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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 13 septembre 2024, n° 22/12548

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eiffage Infrastructures (SASU)

Défendeur :

P.R Industrie (SAS), Regeplastic (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Marcade, M. Richaud

Avocats :

Me Guyonnet, Me Cuche, Me Hocquard, Me Carbonnier

TJ Paris, 3e ch. 3e sect., du 19 avr. 20…

19 avril 2022

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 19 avril 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Paris, qui a :

- déclaré nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français publié sous le numéro FR 2 871 804,

- ordonné la transmission à l'INPI du jugement, lorsqu'il ne sera plus susceptible de recours, à l'initiative de la partie la plus diligente, aux fins d'inscription au registre,

- rejeté les demandes en interdiction, confiscation, retrait, rappel, destruction, expertise, communication de document, paiement, et publication du jugement, formées par la société Eiffage infrastructures,

- rejeté les demandes reconventionnelles des sociétés PRI et Regeplastic en interdiction et dommages et intérêts au titre d'un détournement de la saisie-contrefaçon,

- rejeté leur demande en dommages et intérêts pour procédure déloyale (ou abusive),

- condamné la société Eiffage infrastructures aux dépens, avec recouvrement par l'avocat des sociétés PRI et Regeplastic dans les conditions de l'article 699 (le cas échéant), ainsi qu'à payer à celles-ci la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne la transmission de la décision à l'INPI.

Vu l'appel interjeté le 5 juillet 2022 par la société Eiffage Infrastructures (ci-après la société Eiffage),

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 16 avril 2024 par la société Eiffage, appelante à titre principal et intimée à titre incident, qui demande à la cour, de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 19 avril 2022 en ce qu'il a :

- débouté la société Eiffage de ses demandes présentées contre les sociétés Regeplastic et PR Industrie au titre de la contrefaçon et des frais irrépétibles et dépens,

- déclaré nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français publié sous le numéro FR 2 871 804,

- ordonné la transmission à l'INPI du jugement, lorsqu'il ne sera plus susceptible de recours, à l'initiative de la partie la plus diligente, aux fins d'inscription au registre,

- rejeté les demandes en interdiction, confiscation, retrait, rappel, destruction, expertise, communication de document, paiement et publication du jugement, formées par la société Eiffage Infrastructures,

- condamné la société Eiffage Infrastructures aux dépens, avec recouvrement par l'avocat des sociétés PR Industrie et Regeplastic dans les conditions de l'article 699 (le cas échéant), ainsi qu'à payer à celles-ci la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne la transmission de la décision à l'INPI,

- débouter les sociétés PR Industrie et Regeplastic de leurs demandes d'infirmation du jugement en ce qu'il les a :

- débouté de leurs demandes en nullité des revendications 1 et 2 du brevet FR 2 871 804 pour extension au-delà du contenu de la demande,

- débouté de leurs demandes en nullité des revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 2 871 804 pour défaut de nouveauté,

- débouté de leurs demandes visant à sanctionner Eiffage et à lui ordonner des mesures d'interdiction, ainsi qu'à la condamner pour procédure abusive,

- débouter PR Industrie et Regeplastic de leurs toutes leurs demandes, fins et prétentions,

Et statuant à nouveau :

- dire qu'en :

- utilisant les procédés couverts par le brevet français publié sous le numéro FR 2 871 804,

- fabricant, en faisant, fabriquer, en offrant, en mettant dans le commerce, en utilisant et en détenant aux fins précitées le produit PR Flex 20® obtenu directement par les procédés objets du brevet français publié sous le numéro FR 2 871 804,

- livrant et en offrant de livrer à des tiers le produit PR Flex 20® obtenu directement par les procédés objets du brevet français publié sous le numéro FR 2 871 804,

les sociétés PR Industrie et Regeplastic ont commis des actes de contrefaçon des revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français publié sous le numéro FR 2 871 804 dont la limitation a été publiée dans le BOPI n°19/48 du 29 novembre 2019,

- interdire à la société PR Industrie et à la société Regeplastic, la poursuite des actes de contrefaçon, et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et de 10 000 euros par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par la cour de céans,

- ordonner la confiscation des granulés de PR Flex 20® en stock dans les locaux de Regeplastic et / ou PR Industrie, et ce aux fins de leur destruction sous contrôle d'huissier et aux frais des sociétés PR Industrie et/ou de Regeplastic,

- ordonner le retrait et le rappel des granulés de PR Flex 20® contrefaisants et ce aux fins de leur destruction et sous contrôle d'huissier aux frais avancés des sociétés PR Industrie et/ou de Regeplastic, et ce sous les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et passé ce délai de 10 000 euros par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par la cour de céans,

- dire que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- condamner les sociétés PR Industrie et Regeplastic à payer conjointement et solidairement à la société Eiffage une indemnité à fixer à dire d'expert et par provision la somme de 500 000 euros,

- condamner les sociétés PR Industrie et Regeplastic à communiquer, conformément aux articles 10, 11 al. 2 du code de procédure civile et L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle, sous astreinte, et visées par son commissaire aux comptes, les quantités de PR Flex obtenu directement par les procédés objets du (brevet) publié sous le numéro FR 2 871 804, commandées, vendues et exportées, et les chiffres d'affaires et bénéfices réalisés correspondants jusqu'au jour de l'arrêt,

- ordonner, avant dire droit, une mesure d'expertise,

- donner pour mission à l'expert d'évaluer le préjudice subi par la société Eiffage du fait de la production et de la commercialisation du PR Flex 20® contrefaisant, en tenant compte notamment du manque à gagner et du préjudice moral et des bénéfices réalisés par les contrefacteurs, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que ceux-ci ont retiré de la contrefaçon, conformément à l'article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle,

- ordonner, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 journaux ou périodiques en France au choix de la société Eiffage, et aux frais des sociétés PR Industrie et Regeplastic, dans la limite d'un budget de 10 000 euros HT par publication,

- ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil du site internet des sociétés PR Industrie et Regeplastic, en langue française et anglaise, pendant 90 jours, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, ladite astreinte devant être liquidée par la cour de céans,

- dire que ces publications devront s'afficher de façon visible en lettres de taille suffisante, aux frais des sociétés PR Industrie et Regeplastic, en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré de 468 x 120 pixels, le texte qui devra s'afficher en partie haute et immédiatement visible de la page d'accueil devant être précédé du titre

« PUBLICATION JUDICIAIRE »,

- condamner les sociétés PR Industrie et Regeplastic à payer conjointement et solidairement à la société Eiffage la somme de 140 000 euros à titre de remboursement des peines et soins du procès, en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les sociétés PR Industrie et Regeplastic aux entiers dépens et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 février 2024 par les sociétés PR Industrie (ci-après la société PRI) et Regeplastic, intimées à titre principal et appelantes à titre incident, qui demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

- débouté les concluants de leurs demandes en nullité au motif que l'objet des revendications 1 et 2 du brevet français n° 2 871 804 s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée,

- débouté les concluants de leurs demandes en nullité au motif que les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français n° 2 871804 sont dépourvues de nouveauté,

- débouté les concluants de leurs demandes visant à sanctionner l'appropriation par la société Eiffage du savoir-faire des sociétés concluantes, à interdire à la société la société Eiffage d'utiliser d'une quelconque manière les résultats de la saisie contrefaçon réalisée le 31 mai 2018,

- débouté les concluants de leurs demandes visant à obtenir la condamnation de la société Eiffage pour procédure abusive,

- condamné la société Eiffage à verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et non à chacune des sociétés défenderesses,

Et statuant à nouveau,

A titre principal et reconventionnel :

- juger que l'objet des revendications 1 et 2 du brevet français n° 2 871 804 s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée,

- juger que les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français n° 2 871804 sont dépourvues de nouveauté,

- juger que les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français n° 2 871804 ne font pas preuve d'activité inventive,

- juger nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français n° 2 871 804,

- juger qu'une fois définitif, le jugement (sic) rendu sera transmis à M. le directeur général de l'INPI aux fins d'inscription,

- juger que des demandes en contrefaçon ne peuvent être fondées sur des revendications nulles,

- rejeter les demandes en contrefaçon formées par la société demanderesse sur le fondement de ces revendications,

A titre subsidiaire et par voie d'exception de nullité,

- juger que l'objet des revendications 1 et 2 du brevet français n° 2 871804 s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée,

- juger que les revendications 1, 2, 8 et 9 dudit brevet français sont dépourvues de nouveauté,

- juger que les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français n° 2 871804 ne font pas preuve d'activité inventive,

- juger que des demandes en contrefaçon ne peuvent être fondées sur des revendications nulles,

- rejeter les demandes en contrefaçon formées par la société demanderesse sur le fondement de ces revendications,

- la débouter de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire, sur l'absence de contrefaçon des revendications les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français n° 2 871 804,

- juger que l'huissier instrumentaire a outrepassé les termes de l'ordonnance du 11 avril 2018,

En conséquence,

- prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 31 mai 2018 ; A défaut de prononcer sa nullité, écarter des débats le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 31 mai 2018, car étant dépourvu de toute force probante,

- juger que les pièces n° 2.3.6, 2.3.7, 2.3.2 et 2.3.3 de la société Eiffage sont dépourvues de force probante,

En conséquence,

- les écarter des débats,

- en toutes hypothèses, juger que la société Eiffage ne démontre pas la contrefaçon alléguée,

En conséquence,

- la débouter de toutes ses demandes,

En toutes hypothèses, juger que les sociétés concluantes peuvent bénéficier de l'exception de possession antérieure, visée à l'article L. 613-7 du code de la propriété intellectuelle,

En conséquence,

- débouter la société Eiffage de toutes ses demandes,

A titre reconventionnel sur les préjudices subis par les défenderesses,

- juger que la société demanderesse a engagé sa responsabilité en réalisant une procédure de saisie-contrefaçon qui lui a permis de s'approprier le savoir-faire des sociétés concluantes,

En conséquence,

- interdire à la société demanderesse d'utiliser d'une quelconque manière les résultats de la saisie-contrefaçon réalisée le 31 mai 2018,

- condamner la société demanderesse à verser à chacune des sociétés défenderesses la somme de 250 000 euros en réparation de leurs préjudices respectifs,

- condamner la société demanderesse à verser à chacune des sociétés défenderesses la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la mise en 'uvre d'une procédure manifestement abusive,

- condamner la société demanderesse à verser à chacune des sociétés défenderesses la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société demanderesse aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Hocquard.

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 25 avril 2024 ;

SUR CE, LA COUR

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Eiffage est titulaire d'un brevet français déposé le 16 juin 2004, enregistré sous le numéro 04 06526, publié sous le numéro 2 871 804 (ci-après le brevet FR 804), délivré le 22 août 2008, intitulé « procédé de préparation d'un mélange bitume-polymère » et dont le maintien en vigueur par le paiement des annuités n'est pas contesté. A la suite d'une requête en limitation acceptée par l'INPI le 18 octobre 2019, les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 804 ont été limitées.

Un brevet européen a été demandé le 9 juin 2005 sous priorité du brevet FR 804 et délivré le 4 août 2021. La société PRI a formé opposition le 2 mai 2022 et le brevet EP 914 a été révoqué par une décision de l'OEB du 7 février 2024. Ce brevet n'est pas invoqué dans le cadre de la présente procédure la société Eiffage ayant retiré la France de la liste des États désignés par cette demande européenne.

La société Eiffage reproche aux sociétés PRI et Regeplastic de commercialiser un additif dénommé « PR Flex 20 », sous forme de bitume modifié comprenant un copolymère styrène-butadiène-styrène, en utilisant des procédés protégés par les revendications 1, 2, 8 et 9 telles que limitées du brevet FR 804 dont elle est titulaire. Les sociétés PRI et Regeplastic ont soulevé à titre reconventionnel la nullité du brevet opposé.

Après avoir fait analyser des échantillons du produit incriminé PR Flex 20, la société Eiffage, estimant que ceux-ci présentaient une proportion augmentée de polymère ne pouvant s'expliquer que par la mise en 'uvre de son brevet, a fait pratiquer le 31 mai 2018 une saisie-contrefaçon aux sièges des sociétés PRI, Regeplastic et Labotech, appartenant toutes au même groupe, avant d'assigner ces dernières en contrefaçon selon acte d'huissier de justice du 28 juin 2018.

C'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement dont appel.

SUR CE,

Sur la portée du brevet FR 804

L'invention porte sur un procédé de préparation d'un mélange bitume - polymère, ce polymère étant au cas particulier un copolymère styrène butadiène-styrène (revendications 1 à 8 limitées), sur le mélange ainsi obtenu pour applications routières (revendication 9 limitée), et sur son utilisation pour la fabrication d'un liant bitumineux (revendications 10 à 15 limitées).

La description enseigne que les bitumes purs sont couramment utilisés pour fabriquer des liants anhydres ou en émulsion pour applications routières, mais que pour diminuer leur sensibilité thermique, et plus généralement pour améliorer le comportement du liant sous forte sollicitation, il est courant d'utiliser des polymères dispersés dans le bitume, ce qui se fait en général dans des usines dédiées comportant des cuves agitées, chauffées, connectées à des systèmes d'alimentation ainsi qu'à des cuves de stockage où le liant peut être brassé, ou à des systèmes de réticulation ou de dispersion selon le taux de modification recherché, ce qui implique des investissements parfois lourds et le traitement de grandes quantités de bitume, et génère un fort impact environnemental.

Une solution connue consiste alors à réaliser des pré- mélanges appelés mélanges maitres, couramment utilisés pour fabriquer des liants pour enduits superficiels. On utilise dans ce cas des produits solvants du bitume appelés fluxants ou fluidifiants permettant une pré-dissolution du polymère en grande quantité et de donner, après dispersion du mélange maitre dans le bitume, un liant présentant des caractéristiques très voisines d'un liant obtenu de façon classique c'est-à-dire par ajouts successifs de polymère puis de fluxant dans le bitume.

Cependant les liants d'enrobage ne comportent pas de fluxant, de sorte qu'y incorporer un fort taux de polymère pose un problème de viscosité et par conséquent nécessite une durée de fabrication longue, ce qui limite en pratique les teneurs en polymères à 20%. Dans le cas du caoutchouc, il est nécessaire d'ajouter des additifs allongeant la durée de fabrication ( FR 2 619 821) ; en cas d'usage d'autres polymères non miscibles au bitume, il faut les ajouter directement à l'enrobé lors du malaxage ; on peut aussi utiliser le polymère sous forme de poudre la plus fine possible, ce qui réduit la durée d'agitation nécessaire au mélange, mais cela a un coût trop élevé ; on peut encore utiliser le polymère sous forme liquide, mais obtenir un tel liquide est long et est donc peu intéressant.

L'invention se propose de résoudre ces inconvénients des procédés connus en prévoyant notamment de mélanger le bitume et au moins un polymère par extrusion, définie comme « tout traitement permettant le cisaillement d'une masse pâteuse et son transport à travers un orifice approprié pour obtenir un profilé». Dans le procédé selon l'invention, le brassage assure l'homogénéisation du mélange du bitume et du polymère introduits séparément dans l'extrudeuse. Ces opérations peuvent être effectuées au moyen d'une ou plusieurs vis de type vis d'Archimède. » (page 3, ligne 32 à page 4, ligne 7).

A cette fin le brevet limité comporte 15 revendications dont seules sont invoquées les revendications 1, 2, 8 et 9, dont la teneur suit :

1. Procédé de préparation d'un mélange contenant du bitume et au moins un polymère, dans lequel on mélange du bitume et au moins un polymère par extrusion et le mélange obtenu est un mélange maître à fort taux de polymère sous forme de granulés, caractérisé en ce que le polymère est un copolymère styrène-butadiène-styrène (SBS) dont le taux massique dans le mélange maître est compris entre 20 et 60 %, et en ce que la température du mélange est ajustée à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone d'introduction des constituants et un orifice de sortie.

2. Procédé selon la revendication 1, dans lequel on mélange par extrusion du bitume à l'état liquide et au moins un polymère à l'état fondu.

8. Procédé selon l'une des revendications précédentes, dans lequel le mélange obtenu par extrusion est un mélange maître à fort taux de polymère destiné à être dilué dans un bitume pour fabriquer un liant bitumineux.

9. Mélange maître obtenu par le procédé selon la revendication 8 pour applications routières.

Sur la validité du brevet FR 804

Les sociétés intimées concluent à l'infirmation du jugement rendu en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes en nullité au motif que l'objet des revendications 1 et 2 du brevet FR 804 s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée et de leurs demandes en nullité au motif que les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 804 sont dépourvues de nouveauté.

La société Eiffage conclut quant à elle à l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 804 dont elle est titulaire.

Force est de constater que selon le dispositif du jugement, le tribunal n'a fait que déclarer nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 804. Pour autant les sociétés intimées sollicitent la nullité de ces revendications et la cour est saisie par la société Eiffage d'une demande d'infirmation du jugement qui a déclaré nulles les revendications opposées du brevet dont elle est titulaire.

Eu égard aux demandes de nullité des sociétés intimées dont la première ne concerne que les revendications 1 et 2 du brevet FR 804 pour extension de leur objet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, la cour examinera en premier lieu le motif de nullité pour défaut de nouveauté de l'ensemble des revendications du brevet FR 804 qui sont invoquées, soit les revendications 1, 2, 8 et 9, puis le motif de nullité des mêmes revendications tiré du défaut d'activité inventive retenu par le tribunal dans son jugement dont la société Eiffage demande l'infirmation.

Aux termes de l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle :

« Le brevet est déclaré nul par décision de justice :

Si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19 ; (')

Selon l'article L. 611-10 du même code :

« 1. Sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle. (') ».

L'article L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle ajoute que :

« Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique.

L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. (') ».

Il est constant que la nouveauté fait défaut, au sens de ces dispositions, lorsque l'invention se trouve toute entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique.

Enfin, selon l'article L. 611-14 du même code :

« Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique (') ».

En l'espèce la société Eiffage ne conteste pas devant la cour la définition de la personne du métier donnée par les sociétés intimées, à savoir un spécialiste du domaine de la préparation de bitumes modifiés pour les applications routières. Cette définition, corroborée par le contenu de la revendication 9 du brevet FR 804 sera donc retenue.

Sur le défaut de nouveauté

- de la revendication 1

Pour invoquer la nullité pour défaut de nouveauté de la revendication 1 du brevet FR 804 les sociétés intimées invoquent les documents suivants :

- une de ses propres brochures intitulée « PR FLEX 20 Bitume modifié en granulés » Edition n°010204,

- le brevet BE 1002939 (Fina) publié le 10 septembre 1991,

- le brevet CN 1300801 A (Yueyang) publié le 27 juin 2001.

Elles soutiennent que les documents Fina et Yueyang divulguent un ajustement des températures et que le taux de SBS est divulgué par les brevets antérieurs , ce que conteste la société appelante.

La brochure « PR FLEX 20 Bitume modifié en granulés », dont l'antériorité à la demande du brevet opposé n'est pas contestée, serait, selon les sociétés intimées, utilisée par la société Eiffage pour démontrer que le produit incriminé reproduit la revendication 1 du brevet FR 804 ; elles en déduisent que dans cette hypothèse, ce document est destructeur de la nouveauté de cette revendication, sans plus d'explications. En conséquence il n'est pas démontré que le document précité détruit la nouveauté de la revendication 1 brevet FR 804.

Le document Fina divulgue des compositions de bitume modifié par l'ajout de polymères et un procédé visant à préparer du bitume ainsi modifié, notamment dans le domaine routier. Les intimées produisent un tableau comparatif du brevet Eiffage et du brevet Fina bien que leur discussion ne porte que sur deux éléments de ce document à savoir l'ajustement des températures et la proportion des matériaux.

S'agissant de l'ajustement des températures, la revendication 1 du brevet précise que « la température du mélange est ajustée à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone d'introduction des constituants et un orifice de sortie ».

L'exemple 1 du document Fina prévoit que dans l'extrudeuse, le SBS est d'abord introduit à une température de 180° C, ensuite, en aval le bitume est introduit à une température de 90° C pour être ensuite détaillé en granulé sous brouillard d'eau, ce qui conduit à être en présence de trois zones de températures différentes. : 180° C à l'entrée de l'extrudeuse, entre 180° C et 90° C lors de l'introduction du bitume et une zone inférieure à 90° C à la sortie.

Il en résulte que le document Fina divulgue une variation de température des différents composants du mélange maitre alors que le brevet concerne l'ajustement de la température de l'extrudeuse lors de la préparation du mélange.

Pour soutenir que dans les deux cas il est fait usage d'une extrudeuse et que dès lors, il doit être admis que cet appareil possède comme principal avantage la capacité de produire une variation de température, les sociétés PRI et Regeplastic citent la page 6, lignes 10 à 18 de la description du brevet Eiffage selon laquelle « un avantage de l'utilisation d'une extrudeuse est la possibilité de faire varier la température de travail le long du fourreau dans lequel tourne la vis. Il a été constaté qu'une température « supérieure à 160° C » était préférable, dans le cas d'un copolymère triséquencé styrène-butadiène-styrène (SBS), dans les zones d'alimentation et de malaxage afin d'assurer le ramollissement de celui-ci. Dans les zones de transfert et au niveau de la filière, on pourra utilement diminuer la température afin de favoriser le refroidissement ».

Néanmoins, et comme le relève justement l'appelante, dans le document Fina, la température du mélange résulte directement de celle du bitume et du polymère ainsi que de la proportion relative de ses constituants sans qu'il y ait d'ajustement de la température du mélange.

En conséquence, dans l'exemple 1 du document Fina l'ajustement des températures repose sur celle des matériaux introduits dans l'extrudeuse sans qu'il soit divulgué la nécessité d'un ajustement de la température de l'extrudeuse.

La caractéristique de la revendication 1 du brevet Eiffage tenant à l'ajustement des températures est donc nouvelle par rapport au document Fina.

S'agissant de la proportion de matériaux utilisés, la revendication 1 du brevet FR 804 tel que limitée indique que : « le mélange obtenu est un mélange maitre à fort taux de polymères sous forme de granulés, caractérisé en ce que le polymère est un copolymère styrène-butadiène-styrène (SBS) dont le taux massique dans le mélange maitre est compris entre 20 et 60% ».

L'exemple 1 du document Fina évoque la préparation « par extrusion d'un mélange maitre comprenant 50 parties en poids de bitume et 50 parties en poids d'un élastomère », étant relevé que le document divulgue une teneur en concentration du mélange maitre de 50% en élastomère.

Les intimées déduisent des directives de l'INPI (La délivrance des brevets et certificats d'utilité INPI mai 2020 page 92 point e, et des directives de l'OEB (I.C.5.2.6) que « la divulgation d'un élément technique particulier prive de nouveauté un moyen technique général revendiqué mais qu'à l'inverse un moyen technique général ne prive pas nécessairement de nouveauté un élément technique particulier revendiqué ».

En l'espèce, si le pourcentage utilisé dans l'exemple 1 du document Fina est compris dans la fourchette divulguée dans le brevet opposé, cet exemple ne vise pas du SBS en particulier mais de l'élastomère en général. Or, comme l'indiquent les sociétés intimées elles-mêmes la divulgation d'un élément technique général ne prive pas nécessairement de nouveauté un élément technique particulier revendiqué, sauf à être explicitement décrit dans l'antériorité opposée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En conséquence, l'élastomère étant un élément technique général et le SBS un élément technique particulier de l'élastomère, il ne peut pas être considéré que l'exemple 1 du brevet Fin divulgue la caractéristique précitée du brevet FR 804 sans que ne soit divulgué du SBS dans cet exemple.

La caractéristique de la revendication 1 du brevet Eiffage tenant à la proportion de matériaux utilisés est donc nouvelle. En conséquence, l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 doit être considérée comme nouvelle.

Le document Yueyang décrit un procédé de préparation par extrusion d'un mélange maitre pour asphalte routier de SBS/bitume. Pour soutenir que ce document divulgue l'ensemble des revendications contestées, et donc notamment la revendication 1, les sociétés intimées produisent également un tableau comparatif du brevet Eiffage et du brevet Yueyang bien que leur discussion ne porte que sur deux éléments de ce document, à savoir l'ajustement des températures et la proportion des matériaux.

S'agissant de la proportion des matériaux, il a été dit que la revendication 1 du brevet Eiffage indique que : « le mélange obtenu est un mélange maitre à fort taux de polymères sous forme de granulés, caractérisé en ce que le polymère est un copolymère styrène-butadiène-styrène (SBS) dont le taux massique dans le mélange maitre est compris entre 20 et 60% ». La revendication 1 du document Yueyang revendique une proportion de SBS comprise entre 45 et 60%, soit dans la fourchette du brevet.

Reprenant la même argumentation que celle-ci-dessus exposée s'agissant du document Fina, les sociétés intimées soutiennent que le document Yueyang décrit les caractéristiques notamment de la revendication 1 du brevet Eiffage en ce que que « la divulgation d'un élément technique particulier prive de nouveauté un moyen technique général revendiqué mais qu'à l'inverse un moyen technique général ne prive pas nécessairement de nouveauté un élément technique particulier revendiqué ».

En l'espèce, il y a bien divulgation d'un élément technique particulier antérieurement à un moyen technique général de sorte que la caractéristique en cause, à savoir un taux de SBS compris entre 20 et 60% ne peut être considérée comme nouvelle contrairement à ce qu'a considéré le tribunal dans les motifs de sa décision.

Toutefois, s'agissant de l'ajustement des températures, il a été dit que la revendication 1 du brevet indique que : « la température du mélange est ajustée à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone de d'introduction des constituants et un orifice de sortie ».

Or dans le document Yueyang, il est précisé que le bitume et le SBS sont mélangés préalablement avant d'être introduit dans l'extrudeuse, la tête de filière en aval du cylindre d'extrusion présente une température de 135° C et le cylindre de l'extrudeuse, situé avant la tête de filière, présente une température contrôlée entre 140° C et 180° C. L'objet de l'invention est le cylindre de l'extrusion dans lequel le bitume et le SBS sont mélangés de sorte que la problématique liée à la température autour de la vis se situe dans ce cylindre d'extrusion et ni avant, ni après. S'il est vrai que le document prévoit également une régulation de la température pour en avoir une plus basse à la sortie qu'à l'entrée, il n'en demeure pas moins que le mélange bitume SBS est réalisé avant son introduction dans l'extrudeuse alors que dans le brevet Eiffage la vis de l'extrudeuse procède au mélange, et c'est de la température définie pendant le processus d'extrusion que va dépendre la qualité du mélange, en faisant ainsi l'élément déterminant de l'invention. Déterminer si la tête de filière fait ou non partie de l'extrudeuse n'est ainsi pas essentiel contrairement à ce soutient la société Eiffage en ce que l'invention revendiquée porte sur le processus réalisé dans le cylindre lorsque les produits sont mélangés à une température déterminée préalablement.

La caractéristique de la revendication 1 du brevet Eiffage tenant à l'ajustement des températures est donc nouvelle au regard du document Yueyang. Puisqu'au moins une caractéristique de la revendication 1 du brevet est nouvelle au regard de ce document, la revendication 1 doit être considéré comme nouvelle dans son ensemble.

- des revendications dépendantes 2, 8 et 9

Les revendications 2, 8 et 9 placées dans la dépendance directe ou indirecte de la revendication 1 du brevet FR 804 considérée comme nouvelle, le sont nécessairement.

Sur le défaut d'activité inventive

Pour invoquer la nullité pour défaut d'activité inventive notamment des revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 804, les intimées se fondent sur les documents suivants :

- le brevet EP 0426025 A2 (DuPont) publié le 8 mai 1991,

- le brevet BE 1002939 (Fina) publié le 10 septembre 1991,

- un article « Modified Binders to the year 2000 » de JW. Downes, 1986

- un manuel « Précis de matières plastiques » 4ème Edition 1986, Trotignon et al.

- le brevet CN 1300801 A (Yueyang) publié le 27 juin 2001.

Elles contestent l'activité inventive eu égard à la combinaison du brevet DuPont avec les brevets Fina et Yueyang et le document Downes, de la combinaison du brevet Fina avec le document Downes ou le brevet Yueyang et s'agissant des revendications 1 et 2 eu égard au brevet de Yueyang

La société Eiffage fait valoir quant à elle que le tribunal a procédé à une appréciation erronée de l'activité inventive des revendications opposées du brevet FR 804.

- de la revendication 1

Il n'est pas contesté que le brevet DuPont intitulé « Isolement par extrusion de mélanges de caoutchouc et d'asphalte », le brevet Fina intitulé « Procédé amélioré de préparation de composition de bitume modifié et nouvelles compositions de bitumes-polymère utilisées dans ce procédé » et le brevet Yueyang intitulé « Mélange-maitre d'asphalte routier modifié et sa méthode de production » font partie de l'état de la technique.

Le manuel « Précis de matières plastiques 4ème Edition 1986, Trotignon et al » n'envisage l'utilisation d'une extrudeuse que sur les matières plastiques et plus précisément les thermoplastiques, ces derniers ne présentant aucune élasticité ; il n'est donc pas pertinent d'y faire référence dès lors que la personne du métier ne sera pas incitée à le consulter pour extruder un mélange à base de bitume et de SBS.

L'article « Modified binders to the years 2000 » de Downes traite des polymères thermoplastiques qui peuvent être modifiés avec du bitume pour en augmenter la viscosité, c'est-à-dire la rigidité. Même si ce document indique qu'il peut y avoir des inconvénients à mélanger le SBS, un élastomère et non un thermoplastique, avec du bitume pour en améliorer le comportement élastique, il évoque cette possibilité de sorte qu'il ne doit pas être écarté de l'état de la technique.

Le document DuPont présente un mélange par extrusion de mélanges de caoutchouc et d'asphaltes. Il indique que « l'invention concerne des mélanges d'émulsions ou de masses fondues d'asphalte et de latex élastomères aqueux préparés en utilisant une machine d'extrusion à vis adaptée pour fournir une contre-pression suffisante dans les filets de vis de la machine d'extrusion pour expulser l'eau à partir du mélange à travers un évent fourni dans la machine d'extrusion ».

L'extrusion n'est donc pas utilisée aux fins de mélanger le mélange maitre mais pour en évacuer l'excès d'humidité. La description précise que les ajustements de températures sont utilisés pour sécher le mélange et non pas pour le faciliter. Ce document ne constitue donc pas l'art antérieur le plus proche.

Il a été dit que le brevet Fina divulgue un « procédé amélioré de préparation de compositions de bitume modifié et nouvelles compositions de bitume-polymère utilisé dans ce procédé ». Ce document enseigne à la personne du métier des compositions de bitume modifié par l'ajout de polymères et un procédé pour le préparer, destiné notamment au domaine routier. Il peut être regardé comme le document de l'état de la technique le plus proche de celui du brevet Eiffage dès lors qu'il divulgue un procédé d'extrusion pour mélanger du bitume et différents types de polymères et notamment du SBS.

Il a été indiqué également que ce document ne décrit pas un ajustement de la température à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone d'introduction des constituants et un orifice de sortie mais un ajustement de la température du mélange. Pour autant, la personne du métier qui voudrait faciliter l'extrusion du mélange maitre serait amenée, au vu de l'état de ses connaissances générales, à ajuster la température dans l'extrudeuse elle-même dès lors que les extrudeuses à vis destinées à recueillir ce type de mélange présentent nécessairement comme fonctionnalité la possibilité d'en ajuster la température.

Or s'agissant de la combinaison des documents Fina et Yueyang, ce dernier document mentionne dans sa description la possibilité d'ajuster la température d'un mélange autour de l'extrudeuse, notamment en l'augmentant ou en la maintenant à la température de fusion souhaitée. Par ailleurs, il indique l'ajustement du taux de SBS à adopter de sorte que la personne du métier aurait nécessairement et sans faire preuve d'activité inventive été incitée à utiliser les taux de SBS recommandés.

En conséquence, et sans avoir besoin de se référer aux autres documents, la revendication 1 du brevet EP 804 doit être annulée pour défaut d'activité inventive.

- des revendications dépendantes 2, 8 et 9

Selon la revendication 2, placée dans la dépendance directe de la revendication 1, le procédé consiste à mélanger par extrusion du bitume à l'état liquide et au moins un polymère à l'état fondu.

Or la personne du métier sait que des composants à l'état liquide ou fondu, se mélangent plus facilement. Par ailleurs le document Fina mentionne l'extrusion avec un bitume liquéfié (exemple 2), et évoque en page 9 1er § « des polymères déjà fondus ».

Il n'est donc pas inventif, pour la personne du métier, de mélanger du bitume à l'état liquide et un polymère à l'état fondu.

Selon la revendication 8 placée dans la dépendance de l'une des revendications précédentes, le procédé dans lequel le mélange obtenu par extrusion est un mélange maître à fort taux de polymère destiné à être dilué dans un bitume pour fabriquer un liant bitumineux.

Enfin selon la revendication 9, le mélange maître obtenu par le procédé selon la revendication 8 est pour applications routières.

Cependant le document Yueyang divulgue ces caractéristiques et l'application routière apparaît pour la personne du métier comme la destination la plus évidente du procédé décrit par la revendication 1 du brevet.

Les revendications 8 et 9 du brevet FR 840 ne sont donc porteuses d'aucune activité inventive.

Il y a lieu en définitive de déclarer nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 804 et le jugement sera confirmé de ce chef, ce sans qu'il soit besoin d'examiner le motif de nullité des revendications 1 et 2 du brevet Eiffage tiré de l'extension de leur objet au-delà du contenu de la demande qui apparaît surabondant.

Sur la contrefaçon

Les demandes tendant à voir annuler les procès-verbaux de saisie-contrefaçon ou tendant à voir dire que les sociétés PR et Regeplastic peuvent bénéficier de l'exception de possession antérieure, formées à titre subsidiaire, deviennent sans objet en raison de la nullité du brevet opposé.

Les demandes en contrefaçon des revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet annulé ne peuvent quant à elle qu'être rejetées et il sera ajouté au jugement en ce sens. Le jugement sera par ailleurs confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes subséquentes de la société Eiffage ainsi que la demande de publication.

Sur les demandes reconventionnelles

Selon les sociétés PRI et Regeplastic, la société Eiffage savait manifestement que son brevet était faible au regard des difficultés qu'elle a rencontrées pour obtenir un titre européen sous priorité du brevet FR 804 et aurait détourné la saisie-contrefaçon pour obtenir ses secrets de fabrication, ce qu'elle cherchait selon elles à obtenir depuis 2004. Elles ajoutent qu'au cours des opérations de saisie-contrefaçon l'huissier instrumentaire a récupéré des informations, des échantillons et des documents qui ont été immédiatement transmis à la société requérante et à un laboratoire INSA dont on ignore les liens avec cette dernière, mais qui ne serait pas indépendant, et les conditions d'intervention, dans le but de s'approprier leur savoir-faire. Elles sollicitent en conséquence l'interdiction pour la société Eiffage d'utiliser les résultats de la saisie-contrefaçon, le paiement de la somme de 250 000 euros chacune à titre de dommages intérêts en réparation de leurs préjudices respectifs ainsi que de celle de 100 000 euros chacune au titre de la mise en 'uvre d'une procédure manifestement abusive.

Pour s'opposer à l'ensemble de ces demandes, la société Eiffage réplique que le brevet FR 804 n'était pas manifestement nul, que l'ordonnance l'autorisant à pratiquer la saisie-contrefaçon a été régulièrement et loyalement obtenue et que l'huissier instrumentaire a exécuté sa mission conformément aux termes de cette ordonnance. Elle ajoute que la remise des échantillons saisis a été constatée par procès-verbal du 31 mai 2018, que ces échantillons ont ensuite été remis par les conseils en propriété industrielle qui assistaient l'huissier instrumentaire, à un huissier de justice à [Localité 4] pour analyse au laboratoire INSA de [Localité 5] avant de lui être remis, sans qu'ils ne soient ouverts encore à ce jour, enfin que les autres échantillons ont été conservés par l'huissier sous scellés, que le produit saisi ne recèle aucun secret de fabrication et qu'elle n'a jamais utilisé les informations obtenues de la saisie pour un quelconque autre motif que la défense de ses droits, et ne les a notamment pas communiquées à des tiers.

Il résulte du procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 31 mai 2018 qu'ont été saisis les échantillons suivants :

- A 1 à A 4 : 4 prélèvements de « Pr Flex 20 », le produit litigieux

commercialisé par les sociétés PRI et Regeplastic,

- B 1 à B 4 : 4 prélèvements de bitume,

- C 1 à C 4 : 4 prélèvements de carbonate, un ingrédient dont une personne présente a indiqué lors de la saisie qu'il entrait également dans la composition du PR Flex 20,

- D1 à D 4 : 4 prélèvements de SBS.

Un échantillon de chaque sorte a été remis à un laboratoire puis à la société Eiffage. L'huissier s'est également fait remettre un document intitulé « spécifications pour extrudeuse bi-vis / PR Flex 20 », qui mentionne seulement une vitesse maximale de 350 tours / minute pour la vis de l'extrudeuse, et des indications générales hormis les indications de températures, assez précises selon 11 zones ainsi qu'une fiche de données de sécurité concernant le bitume.

C'est donc par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que le tribunal a relevé, d'une part, que la société Eiffage aurait pu se procurer librement les produits saisis qui sont vendus dans le commerce en les achetant elle-même ou en les faisant acheter, et d'autre part, que les sociétés PRI et Regeplastic ne démontrent pas en quoi les documents saisis auraient permis à la société Eiffage d'accéder à leurs secrets de fabrique ou à leur savoir-faire, ou encore à une quelconque information protégée par le secret des affaires. Elles ne démontrent pas plus la réalité des préjudices qu'elles invoquent autrement que par leurs affirmations. Par ailleurs, la requête aux fins de saisie contrefaçon a fait état de ce que l'analyse communiquée avait pour origine la société Roadway Solutions, licenciée de la société Eiffage, et que les mêmes échantillons de PR Flex 20 ont ensuite été remis à un laboratoire indépendant IMP. En conséquence le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés PRI et Regeplastic de leurs demandes de dommages intérêts pour préjudice subi et de leur demande subséquente d'interdiction d'utiliser les résultats de la saisie-contrefaçon réalisée le 31 mai 2018 ainsi que de leurs demandes de dommages intérêts pour mise en 'uvre d'une procédure abusive.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relative aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

Partie perdante, la société Eiffage sera condamnée aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Enfin les sociétés PRI et Regeplastic ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel.

Y ajoutant,

Déboute la société Eiffage Infrastructures de sa demande en contrefaçon des revendications 1,2,8 et 9 du brevet FR 2 871 804.

Condamne la société Eiffage Infrastructures à payer aux sociétés PR Industrie et Regeplastic, la somme de 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Eiffage Infrastructures aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.