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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 17 septembre 2024, n° 23/01006

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Avantage Immobilier 51 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grevin

Conseillers :

Mme Dubaele, M. Deloffre

Avocats :

Me Bidart-Decle, Me Blareau, Me Hecart

TJ Laon, du 23 août 2022, n° 23/01006

23 août 2022

DECISION

Selon acte sous seing privé des 11 avril et 3 mai 1950, les consorts [J] [T] ont donné à bail commercial tous commerces à la société des établissements économiques, divers locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 1] et [Adresse 2] à [Localité 4], pour une durée de 9 ans à compter du 24 octobre 1949.

Ce bail a été prolongé successivement par actes sous seing privé jusqu'en 1989, puis s'est poursuivi par tacite reconduction à compter du 23 septembre 1997, puis par l'effet d'un jugement du tribunal de grande instance de Reims du 22 septembre 2005 pour une période de 9 ans jusqu'au 24 juin 2014 puis par tacite reconduction à compter de cette dernière date.

Parallèlement des cessions de l'immeuble et du droit au bail ont eu lieu de sorte que diverses personnes se sont succédées en tant que propriétaire et locataires.

Selon acte sous seing privé en date du 30 septembre 1993, la société les comptoirs des entrepreneurs a vendu et cédé son fonds de commerce à la SARL Agence immobilière du forum.

Par acte authentique en date du 30/06/2007, la SARL AGENCE IMMOBILIERE DU FORUM a cédé son fonds de commerce à la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 ayant comme activité les transactions immobilières (ci-après la locataire).

Par un jugement en date du 22/09/2009 du tribunal de commerce de Reims, la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire.

Par un jugement en date du 14/10/2010, le tribunal de commerce de Reims a arrêté un plan de continuation avec désignation de Maître [G] de la SELARL [N] [G], ès-qualités de mandataire judiciaire. Ce plan a été modifié par le tribunal de commerce le 24 mars 2015.

Le 23/03/2017, la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 a sollicité le renouvellement du bail commercial auprès de la SCI PDF 2 (ci-après la bailleresse) pour une durée de neuf années.

Le 31/05/2017, la SCI PDF 2 a fait signifier au locataire qu'elle entendait mettre fin au bail et à sa prolongation en refusant le renouvellement demandé afin de pouvoir disposer librement de son bien.

Le 23/06/2017, la SCI PDF 2 a indiqué refuser le renouvellement sollicité en offrant de payer à la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 une indemnité d'éviction conformément aux dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce, en compensation du préjudice causé par le défaut de renouvellement, avec fixation du montant conformément aux dispositions prévues par le texte.

Par acte d'assignation en date du 14/02/2018, la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 a saisi le président du tribunal de grande instance de Laon en référé d'une demande d'expertise contre la SCI PDF 2 afin de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction ainsi que celui de l'indemnité d'occupation éventuellement due.

Par ordonnance en date du 23/05/2018, le juge des référés a désigné comme expert Monsieur [H] [Z], qui a rendu son rapport le 18/12/2018.

Par acte d'huissier en date du 24/06/2019, la SCI PDF 2 a assigné la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 devant le tribunal judiciaire de Laon.

Parallèlement à cette procédure, par un jugement en date du 26/11/2019, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la résolution du plan de redressement et a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51, en désignant Maître [G] ès-qualités de mandataire judiciaire, le débiteur n'ayant pas exécuté ses engagements dans les délais fixés par le plan de redressement et fixant provisoirement au 26 novembre 2019 la date de cessation des paiements.

Le 02/12/2019, la SCI PDF 2 a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur. Par courrier recommandé du 4 février 2020, le liquidateur a avisé le bailleur de la libération des lieux et lui a retourné les clés.

En vertu de ses dernières conclusions, la SCI PDF 2 demande au tribunal :

- D'homologuer le rapport d'expertise de Monsieur [Z] ;

- De fixer le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 01/06/2017 à la somme de 46 000 euros annuels HT ;

- De fixer le montant de la créance de la SCI PDF 2 à titre privilégié au passif de la liquidation judiciaire de la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 à la somme de 113 290,22 euros ;

- De dire et de juger que le congé a été sans effet sur la mise en liquidation de la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 en recevant la demande reconventionnelle de cette dernière ;

- De dire et de juger que le fonds de commerce, sans valeur marchande, ne pouvait être vendu de même que le droit de bail qui ne pouvait être cédé qu'à l'occasion de la cession du fonds ;

- De dire et de juger que le refus de renouveler le bail n'a occasionné aucun préjudice à la société preneuse ;

- De dire et de juger la demande en paiement d'une indemnité d'éviction autant irrecevable et que mal-fondée, et de la rejeter.

A titre subsidiaire :

- De fixer le montant de cette d'éviction à la somme de 1 euro ;

- De rejeter la demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- De dire et de juger que les frais de justice taxable et frais d'expertise seront à la charge de la SCI PDF 2 ;

- De rappeler que l'exécution provisoire est de droit.

En vertu de ses dernières conclusions, la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 demande au tribunal :

- De fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 27 200 euros annuels.

A titre reconventionnel :

- De fixer l'indemnité d'éviction due par la SCI PDF 2 à la somme de 181 000 euros, hors frais de licenciement et autres coûts sociaux.

En tout état de cause :

- De condamner la SCI PDF 2 aux dépens, et à la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- De déclarer le jugement à intervenir commun et opposable à la SELARL [N] [G].

Par un jugement en date du 23/08/2022 (n° RG 19/00114), le Tribunal judiciaire de Laon a au visa du rapport d'expertise :

- Déclaré recevable la SELARL [N] [G], ès-qualités de mandataire judiciaire de la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51, en son intervention volontaire ;

- Déclaré le présent jugement commun et opposable à la SELARL [N] [G] ;

- Fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 à compter du 25/06/2017 à la somme de 30 600 euros annuels HT ;

- Fixé l'indemnité d'éviction due par la SCI PDF 2 à la somme de 72 000 euros ;

- Rejeté comme non-fondées les demandes indemnitaires formées au titre d'indemnités accessoires ;

- Débouté les parties en leurs demandes plus amples et contraires ;

- Fait masse des dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et a condamné la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 et la SELARL [N] [G], ès-qualités de liquidateur judiciaire d'une part, et la SCI PDF 2 d'autre part, au paiement de la moitié des dépens chacun ;

- Dit qu'il n'y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Le 16/02/2023, la SCI PDF 2 a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Laon auprès de la cour d'appel d'Amiens, appel limité en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à 72000 euros, en intimant la SELARL [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Avantage immobilier 51, ainsi que la SARL Avantage immobilier 51.

Le 26/07/2023, le conseil de l'appelant a fait parvenir son second jeu de conclusions à la cour d'appel d'Amiens par voie électronique, après avoir transmis un premier jeu de conclusions le 04/04/2023.

Dans ses conclusions en date du 26/07/2023, l'appelant demande à la cour d'appel d'Amiens :

- De juger la SCI PDF 2 recevable et bien-fondé en son appel ;

- D'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 72 000 euros.

Et statuant à nouveau :

- De juger irrecevable la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 en sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction en l'absence de tout fonds commerce.

Subsidiairement :

- De fixer l'indemnité d'éviction à 1 euro symbolique ;

- De confirmer le jugement déféré à la critique en ce qu'il a arrêté l'indemnité d'occupation depuis le 25/06/2017 à la somme de 30 600 euros HT ;

- De juger qu'il y a lieu à compensation entre les sommes dues de ces obligations réciproques entre la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 et la SCI PDF 2 ;

- De condamner la liquidation judiciaire de la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 aux entiers dépens de l'appel ;

- D'autoriser le recouvrement au profit de Maitre Ludivine BIDART DECLE dans le cadre des dispositions des articles 699 du code de procédure civile.

Le 22/10/2023, les intimés ont fait parvenir un troisième jeu de conclusions à la cour d'appel d'Amiens par voie électronique, après avoir transmis un premier jeu de conclusions le 13/07/2023 puis un deuxième le 26/09/2023.

Dans leurs conclusions en date du 22/10/2023 portant appel incident, les intimés demandent à la cour d'appel d'Amiens :

- De réformer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction (sic) due par la SCI PDF 2 à la somme de 30 600 euros annuels HT à compter du 25/06/2017 ;

- De réformer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction due par la SCI PDF 2 à la somme de 72 000 euros.

Et statuant à nouveau :

- De fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 27 200 euros annuels ;

- De fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 181 000 euros, hors frais de licenciement et autres coûts sociaux.

En tout état de cause :

- De débouter la SCI PDF 2 de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- De condamner la SCI PDF 2 aux dépens de première instance d'appel, et à la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 07/03/2024.

SUR CE,

Sur la fixation de l'indemnité d'occupation due à compter du 25 juin 2017 :

L'appelant accepte la décision en première instance fixant le montant de l'indemnité d'occupation à 30 600 euros annuels HT, et ce malgré sa demande initiale de 46 000 euros annuels HT. Elle cite à l'appui de son argumentaire le premier alinéa de l'article L.145-28 du code de commerce pour considérer que son montant doit être déterminé en fonction de la valeur locative intrinsèque du local commercial à compter de la date d'anniversaire du bail renouvelé (en l'espèce le 24/06/2017), et qu'elle doit réparer l'intégralité du préjudice du bailleur :

" Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation. "

Les intimés s'appuient sur l'article L.145-28 alinéa 1 du code de commerce précédemment cité, et estiment que l'indemnité d'occupation doit être fixée à la valeur locative " statutaire " déterminée suivant l'article L.145-33 du code de commerce et non la valeur locative " de marché ".

Ils ajoutent qu'il est de jurisprudence constante de tenir compte de la précarité de l'occupation pour pratiquer un abattement à hauteur au moins de 10% - l'intimé demandant en l'espèce un abattement de 20% pour fixer l'indemnité d'occupation à la somme demandée. Ils font valoir que les procédures successives entre bailleur et preneur, relatives au renouvellement et/ou non-renouvellement du bail durent depuis 15 ans comme on peut le constater à l'examen du tableau annexé (annexe 4) à l'avis d'un expert privé, soit une précarité de très longue durée qui justifie un abattement d'au-moins 20%.

Il résulte de l'article L.145-28 alinéa 1er du code de commerce dans sa version en vigueur à la date d'effet du congé que :

" Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation. "

C'est à juste titre que le premier juge a fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la SARL AVANTAGE IMMOBILIER 51 à compter du 25/06/2017 à la somme de 30 600 euros annuels, hors taxes et hors charges en tenant compte d'un abattement pour précarité à hauteur de 10% de la valeur locative de renouvellement du bail que l'expert fixe à 34000 euros annuels, cette dernière somme n'étant pas contestée par les parties qui ne s'opposent que sur l'abattement pour précarité qu'il est d'usage d'appliquer notamment du fait de la situation d'incertitude quant à la date d'éviction réelle dans l'attente du versement de l'indemnité d'éviction et de l'impossibilité de cession du droit au bail.

Il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement plus important, la SARL Avantage immobilier ne pouvant se prévaloir d'une précarité durant quinze ans soit à compter du jour où elle est devenue locataire le 30 juin 2007 (après un renouvellement par accord des parties précédentes au bail à compter du 25 juin 2005, constaté judiciairement le 25 septembre 2005), alors que ce n'est que le 31 mai 2017 soit 10 ans plus tard que la bailleresse lui a fait signifier son refus de renouvellement du bail.

Dès lors la cour confirmera le jugement entrepris de ce chef.

Sur la fixation de l'indemnité d'éviction :

Sur la recevabilité de la demande d'une indemnité d'éviction :

L'appelant argue que cette demande est irrecevable du fait de la disparition du fonds de commerce à la suite de la mise en liquidation judiciaire de la preneuse.

Il ajoute que le preneur porte l'entière responsabilité de sa faillite, et que dans le cas d'espèce la SCI PDF 2 n'a aucune responsabilité dans cette mise en liquidation judiciaire puisqu'elle n'a engagé aucune procédure judiciaire alors que les loyers n'étaient pas réglés depuis le 1er janvier 2018.

La cour rappelle qu'il est de jurisprudence constante que c'est à la date du refus de renouvellement qu'il convient de se placer pour savoir si le locataire remplit ou non les conditions légales pour avoir droit à l'indemnité d'éviction (Civ.3e, 14 novembre 1968- 6613249) et la mise en liquidation judiciaire du locataire entre la date d'effet du congé et la libération effective des lieux ne prive pas le mandataire-liquidateur du droit au paiement de l'indemnité (Civ.3e, 15 juin 2010, n°09-10.814).

En l'espèce la mise en liquidation judiciaire étant intervenue plus de deux ans après le refus de renouvellement et avant la libération effective des lieux n'a pas fait perdre au preneur son droit à indemnité d'éviction.

La demande d'indemnité d'éviction est donc recevable et le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur l'évaluation du montant de l'indemnité d'éviction :

L'appelant critique l'évaluation par l'expert de la valeur du fonds de commerce. Il fait valoir à cet égard qu'aux termes du bail au chapitre " charges et conditions " (article 8), " le bail est incessible sans le consentement exprès et par écrit des bailleurs si ce n'est à un successeur dans son commerce' " et que dès lors que le locataire a fait l'objet d'une liquidation judiciaire à la date de son départ le fonds qui a périclité de son fait était inexistant et ne comportait pas de réelle valeur de droit au bail ce dernier étant incessible de fait, l'exploitation ayant cessé bien avant la liquidation judiciaire. Il en conclut que le montant de l'indemnité d'éviction ne peut qu'être symbolique puisque selon l'expert en dehors du droit au bail le fonds de commerce n'a aucune valeur marchande.

A l'appui de leur appel incident sollicitant l'évaluation de l'indemnité d'éviction à un total de 181 000 euros, les intimés invoquent l'article L.145-14 du code de commerce :

" Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. "

Les intimés indiquent ainsi que l'indemnité d'éviction doit être constituée d'une part d'une indemnité principale, qui peut être une indemnité de remplacement ou de transfert, et d'autre part d'un certain nombre d'indemnités accessoires.

Dans le cas d'espèce, dans la mesure où le bailleur ne démontre pas que le transfert est possible, les intimés retiennent la qualité d'indemnité de remplacement pour l'indemnité principale, ayant pour base soit la valeur marchande du fonds de commerce, soit la valeur du droit au bail.

Cependant, ils reprochent à Monsieur [Z] d'avoir commis une erreur dans son rapport d'expertise en déterminant l'indemnité principale par rapport à la valeur du droit de bail au motif que cette valeur est supérieure à la valeur marchande du fonds de commerce, ce qui correspond selon les intimés à une double erreur dans l'appréciation de la valeur marchande du fonds de commerce. Ils procèdent ainsi à leur propre calcul afin de chiffrer le montant de l'indemnité principale à 100 000 euros (arrondis).

Pour ce qui est de l'indemnité accessoire, à défaut de liste exhaustive que cette notion recouvre, les intimés soulèvent que l'indemnité d'éviction doit réparer l'entier préjudice causé au locataire par le défaut de renouvellement, qui correspond à la perte du fonds selon l'intimé, ce que Monsieur [Z] a relevé dans son rapport en date du 18/12/2018.

La cour rappelle qu'aux termes de l'article L.145-14 du code de commerce " Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. "

Sur l'indemnité principale (basée sur la valeur du fonds) :

Il est de jurisprudence constante que l'indemnité d'éviction, qui répare le préjudice causé au locataire évincé par le refus de renouvellement du bail, est apprécié souverainement par le juge du fond selon la méthode qui lui paraît la meilleure.

Il est usuel de mesurer les conséquences de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l'indemnité prend le caractère d'une indemnité de transfert (égale à la valeur du droit au bail) ou si l'éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement (égale à la valeur du fonds de commerce perdu).

L'indemnité d'éviction doit être calculée au moment où le préjudice est réalisé, soit à la date de l'éviction, soit à la date où le locataire cesse d'occuper régulièrement les lieux. (Com.30 juin 1959). En revanche la consistance du fonds doit être appréciée à la date du refus de renouvellement (Civ.3e, 20 octobre 1971 (7012102).

Lorsque le locataire a quitté les lieux, l'indemnité d'éviction qui doit être évaluée à la date de restitution des lieux loués, soit à une époque où le preneur a cessé toute activité, doit correspondre à la perte du droit au bail des lieux dont le locataire a été évincé, sans comprendre une indemnité de remploi ou de déménagement. (Civ.3e, 26 septembre 2001 (0012620).

En l'espèce c'est à la date la plus proche du départ du locataire, soit le 4 février 2020, qu'il convient de se situer pour apprécier le montant de l'indemnité tout en prenant en compte la consistance du fonds à une date la plus proche du 31 mai 2017 date du congé.

La cour considère que le bailleur oppose de façon inopérante la clause d'incessibilité du bail commercial ainsi rédigée (article 8 chapitre charges et conditions), " le bail est incessible sans le consentement exprès et par écrit des bailleurs si ce n'est à un successeur dans son commerce' ", dans la mesure où après la date d'effet du congé l'exploitation du fonds de commerce a continué jusqu'à la mise en liquidation judiciaire de l'agence immobilière et qu'il n'avait donc pas disparu avant la mise en liquidation judiciaire.

L'éviction a bien empêché la cession du fonds de commerce et donc du droit au bail à un successeur dans le commerce qui était encore exploité à la date du congé jusqu'à la liquidation judiciaire. Le bail ayant pris fin le 24 juin 2017 à la date d'effet du congé pour non renouvellement, le moyen selon lequel le bail aurait été résilié par le mandataire-liquidateur est également inopérant. S'il n'y avait pas éviction le droit au bail aurait encore eu une valeur à la date à laquelle le mandataire a remis les clés, très proche du jugement de liquidation judiciaire.

Au surplus il est établi que l'indemnité doit être évaluée à la date de restitution des lieux, en l'espèce le 4 février 2000, et correspond à la perte du droit au bail dont la locataire a été évincée, peu importe à cet égard que lors de son éviction elle n'avait plus d'activité du fait de sa mise en liquidation judiciaire. (Civ.3e, 26 septembre 2001, pourvoi n°00-12.620).

Aux termes de son rapport clôturé le 18 décembre 2018, M. [H] [Z] expert judiciaire retient que :

- la bailleresse n'étant pas en mesure de proposer un local de remplacement, l'éviction entraînera la perte du fonds de commerce,

- en l'absence de bénéfice issu du travail (l'excédent brut d'exploitation retraité de 32894 euros ne suffisant pas à supporter le loyer à la valeur locative de marché de 46000 euros), la valeur du fonds de commerce perdu se résume à la simple valeur du droit au bail, l'expert faisant observer que le fonds ne peut supporter un loyer fixé au prix du marché,

- la valeur du droit au bail est de 72000 euros compte tenu d'une qualité d'emplacement du local avec une très bonne situation, sur une place bénéficiant d'un important flux de chalands pour retenir le coefficient 6 et une valeur du droit au bail ainsi définie (valeur locative estimée à 46000 euros - loyer à 34000 euros X 6).

La locataire, en s'appuyant sur l'analyse d'un expert privé postérieure à l'expertise judiciaire et qu'il n'a par conséquent pas soumis à l'expert judiciaire, critique la méthode d'évaluation du fonds de commerce retenue par l'expert, à savoir la capacité bénéficiaire du fonds (le bénéfice issu du travail de l'exploitant) et voudrait voir appliquer la méthode d'évaluation par le chiffre d'affaires combinée à celle de la rentabilité par le calcul de l'EBE.

Cependant l'expert s'en explique en indiquant que depuis plusieurs années les acquéreurs des agences immobilières privilégient les capacités bénéficiaires du fonds et ne s'intéressent plus réellement aux chiffres d'affaires, ce qui constitue une véritable modification des usages de valorisation des fonds dans cette branche.

La cour estime en conséquence que c'est à juste titre que le premier juge, se fondant sur l'évaluation motivée faite par l'expert judiciaire, a fixé l'indemnité d'éviction due par la SCI PDF 2 à la somme de 72 000 euros correspondant à la valeur du droit au bail compte tenu des éléments susvisés, valeur qu'il est justifié de retenir à la date à laquelle les lieux ont été restitués le bailleur ne contestant pas la persistance à cette date de la valeur du droit au bail telle que calculée par l'expert.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur les demandes d'indemnités complémentaires :

Le bailleur estime que les réclamations des intimés de diverses sommes annexes au titre de l'indemnité d'éviction sont sans objet en l'absence de transfert du fonds de commerce et du fait de la résiliation du bail par le liquidateur.

Le locataire sollicite une somme totale de 81 000 euros se décomposant en :

- Frais de remploi, estimés à 12 500 euros ;

- Frais de déménagement, estimés à 4 500 euros (comme constaté par Monsieur [Z]) ;

- Frais de réinstallation, estimés à 45 000 euros ;

- Trouble commercial, estimé à 6 300 euros ;

- Indemnité de double-loyer, estimée à 7 700 euros ;

- Indemnités de licenciement et autres coûts sociaux, à déterminer ultérieurement ;

- Frais divers, estimés à 5 000 euros.

C'est à juste titre que le premier juge a rejeté comme non-fondées les demandes indemnitaires formées à titre d'indemnités accessoires dès lors qu'il s'induit de la liquidation judiciaire par laquelle l'activité a cessé une absence de réinstallation de la société et que l'affirmation selon laquelle la perte du fonds de commerce et la liquidation judiciaire auraient été causées par la perte du bail n'est pas justifiée.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la demande de compensation :

L'appelant invoque à ce sujet l'article 564 du code de procédure civile :

" A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. "

L'appelant conteste à ce propos l'argument du liquidateur estimant que la créance de la SCI PDF 2 étant antérieure à la liquidation judiciaire, celle-ci ne peut être compensée avec la créance d'indemnité d'éviction postérieure, en affirmant que ledit argument est contraire à l'alinéa 1 de l'article L.622-7 du code de commerce :

" I. - Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires. "

Selon l'appelant, la connexité entre les créances est établie dès lors qu'elles sont issues ou qu'elles dérivent de l'exécution ou de l'inexécution du contrat, ce qui serait le cas en l'espèce.

Il précise par ailleurs que le fait générateur de la créance d'indemnité d'éviction est la délivrance du congé, et non pas sa fixation par le juge, ce dont il résulte qu'il ne s'agit pas d'une créance postérieure dans le cas d'espèce.

L'appelant conteste également l'allégation de la partie adverse selon laquelle il n'a pas justifié de la date des créances, dans la mesure où sa déclaration de créances en date du 02/12/2019 était très claire sur ce point.

L'intimé demande le rejet de cette demande en ce qu'elle n'est pas motivée dans les écritures de l'appelant et qu'elle n'a pas été formée en première instance, la rendant irrecevable. Il ajoute qu'a été déclarée au passif de la procédure de liquidation judiciaire la somme représentant l'indemnité d'occupation, qui est donc une créance antérieure à l'indemnité d'éviction, cette dernière dépendant de l'arrêt qui sera rendu par la cour, si bien que la demande de compensation contrevient à l'article L.622-7 du code de commerce précédemment cité.

La cour constate qu'aucune des deux parties ne sollicite la condamnation de l'autre au paiement de la créance qu'elle revendique mais qu'elles sollicitent simplement la fixation de leurs créances réciproques.

Dès lors la demande de compensation, qui bien que formée pour la première fois en appel est recevable en application de l'article 564 du code de procédure civile, est sans objet et il convient d'en débouter l'appelant.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les deux parties succombant en leurs appels seront condamnés à supporter leurs dépens et seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant dans les limites de l'appel et de l'appel incident, contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déclare recevable la demande de compensation de la SCI PDF 2, mais l'en déboute,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens en appel.