août 2018 ;
- rejeter l'intégralité des prétentions de la société Track TP, comme particulièrement mal fondées ;
- condamner la société Track TP à lui délivrer un avoir d'un montant de 16 920 euros ;
- condamner la société Track TP à lui payer la somme de 3 500 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la société [U] BTP fait valoir notamment que :
elle n'a jamais accepté les prix qu'entend appliquer la société Track TP ;
il appartient à la société Track TP de rapporter la preuve de ce qu'elle aurait accepté les prix appliqués ;
une prétendue contestation trop tardive des factures émises ne peut conduire à retenir une quelconque acceptation de sa part ;
les prix appliqués présentent un caractère excessif par rapport aux devis concurrents qu'elle verse aux débats.
Dans ses dernières conclusions du 6 juin 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Track TP demande quant à elle à la présente juridiction de :
- réformer le jugement s'agissant du taux d'intérêt auquel est assorti la condamnation principale et y ajoutant allouer une indemnité de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
En conséquence, il est demandé à la cour de céans de :
- déclarer qu'elle rapporte la preuve de l'acceptation par la société [U] BTP du devis transmis par un mail du 29 août 2018 et non contesté ;
- déclarer qu'il est établi l'accord des parties sur les prestations et les prix conformément au devis du 29 août 2018 ;
- faire droit à l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter la société [U] BTP de sa demande d'avoir ;
- condamner la société [U] BTP à lui payer la somme de 16 920 euros TTC au titre du solde de ses factures pour le chantier [Localité 2] ;
- condamner la société [U] BTP à lui payer des indemnités de recouvrement de 40 euros par facture soit la somme de 160 euros ;
- condamner la société [U] BTP à lui payer les intérêts de retard au taux de 10 % courus à compter de la mise en demeure du 24 janvier 2019 jusqu'au parfait règlement ;
- débouter la société [U] BTP de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions et de ses contestations ;
- condamner la société [U] BTP à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel outre l'indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;
- débouter la société [U] BTP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société [U] BTP aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la société Track TP fait valoir notamment que :
elle justifie de l'acceptation tacite du devis, et donc de la tarification horaire appliquée, par sa contractante ;
les contestations de la société [U] BTP sont inopérantes.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 26 février 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 30 avril 2024.
Motifs de la décision
Aux termes de l'article 1353 du code civil, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver.
Il est par ailleurs de jurisprudence constante que le contrat d'entreprise conclu entre des professionnels, comme en l'espèce, n'est soumis à aucune forme particulière, aucun texte n'exigeant en particulier l'établissement ainsi que la signature d'un devis (voir sur ce point notamment Cour de Cassation, Civ 3ème, 17 décembre 1997, n°94-20.709).
L'acceptation d'un devis entre professionnels peut être tacite et, si elle ne peut se déduire du simple silence du maître d'ouvrage, comme le fait valoir l'appelante, elle peut résulter par contre notamment de la réalisation d'actes d'exécution du contrat (Cour de Cassation, Com, 25 juin 1991, n°90-11.230 et Civ 1ère, 4 juin 2009, n°08-14.481).
En l'espèce, il convient d'observer que la société [U] BTP ne conteste nullement avoir commandé auprès de la société Track TP les prestations qui se trouvent décrites dans le devis qu'elle a établi le 29 août 2018, portant sur la location d'une pelle avec chauffeur et guidage GPS, dans le cadre d'un chantier à [Localité 2]. Elle ne conteste pas non plus la réalisation effective, par sa contractante, des prestations commandées, ni le détail des postes qui lui ont été ensuite facturés.
L'appelante s'oppose au paiement du solde des factures adverses, d'un montant de16 920 euros TTC, en faisant valoir qu'elle n'aurait jamais donné son accord sur les prix pratiqués par la société Track TP pour ses prestations, notamment la facturation d'un taux horaire de 200 euros, qu'elle estime excessif.
Il est constant à cet égard que la société [U] BTP n'a à aucun moment manifesté de manière expresse son acceptation du devis établi le 29 août 2018, ni en apposant sa signature sur ce document, ni en manifestant son accord par écrit.
Pour autant, il se déduit des pièces qui sont versées aux débats par l'intimée que :
- des discussions se sont engagées entre les parties dès le mois de juillet 2018 pour la conclusion du contrat litigieux, ce qui suppose nécessairement que la question du prix des prestations a dû être abordée entre elles ;
- la société [U] BTP a adressé à sa contractante les coordonnées GPS permettant la réalisation des travaux dès le 24 août 2018 ;
- la société Track TP justifie surtout avoir adressé à sa contractante, par courriel du 31 août 2018 à 6H46, soit avant le commencement des travaux litigieux, le devis établi le 29 août 2018, servant de base à sa facturation. Si la société [U] BTP prétend ne pas avoir été destinataire de ce mail, elle ne conteste pas avoir reçu les autres courriels envoyés les 23 juillet et 24 août 2018 par l'intimée à la même adresse, qui est celle de son préposé, M. [V] [W], directeur des méthodes et du développpement ;
- les travaux ont été réalisés entre le 5 septembre et le 5 octobre 2018 sans qu'aucune opposition ne soit exprimée par l'appelante, qui a signé les bons horaires journaliers y afférents;
- la société [U] BTP n'a contesté les factures émises les 30 septembre et 5 octobre 2018 que le 24 janvier 2019, soit plus de trois mois plus tard, après avoir reçu des relances de paiement.
Force est de constater que ces éléments concordants sont de nature à rapporter la preuve de l'acceptation tacite, par la société [U] BTP, du devis établi le 29 août 2018, et en particulier de la tarification applicable aux prestations commandées. Etant observé que l'appelante n'apporte aucune explication sur les motifs pour lesquels elle se serait abstenue de s'enquérir des tarifs pratiqués par sa contractante, avec laquelle elle indique elle-même n'être pas en relation d'affaires habituelle, avant de conclure le contrat litigieux.
Enfin, la société Track TP verse aux débats un courriel adressé le 21 février 2019 à la société [U] BTP par Mme [D], de la fédération BTP de l'Ain, dont le contenu est le suivant :
' Nous vous remercions de la qualité de l'entretien que vous avez accordé hier à Monsieur [B] [F] (dirigeant de Track TP) qui a permis de lever toutes difficultés concernant le montant des factures pour les prestations effectuées en septembre et octobre 2018.
Monsieur [C] [U] (dirigeant de [U] BTP) s'est ainsi engagé à régler la somme de 36 600 euros TTC dans les plus brefs délais et en tout état de cause avant le vendredi 22 février 2019.'.
L'appelante ne fournit aucune explication sur le sens de cet engagement qui aurait été pris, selon un tiers au litige, par son dirigeant, consistant à reconnaître devoir le solde des factures adverses. Du reste, elle ne conteste pas le contenu des échanges qui seraient intervenus entre les parties le 20 février 2019, aboutissant à la reconnaissance explicite de sa dette.
Il se déduit nécessairement de ce qui précède que la société Track TP rapporte bien la preuve de ce qu'elle est créancière de la somme de 16 920 euros TTC au titre de ses factures. La société [U] BTP sera donc condamnée à lui payer cette somme.
La société Track TP sollicite l'application d'un taux d'intérêt de 10% à compter de la mise en demeure du 24 janvier 2019, ainsi que des indemnités de recouvrement de 40 euros par facture, soit un montant total de 160 euros, sur le fondement de l'article L. 441-10 II (ex article L. 441-6) du code de commerce.
Ce texte prévoit en effet :
'Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Dans ce cas, le taux applicable pendant le premier semestre de l'année concernée est le taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question. Pour le second semestre de l'année concernée, il est le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret (soit 40 euros par facture impayée)'.
Ces dispositions s'appliquent même en l'absence de stipulation en ce sens contenue dans les factures ou les conditions de vente. La Cour de cassation a en effet jugé que 'le taux d'intérêt des pénalités de retard de la Banque centrale européenne majoré de dix points est applicable de plein droit quand bien même il n'aurait pas été indiqué dans le contrat'(Com. 25 septembre 2019, n°18-11464.) et que 'les pénalités de retard pour non-paiement des factures prévues par l'article L441-6 du Code de commerce sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être mentionnées dans les conditions générales des contrats' (Com. 17 avril 2019 n°18-11280).
En l'espèce, le taux de 10% dont l'application est sollicité par l'intimée est inférieur au taux d'intérêt des pénalités de retard de la Banque centrale européenne majoré de dix points, de sorte qu'il sera fait droit à la demande formée de ce chef par la société Track TP. Le jugement entrepris sera par ailleurs confirmé en ce qu'il a condamné la société [U] BTP à payer la somme de 160 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
En tant que partie perdante,la société [U] BTP sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Track TP la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en seconde instance.
La demande qu'elle forme à ce titre sera enfin rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société [U] BTP à payer à la société Track TP la somme 16 920 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2019,
Et statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société [U] BTP à payer à la société Track TP la somme 16 920 euros TTC, avec intérêts au taux de 10% à compter de la mise en demeure du 24 janvier 2019 ,
Y ajoutant,
Condamne la société [U] BTP aux dépens exposés en cause d'appel,
Condamne la société [U] BTP à payer à la société Track TP la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en seconde instance,
Rejette la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par la société [U] BTP.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 17 septembre 2024
à
Me Christian FORQUIN
la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée le 17 septembre 2024
à
la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES