CA Rennes, 3e ch. com., 17 septembre 2024, n° 22/07239
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Société Générale (SA), BNP Paribas (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Clement, Mme Jeorger-Le Gac
Avocats :
Me Lhermitte, Me Fage, Me Berthelot
La société HOLDING [W] était actionnaire unique de la SAS [L] [W], elle-même créée antérieurement, le 17 mars 2011, société d'exploitation ayant pour activité l'achat et la vente de produits légumiers.
Suivant acte sous seing privé en date du 21 septembre 2017 valant cession de contrôle, la société HOLDING [W] a cédé à la société FINANCIERE DE [Localité 9] l'ensemble des actions de la Société [L] [W].
Le prix de 3.700.000 € a été stipulé payable dans les conditions suivantes :
- 3.200.000 € payable comptant
- 500.000 € payable le 1 er octobre 2024.
Postérieurement à la cession, la société [L] [W] a été renommée SAS [W].
Dès début 2018, la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] a entendu remettre en cause la validité de la cession et obtenir restitution du prix.
Elle soutient avoir été victime d'une fraude systémique à la pomme de terre que le cédant aurait commise au préjudice de ses clients durant son activité et qui aurait permis une valorisation artificielle de l'exploitation lors de la cession.
La SARL FINANCIERE DE [Localité 9] a obtenu l'autorisation du
Président du Tribunal de Commerce de BREST de procéder à une saisie conservatoire de créances à l'encontre de la SAS HOLDING [W] entre les mains d'un établissement financier selon ordonnance du 22 octobre 2018, en garantie d'une créance évaluée par le Juge de l'exécution à 1.280.000 €.
En exécution de cette ordonnance, la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] a pratiqué les saisies suivantes :
- En date du 6 novembre 2018 entre les mains de la CRCAM DU FINISTERE à hauteur de 16.601,97 €
- En date du 7 novembre 2018 entre les mains de la SWISSLIFE BANQUE PRIVEE à hauteur de 118,98 €
Autorisée selon ordonnance du Juge de l'exécution près le Tribunal Judiciaire de BREST, du 24 janvier 2019, elle a également procédé le 5 février 2019 à une saisie conservatoire de titres constituant l'actionnariat de la société HOLDING [W] au capital de la société SAS [W] [Localité 10] en garantie de la même créance, mais évaluée cette fois à 3.500.000 €.
Par assignation en date du 5 décembre 2018, la société FINANCIERE DE [Localité 9] a saisi le Tribunal de Commerce de BREST d'une demande visant à obtenir l'annulation pour dol de la cession de parts sociales et restitution du prix par la société HOLDING [W].
La société FINANCIERE DE [Localité 9] a fait l'objet en cours d'instance d'un redressement judiciaire prononcé le 5 novembre 2019, converti en liquidation judiciaire le 1er décembre 2020, la SELARL FIDES ayant été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Parallèlement, la société FINANCIERE DE [Localité 9], par acte du 21 septembre 2020 a assigné devant le juge des référés la société SOBRECOMA, expert-comptable de la société [L] [W], ayant effectué une mission d'accompagnement à la cession, M. [N] [D] commissaire aux comptes de la société [L] [W] et la société COTE PRO COMMERCE, qui avait établi un avis de valeur de la société cédée, afin de demander l'organisation d'une expertise, l'expert ayant pour mission de rechercher dans quelle mesure ces professionnels du chiffre ont exercé correctement leur mission.
Par ordonnance du 10 mars 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Brest a ordonné l'expertise et désigné M. [G].
Par arrêt du 14 mai 2023, la présente Cour a confirmé l'ordonnance du juge des référés ayant déclaré irrecevable la demande d'extension de ladite expertise à la société HOLDING [W].
Par jugement du 18 novembre 2022, le tribunal de commerce de Brest a:
- débouté la SOCIÉTÉ FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES ès-qualités de liquidateur judiciaire de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- dit que Monsieur [X] a, par les décisions prises et la réorganisation de l'entreprise, créé les conditions ayant causé la ruine de l'entreprise,
- fixé la créance de la SOCIÉTÉ HOLDING [W] au passif de la liquidation judiciaire de la SOCIÉTÉ FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES à la somme de 500 000 Euros au titre du solde du prix de cession,
- débouté M. [W] [L] et la société HOLDING [W] de leurs demandes de dommages et intérêts,
- dit que la situation des banques reste inchangée,
- condamné la liquidation judiciaire de la SOCIÉTÉ FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES à verser :
- la somme de 12 000 Euros à la SOCIÉTÉ HOLDING [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la somme de 1000 Euros à la SOCIETE GENERALE et de 1 000 Euros à la BNP au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la liquidation judiciaire de la SOCIÉTÉ FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES à supporter les entiers dépens.
Appelant de ce jugement, Me [R] [Z], pris en sa qualité de liquidateur de la société FINANCIERE DE [Localité 9], par conclusions du 15 avril 2024 et du 15 mai 2024, a demandé à la Cour de:
- RECEVOIR la SELARL FIDES, ès qualité de liquidateur de la société FINANCIERE DE [Localité 9] en ses demandes et après l'avoir déclarée bien fondée,
- JUGER que la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] ont intentionnellement manqué à leurs obligations d'information légales et contractuelles à la date du 21 septembre 2017, en dissimulant au cessionnaire l'existence d'une fraude consistant en une substitution variétale de grande ampleur, en se prévalant d'une certification et d'une labellisation inexistantes, en se prévalant de tests phytosanitaires non réalisés,
- JUGER la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] se sont rendus coupables de man'uvres dolosives ayant vicié le consentement de la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] à la date du 21 septembre 2017,
- REFORMER le jugement du Tribunal de Commerce de Brest en ce qu'il a :
Débouté la Société FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES ès-qualités de liquidateur judiciaire de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
Dit que Monsieur [X] a, par les décisions prises et la réorganisation de l'entreprise créée les conditions ayant causé la ruine de l'entreprise
Fixé la créance de la société HOLDING [W] au passif de la liquidation judiciaire de la société FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES à la somme de 500 000 euros au titre du solde du prix de cession
Débouté Monsieur [W] [L] et la société HOLDING [W] de leurs demandes de dommages et intérêts
Dit que la situation des banques reste inchangée
Condamné la liquidation judiciaire de la société FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES à verser :
- La somme de 12 000 euros à la société HOLDING [W] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- La somme de 1000 euros à la SOCIETE GENERALE et de 1 000 euros à la BNP au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Condamné la liquidation judiciaire de la société FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par la SELARL FIDES à supporter les entiers dépens
- Liquidé, au titre des dépens, les frais de greffe à la somme de 178,82 euros.
ET Y REVENANT,
- PRONONCER l'annulation de la cession de contrôle en date du 21 septembre 2017,
- ORDONNER la remise en état des parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient préalablement à la cession de contrôle,
EN CONSEQUENCE,
- CONDAMNER la société HOLDING [W] au paiement de la somme de 3 200 000 € à titre de restitution du prix versé, avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2017 soit 104 085,92 €, à parfaire à la date de la reddition de la décision à intervenir
- CONDAMNER solidairement Monsieur [L] [W] et la société HOLDING [W] au paiement de la somme de 201.031.95 euros au titre des frais exposés pour la réalisation de l'opération,
- ORDONNER la restitution en valeur des parts sociales de la société HOLDING [W] et le cas échéant désigner tel expert qu'il plaira au Tribunal afin d'en fixer la valeur compte-tenu de la liquidation judiciaire prononcée à la date du 01/12/2020
- DEBOUTER la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions
- DECLARER la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] irrecevables en leur appel incident
EN CONSEQUENCE,
- LES DEBOUTER de leurs demandes tendant à réformer le jugement en ce qu'il a :
DEBOUTE Monsieur [W] [L] et la société HOLDING [W] de leurs demandes de dommages et intérêts
DEBOUTE Monsieur [L] [W] de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile
DEBOUTE la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] de leur demande de sursis à statuer
- JUGER que l'impossibilité de restitution en valeur n'est pas due à la faute de la société FINANCIERE DE [Localité 9] laquelle est de bonne foi
EN CONSEQUENCE,
- DEBOUTER la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] de leur demande tendant à voir fixer la créance indemnitaire de la société HOLDING [W] pour dépréciation de la chose à restituer à hauteur de 3.700.000 euros, outre les intérêts au taux légal courant sur la somme de 3.200.000 euros à compter du 21 septembre 2017 soit la somme de 151.594,08 euros
- JUGER que la dépréciation de la valeur des parts de la SAS [L] [W] résulte de la faute de la société HOLDING [W]
EN CONSEQUENCE,
- DIRE n'y avoir lieu à compensation à défaut de de créances réciproques
EN CONSEQUENCE,
- DEBOUTER la société HOLDIG [W] et Monsieur [L] [W] de leur demande de compensation entre créances réciproques
- DEBOUTER la société HOLDIG [W] et Monsieur [L] [W] de leur demande tendant à voir prononcer l'extinction des créances par compensation s'agissant de dettes connexes à concurrence de 3.200.000 euros outre les intérêts au taux légal courant sur la somme de 3.200.000 euros à compter du 21 septembre 2017 soit la somme de 151.594,08 euros à parfaire à la date de la reddition de la décision à intervenir
- JUGER que la société FINANCIERE DE [Localité 9] n'a commis aucune faute susceptible de justifier sa condamnation au paiement de dommages et intérêts au profit de Monsieur [L] [W]
EN CONSEQUENCE,
- DEBOUTER la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] de sa demande tendant à voir fixer une créance de dommages et intérêts à hauteur de 30.000 euros
- DEBOUTER la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions
- CONDAMNER la société HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] au paiement de la somme de 25 000 € sur fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance et 25 000 € sur fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Par conclusions du 03 mai 2024, la société HOLDING [W] et M. [L] [W] ont demandé à la Cour de:
- CONFIRMER LE JUGEMENT QUERELLE EN CE QU'IL A :
- débouté LA SARL FINANCIERE DE [Localité 9] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- fixé la créance de la société HOLDING [W] au titre du solde du prix de cession à hauteur de 500.000 € au passif de la société FINANCIERE DE [Localité 9],
- dit que la situation des banques reste inchangée,
- condamné LA SARL FINANCIERE DE [Localité 9] à la somme de 12.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société HOLDING [W].
- REFORMER LE JUGEMENT EN CE QU'IL A :
- débouté la SOCIETE HOLDING [W] et Monsieur [L] [W] de leurs demandes de dommages et intérêts,
- débouté Monsieur [L] [W] de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
STATUANT A NOUVEAU :
- CONDAMNER la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] au paiement de 30.000 € de dommages et intérêts au profit de la société HOLDING [W],
- CONDAMNER la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] au paiement de 30.000 € de dommages et intérêts au profit de Monsieur [L] [W],
- CONDAMNER la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] au paiement de 12.000 € au profit de Monsieur [L] [W] de frais irrépétibles de première instance, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Subsidiairement,
SURSEOIR A STATUER dans l'attente de l'issue de la procédure pénale suite au procès-verbal de la DGCCRF du 8 juin 2021.
A titre infiniment subsidiairement, en cas d'annulation de la cession,
- FIXER la créance indemnitaire de la société HOLDING [W] pour dépréciation de la chose à restituer à hauteur de 3.700.000 € outre les intérêts au taux légal courant sur la somme de 3.200.000 € à compter du 21 septembre 2017 soit la somme de 151.594,08 € à parfaire à la date de la reddition de la décision à intervenir.
- ORDONNER la compensation entre créances réciproques.
- PRONONCER l'extinction des créances par compensation s'agissant de dettes connexes à concurrence de 3.200.000 € outre les intérêts au taux légal courant sur la somme de 3.200.000 € à compter du 21 septembre 2017 soit la somme de 151.594,08 € à parfaire à la date de la reddition de la décision à intervenir.
En conséquence,
- DEBOUTER la SARL FINANCIERE DE [Localité 9], la SOCIETE GENERALE et la BNP PARIBAS de toutes leurs demandes.
En tout état de cause,
- FIXER la créance de dommages et intérêts de Monsieur [W] au passif de la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] à la somme de 30.000 €.
- FIXER la créance de dommages et intérêts de la société HOLDING [W] au passif de la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] à la somme de 30.000 €.
- CONDAMNER la SARL FINANCIERE DE [Localité 9] au paiement de 30.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.
- CONDAMNER la même aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP AVOCATS DU PONANT, représentée par Maître Julie FAGE.
Par conclusions du 06 juin 2023, la SA SOCIETE GENERALE et la SA BNP PARIBAS ont demandé à la Cour de:
PAR CONFIRMATION du jugement attaqué
RECEVOIR la SOCIETE GENERALE et la BNP PARIBAS intimées en leurs interventions et les dire bien fondées,
AU FOND
STATUER CE QUE DE DROIT sur la demande de la FINANCIERE DE [Localité 9] à l'encontre de la SAS HOLDING [W] et de Monsieur [W],
DANS L'HYPOTHESE PAR REFORMATION du jugement attaqué d'une annulation du contrat principal de cession des parts sociales en date du 21 septembre 2017 :
JUGER que cette annulation du contrat principal de cession des parts sociales emporte caducité du contrat de prêts et de la délégation en date du 21 septembre 2017,
ORDONNER la remise des parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient à la date de la cession de contrôle,
ORDONNER la restitution des parts sociales estimées à leur valeur de cession,
JUGER la SOCIETE GENERALE et la BNP PARIBAS créancières de restitution des montants accordés et mobilisés en principal (2 730 000 €) intérêts et frais au titre du concours bancaire régularisé dans le cadre de l'opération d'acquisition annulée, à parfaire à la date de la reddition du jugement à intervenir,
DEBOUTER la SAS HOLDING [W] et Monsieur [W] de leurs moyens de compensation à l'encontre des créanciers de restitution,
CONDAMNER en conséquence la société SAS HOLDING [W] à payer, sur les sommes qui seraient à revenir à la FINANCIERE DE [Localité 9], par préférence et solidairement avec cette dernière, à la SOCIETE GENERALE et la BNP PARIBAS leur créance de restitution, s'élevant, sauf erreur ou omission, en principal à 2.730.000 € outre les intérêts et frais à parfaire au jour du jugement à intervenir,
CONDAMNER la société HOLDING [W] et ou la FINANCIERE DE [Localité 9] à payer à la SOCIETE GENERALE et la BNP PARIBAS la somme de 15.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNER la société HOLDING [W] et ou la FINANCIERE DE [Localité 9] aux entiers dépens.
Par conclusions de procédure du 15 mai 2014, la société HOLDING [W] et M. [L] [W] ont demandé le rejet des écritures et pièces (numéro 63 à 80) notifiées le 15 mai 2024 par Me [Z] ès-qualités.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mai 2024.
Le 30 mai 2024, la société HOLDING [W] et M. [W] ont déposé des conclusions au fond.
Le même jour, ils ont déposé des conclusions de procédure visant au rejet des conclusions au fond du 15 mai de Me [Z] ès-qualités, et à titre subsidiaire, de rabat de l'ordonnance de clôture afin que soient déclarées recevables leurs nouvelles conclusions et pièce signifiées le 30 mai 2024.
Par conclusions de procédure du 03 juin 2024, la société FINANCIERE DE [Localité 9] a conclu au rejet de la demande.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la procédure:
La déclaration d'appel est datée du 18 novembre 2022.
Le 27 février 2024, soit quinze mois plus tard, alors que l'appelant avait déjà conclu deux fois et l'intimé une fois, les parties ont été avisées de ce que la clôture de l'instruction de l'affaire serait prononcée le 16 mai 2024 et de ce que l'affaire serait plaidée à l'audience du 04 juin 2024.
La société FINANCIERE DE [Localité 9], appelante, a conclu le 15 avril 2024 et communiqué à cette date deux nouvelles pièces (numéro 61 et 62) , dont un pré-rapport d'expertise, rendu dans une instance à laquelle les intimés ne sont pas parties, daté de novembre 2023 et contenant plusieurs dizaines de pages.
Les intimés ont répondu le 03 mai 2024 à ces conclusions. Les ajouts de leurs conclusions du 03 mai (pages 63 à 69) contiennent principalement une critique de la pièce numéro 62 (le pré-rapport) communiquée le 15 avril précédent, outre une demi page répondant au VIII des conclusions de l'appelante.
Ces conclusions n'appelaient pas de réponse.
Le 15 mai 2024, soit la veille de l'ordonnance de clôture, la société FINANCIERE DE [Localité 9] représentée par son liquidateur judiciaire a déposé des conclusions contenant plus d'une vingtaine de pages d'argumentation supplémentaire (55 pages contre 34 pour les précédentes) et notifié 17 nouvelles pièces.
Aucun motif grave ne justifie que l'ordonnance de clôture soit rabattue.
Les argumentations nouvellement développées par Me [Z] ès-qualités dans ses conclusions du 15 mai ne sont justifiées par aucun fait nouveau, s'agissant de répondre point par point, en les appuyant sur des pièces versées aux débats le même jour, à des argumentations factuelles déjà développées par la société HOLDING [W] et M. [W] devant le premier juge et dans leurs premières conclusions d'appelant.
Le juge doit, en vertu des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, faire respecter le principe du contradictoire.
Les conclusions au fond du 15 mai 2024 ainsi que les pièces numéro 63 à 80 de Me [Z] ès-qualités n'ont pas été notifiées dans un délai permettant aux conseils des intimés d'en prendre connaissance dans un délai utile.
Elles sont déclarées irrecevables et la Cour statuera au visa:
- des conclusions du 03 mai 2024 de la société HOLDING [W] et de M. [W],
- des conclusions du 15 avril 2024 de Me [Z] représentant la société FINANCIERE DE [Localité 9].
Sur le dol:
La société FINANCIERE DE [Localité 9] soutient avoir été victime d'un dol lors de la cession des parts sociales de la société [L] [W], devenue ensuite société [W].
La société [L] [W] avait pour activité le commerce en gros de légumes, majoritairement des pommes de terre.
Le dol résulterait de la fausse croyance entretenue par le cédant dans l'existence d'une entreprise commerciale à la rentabilité élevée, alors que cette rentabilité aurait eu pour origine une tromperie massive de la société sur les catégories de pommes de terre qu'elle mettait en vente.
Les acquéreurs soutiennent en effet que la société [W], durant des années et jusqu'à la cession, a vendu sous la dénomination 'Charlotte' des pommes de terre d'autres variétés, afin de satisfaire des clients qui exigeaient de la variété Charlotte.
Au surplus, elle se serait prévalue, envers les acheteurs de ses pommes de terre, de certifications qu'elle ne possédait pas.
La société FINANCIERE DE [Localité 9], après s'être aperçue de la tromperie, aurait été contrainte d'y mettre fin et de ce fait, aurait perdu tous ses clients, ceux-ci n'acceptant pas d'être livrés d'une autre variété de pommes de terre que de la Charlotte.
Cette fraude alléguée est contestée par les intimés.
La société FINANCIERE DE [Localité 9] en veut pour preuve:
- les procédures de contrôle opérées par la DGCCRF avant la cession, qui auraient abouti à des condamnations de M. [L] [W] pour tromperie,
- le témoignage de l'un de ses salariés, déjà employé avant la cession au sein de la société [L] [W]
- le procès-verbal établi postérieurement à la cession par la DGCCRF, après que la société FINANCIERE DE [Localité 9] lui ait dénoncé les faits et communiqué les documents permettant d'établir les faits,
- un pré-rapport d'expertise judiciaire établi dans une procédure parallèle.
La tromperie sur la qualité des pommes de terre:
La Cour constate à titre liminaire que n'est pas évoqué dans les conclusions du 15 avril 2024 le rapport rédigé par M. [E], expert comptable de la société FINANCIERE DE [Localité 9], qui l'avait été devant le premier juge.
Ce rapport a toutefois été versé aux débats.
M. [E] n'est pas expert judiciaire et a travaillé avec les documents lui ayant été remis par la société FINANCIERE DE [Localité 9], dont la Cour n'a pas connaissance, non plus que les intimés et dont rien ne certifie qu'ils représentent de façon exhaustive les ventes et achats de pommes de terre de la société [L] [W] sur l'exercice 2016-2017, sur lequel M. [E] a réalisé son étude.
Il ne peut de ce fait être considéré comme probant.
Les procédures de contrôle établies par la DGCCRF avant la cession:
Sont justifiées les procédures suivantes:
- une procédure de 2007, relative à un contrôle sur 15 sacs de 25 kgs de pommes de terre sur lesquels après prélèvement est apparu un traitement anti-germinatif, non mentionné sur les étiquettes; auditionné, M. [W] a indiqué que les pommes de terre étaient acquises directement auprès des producteurs, à qui étaient fournis par la société les sacs et les étiquettes; il a imputé le défaut d'étiquetage à un oubli du producteur; la suite donnée à ce contrôle n'a pas été précisée; au demeurant, ce contrôle est étranger au litige, qui porte sur la substitution d'une variété à une autre et non sur les traitements phytosanitaires;
- le contrôle du 12 juin 2013: ce contrôle a conduit le Ministère Public à engager des poursuites pour pratique commerciale trompeuse soit la commercialisation d'un lot d'environ 240 kgs de pommes de terre de la variété Gourmandine sous l'appelation Charlotte; par jugement définitif du 12 mars 2015, le Tribunal correctionnel de Brest a prononcé la relaxe de M. [L] [W], et dès lors, en aucun cas ce contrôle ne peut être considéré comme justifiant de la moindre tromperie;
- aucun contrôle de 2014 n'est justifié dans les pièces, contrairement à ce qui est indiqué dans les conclusions: la pièce numéro 15 est une autorisation donnée par la DGCCRF à la société [L] [W], à sa demande, d'écouler 30.000 cartons d'emballage ne comportant pas l'ensemble des mentions obligatoires, qu'elle détenait dans son stock; cette pièce démontre dès lors que cette administration, qui a donc donné l'autorisation sollicitée, ne considérait pas la société comme un fraudeur en puissance.
Enfin, Mme [B], ancienne salariée de la société [L] [W] a attesté que la DGCRRF venait deux à trois fois par an dans l'entreprise effectuer des contrôles de variété.
Le nombre de situations problématiques a donc été faible au regard du nombre de contrôles.
Le chiffre d'affaire de la société [L] [W], durant les quatre années précédant la cession, dépassait les quatre millions d'euros, relatifs à des milliers de tonnes de pommes de terre.
Deux contrôles problématiques pour 350 kgs et 250 kgs de pommes de terre sont très insuffisants à démontrer l'existence d'une fraude à grande échelle, pouvant tout aussi bien être imputés à des négligences très ponctuelles.
Le témoignage de M. [J]:
M. [U] [J], qui est agent de conditionnement et était présent dans l'entreprise avant la vente, a rédigé un témoignage selon lequel, pour les variétés de vitelotte et de ratte, une étiquette faisant mention d'une certification était apposée sur les colis de pommes de terre, alors que ces dernières avaient plusieurs origines; il a aussi écrit que lorsque la DGCRRF procédait à un contrôle, il avait pour mission d'intervenir pour dissimuler les palettes mal étiquetées.
Ce témoignage ne peut être pris en considération pour deux raisons:
- le témoin fait une référence manifeste aux pièces numéro 33 et 34 de l'appelante qui sont des étiquettes de pommes de terre ratte et vitelote portant un numéro de certificat; or, présentées à l'origine par l'appelante comme ayant été imprimées avant la cession, donc par le cédant, elles s'avèrent l'avoir été après puisqu'elles mentionnent société [W] (nouvelle dénomination postérieure à la cession) et non société [L] [W] (dénomination antérieure à la cession), comme ont pu le démontrer les intimés;
ce témoignage a donc été rédigé uniquement pour donner plus de force probante à des pièces elles-mêmes sujettes à caution;
- les pommes de terre étaient entreposées dans des big bags et sur des palettes et il n'apparait pas vraisemblable que des sacs aient pu être déplacés en urgence lors des contrôles sans que cela ait attiré l'attention du contrôleur.
Le procès-verbal de 2021 de la DGCCRF:
La pièce numéro 24 de la société FINANCIERE DE [Localité 9] démontre que le 27 septembre 2018, M. [X], son président, est venu dénoncer à la DGCCRF des faits de fraude massive commis par le cédant et lui remettre 'l'ensemble des factures achats et reventes de la société [W] de 2006 à 2018", en originaux.
Lors de la remise des documents, M. [X] exposait déjà qu'il allait introduire une procédure contre le cédant puisque la DGCCRF le mentionne et l'assignation en résolution de la vente a été délivrée quelques semaines plus tard.
Le procès-verbal établi le 27 mai 2021 par la DGCCRF suite à l'exploitation des documents remis a été communiqué à la société FINANCIERE DE [Localité 9] sur autorisation du parquet du tribunal judiciaire de de Brest.
Aucune poursuite, à la date à laquelle la cour statue, n'a été initiée.
Ce procès-verbal constitue la pièce numéro 44 de la société financière de [Localité 9]. Les annexes du procès-verbal n'ont pas été versées aux débats.
Le premier juge a mis en exergue de façon pertinente les difficultés que pose l'exploitation de cette pièce dans le cadre du présent litige, à savoir que la DGCCRF a travaillé exclusivement à partir des dénonciations de M. [X], et des pièces que celui-ci lui avait remises, sans se livrer à la moindre investigation complémentaire notamment auprès des clients de l'entreprise, pourtant nommément cités par M. [X] dans son audition du 27 septembre 2018, pour vérifier la réalité des allégations du plaignant.
D'autre part, les documents remis en septembre 2018 ont été restitués par la DGCCRF à la société FINANCIERE DE [Localité 9], interdisant tout contrôle de leur contenu, et notamment toute vérification de leur caractère exhaustif.
De la même façon, la DGCCRF mentionne dans son rapport vingt six contacts et transmissions de documents par M. [X], de septembre 2018 à juin 2021, alors que ce dernier avait engagé une procédure contre la société HOLDING [W] et M. [W] et une seule audition de M. [W], en février 2020 - sans que celui-ci ait eu accès à la documentation remise par M. [X].
A cet égard, la DGCCRF indique page 19 de son rapport que 'pour information, la mise en oeuvre de ces extractions de données a été possible grâce à la coopération de M. [X]'.
Il s'en déduit que M. [X] a pris une part active à l'établissement du rapport alors même qu'il avait un intérêt particulier à orienter les investigations de l'administration.
La DGCCRF a effectué des rapprochements des factures d'achat et de vente de pommes de terre et a conclu:
- que pour l'exercice 2015-2016, au moins 3.618.265 kgs de pommes de terre ont été vendues sous une fausse dénomination de variété, avec un écart de 84% entre la charlotte achetée et la charlotte vendue,
- que pour l'exercice 2016-2017, au moins 3.941.583 kgs de pommes de terre ont été vendues sous une fausse dénomination de variété, avec un écart de 91% entre la quantité de charlotte achetée et de charlotte vendue.
Le premier juge a relevé un certain nombre d'erreurs factuelles dans les calculs de la DGCCRF, qui précise avoir eu des difficultés à réaliser ses travaux en l'absence d'une comptabilité analytique 'matière' dans l'entreprise, cette absence étant 'une entrave forte au contrôle et à la transparence' (page 16 du procès-verbal).
Elle reconnait toutefois dans le procès-verbal que la mise en place d'une telle comptabilité n'est pas obligatoire.
La Cour relève pour sa part que M. [E], expert comptable de la société FINANCIERE DE [Localité 9], a lui-même travaillé sur les achats et ventes de charlotte pour l'exercice 2016- 2017.
Il a enregistré: 231,40 tonnes achetées et 2352 tonnes vendues.
La DGCCRF pour sa part, a enregistré pour cet exercice: 242.32 tonnes achetées et 2.562 tonnes vendues.
L'expert judiciaire M. [G], désigné dans la procédure parallèle opposant la FINANCIERE DE [Localité 9] aux professionnels du chiffre l'ayant accompagné lors de la cession a pour sa part enregistré dans son pré-rapport pour le même exercice : 259.52 tonnes achetées et 2.429 tonnes vendues.
Les différences peuvent paraître minimes mais elles sont néanmoins significatives, et obèrent le caractère probant de la démonstration de la DGCCRF compte tenu de l'impossibilité dans laquelle se sont trouvés les intimés puis la Cour de vérifier le caractère exhaustif et sincère des documents sur lesquels la DGCCRF a effectué son étude.
Le pré-rapport de M. [G]:
M. [G] a été désigné expert judiciaire par ordonnance rendue le 10 mars 2021par le juge des référés, dans une instance engagée par la société FINANCIERE DE [Localité 9] contre la société SOBRECOMA, expert-comptable de la société [L] [W], ayant accompagné la cession, contre M. [N] [D], commissaire au compte de la société [L] [W] et contre la société COTE PRO COMMERCE, qui s'est entremise lors de la cession.
Sa mission est la suivante:
1. Procéder de manière contradictoire à la correcte traduction dans le livre d'achat et le livre de la gestion commerciale des pièces comptables originales et preuves d'achat au titre des exercices comptables 2015 (01/06/2014 au 31/05/2015), 2016 (01/06/2015 au 31/05/2016) et 2017 (01/06/2016 au 31/05/2017) et relever tous les faits pouvant entrainer la mise en cause de la responsabilité de la société SOBRECOMA, du cabinet de commissaire aux comptes [N] [D] et de la société COTE PRO COMMERCE dans l'exécution de leur mission de tenue de comptabilité, d'évaluation de la valeur des parts sociales de la SAS [W] et de commissariat aux comptes.
2. Procéder à une verification des diligences menées dans 1e cadre du controle indiciel du taux de marge commerciale réalisée par la SAS [W] titre des exercices clos le 31/05/2015, 31/05/2016, 31/05/2017 et 1e 31/01/2018.
3. Fournir tous les éléments théoriques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités contractuelles encourues et d'évaluer les prejudices subis en appréciant les conséquences des engagements pris par celle-ci au vu des bilans erronés.
Par arrêt du 14 mai 2024, la présente Cour a confirmé l'ordonnance rendue par le même juge des référés ayant déclaré irrecevable l'extension des opérations d'expertise à la société HOLDING [W].
Dans son arrêt du 14 mars 2024, la Cour rappelait que la société FINANCIERE DE [Localité 9] avait plaidé en 2021 devant le juge des référés que la demande d'expertise, qui ne concernait que les professionnels ayant accompagné la cession, était indépendante de l'instance au fond opposant le cessionnaire aux cédants.
Pour autant, le pré-rapport de l'expert judiciaire est versé aux débats comme venant à l'appui de la démonstration de la tromperie massive réalisée sur les variétés de pommes de terre par la société [L] [W] avant la cession.
Il est exact qu'un rapport d'expertise judiciaire auquel une partie n'a pas participé peut lui être déclaré opposable s'il a été versé aux débats et a pu être discuté par la partie auquel il est opposé.
Toutefois, la pièce dont s'agit n'est pas le rapport définitif de M. [G] mais un document de travail soumis aux observations des parties, qui peut être modifié après réception des dires des parties.
Surtout, ce pré-rapport n'est confirmé par aucune des autres pièces versées aux débats, puisque l'expert judiciaire indique que toutes les factures d'achat et de vente de la société [W] lui ont été remises par Me LE LEON, conseil de la société FINANCIERE DE [Localité 9].
Ainsi, le rapport de M. [E], le procès-verbal de la DGCCRF du 27 mai 2021 et le pré-rapport de M. [G] ne sont pas des documents extérieurs les uns aux autres, qui apporteraient chacun un indice différent venant conforter les autres, et qui permettraient alors à la Cour de disposer d'un faisceau d'indices concordants valant démonstration.
Ils sont en fait trois versions de la thèse soutenue par la société FINANCIERE DE [Localité 9], fondées sur des documents qu'elle a elle-même fournis sans mettre en mesure la société HOLDING [W] et M. [W] d'en vérifier la teneur et l'exhaustivité, et dont seules les conclusions ont été soumises à la discussion des intimés, laquelle discussion n'a pu être que superficielle à défaut d'avoir eu connaissance des pièces sur lesquelles se sont fondées les analyses.
Ce choix procédural, qui porte une atteinte grave aux droits de la société HOLDING [W] et de M. [W], au contradictoire desquels aurait pu être demandée dès 2018 l'organisation d'une expertise judiciaire, ne permet pas à la Cour de retenir ces documents comme probants de la démonstration de la tromperie alléguée.
La tromperie sur les certifications:
M. [X] a fourni divers documents à la DGCCRF dont il résulte que, questionné par certains clients, notamment étrangers, sur ses certifications, la société [L] [W] a répondu posséder différentes certifications, ce qui n'était pas le cas. Elle aurait aussi indiqué réaliser des analyses toxicologiques, ce qui n'était pas le cas non plus.
M. [W] a répondu lors de son audition par les services de l'Etat de façon analogue à ses conclusions devant la Cour, à savoir que les certifications dont s'agit étaient des certifications exclusives aux producteurs et non aux négociants. Lorsqu'il proposait à la vente des pommes de terre ou légumes provenant de producteurs bénéficiant de l'une ou l'autre de ces certifications, il cochait 'oui' sur le questionnaire remis par son client et joignait les certificats desdits producteurs.
Les intimés ont ainsi justifié par des pièces versées aux débats que des fournisseurs importants (avant la cession) de la société [W] bénéficiaient de certifications GLOBAL GAP ou IFS FOOD.
Il n'a pas été démontré que des pommes de terre ou légumes provenant de producteurs non certifiés aient été vendus sous une certification trompeuse.
Il a simplement été démontré que la société [L] [W] remplissait les formulaires par des formules ambigues pouvant laisser croire qu'elle était elle-même détentrice des certifications.
Toutefois, ses clients étaient tous des professionnels de la vente de légumes et savaient donc que les certifications en cause étaient applicables aux seuls producteurs.
D'autre part, les certificats mentionnent le nom de l'entreprise à laquelle la certification est accordée.
La Cour reprend donc à son compte l'analyse pertinente du premier juge selon laquelle les pièces transmises aux clients professionnels de la société [L] [W] ne laissaient aucun doute sur les titulaires des labels et certifications.
S'agissant des analyses toxicologiques, il est incontestable qu'ont été copiés par la DGCCRF deux documents sur lesquels la société [L] [W] indiquait à ses clients procéder à plusieurs analyses toxicologiques par an et ne pas avoir les résultats 's'il n'y avait pas de problème', sans être en mesure de justifier de la moindre facture d'analyse.
Interrogé, M. [W] a repris la même explication, à savoir qu'il reprenait à son compte les analyses toxicologiques effectuées par ses producteurs, analyses toxicologiques dont le premier juge a relevé qu'elles étaient indispensables à l'obtention du label GLOBAL GAC détenu par certains fournisseurs.
Au demeurant, si même la société [L] [W] indiquait faussement avant la cession à certains clients réaliser des analyses toxicologiques, cette attitude n'engageait pas le cessionnaire, qui était parfaitement libre de mettre en place ces analyses si certains clients le lui demandaient.
A cet égard, aucun des documents versés aux débats, qui sont donc des questionnaires adressés par des clients étrangers à la société [L] [W], ne fait état du caractère obligatoire des certifications ou des analyses toxicologiques, plutôt que d'un simple recueil d'information par le client, afin de respecter ses propres obligations envers ses propres clients.
De manière plus générale, la Cour relève que la société FINANCIERE DE [Localité 9] n'a pas versé aux débats le moindre document relatif à ses rapports avec ses clients.
Elle soutient en effet avoir vu ses marchés se fermer car elle ne pouvait fournir ses clients en pommes de terre Charlotte et ne détenait pas les certifications exigées.
Pour autant, aucun échange avec un quelconque client ne justifie de ces allégations.
En d'autres termes, le lien entre les accusations portées contre le vendeur et le préjudice allégué, soit l'impossibilité de continuer sans frauder l'activité de vente de pommes de terre et de légumes, n'est pas établi.
Pour leur part, les intimés démontrent que le commerce de pommes de terre est un commerce soumis à des contraintes importantes en raison des spécificités de conservation de la pomme de terre, nécessitant des précautions de stockage et de refroidissement pour que la marchandise ne se dégrade pas.
Plusieurs attestations font état de la méconnaissance par M. [X] de ces contraintes et des préjudices ayant pu en résulter.
D'autres attestations font état de la volonté de M. [X] de remplacer des fournisseurs importants, pourtant certifiés, et des conséquences préjudiciables en étant découlées.
Le premier juge a relevé avec pertinence que dans son analyse de la valeur de la société [L] [W], la société SOBERCOMA avait noté comme fragilité l'importance du savoir-faire du dirigeant et des principaux salariés de l'entreprise, et qu'il est acquis aux débats que le nouveau dirigeant a entendu mettre en place de nouvelles chaines d'approvisionnement tandis que plusieurs salariés qualifiés ont rapidement quitté la société.
Des facteurs inhérents à la nouvelle direction peuvent donc avoir expliqué la déconfiture de la société [W].
Sur ce point, les chiffres fournis par la société FINANCIERE DE [Localité 9] à la DGCCRF font état:
- sur l'exercice 2016 -2017 (avant cession), d'un CA total de 5.318.011 euros composé à hauteur de 925.082 euros de légumes divers hors pommes de terre,
- sur l'exercice 2017-2018 (post-cession), d'un CA total de 2.524.679 euros composé à hauteur de 364.355 euros de légumes divers hors pommes de terre.
Les légumes ne sont pas concernés par les allégations de fraude soutenues par la société FINANCIERE DE [Localité 9].
Pourtant, le chiffre d'affaire les concernant a diminué des deux tiers dans l'année ayant suivi la cession, confirmant l'absence de lien de causalité démontré entre la déconfiture de la société [W] et les allégations de fraude du cessionnaire.
Il résulte de ce qui précède que la société FINANCIERE de [Localité 9] échoue à démontrer que préalablement à la cession, la société HOLDING [W] et M. [L] [W] lui ont intentionnellement dissimulé une information dont ils savaient le caractère déterminant, soit la tromperie massive dont ils se rendaient coupables en remplaçant une variété de pommes de terre par une autre ainsi que l'usage de fausses certifications, laquelle permettait d'afficher une rentabilité très supérieures à celle qui aurait résulté de pratiques commerciales loyales.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société FINANCIERE DE [Localité 9] de ses prétentions.
Sur les demandes indemnitaires de la société HOLDING [W] et de M. [L] [W]:
Sur le solde du prix de cession:
L'acte de cession prévoyait que le prix serait payé pour partie à terme, à hauteur de 500.000 euros, le 1er octobre 2024, la somme devenant 'immédiatement exigible en cas de faillite, redressement, liquidation judiciaire, cessation de paiements ou procédure similaires concernant le cessionnaire'.
La société FINANCIERE DE [Localité 9] faisant l'objet d'une procédure collective depuis le 05 novembre 2019, le solde du prix est devenu exigible.
La société HOLDING [W] a procédé à une déclaration de créances à hauteur notamment de ce solde, le 16 décembre 2019.
Sa créance est fixée au passif de la procédure collective à hauteur de 500.000 euros.
Sur les dommages et intérêts:
M. [L] [W] demande l'attribution d'une somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu des accusations de fraude le concernant qui auraient été largement diffusées et du préjudice résultant de la saisie conservatoire injustifiée des parts sociales détenues par la société HOLDING [W].
Il n'est pas démontré toutefois que la société FINANCIERE DE [Localité 9] ait introduit son action en justice avec un objectif autre que la simple préservation de ses droits.
La demande est rejetée.
Sur les demandes des établissements bancaires:
Les prétentions des établissements bancaires étant formulées dans la seule hypothèse où il aurait été fait droit aux prétentions de la société FINANCIERE DE [Localité 9], leurs demandes sont sans objet et le jugement est confirmé en ce qu'il a dit que leur situation restait inchangée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
La société FINANCIERE DE [Localité 9], représentée par son liquidateur judiciaire, qui succombe dans son recours, est condamnée aux dépens.
Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Statuant au visa des conclusions du 15 avril 2024 de la société FINANCIERE DE [Localité 9] et des conclusions du 03 mai 2024 de la société HOLDING [W] et de M. [L] [W],
Confirme le jugement déféré.
Condamne la société FINANCIERE DE [Localité 9] aux dépens d'appel.
Rejette les demandes de frais irrépétibles.