CA Bordeaux, 4e ch. com., 17 septembre 2024, n° 24/00854
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Le Dauphin (SCI)
Défendeur :
Hôtel des 4 Sœurs (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocats :
Me Trassard, Me Racinais, Me Leroy-Maubaret
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 22 juin 2001, la SCI le Dauphin a donné en location à la SARL H3F, aux droits de laquelle vient la SAS Hôtel des 4 soeurs, un ensemble immobilier destiné à l'activité d'hôtellerie situé [Adresse 2] à [Localité 5], et ceci pour une durée de 9 ans à compter du 1er juin 2001, soit jusqu'au 31 mai 2010.
Le bail a été renouvelé pour une durée de 9 années à compter du 1er juillet 2010 jusqu'au 30 juin 2019.
Depuis l'arrivée du terme, le bail s'est poursuivi par tacite prolongation.
Par acte d'huissier du 15 février 2022, la SAS Hôtel des 4 Soeurs a mis fin à la tacite prolongation en sollicitant le renouvellement du bail dans les mêmes conditions, pour une durée de 9 années à compter du 1er avril 2022.
Par acte d'huissier du 30 mars 2022, la SCI Le daupin a refusé le renouvellement en offrant le paiement de l'indemnité d'éviction.
Par acte du 3 août 2023, la SAS Hôtel des 4 Soeurs a fait délivrer une assignation en référé à la SCI le Dauphin, pour voir désigner un expert chargé d'évaluer l'indemnité d'éviction.
Par ordonnance de référé du 22 janvier 2024, la première vice-présidente du tribunal judiciaire de Bordeaux a statué comme suit :
Vu l'article 145 du code de procédure civile ;
- ordonne une expertise et commet pour y procéder Mme [Y] [K] épouse [O].
- dit que l'expert répondra à la mission suivante :
1°) se transporter sur les lieux [Adresse 2] à [Localité 5] en présence des parties et de leurs conseils, ou après les avoir dûment convoqués ; décrire les lieux et donner tous éléments utiles quant à leur situation, et quant à l'environnement urbain dans lequel ils se situent ;
2°) fournir tous éléments utiles pour apprécier la valeur marchande du fonds de commerce, en fonction des usages de la profession et en fonction des caractéristiques propres, résultant du niveau de concurrence dans le secteur considéré, des commodités ou des inconvénients en terme de transport, d'accès, de circulation ou de stationnement ;
3°) inviter les parties à chiffrer les frais de déménagement et formuler toute appréciation utile pour en déterminer le prix ; chiffrer les droits de mutation à payer pour l'accès à un local similaire dans la même zone géographique et préciser la disponibilité ou la rareté de locaux similaires, ainsi que l'incidence sur le temps de réinstallation que le transfert dans un autre lieu est susceptible d'avoir sur l'exploitation du fonds ;
4°) fournir tout élément, notamment par rapport à la valeur locative habituellement pratiquée dans le voisinage pour des locaux de mêmes caractéristiques et destination, permettant de chiffrer l'indemnité d'occupation à la date du 1er avril 2022 ;
5°) établir une note de synthèse qui sera communiquée aux parties ; leur impartir un délai pour présenter leurs dires et observations et répondre aux dires et observations qui auraient été formulés dans le délai ;
- dit que si les parties se concilient, l'expert constatera que sa mission est devenue sans objet et en fera rapport au juge ;
- désigne le juge du tribunal chargé du contrôle des expertises pour suivre la mesure ;
- fixe à 2.500 euros la provision que la SAS Hôtel des 4 Soeurs devra consigner par virement entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Bordeaux, dans les deux mois du prononcé de la présente décision, faute de quoi la mesure pourra être déclarée caduque ;
- dit que l'expert déposera son rapport dans le délai de quatre mois à compter de la consignation ;
- dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Par déclaration au greffe du 26 février 2024, la SCI Le dauphin a relevé appel de l'ordonnance afin de la voir réformer, en complétant les missions de l'expert.
Le 19 mars 2024, la déclaration d'appel a été signifiée à la SARL Hôtel des 4 Soeurs.
La SAS Hôtel des 4 Soeurs a formé appel incident.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 10 avril 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SCI le Dauphin demande à la cour de :
Vu l'article L.145-14 du code de commerce
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
- déclarer la SCI Le Dauphin recevable dans ses demandes, fins et prétentions,
- réformer l'ordonnance du référé en date du 22 juin 2024,
- compléter la mission de l'expert en y ajoutant :
- de visiter l'ensemble des lieux et d'en établir le descriptif, pièces par pièces en précisant, pour chaque pièce, la surface, l'état, la destination et l'usage de chacune d'elles, ainsi que d'écrire, dans le cadre du bail, les parties de l'ensemble immobiliers qui font l'objet du bail et les parties qui sont réservées à l'usage exclusif ou partiel de la SCI Le Dauphin ;
- établir une liste des activités exercées par SAS Hôtel des 4 Soeurs ou par toute autres personne, morale ou physique, dans les locaux donnés à bail commercial et dire si ces activités sont conformes à la destination du bail ;
- comparer les superficies que loue SAS Hôtel des 4 Soeurs dans le bail commercial et le reste des locaux qu'elle exploite en réalité ;
- donner les éléments permettant à la juridiction de fixer une indemnité d'éviction.
- condamner SAS Hôtel des 4 Soeurs à payer à la SCI Le Dauphin la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un commissaire de justice et que le montant des émoluments retenus en application de l'article 444-32 du code de commerce devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la SAS Hotel des 4 Soeurs aux entiers dépens.
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 7 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SAS Hôtel des 4 Soeurs demande à la cour de :
Vu notamment l'article L145-14 du code de commerce,
- confirmer l'ordonnance du 22 janvier 2024 sur la nomination de l'expert sur l'indemnité d'éviction de l'article L145-14 du code de commerce,
- la réformer sur la mission relative à l'indemnité d'occupation de l'article L145-28 du code de commerce,
- débouter la société le Dauphin de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la SCI le Dauphin au paiement d'une indemnité de 4.000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile outre entiers dépens.
Par ordonnance du 11 mars 2024, l'affaire a été fixée à bref délai.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 juin 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande d'extension de la mission de l'expert
1- La société Le dauphin demande que la mission de l'expert soit complétée comme suit (ce qu'elle avait demandé en vain au premier juge) :
- visiter l'ensemble des lieux et d'en établir le descriptif, pièces par pièces en précisant, pour chaque pièce, la surface, l'état, la destination et l'usage de chacune d'elles, ainsi que d'écrire (sic), dans le cadre du bail, les parties de l'ensemble immobiliers qui font l'objet du bail et les parties qui sont réservées à l'usage exclusif ou partiel de la société Le dauphin
- établir une liste des activités exercées par la société Hôtel des 4 soeurs ou par toute autres personne, morale ou physique, dans les locaux donnés à bail commercial et dire si ces activités sont conformes à la destination du bail ;
- comparer les superficies que loue la société Hôtel des 4 soeurs dans le bail commercial et le reste des locaux qu'elle exploite en réalité ;
- donner les éléments permettant à la juridiction de fixer une indemnité d'éviction.
La société Le dauphin soutient que l'extension de la mission de l'expert est liée à l'évaluation de l'indemnité d'éviction puisqu'elle vise à déterminer quelles activités doivent être prises en considération dans le calcul de l'indemnité d'éviction, ainsi que celles qui doivent en être exclues, qu'elle a des soupçons relatifs au possible exercice d'activités non conformes par le preneur dans les locaux loués, que les revenus issus de ces activités ne devraient en aucun cas être pris en compte dans le calcul de l'indemnité d'éviction.
2- La société Hôtel des 4 soeurs réplique que les demandes de l'appelant tendent à chercher d'éventuels griefs qu'elle pourrait reprocher à sa locataire, de sorte que les compléments excèdent la question de l'indemnité d'éviction.
Sur ce,
3- Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L'article 145 suppose l'existence d'un motif légitime c'est à dire d'un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, et qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.
4- La société Le dauphin sollicite l'extension de la mission de l'expert afin de 'visiter l'ensemble des lieux et d'en établir le descriptif, pièce par pièce en précisant, pour chaque pièce, la surface, l'état, la destination et l'usage de chacune d'elles, ainsi que d'écrire, dans le cadre du bail, les parties de l'ensemble immobiliers qui font l'objet du bail et les parties qui sont réservées à l'usage exclusif ou partiel de la société Le dauphin ' et de 'comparer les superficies que loue la société Hôtel des 4 soeurs dans le bail commercial et le reste des locaux qu'elle exploite en réalité'.
L'ordonnance dont appel a dit que l'expert devra '1°) se transporter sur les lieux 5 et [Adresse 4] à [Localité 5] en présence des parties et de leurs conseils, ou après les avoir dûment convoqués ; décrire les lieux et donner tous éléments utiles quant à leur situation, et quant à l'environnement urbain dans lequel ils se situent ;'
La description des lieux donnés à bail a déjà été ordonnée, ce qui inclut les vérifications sollicitées par l'appelante.
En conséquence, l'extension demandée par la société Le dauphin est sans objet et la cour la déboutera de sa demande.
5- Par ailleurs, il n'existe pas de présomption suffisante de l'exercice non-autorisé de l'activité de location ou de stockage de vélos par la locataire, en considération de la seule pièce communiquée sur ce point (pièce 8), à savoir une capture d'écran d'un site Internet inconnu, montrant plusieurs vélos de même type stationnés devant un bâtiment, sans aucune mention permettant de vérifier la date et l'origine de cette photographie.
6- La société Le dauphin communique la liste des psychologues déclarés pour les tests psychotechniques d'aptitude médicale à la conduite établie par le préfet de la Gironde (pièce 7 appelant), mentionnant que les psychologues intervenant pour AAC in fine, AAAA in fine et ACCA in fine exercent notamment à l'adresse de la société Hôtel des 4 soeurs, Hôtel Le Dauphin.
Elle justifie donc d'un intérêt légitime à ce que l'expert établisse une liste des activités exercées par le preneur puisque seules les activités autorisées par le bail doivent être prise en considération pour déterminer le montant de l'indemnité d'éviction.
7- Cette mesure d'instruction est de nature à établir la preuve d'un fait dont les juges du fond pourront avoir besoin si une demande d'indemnité d'éviction lui est par la suite présentée.
8- En revanche, il ne revient pas à l'expert mais aux juges du fond de déterminer si les activités exercées par le preneur sont conformes à la destination du bail.
9- En conséquence, la cour infirmera l'ordonnance dont appel et étendra la mission de l'expert afin d'établir une liste des activités exercées par la société Hôtel des 4 soeurs ou par toute autres personne, morale ou physique, dans les locaux donnés à bail commercial.
10- Enfin, il convient de confier expressément à l'expert la mission (évoquée dans les motifs mais non au dispositif de l'ordonnance) de fournir tous éléments de fait permettant à la juridiction éventuellement saisi au fond de chiffrer l'indemnité d'éviction.
Sur la mission de l'expert tendant à déterminer l'indemnité d'occupation:
11- La société Hôtel des 4 soeurs soutient qu'aucune partie n'a formulé de demande devant le tribunal judiciaire afin d'estimer l'indemnité d'occupation, et que le premier juge est ainsi allé au-delà des demandes des parties.
12- La société Le dauphin ne répond pas à cette demande.
13- En application de l'article 5 du code de procédure civile, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
14- En l'espèce, il résulte de l'examen de l'assignation du 3 aout 2023, et des conclusions remises par la SCI le Dauphin à l'audience du 18 décembre 2022, qu'aucune des parties n'avait demandé au juge des référés de confier à l'expert la mission d'évaluer le montant d'une indemnité d'occupation.
Le juge des référés a donc statué ultra petita, la cour infirmera donc l'ordonnance du 22 mars 2024 sur ce point.
Sur les demandes accessoires
15- Compte tenu de l'issue du litige, il n'est pas inéquitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais irrépétibles et les dépens qu'elle a engagés.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Statuant dans la limite des chefs contestés de l'ordonnance,
Infirme partiellement l'ordonnance prononcée le 22 janvier 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'elle a dit que l'expert répondra à la mission suivante : fournir tout élément, notamment par rapport à la valeur locative habituellement pratiquée dans le voisinage pour des locaux de mêmes caractéristiques et destination, permettant de chiffrer l'indemnité d'occupation à la date du 1er avril 2022 ;
Dit n'y avoir lieu à expertise sur ce point,
Confirme l'ordonnance pour le surplus de ses dispositions contestées,
Y ajoutant,
Dit que l'expert devra établir une liste des activités exercées par la société Hôtel des 4 soeurs ou par toute autres personne, morale ou physique, dans les locaux donnés à bail commercial;
Dit que l'expert aura également pour mission de fournir tous éléments de fait permettant à la juridiction éventuellement saisie au fond de chiffrer l'indemnité d'éviction,
Rejette les autres demandes,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.