Livv
Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 16 septembre 2024, n° 23/00148

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Caisse de Crédit Mutuel de la Barrière de (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me Leroy-Maubaret, Me Maubaret, Me Dufranc

TJ Bordeaux, du 14 déc. 2022, n° 22/0609…

14 décembre 2022

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Par acte du 1er juillet 1988, Madame [E] [C] épouse [V], aux droits de laquelle viennent Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V], a donné à bail à la société Caisse de Crédit Mutuel Barrière de [Localité 4] pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 1988 un local commercial situé [Adresse 1] à [Localité 5].

Par suite d'un congé avec offre de renouvellement signifié par le bailleur, ce bail a été renouvelé pour une durée de douze années à compter du 1er avril 1997. Il a de nouveau été renouvelé à compter du 1er avril 2009 pour une nouvelle durée de douze années.

Par acte du 8 septembre 2021, Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V] ont notifié au preneur un congé avec offre de renouvellement du bail commercial pour une durée de douze années à effet au 1er avril 2022, au prix annuel de 52.000 euros hors taxes et hors charges ; ils ont ensuite, par acte du 12 août 2022, assigné la Caisse de Crédit Mutuel Barrière de Pessac devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé.

Par jugement prononcé le 14 décembre 2022 et rectifié le 11 janvier 2023, le juge des loyers commerciaux a statué ainsi qu'il suit :

- constate que le bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2022 et que le montant du prix du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative ;

- dit que le preneur est en droit de bénéficier des dispositions du dernier alinéa de l'article L145-34, connu sous le principe du 'plafonnement du déplafonnement' ou 'lissage du loyer' ;

- avant dire droit, sur la fixation du prix du bail renouvelé, ordonnons une mesure d'expertise confiée à [P] [H], demeurant [Adresse 2], pour y procéder, avec mission de :

1 - se rendre sur les lieux et les décrire, entendre toutes parties et sachant dont la technicité s'avérerait utile à la solution du litige, se faire remettre tous documents nécessaires,

2 - donner tous éléments de nature à évaluer la valeur locative des locaux à la date du renouvellement en conformité avec les dispositions de l'article L145-33 du code de commerce, et évaluer ladite valeur,

3 - de manière générale, donner tout avis utile à la solution du litige ;

- dit que l'expert devra établir un pré-rapport en communiquant ses premières conclusions écrites aux parties, en les invitant à présenter leurs observations, dans le délai de deux mois ;

- dit que l'expert devra déposer son rapport définitif en double exemplaire dans le délai de quatre mois à compter de l'avis de consignation ;

- dit que Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V] devront consigner au greffe de ce tribunal la somme de 1.500 euros dans le délai de deux mois à compter de la présente décision, à défaut de quoi la décision ordonnant l'expertise deviendra caduque ;

- dit que le juge des loyers commerciaux suivra les opérations d'expertise et statuera sur les incidents procédant, le cas échéant, sur simple requête, au remplacement de l'expert empêché ;

- dit que le preneur sera tenu au paiement d'un loyer annuel provisionnel de 42.000 euros durant l'instance et jusqu'à la fixation du loyer renouvelé ;

- rappelle, en application du troisième alinéa de l'article R145-31 du code de commerce, qu'en cas de conciliation intervenue au cours d'une mesure d'instruction, l'expert commis constate que sa mission est devenue sans objet et en fait rapport au juge, mention en étant faite au dossier de l'affaire et celle-ci étant retirée du rôle, les parties pouvant demander au juge de donner force exécutoire à l'acte exprimant leur accord ;

- ordonne le sursis à statuer sur le surplus des chefs de demande jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ;

- dit que dès le dépôt du rapport définitif, le greffe avisera les parties ou les avocats si elles sont représentées, de la date à laquelle l'affaire sera reprise et de celle à laquelle les mémoires faits après l'exécution de la mesure d'instruction devront être échangés, en application de l'article R 145-31 du

code de commerce ;

- rappelle que l'exécution provisoire est de droit ;

- réserve les dépens.

Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V] ont relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 10 janvier 2023.

Les appelants ont limité leur recours au chef de dispositif suivant :

« Dit que le preneur est en droit de bénéficier des dispositions du dernier alinéa de l'article L 145-34, connu sous le principe du "plafonnement du déplafonnement" ou lissage du loyer »

***

Par dernières conclusions notifiées le 6 mai 2024, Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V] demandent à la cour de :

Vu notamment l'article L145-34 du code de commerce,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que le preneur était en droit de bénéficier des dispositions du dernier alinéa de l'article L145-34 du code de commerce connu sous le principe 'du plafonnement du déplafonnement ou lissage du loyer' ;

- dire, juger et ordonner que le preneur ne bénéficie pas des dispositions du dernier alinéa de l'article L145-34 du code de commerce ;

- constater que le prix du bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2022 et que le montant du prix du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative sur le fondement de l'avant dernier alinéa dudit article et ainsi sur une tacite prolongation supérieure à douze ans ;

- condamner la société Crédit Mutuel de la Barrière de [Localité 4] au montant d'une indemnité de 4.000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens.

***

Par dernières écritures notifiées le 1er août 2023, la société Caisse Locale de Crédit Mutuel Barrière de [Localité 4] demande à la cour de :

Vu l'article L. 145-34 du code de commerce,

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 14 décembre 2022 en ce qu'il a dit que le preneur était en droit de bénéficier des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 145-34, connu sous le principe du 'plafonnement du déplafonnement' ou 'lissage du loyer' ;

En conséquence,

- débouter les consorts [V] de l'ensemble de leurs demandes ;

- les condamner à verser à la Caisse de Crédit Mutuel de la Barrière de [Localité 4] la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

***

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mai 2024.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'article L.145-34 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 18 juin 2014, dispose :

« A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.

Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.

En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.»

Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V] (ci-après consorts [V]) font grief au jugement déféré d'avoir retenu, pour la fixation du loyer du bail renouvelé, l'application du dernier alinéa de ce texte dans le cadre du congé avec offre de renouvellement qu'ils ont fait délivrer par acte extra-judiciaire du 8 septembre 2021.

Les appelants font valoir que, au terme de la dernière période de douze années résultant du congé avec offre de renouvellement, le bail s'est poursuivi par tacite prolongation postérieurement à son expiration contractuelle intervenue le 31 mars 2021 ; que l'action concerne donc un bail qui s'est poursuivi par tacite prolongation supérieure à douze ans, dont le loyer échappe en conséquence au lissage prévu par le dernier alinéa de l'article L.145-34 du code de commerce et doit être fixé à la valeur locative.

Les consorts [V] relèvent que c'est l'inaction du preneur qui a permis la constitution de ce motif de déplafonnement, faute pour celui-ci d'avoir sollicité le renouvellement de son bail pour sa date d'expiration contractuelle au lieu de le laisser se poursuivre par tacite prolongation au-delà de douze années.

La société Caisse Locale de Crédit Mutuel Barrière de [Localité 4] répond que le bail litigieux a été conclu pour une durée de douze ans ; qu'il n'entre donc pas dans le champ d'application du premier alinéa de l'article L.145-34 du code de commerce et n'est dès lors pas soumis aux règles de plafonnement ; que, en conséquence, la règle du lissage prévue au quatrième alinéa du même article est applicable, étant donné que l'on se trouve en présence d'un contrat qui fait échec au plafonnement par le fait d'une clause relative à la durée du bail.

L'intimée ajoute qu'il est donc indifférent que le contrat ait fait l'objet d'une tacite prolongation puisqu'il n'entre pas dans le champ d'application du troisième alinéa de l'article L.145-34 du code de commerce ; que la circonstance qu'elle n'ait pas demandé le renouvellement du bail pour le terme du contrat est sans incidence puisque le déplafonnement du loyer aurait été de droit de la même manière.

Sur ce,

Il est constant en droit que l'article L. 145-34 du code de commerce instaure un plafonnement pour le bail à renouveler si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans. Par conséquent, il suffit que la durée contractuellement prévue excède neuf années pour que le déplafonnement soit automatique.

Un bail à renouveler dont la durée est de douze années échappe donc au principe du plafonnement et bénéficie de l'application de l'alinéa 4 de l'article L. 145-34 du code de commerce puisqu'il est alors fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, au sens de cet alinéa.

Par ailleurs, le troisième alinéa de cet article L. 145-34 ne concerne que les baux dont la durée effective est douze années écoulées par tacite prolongation à compter du début d'un contrat de neuf ans d'origine, ce par renvoi aux alinéa précédents de l'article L. 145-34 du code de commerce.

Le moyen soutenu à ce titre par les appelants est donc inopérant puisque le bail à renouveler objet du litige a été d'emblée fixé par les partie à une durée de douze ans.

Dès lors, c'est par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le premier juge a retenu que la société Caisse Locale de Crédit Mutuel Barrière de [Localité 4] était en droit de bénéficier du principe énoncé au dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce.

La cour confirmera donc, dans la limite de sa saisine, le jugement déféré.

Partie tenue aux dépens d'appel, les consorts [V] doivent être condamnés à payer à l'intimée la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement prononcé le 14 décembre 2022 et rectifié le 11 janvier 2023 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux.

Y ajoutant,

Condamne Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V] à payer in solidum à la société Caisse Locale de Crédit Mutuel Barrière de [Localité 4] la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l'article700 du code de procédure civile.

Condamne Madame [G] [V] et Monsieur [W] [V] à payer in solidum les dépens de l'appel

.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.