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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 12 septembre 2024, n° 21/16221

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Époux

Défendeur :

Leroy Merlin France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Papin

Conseillers :

Mme Morlet, Mme Zysman

Avocats :

Me Regnier, Me Ayma, Me Lallement, Me Simoneau

TJ Melun, du 28 juill. 2021, n° 21/02574

28 juillet 2021

EXPOSE DU LITIGE

Le 10 août 2019, M. [U] [K] et Mme [P] [K] se sont rendus au magasin Leroy Merlin de [Localité 5] (77) et ont passé commande de deux cuves de récupérateur d'eau de pluie « Kit Rocky 400L Sable » pour un montant de 718,20 euros, déduction faite d'une remise fidélité de 10 %.

Les cuves ont été livrées le 6 septembre 2019.

M. et Mme [K] s'étant plaints de la défectuosité de l'une des deux cuves (fuite en partie basse) par courriel du 10 octobre 2019, la société Leroy Merlin a procédé à son remplacement le 6 novembre 2019.

Par courrier de leur conseil en date du 14 novembre 2019, M. et Mme [K] ont indiqué à la société Leroy Merlin que les cuves commandées, présentées comme ayant une contenance utile de 400 litres, ne pouvaient en contenir en réalité que 257 litres en raison du système de raccordement sur les côtés de la cuve, voire 307 litres par un raccordement par la partie supérieure, et qu'en conséquence, la vente avait été réalisée sur la base d'une information trompeuse de nature à les induire en erreur.

Après discussion, les parties n'ont pas réussi à conclure un protocole d'accord transactionnel.

C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier du 23 avril 2021, M. et Mme [K] ont fait assigner la société Leroy Merlin devant le tribunal judiciaire de Melun, au visa des articles 1641 et 1137 du code civil, pour voir constater que la vente des deux cuves s'est conclue sur la base d'une information trompeuse de nature à induire en erreur l'acheteur, constater la nullité de la vente pour dol et condamner la société Leroy Merlin au remboursement intégral des deux cuves d'un montant de 718,20 euros et au paiement de la somme de 5.000 euros en réparation de leurs préjudices.

La société Leroy Merlin n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter à l'audience.

Par jugement réputé contradictoire du 28 juillet 2021, le tribunal a :

- annulé la vente conclue entre M. et Mme [K] et la société Leroy Merlin portant sur 2 LDD Kit Mural Rocky 400L Sable,

- condamné la société Leroy Merlin à rembourser à M. et Mme [K] la somme de 718,20 euros,

- débouté M. et Mme [K] de leur demande de dommages et intérêts,

- condamné la société Leroy Merlin à payer à M. et Mme [K] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Leroy Merlin France aux dépens.

Le tribunal, au visa de l'article 1641 du code civil relatif à la garantie des vices cachés et de l'article L. 121-2 du code de la consommation qui définit la pratique commerciale trompeuse, a retenu qu'il ressortait des pièces produites que la contenance utile du produit était inférieure à celle annoncée et que M. et Mme [K] avaient ainsi été induits en erreur sur la contenance réelle des cuves achetées par une information manifestement trompeuse. Il a, en conséquence, annulé la vente et condamné la société Leroy Merlin à rembourser aux époux [K] le prix d'achat des cuves, soit la somme de 718,20 euros mais les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts, estimant que les préjudices allégués n'étaient pas démontrés.

Par déclaration du 6 septembre 2021, M. et Mme [K] ont interjeté appel de ce jugement, intimant la société Leroy Merlin devant la cour.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 mai 2022, M. et Mme [K] demandent à la cour, au visa des articles 1137 et 1641 du code civil, de :

- Les déclarer recevables et bien fondés en leur appel du jugement rendu le 28 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Melun,

- Déclarer la société Leroy Merlin mal fondée en son appel incident et en ses demandes,

- Constater que la vente des deux cuves s'est conclue sur la base d'une information trompeuse de nature à induire en erreur l'acheteur,

- Constater que la capacité utile de la cuve est de nature à remettre en cause l'achat des deux cuves par les époux [K],

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la vente et condamné la société Leroy Merlin prise en son établissement de [Localité 5] au remboursement intégral des deux cuves d'un montant de 718,20 euros,

- L'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau :

- Condamner la société Leroy Merlin prise en son établissement de [Localité 5] à verser aux époux [K] la somme de 5.000 euros en réparation de leurs préjudices,

- Condamner la société Leroy Merlin prise en son établissement de [Localité 5] à verser aux époux [K] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Leroy Merlin aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Regnier, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ils font valoir que le juge de première instance a légitimement prononcé l'annulation de la vente sur le fondement de l'article 1641 du code civil et mis en exergue, à titre surabondant, que la violation de cette disposition constituait également une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-2 du code de la consommation.

Ils maintiennent en cause d'appel que la contenance utile de la cuve est de 257 litres et non pas 400 litres comme annoncé dans la publicité reprise par la société Leroy Merlin qui ne s'est manifestement pas donnée la peine de vérifier l'exactitude des caractéristiques essentielles du produit qu'elle vend. Se fondant sur l'article 1137 du code civil, ils font valoir que la vente a été réalisée sur la base d'une information manifestement mensongère de nature à induire le client en erreur et demandent en conséquence à la cour de confirmer l'annulation de la vente pour vice du consentement, en l'espèce le dol. Ils précisent que la société Leroy Merlin n'est pas un tiers mais leur cocontractant dans le cadre d'un contrat de vente portant sur 2 cuves.

Ils indiquent par ailleurs, au visa de l'article 1641 du code civil, que le défaut existait au moment de la vente mais qu'ils n'étaient pas en mesure de le déceler et que s'ils avaient eu connaissance de la contenance utile de 257 litres, ils n'auraient pas consenti à l'achat des deux cuves. Ils estiment que le juge de première instance a manifestement omis de prendre en compte le plan du fabriquant et s'est basé uniquement sur une affirmation erronée exprimée par le service juridique de la société Leroy Merlin, dans un courriel en date du 14 février 2020, selon laquelle la contenance utile des cuves dont s'agit serait de 379 litres, cette affirmation relevant d'une information trompeuse puisque la contenance utile de la cuve est de 257 litres. Ils observent à cet égard que depuis le 25 novembre 2021, la société Leroy Merlin présente la cuve Rocky comme ayant une contenance utile de 379 litres. Ils demandent en conséquence la confirmation du jugement du 28 juillet 2021 en ce qu'il a « déclaré » la nullité de la vente des deux cuves.

Ils reprochent au premier juge de les avoir déboutés de leur demande d'indemnisation des préjudices subis résultant de la résistance abusive du service après vente de Leroy Merlin pour mettre en 'uvre la garantie aux fins de remplacement de la cuve défectueuse, de la proposition d'un protocole d'accord pour réparer les préjudices jamais mise en oeuvre, du temps écoulé entre la livraison et le remplacement de la cuve, soit 60 jours, période pendant laquelle ils ont été contraints d'accomplir un véritable « parcours du combattant » et de faire intervenir un premier cabinet d'avocat afin de réclamer le protocole d'accord que le chef de secteur, Mme [H] [N], s'était engagée par mail à leur transmettre.

Ils réclament la somme de 5.000 euros de dommages intérêts en réparation de ces préjudices.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2022, la société Leroy Merlin demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 1353 du code civil,

Vu les dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article L. 121-2 du code de la consommation,

Vu les dispositions de l'article 1641 du code civil,

Vu les dispositions de l'article 1137 du code civil,

Vu les dispositions de l'article 1181 du code civil,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Melun le 28 juillet 2021 en ce qu'il a débouté M. et Mme [K] de leur demande de dommages et intérêts,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Melun le 28 juillet 2021 en ce qu'il a :

' annulé la vente conclue entre M. et Mme [K] et la société Leroy Merlin portant sur deux LDD Kit Mural Rocky 400L Sable,

' condamné la société Leroy Merlin à rembourser à M. et Mme [K] la somme de 718,20 euros,

' condamné la société Leroy Merlin à payer à M. et Mme [K] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné la société Leroy Merlin aux dépens,

Statuant à nouveau, après avoir constaté qu'il n'existe aucune pratique commerciale trompeuse, fausse information ou dol susceptible d'entrainer la nullité de la vente :

- Déclarer que le contrat de vente intervenu entre M. et Mme [K] et la société Leroy Merlin est parfait,

- Débouter M. et Mme [K] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- Condamner M. et Mme [K] à payer à la société Leroy Merlin la somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. et Mme [K] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

Elle reproche au premier juge d'avoir prononcé l'annulation de la vente au visa des articles 1641 du code civil et L. 121-2 du code de la consommation en faisant valoir :

- que les pratiques commerciales trompeuses prévues à l'article L. 121-2 du code de la consommation constituent un délit mais ne peuvent entraîner la nullité de la vente ;

- que l'article 1641 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer, la cuve défaillante ayant été remplacée et fonctionnant parfaitement ;

- que les époux [K] prétendent avoir été trompés sur la contenance de la cuve, de sorte qu'il n'y a pas de vice caché affectant l'usage de la chose mais une prétendue erreur d'information,

- qu'en tout état de cause, le tribunal n'a pas caractérisé les éléments nécessaires à la mobilisation de la garantie des vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil.

Sur le dol, la société Leroy Merlin soutient que l'affirmation de M. et Mme [K] selon laquelle l'information sur les caractéristiques du récupérateur d'eau serait erronée (capacité de 257 litres au lieu des 400 litres annoncés) n'est pas démontrée et qu'au surplus, elle n'est pas à l'origine de cette mention, le produit litigieux étant fabriqué par la société Graf qui établit les notices et les informations du produit ; que s'agissant de déclarations faites par un tiers, le dol ne peut pas être caractérisé à son égard. Elle relève que les déclarations du fabricant d'une contenance utile de 400 litres sont cohérentes avec les dimensions du produit (avec une tolérance indiquée de + ou - 3%) et que M. et Mme [K] ne justifient pas que la capacité utile de la cuve serait de 257 litres.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que M. et Mme [K] ayant fait le choix de solliciter le remplacement de la cuve prétendument défaillante, ils sont irrecevables et mal fondés à solliciter la nullité du contrat de vente, ayant confirmé en premier lieu leur choix d'exécuter ledit contrat.

Elle conclut enfin à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté M. et Mme [K] de leur demande de dommages et intérêts, ces derniers ne justifiant d'aucun préjudice.

La clôture a été prononcée le 27 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en nullité de la vente pour dol

Aux termes de l'article 1130 du code civil, « l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. »

Selon l'article 1131 du code civil, les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat.

L'article 1137 du même code définit le dol comme le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges, ou par une dissimulation intentionnelle par l'un des cocontractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.

Le dol ne se présume pas et doit être prouvé. La charge de la preuve du dol incombe à celui qui l'invoque.

Il appartient donc à M. et Mme [K] de rapporter la preuve de l'existence de manoeuvres dolosives imputables à la société Leroy Merlin et de leur caractère déterminant de leur consentement.

En l'espèce, le bon de commande n° 068361 en date du 10 août 2019 ainsi que le bon de livraison de la société Graf, fabricant du récupérateur d'eau de pluie sous la marque Garantia, mentionnent « Réservoir Rocky 400L ».

Pour affirmer que la contenance utile de la cuve serait de 257 litres, M. et Mme [K] se contentent d'énoncer des calculs en considération de la hauteur du robinet permettant le remplissage des arrosoirs et des cotes données par le fabricant.

Ces calculs, qui n'ont aucune valeur probante, ne sauraient être retenus par la cour.

Dans un courriel du 14 février 2020 adressé au conseil de M. [K], en réponse à son courrier du 10 février 2020 (pièce n° 10 des appelants) la société Leroy Merlin indique avoir procédé à des tests sur la contenance réelle du modèle de cuve acheté par M. [K] qui n'est pas de 257 litres comme l'affirme celui-ci en se basant sur le volume d'eau au niveau du robinet mais de 379 litres, ajoutant que ce modèle de cuve dispose d'une vis de purge qui permet d'accéder au reste de l'eau stockée et que la notice du fabricant indique une tolérance de +/- 3% au regard de la contenance annoncée de 400 litres.

Dans ses écritures, la société Leroy Merlin précise que le volume de 379 litres n'est pas le volume de stockage de la cuve mais le volume d'eau récupérable via le robinet, le reste pouvant être récupéré via « rocky junior », de sorte que la cuve a bien une capacité de stockage de 400 litres conformément aux déclarations de la société Graf.

Il ressort de l'extrait du site internet de la société Leroy Merlin, produit par les époux [K] en pièce n° 24, que le produit est désormais présenté comme suit : « Récupérateur d'eau mural sable GARANTIA, 400 l (379L utiles).

Il résulte de ces éléments que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il n'est pas démontré que M. et Mme [K] ont été induits en erreur sur la contenance réelle des cuves achetées par une information manifestement trompeuse.

M. et Mme [K] ne rapportant pas la preuve de manoeuvres dolosives imputables à la société Leroy Merlin qui auraient vicié leur consentement, leur demande d'annulation de la vente pour dol sera rejetée.

Sur la garantie des vices cachés

L'article 1641 du code civil énonce que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Selon l'article 1644 du même code, dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

Il incombe tout d'abord à l'acquéreur d'établir l'existence d'un vice, qui se distingue à la fois du défaut de conformité et de l'usure normale de la chose.

Il est en outre nécessaire de démontrer que le vice était caché, antérieur à la vente et présentant un caractère de gravité de nature à porter atteinte à l'usage attendu de la chose.

En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent que M. et Mme [K] ne démontrent pas que la contenance utile de la cuve achetée serait de 257 litres.

En tout état de cause, même à supposer établi que la contenance utile de la cuve serait inférieure à celle annoncée dans le descriptif du produit, M. et Mme [K] ne rapportent pas la preuve de l'impropriété du bien à l'usage auquel il est destiné.

Leur action ne peut donc davantage prospérer sur le fondement de l'article 1641 du code civil.

Le jugement sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il a annulé la vente et condamné la société Leroy Merlin à rembourser à M. et Mme [K] la somme de 718,20 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts

M. et Mme [K] étant déboutés de leur demande d'annulation de la vente tant sur le fondement du dol que sur le fondement de la garantie des vices cachés, leur demande de dommages et intérêts ne peut qu'être rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens du présent arrêt conduit à l'infirmation des dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de la société Leroy Merlin.

Statuant de ce chef pour la première instance et en appel, M. et Mme [K], qui succombent, seront condamnés aux dépens ainsi qu'à payer à la société Leroy Merlin la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ne peuvent eux-mêmes prétendre à l'application de ce texte à leur profit.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Mme [P] [K] et M. [U] [K] de leur demande de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute Mme [P] [K] et M. [U] [K] de leur demande d'annulation de la vente en date du 10 août 2019 portant sur deux récupérateurs d'eau de pluie « Kit Mural Rocky 400L Sable »,

Condamne Mme [P] [K] et M. [U] [K] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne Mme [P] [K] et M. [U] [K] à payer à la société Leroy Merlin la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.