CA Douai, 2e ch. sect. 2, 12 septembre 2024, n° 24/00603
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Student Croute (SASU)
Défendeur :
Époux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbot
Conseillers :
Mme Cordier, Mme Soreau
Avocats :
Me Vermersch, Me Hareng
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé prenant effet au 1er octobre 2021, M. et Mme [C] ont consenti à la société Au class'croute, société en cours de formation, représentée par son futur gérant, un bail commercial portant sur un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5].
Le bail a été conclu pour une durée de 9 années entières et consécutives, moyennant un loyer annuel de 6 120 euros, payable par termes mensuels d'avance de 510 euros chacun, outre une provision sur charges d'un montant annuel de 1 140 euros, soit la somme mensuelle pour charges de 95 euros.
La société constituée a été nommée en définitive la société Student croute.
Le 28 septembre 2023, Mme et M. [C] ont fait délivrer à cette société un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Ce commandement étant resté sans effet, le 8 décembre 2023, les bailleurs ont assigné le preneur en vue d'obtenir le constat de l'acquisition de la clause résolutoire, outre sa condamnation à titre provisionnel aux loyers et charges impayés ainsi que son expulsion.
Par ordonnance du 24 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Béthune a notamment :
- constaté la résiliation du bail liant les parties à la date du 29 octobre 2023 ;
- condamné la société Student croute à restituer les lieux, objet du bail, dans le mois de la signification de la décision sous peine, passé ce délai, d'expulsion ;
- condamné cette même société à payer à M. et Mme [C], à titre provisionnel, la somme de 2.056,45 euros au titre des loyers et provisions pour charges impayés et arrêtés à la date du 28 octobre 2023 inclus, outre une indemnité d'occupation égale au montant du dernier loyer et de la provision pour charges à compter du 29 octobre 2023 et jusqu'à libération effective des lieux ;
- condamné la société Student croute aux dépens de l'instance ;
- condamné la même à payer à M. et Mme [C] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Cette ordonnance a été signifiée le 31 janvier 2024.
Par déclaration du 9 février 2024, la société Student croute a relevé appel de la décision.
Le 15 mars 2024, la société Student croute a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire, la SELARL [J] [D] ayant été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
La SELARL [J] [D] est intervenue volontairement en cause d'appel.
PRETENTIONS
Par conclusions signifiées le 7 mai 2024, la SELARL [J] [D], en qualité de mandataire judiciaire de la société Student croute, et cette dernière société, demandent à la cour de :
- recevoir la société [J] [D] en son intervention volontaire ;
- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- dire n'y avoir lieu à référé ;
- débouter M. et Mme [C] de l'intégralité de leurs demandes ;
- condamner M. et Mme [C] aux dépens de première instance et d'appel.
Le mandataire judiciaire et le preneur exposent que :
- l'action introduite par le bailleur, avant la mise en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement ;
- la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par le débiteur contre une ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, ne peut fixer la créance de la société bailleresse sans violer les dispositions des articles L.622-21 et 622-22 du code de commerce.
Par conclusions signifiées le 7 mai 2024, Mme et M. [C] demandent à la cour, au visa de l'article L. 622-22 du code de commerce, de :
- fixer leur créance au passif de la société Student croute à la somme de 3 618,63 euros ;
- débouter la société Student croute et la SELARL [J] [D] et associés de leurs demandes ;
- les condamner aux dépens.
Ils indiquent n'avoir contrevenu à aucune des règles de la procédure collective et avoir conscience des effets du redressement sur le bail, ne sollicitant plus que l'acquisition de la clause résolutoire soit constatée, quand bien même cette dernière est acquise.
Du fait de l'intervention du mandataire, ils estiment que la cour peut fixer les créances.
Les époux précisent avoir déclaré leur créance le 26 mars 2024 et détaillent les sommes dues.
MOTIVATION
Il convient de prendre acte de l'intervention de la SELARL [J] [D], ès qualités.
Les articles L. 622-21 et 622-22 du code de commerce sont applicables en matière de redressement judiciaire, par renvoi de l'article L. 631-14 de ce code.
Aux termes du premier de ces textes, le jugement d'ouverture :
- interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant (1°) à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'agent ; (2°) à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ;
- arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture ;
- par voie de conséquence, entraîne l'interruption des délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits.
Et, selon l'article L. 622-22 susvisé, sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 625-25 dûment appelé, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Il en résulte que :
- l'instance en cours, interrompue jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à sa déclaration de créance, est celle qui tend à obtenir de la juridiction saisie du principal une décision définitive sur l'existence et le montant de cette créance ; tel n'est pas le cas de l'instance en référé qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle ;
- l'action introduite par le bailleur avant la mise en redressement judiciaire du preneur en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail pour défaut de paiement des loyers ou charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement.
En l'espèce, par jugement du 15 mars 2024, la société Student croute a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire, la SELARL [J] [D] ayant été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Selon une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation et en vertu des articles L. 641-3, L. 622-21- I, L. 622-14 et L. 145-45 du code de commerce, l'ouverture du redressement judiciaire a eu pour effet d'anéantir la procédure de résiliation mise en 'uvre par le bailleur, dès lors que la décision querellée n'était pas définitive au jour du prononcé du redressement judiciaire (par exemple Com., 2 octobre 2012, pourvoi n° 11-21.529).
L'instance en référé n'est pas une instance en cours et, en application de l'article L. 622-21 précité, ne saurait être poursuivie, que ce soit pour obtenir le constat de l'acquisition de la clause résolutoire ou la fixation d'une créance provisionnelle au titre des loyers et charges restant dus.
Il sera en outre observé que, contrairement à ce que soutiennent les bailleurs, d'une part, la résiliation du bail n'est en l'espèce nullement acquise à la suite du commandement délivré faute d'avoir été constatée antérieurement au jugement d'ouverture, d'autre part, la résiliation du bail litigieux ne peut désormais intervenir que dans les conditions prévues aux articles L. 622-14 du code de commerce.
Compte tenu des règles ci-dessus rappelées, les bailleurs ne peuvent pas plus solliciter la fixation de leur créance de loyers, née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, par la cour, statuant sur appel d'une ordonnance de référé. Ils doivent être renvoyés à suivre la procédure de vérification des créances devant le juge-commissaire.
En conséquence, compte tenu de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Student croute le 15 mars 2024, il y a lieu de réformer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et de déclarer irrecevable la demande en fixation des bailleurs, étant observé que ce n'est que par une simple impropriété de langage qu'est demandé par les appelants un rejet de la créance.
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, M. et Mme [C] succombant en leurs prétentions, il convient de les condamner aux dépens.
Compte tenu des circonstances et de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de condamner quiconque à une indemnité procédurale. Les demandes respectives des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sont donc rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DONNE acte à la SELARL [J] [D] & associés, en qualité de mandataire judiciaire de la société Student Croute de son intervention volontaire ;
INFIRME l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Béthune en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DECLARE irrecevables les demandes de M. et Mme [C] ;
LES CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel ;
REJETTE les demandes de chacune des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.