CA Rennes, 3e ch. com., 17 septembre 2024, n° 23/00495
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Empath Immo (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Vice-président :
Mme Clement
Conseiller :
Mme Jeorger-le Gac
Avocats :
Me Depasse, Me Abras, Me Ohayon
FAITS
La SAS EMPATH IMMO exploite une agence immobilière sous l'enseigne « STEPHANE PLAZZA » à [Localité 5]. Elle est dirigée par M. [C] [R], oncle de M. [O] [F].
Le 21 décembre 2020, EMPATH IMMO et M. [F] ont conclu un contrat d'agent commercial aux termes duquel EMPATH IMMO confiait à M. [F] le mandat de ' réaliser au nom et pour le compte du mandant à titre de profession habituelle et indépendante (') les opérations d'achat, de vente, de mise en location et en gestion portant sur les immeubles et fonds de commerce, bâtis et non bâtis'. Le contrat a pris effet le 21 décembre 2020.
Les relations se sont tendues entre M. [F] et M.[R] à compter du mois de décembre 2021 à la suite d'un entretien, M. [F] affirmant que l'agence entendait l'exclure de l'équipe et M. [R] que M. [F] exigeait un contrat de travail.
M. [F] affirme que par la suite il s'est retrouvé privé des moyens nécessaires à l'exercice de son activité d'agent commercial, ce que conteste la société EMPATH IMMO.
M. [F] a dénoncé les difficultés auxquelles il s'estimait confronté le 9 décembre 2021.
Considérant qu'elles n'étaient pas réglées, le 1er février 2022 il a fait assigner la société EMPATH IMMO devant le tribunal de commerce de Saint-Malo aux fins qu'il prononce la rupture du contrat d'agent commercial du 21 décembre 2020 aux torts exclusifs de la société EMPATH IMMO et la condamne au paiement d'une indemnité de rupture de 50 000 euros ainsi qu'à la somme de 7.957 euros au titre de ses commissions.
Par jugement du 10 janvier 2023 le tribunal a :
- Débouté M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Condamné la société EMPATH IMMO à payer à M. [F] le solde de commissions de 7.957,00 euros sauf à parfaire au titre des opérations MILNE T2 et T3 et garage avec intérêts de droits à compter de la date de délivrance de l'assignation,
- Condamné M. [F] à payer à la société EMPATH IMMO la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamné M. [F] aux entiers dépens, dont les frais de Greffe fixés à la somme de 60,14 euros,
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
M. [F] a fait appel du jugement le 23 janvier 2023.
L'ordonnance de clôture est en date du 16 mai 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses écritures notifiées le 29 septembre 2023 M. [F] demande à la cour au visa des articles L134-1 et suivants du code de commerce, 1104 et suivants, 1193, 1217, 1224 et suivants, 1236-1, et 1342-3du code civil, 700 du code de procédure civile, de :
- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Saint-Malo le le 10 janvier 2023 en ce qu'il a :
Débouté M. [O] [F] de ses demandes tendant à voir :
o Prononcer la rupture du contrat d'agent commercial du 21 décembre 2020 aux torts exclusifs d'EMPATH IMMO ;
o Condamner EMPATH IMMO à payer à M. [O] [F] une somme de 50.000 euros à titre d'indemnité de rupture et de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
o Condamner EMPATH IMMO au paiement d'une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné M. [O] [F] au paiement d'une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Statuant à nouveau :
- Prononcer la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial du 21 décembre 2020 aux torts exclusifs de la société EMPATH IMMO ;
- Condamner la société EMPATH IMMO à payer à M. [O] [F] une somme de 50.000 euros à titre d'indemnité de rupture et de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
- Condamner la société EMPATH IMMO au paiement d'une somme de 4.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et 5.000 à hauteur de cour, ainsi qu'aux entiers frais et dépens,
- Débouter la société EMPATH IMMO de l'ensemble de ses demandes, prétentions, fins et conclusions.
Dans ses écritures notifiées le 11 octobre 2023 la société EMPATH IMMO demande à la cour au visa des articles L 134-1 et suivants du code de commerce, 1104 et suivants du code civil de :
- Constater que M. [F] n'apporte pas la preuve objective et sincère d'une faute de la société EMPATH IMMO,
- Constater que la parfaite bonne foi de la société EMPATH IMMO.
En conséquence,
- Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- Débouter M. [F] de sa demande de rupture du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société EMPATH IMMO, et de toutes ses demandes, fins et conclusions
- Condamner M. [F] à régler à la société EMPATH IMMO la somme de 5.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [F] aux entiers dépens de la présente procédure.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
DISCUSSION
L'exécution du contrat d'agent commercial :
M. [F] affirme que la société EMPATH IMMO ne lui a plus permis d'exercer son mandat au cours du mois de décembre 2021.
Il dénonce :
- une restriction de l'accès aux locaux en raison du changement des serrures;
- l'absence d'invitation pour participer aux réunions hebdomadaires de l'équipe commerciale prévues les 7, 14 et 21 décembre 2021 qualifiées désormais de 'confidentielles' ;
- son exclusion des formations,
- la privation de l'accès au logiciel INTRANET 'AC3 STEPHANE PLAZZA 'lui permettant de consulter les fiches des biens gérés par l'agence;
- la suppression de ses coordonnées de contacts du site de l'agence ;
- sa mise en congé récurrent à compter du 21 décembre 2021.
L'article L 134-4 du code de commerce prévoit :
Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.
Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.
L'article L 134-12 du code de commerce précise :
En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
L'article L 134-13 ajoute :
La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
1) L'accès aux locaux
M. [F] affirme qu'il s'est vu remettre les clés de l'agence immobilière.
Dans son mail du 9 décembre 2021 il précise à M. [R] :
J'ai voulu passer à l'agence hier mais ma clé ne fonctionne plus. La serrure a-t-elle été changée ' Si oui quand puis récupérer un double '
M. [R] lui a répondu le même jour qu'il ne disposait en aucun cas d'une clé de l'agence.
En tout état de cause le contrat ne prévoit aucune obligation pour le mandant de laisser des clés à la disposition de ses agents commerciaux pour leur permettre de pénétrer dans l'agence à toute heure.
Il prévoit seulement à son article 3 'Lieu d'exercice de l'activité' que l'agence mettra à la disposition de l'agent commercial un bureau dans ses locaux qui ne lui sera pas exclusivement affecté où l'agent commercial pourra domicilier les annonces publicitaires, sa correspondance et seulement quand il le jugera utile, recevoir sa clientèle notamment pour la concrétisation de l'accord des parties.
Cette clause s'explique par la spécificité de la mission d'un agent immobilier qui consiste à repérer des biens à vendre ou à acheter et/ou des clients, ce qui suppose que l'agent soit pour la grande majorité de son temps sur le terrain et non à l'agence.
La société EMPATH IMMO n'était donc pas tenue de permettre à M. [F] un accès permanent à l'agence.
La mise à disposition d'un bureau n'autorise pas à M. [F] de revendiquer un libre accès aux locaux de l'agence qu'il ne dirige pas. Cette situation ne lui interdit pas tout accès à l'agence puisqu'il lui était possible de s'y rendre aux heures d'ouverture du public pour pouvoir organiser des visites de biens immobiliers et accéder aux dossiers des clients.
Il ne démontre pas que durant ces horaires d'ouverture, du lundi au vendredi de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h (selon l'attestation de Mme [H], salariée de l'agence) l'accès lui a été interdit, ces larges créneaux lui laissant une lattitude importante pour fréquenter l'agence immobilière et y travailler.
M. [F] n'établit donc pas qu'une impossibilité d'accéder aux locaux de l'agence à compter du mois de décembre 2021 a constitué un obstacle à la poursuite de son mandat.
2) L'absence d'invitation pour participer aux réunions hebdomadaires :
Le 9 décembre 2021, M [F] s'est plaint de son absence de participation au planning de l'équipe.
Pour établir son exclusion des réunions, M. [F] verse deux fiches tirées de son logiciel de travail. Il souhaite montrer qu'il était convié le 30 novembre 2021 et ne l'était plus le 7 décembre 2021.
La comparaison de ces deux journées de l'agenda de M. [F] ne permet pas d'abonder dans son sens.
La cour constate que de nombreuses plages horaires sont notées 'confidentielles' sur la journée du 30 novembre 2021 dont la plage horaire 9h 30 - 11 h alors que M. [F] indique qu'il était présent aux réunions. Il n'est donc pas certain que ces rubriques 'confidentielles' correspondent à des séances de travail auxquelles il n'était pas convié.
Sur la journée du 7 décembre 2021 un encart apparaît qui développe les participants à une réunion. [O] [F] n'y figure pas. Mais cette information ne suffit pas à établir qu'il était exclu des autres réunions du mois de décembre à défaut d'apporter d'autres éléments probants concernant ces journées alors que son mandat d'agent commercial l'obligeait à honorer de nombreux rendez vous en extérieur.
Dans de telles conditions son absence à la réunion du 7 décembre 2021 n'établit pas qu'elle soit dûe à une politique délibérée du mandant de l'exclure de l'équipe définitivement.
3) L'exclusion des formations :
M. [F] ne verse aucune pièce de nature à établir qu'il aurait été exclu des formations.
4) La privation de l'accès au logiciel INTRANET 'AC3 STEPHANE PLAZZA' :
Le 6 décembre 2021 à 15h 53 M. [F] informe M. [R] en ces termes :
Je ne parviens pas à accéder à son compte sur AC3. Peux tu me réactiver '
J'aimerai suivre l'avancement sur le dossier MILNE auquel je n'ai plus accès
M. [R] lui répond le même jour :
Rebonjour [O]
Tout d'abord je tenais à te remercier pour l'accueil que tu m'a réservé et pour la qualité de notre entrevue. Ce fut un moment très riche d'un point de vue humain.
Parallèlement je me rapproche de notre prestataire (ImmoFacile) afin qu'il me disent ce qui ne va pas. Pour ton info l'agence est en panne d'internet depuis ce matin et c'est un peu compliqué aujourd'hui.
La page de garde du logiciel sur lequel M. [F] peut se connecter, indique en effet que le 6 décembre à 12 h 09 son compte est bloqué.
Pour établir la manipulation du logiciel par M. [R], M. [F] verse une pièce 15 qui concerne une demande n° 1059135 faite à la maintenance du logiciel le 9 décembre 2021 à 10 h 12 :
Mise à jour profil collaborateur site agence
Enlever un collaborateur du site de l'agence EXEMPLES [F] [O]
Mme [H] atteste que la suppression de visibilité de M. [F] sur le site internet de l'agence n'est pas une initiative de sa part mais procédait d'une demande du responsable de l'agence M [R].
Mme [H] ne précise pas dans quel contexte cette suppression aurait été faite ni surtout combien de temps elle se serait poursuivie. Pour sa part M. [F] ne démontre pas que les jours suivants son accès aurait été toujours supprimé voire modifié.
Pour étayer sa thèse, M. [F] verse un constat d'huissier du 20 janvier 2022 concernant des investigations sur la plate-forme de travail de M. [F].
Le constat au 20 janvier 2022 affiche une page sur laquelle apparait :
Mes rappels
A effectuer 1 estimation
A relancer 12 vendeurs 65 contacts
Compte rendu de visite
8 en attente
A faire
Courrier requlalification mandat
Mandat relance 30 jours
Le 20 janvier 2022 M. [F] suivait donc des affaires. Les échanges qu'il a eu avec Mme [H] de l'agence EMPATH IMMO les 21 et 24 janvier 2022 le confirment à propos du dossier MLINE.
M. [F] signale à l'huissier que le menu du logiciel était plus étoffé et renfermait des informations utiles et nécessaires à son travail d'agent commercial mais il ne communique aucune pièce pour démontrer qu'il suivait de nombreuses autres affaires qui auraient été bloquées par l'agence.
Le procès verbal poursuit :
Il n'est plus possible de consulter son agenda. L'agenda est seulement accessible depuis l'accueil et on y voit les prise de rendez vous sans aucun détail
Les rendez vous visibles de l'équipe son identifiés avec la mention 'confidentielle'
Cette observation est bien trop vague pour être probante à défaut pour l'huissier de confirmer par exemple, que les rubriques 'estimation,' 'vendeurs', 'contacts' et ou/ 'en attente' n'affichaient plus de données. M. [F] ne communique en effet aucun des mandats qui lui auraient été confiés pour lesquels il n'aurait plus la possibilité de travailler via le logiciel et le site de l'agence.
L'huissier ajoute aussi en montrant les pages du 8 octobre 2021 et du 5 novembre 2021 :
Sur la page de garde il est possible de consulter les derniers biens parus (un seul lors du procès verbal de constat)
La fiche technique qui apparait alors est une fiche classique commerciale. Cette fiche ne comporte pas l'ensemble des documents auxquels mon clients avait accès (absence d'adresse du bien, de consignes ..) M. [F] me confirme que les accès sur cet onglet ont été également restreints.
Pourtant la captation suivante montre une fiche technique qui concerne une maison à [Localité 6] centre ville avec photo et caractéristiques.
L'huissier ne fait que rapporter les déclarations de son client lequel ne verse aucun autre document de nature à établir qu'il aurait été privé de l'ensemble des documents auxquels il avait accès, les pièces 17et 18 constituées de pages volantes sans explications étant insuffisantes à ce titre. Au demeurant ces deux pages visent des journées antérieures au conflit qui a surgi en décembre 2021 à une époque où M. [F] précise lui même qu'il participait aux réunions de travail.
Dans cette mesure le constat d'huissier est trop vague et/ou incomplet voire incohérent pour avoir une valeur probante concernant les accès réduits au logiciel. L'attestation de M. [G] n'est pas de nature à étayer les observations que M. [F] entend tirer du constat. M. [G] se contente en effet de faire sa propre lecture d'un constat d'huissier lui même très imprécis.
L'huissier précise aussi qu'il n'est plus possible d'envoyer un mail à M. [F] ce que contredisent les échanges de M. [F] du 24 janvier 2022 dans lesquels M. [F] communique depuis sa boîte professionnelle et reçoit notamment un diagnostic concernant un bien du cabinet AGENDA.
Il en est de même s'agissant de la mise en congé automatique de M. [F].
Le constat d'huissier indique :
Mon requérant m'indique que du fait de la fermeture de l'agence pour les congés de Noel 2021 ...) Il s'est mis en congé sur l'agenda
Je constate que cette action a été créée le 26 novembre 2021 à 18h 57.
Il m'indique que quelqu'un a modifié l'événement en y ajoutant une récurrence. Ainsi il apparait chaque jour en congés.
Il n'est pas établi que M. [R] soit à l'origine d'une mise en congé automatique de M. [F].
M. [T] ex associé de l'agence EMPATH IMMO indique que la gestion des droits d'accès au logiciel est réservée au profil administrateur et ne peut être modifiée par M. [F].
Il ne dit pas que M. [R] était le seul à pouvoir créer une récurrence quotidienne de mise en congé sans date de cessation.
C'est ce que confirme la maintenance du logiciel (pièce 18 EMPATH IMMO) qui précise que c'est M. [F] qui a mis en place un RDV récurrent 'congés' quotidien sans cocher la date de fin de répétition.
Dans ces conditions M. [F] n'établit pas que la poursuite du mandat devenait impossible en raison du comportement de son mandant.
M. [F] ne justifie donc pas de motifs de nature à entraîner la résolution du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Empath Immo.
Sa demande d'indemnité de rupture et de dommages et intérêts est rejetée.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Les demandes annexes
Il n'est pas inéquitable de condamner M. [F] à verser à la société EMPATH IMMO la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [F] est condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement,
Y ajoutant
Condamne M. [F] à verser à la société EMPATH IMMO la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [F] aux dépens d'appel.