CA Besançon, 1re ch., 17 septembre 2024, n° 23/00756
BESANÇON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Baumont (SCI)
Défendeur :
La Halle (SAS), Btsg (SCP), Axyme (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wachter
Conseillers :
Mme Manteaux, M. Maurel
Avocats :
Me Leroux, Me Rapp, Me Mordefroy, Me Boughazli, Me Cip Levêque, Me Claeys
FAITS et PROCÉDURE
Par acte notarié en date du 5 janvier 2007, la SCI Baumont a donné à bail à titre commercial à la SAS Défi Mode, des locaux en construction d'une surface de 1 416 m² et le terrain correspondant pour une durée initiale de neuf années à compter du jour de la livraison de l'immeuble. L'immeuble a été livré au locataire le 2 mai 2007.
Le loyer annuel convenu entre les parties était de 96 288 euros HT et était assorti d'une clause de révision, mise en oeuvre automatiquement, à la fin de chaque période triennale, pour être augmenté ou diminué, suivant la variation de l'indice national du coût de la construction (ICC) du trimestre de l'année de la révision, considérée par rapport au dernier indice du coût de la construction connu au 2 mai 2007.
Par acte notarié en date des 30 juin 2007, 2 juillet 2007 et 19 août 2008, la société Défi Mode, en présence de la société Baumont, a consenti une sous-location partielle à la société VGM, (actuellement la SAS Chaussea) sur une surface de 507 m² moyennant un loyer annuel de 34 476 euros HT, à compter rétroactivement du 11 juin 2007 pour se terminer à l'expiration de la durée du bail principal.
Par acte du 23 décembre 2013, la société Défi Mode a cédé son fonds de commerce à la société La Halle.
Par acte du 27 janvier 2016, la société La Halle a sollicité le renouvellement du bail commercial à effet du 2 mai 2016. En l'absence de réponse de la société Baumont, le bail a été renouvelé pour une durée de 9 ans à compter de cette date. Le loyer annuel originel était porté, par le jeu de la variation de l'indice contractuellement prévu, à la somme de 112 244,68 euros HT par an.
Par assignation délivrée à la société Baumont le 27 avril 2018, la société La Halle a saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Besançon, d'une demande tendant à :
- fixer à 75 205 euros HT par an le loyer du bail renouvelé à effet du 2 mai 2016 conformément aux dispositions des articles L.145-33, L.145-34 et R.145-2 à R.145-8 du code de commerce ;
- dire que la société Baumont devra rembourser les trop-perçus de loyer depuis la date du renouvellement du 2 mai 2016 avec les intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2016, puis à compter de chaque échéance trimestrielle ;
- préalablement, au cas où le juge des loyers commerciaux s'estimerait insuffisamment informé, ordonner une expertise ;
- dans ce cas fixer le loyer provisionnel à 108 284,04 euros par an à effet du 2 mai 2016 jusqu'à la fixation définitive.
Par jugement avant-dire-droit du 16 octobre 2018, le juge des loyers commerciaux a ordonné, aux frais avancés de la société La Halle, une mesure d'expertise et désigné M. [E], expert, aux fins de donner son avis sur la valeur du bail et fixer le loyer provisionnel au montant du loyer prévu par le bail dans l'attente du dépôt de l'expertise. Le rapport a été déposé au greffe le 12 février 2021.
Entre temps, selon jugement du 21 avril 2020, la société La Halle a fait l'objet d'une ouverture de procédure de sauvegarde judiciaire convertie, selon jugement du 2 juin 2020, en procédure de redressement judiciaire ; par jugement du 8 juillet 2020, un plan de cession au profit de la SAS Pégase d'une partie des actifs de la société La Halle, a été arrêté ; dans ce cadre, les locaux loués par la société La Halle ont été repris par la société Pégase avec une entrée en jouissance fixée au 15 juillet 2020. Par jugement du 30 octobre 2020, la procédure de redressement judiciaire de la société La Halle a été convertie en liquidation judiciaire.
Par jugement rendu le 10 mai 2022, objet du présent appel, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Besançon a :
- fixé à 89 430 euros par an le loyer du bail renouvelé à effet au 2 mai 2016, dont bénéficiait la société La Halle, sur les locaux situés [Adresse 4] à [Localité 9],
- débouté la société Baumont de ses demandes subsidiaires de compensation entre sa dette éventuelle de trop-perçus de loyers et sa créance déclarée au passif de la liquidation judiciaire de la société La Halle, et de sursis à statuer jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur le sort de sa déclaration de créance ;
- dit que la société Baumont devra rembourser à la société La Halle les trop-perçus de loyer depuis la date du renouvellement au 2 mai 2016, avec les intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2016, puis à compter de chaque échéance trimestrielle entre les mains des liquidateurs judiciaires ;
- condamné la société Baumont au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 et aux entiers dépens.
Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré que :
- chaque preneur était libre de poursuivre la procédure de fixation du loyer pour la période qui le concernait soit, pour la société La Halle, pour la période comprise entre le 2 mai 2016 et le 14 juillet 2020 ; le fait que la société Pégase puisse être satisfaite de payer le loyer, à son montant réclamé par la société Baumont, pour la période postérieure au 14 juillet 2020, ne rend pas la société La Halle irrecevable à réclamer le réajustement du loyer pour la période correspondant à son occupation ;
- au vu de la valeur locative retenue par l'expert et après déduction de la charge d'impôts fonciers assumée par la société La Halle et pondération supplémentaire à raison de la surface moindre du magasin [8] servant de référence, le loyer annuel devait être fixé à 89 430 euros ;
- la demande de la société Baumont d'opérer une compensation entre la dette que la société Baumont devait et la créance qu'elle avait inscrite au passif de la société La Halle n'était pas de la compétence du juge des loyers et, dès lors, la demande de sursis à statuer formulée par la société Baumont dans l'attente que soit rendue la décision définitive de vérification du passif de la société La Halle devait être rejetée.
Par déclaration du 18 juillet 2022, la société Baumont a interjeté appel de ce jugement.
La société Pégase, successeur de la société La Halle dans les locaux loués à la société Baumont, est intervenue volontairement dans l'instance d'appel le 9 janvier 2023.
Par ordonnance rendue le 26 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a dit recevable l'intervention volontaire de la société Pégase du 9 janvier 2023 et s'est déclaré incompétent au profit de la cour pour juger de la recevabilité de la demande de la société Pégase en paiement par la société Baumont de trop-perçus de loyer à compter du 15 juillet 2020.
Les sociétés Baumont et Pégase ont été déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de l'incident.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 7 mai 2024, la société Baumont demande à la cour de déclarer son appel principal recevable et d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Elle sollicite de la cour, statuant à nouveau, de :
> à titre principal :
- juger que le loyer annuel réclamé à la société La Halle de 112 244,68 euros HT est conforme aux termes du bail renouvelé avec effet au 2 mai 2016 et correspond à la valeur locative actuelle du bien loué ;
- débouter en conséquence la société La Halle de sa demande en fixation à la baisse du loyer et en paiement ;
> à titre subsidiaire, si la cour considère que le loyer plafond s'établit à 108 284,04 euros l'an :
- juger que sa demande de déplafonnement du loyer est recevable et bien fondée ;
- fixer le loyer déplafonné du bail renouvelé à hauteur de 112 244,68 euros HT l'an ;
- débouter la société La Halle de ses demandes ;
> à titre plus subsidiaire, si sa demande de déplafonnement est rejetée :
- fixer la valeur locative à 110 509,20 euros annuels hors charges et hors taxes, tel que conseillé par l'expert judiciaire, et, à défaut, à 108 284,04 euros ;
- prendre acte de ce qu'elle a déclaré le 14 mai 2020 au passif de la liquidation judiciaire de la société La Halle une somme de 49 355,78 euros au titre de loyers impayés ;
- ordonner une compensation des éventuels montants qu'elle doit avec les montants déjà déclarés ;
- le cas échéant, ordonner le sursis à statuer de la présente instance jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur le sort de la déclaration de créance de la société La Halle ;
> en tout état de cause :
- débouter la société La Halle de toutes ses demandes ;
- déclarer l'intervention volontaire de la société Pégase irrecevable et la débouter de toutes ses demandes ;
- condamner la société La Halle représentée par ses mandataires liquidateurs à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Pégase à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement la société La Halle représentée par ses mandataires liquidateurs et la société Pégase aux entiers frais et dépens de la présente instance ;
- dire que ces sommes seront liquidées et employées en frais privilégiés de la procédure collective de la société La Halle.
Elle fait valoir que :
- alors que la société La Halle n'avait jamais formulé la moindre observation ou le moindre dire venant contester le chiffrage exposé par l'expert judiciaire depuis sa note de synthèse du 4 mai 2020, cette dernière a proposé un nouveau calcul de la valeur locative brute dans le cadre de ses conclusions prises le 23 février 2022 après le dépôt du rapport ;
- le juge des loyers commerciaux a décidé de façon totalement arbitraire d'écarter les conclusions de l'expert judiciaire et de reprendre mot pour mot les arguments et le calcul proposés par la société La Halle alors même que ce calcul ne repose sur aucun élément objectif et n'a jamais été soumis au contradictoire de l'expert judiciaire ;
- le fait d'affirmer qu'un abattement complémentaire de 5 % devrait être appliqué du fait que le prix unitaire des petites surfaces est proportionnellement plus important que celui des grandes surfaces, ne repose encore une fois sur aucun élément objectif ni aucun fondement ;
- l'expert a proposé une valeur locative en ayant intégré les différences contractuelles relevées entre les baux du local de [8] et du local de la société La Halle ;
- l'expert a également intégré la charge de la taxe foncière puisqu'il a indiqué que le remboursement de la taxe foncière est bien un complément de loyer ;
- le preneur ne justifie pas de ce que le loyer actuellement pratiqué excéderait un loyer plafond puisque les calculs opérés par la société La Halle, qui reposent sur un indice ne s'appliquant pas à leur bail, sont faux ; si la cour considérait qu'un plafond légal était dépassé, sa demande de déplafonnement est motivée par le fait que les locaux objets du bail se situent dans une zone dont les facteurs locaux de commercialité ont évolué très favorablement sur la période considérée ;
- les demandes de la société Pégase sont irrecevables comme étant nouvelles à hauteur d'appel; ses demandes sont mal fondées puisqu'elles reposent sur un jugement rendu le 10 mai 2022 qui ne la concernait pas et qui est intervenu plus de deux ans après la cession du fonds de commerce entre la société La Halle et elle.
La société La Halle, représentée par ses liquidateurs, a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 23 mai 2023 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant :
- dire que la société Baumont doit lui rembourser entre les mains de ses liquidateurs judiciaires, la somme de 118 870,42 euros représentant la somme de :
. 85 389,51 euros de trop-perçu de loyers HT les trop-perçus de loyer entre le 2 mai 2016 et le 14 juillet 2020
. 1 816,55 euros d'intérêts au taux légal sur cette période
. 17 077,90 euros de trop-perçu de TVA sur cette période
. 9 586,46 euros de dépens comprenant les frais d'expertise
5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Baumont au paiement d'une somme complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles supportés par ses liquidateurs au titre de l'instance d'appel ;
- condamner la société Baumont aux entiers dépens d'appel.
Les liquidateurs de la société La Halle font notamment valoir que :
- le locataire peut demander, lors du renouvellement du bail, que le loyer, inférieur au plafond légal, soit fixé au montant de la valeur locative de l'immeuble objet du bail sans qu'il soit besoin qu'il prouve une modification notable des éléments de facteurs de commercialité ;
- la demande de déplafonnement de la société Baumont pour voir fixer le loyer à 112 244,68 euros alors que le plafond légal est de 108 284,04 euros doit être rejetée, faute pour elle de justifier de modifications notables des éléments d'appréciation de la valeur locative, de modifications survenues au cours du bail à renouveler, du caractère favorable des modifications au commerce exploité ; en effet, le seul élément favorable relevé par l'expert, à savoir la hausse de la population, doit être pondéré par la hausse concomitante du taux de chômage ;
- le montant proposé par l'expert doit être diminué pour prendre en compte d'une part un abattement de 5 % eu égard à la différence de surface du local d'[8] pris en référence et d'autre part la déduction au réel de la charge de taxe foncière qu'elle a supportée (11 791 euros HT), et ce, même si les clauses des baux du voisinage comportent également la charge de la taxe foncière par les locataires ;
- la demande de compensation formulée par la société Baumont doit être rejetée puisqu'elle conteste le montant de la déclaration de créance quant au loyer, si sa baisse est confirmée par la cour, les charges (non justifiées) et les intérêts de retard (qui ne sont pas dus par application des dispositions relatives à la procédure collective), et que, par ailleurs, le juge des loyers n'a pas compétence pour statuer sur la fixation des créances.
Selon dernières conclusions transmises le 17 mai 2024, la société Pégase demande à la cour de :
- déclarer recevables ses demandes ;
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a fixé à 89 430 euros par an le loyer du bail renouvelé à effet du 2 mai 2016 ;
- condamner la société Baumont à lui restituer les trop-perçus de loyer à compter du 15 juillet 2020, date de son entrée en jouissance, avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance trimestrielle ;
- débouter la société Baumont de l'ensemble de ses demandes ;
- la condamner à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait notamment valoir que :
- sa demande n'est pas une demande nouvelle mais se justifie par le refus de la société Baumont de lui appliquer le nouveau loyer, malgré l'exécution provisoire du jugement alors que, du fait du plan de cession arrêté par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 8 juillet 2020, elle vient aux droits de la société La Halle pour le bail cédé et bénéficie d'un droit propre à agir contre le bailleur, pour obtenir la restitution des trop-versés de loyer ;
- la SCI Baumont ne peut à nouveau soulever devant la cour l'irrecevabilité de son intervention volontaire à titre principal, cette fin de non recevoir ayant déjà été jugée par ordonnance de la mise en état du 26 septembre 2023, qui a autorité de la chose jugée ;
- le rapport de l'expert peut être homologué en ce qu'il a retenu une surface pondérée de 1 249,68 m², les parties s'étant accordées sur ce point ;
- il est justifié d'appliquer, ce que n'avait pas fait l'expert judiciaire, un abattement complémentaire de 5 % sur le prix au m² par rapport au loyer de référence [8], eu égard au fait que ce dernier bail concerne un commerce de 474 m² (cellule et terrasse, s'agissant d'un fast-food) alors que le prix unitaire des petites surfaces est proportionnellement plus important que celui des grandes surfaces, outre l'abattement dû à la charge de la taxe foncière.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 11 juin 2024 suivant et mise en délibéré au 17 septembre 2024.
En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la demande de fixation du loyer pour le bail renouvelé le 2 mai 2016 :
Le loyer du bail renouvelé est en principe fixé d'un accord amiable entre les parties ; à défaut d'accord, il l'est par le juge des loyers commerciaux saisi par l'une au moins des parties, lequel fixe le nouveau loyer dans les deux limites développées ci-dessous : la valeur locative (article L. 145-33 du code de commerce) et le plafond résultant des indices (article L. 145-34).
Décision du juge de première instance et prétentions des parties
Le jugement critiqué a fixé à 89 430 euros par an le loyer renouvelé à effet du 2 mai 2016 en adoptant le calcul proposé par la société La Halle.
Celle-ci, comme la société Pégase, demandent que le loyer soit fixé à 89 430 euros en appliquant, sur le prix unitaire de référence du magasin [8] de 88,43 euros le m² retenu par l'expert, un abattement de 5 % supplémentaire du fait que la surface de ce magasin est trois fois et demi moindre que celle de la société La Halle alors que le prix unitaire des petites surfaces est proportionnellement plus important que celui des grandes surfaces, ce qui porte la valeur locative à 81 euros le m² ; la société La Halle estime que cet abattement se justifie également par le fait que l'expert n'a pas pris en compte la clause du bail reportant les effets de l'accession en fin de jouissance du preneur qui implique de faire abstraction des travaux ou améliorations réalisés par le preneur lors de son entrée en jouissance.
Enfin, les locataires soutiennent que la valeur locative finalement retenue par l'expert n'a pas été fixée en intégrant une pondération prenant en compte la charge financière qu'elles assument en réglant la taxe foncière à la place du bailleur et qu'il y a lieu de déduire de la valeur locative l'intégralité de la somme qu'elles règlent à la société Baumont soit 11 791 euros en 2016.
La société Baumont demande que la cour fixe la valeur locative à dire d'expert soit 110 509,20 euros, estimant que l'expert a bien tenu compte de l'ensemble des différences entre le magasin [8] et de la SCI Baumont et notamment de la surface réelle du bien et de la charge relative au paiement de la taxe foncière.
Réponse de la cour :
L'article L. 145-33 du code de commerce dispose que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1° Les caractéristiques du local considéré ;
2° La destination des lieux ;
3° Les obligations respectives des parties ;
4° Les facteurs locaux de commercialité ;
5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
L'article R. 145-3 du même code précise les caractéristiques propres au local visé par l'article L. 145-33 qui s'apprécient en considération :
1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public;
2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux;
3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée;
4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail;
5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
L'article R. 145-7 dispose que les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6.
A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
L'expert judiciaire missionné par le juge de première instance précise que les parties se sont accordées à retenir une surface pondérée du bien loué, regroupant le magasin anciennement exploité par la société La Halle et par son sous-locataire, la société Chaussea de 1249,68 m².
L'expert a d'abord proposé une première estimation de la valeur locative fixée à 124 287,11 euros, solution qui ne l'a pas satisfait, les magasins utilisés à titre de comparaison n'étant pas situés comme le bien en litige sur un retail park et n'ayant pas la même activité commerciale.
Il a finalement retenu, dans sa deuxième estimation, une valeur locative annuelle de 110 509,20 euros HT soit 88,43 euros HT au m² pondéré, en utilisant comme référence comparative le magasin [8] exploité juste à côté des locaux de la société La Halle, qui dispose d'une surface pondérée de 274,80 m².
La cour relève que la société La Halle n'a fourni à l'expert aucun élément de comparaison et qu'elle ne lui a présenté aucun dire pour critiquer la valeur locative qu'il proposait eu égard aux pondérations relatives à ces trois éléments. La société Pégase a, elle, fait le choix de ne pas participer aux opérations d'expertise.
Mais, en tout état de cause, les trois parties ne contestent pas le bien fondé du choix fait par l'expert de se baser sur sa deuxième solution en retenant comme élément de comparaison le commerce [8] qui jouxte le bien en litige, les autres commerces proposés à titre de référence de prix étant situés dans une zone sans rapport avec la zone autonome d'exploitation du bien litigieux.
Au regard des éléments d'appréciation prévus par les articles précités, les parties s'opposent sur deux éléments concernant le montant de la valeur locative du bien :
- la pondération de la surface du magasin [8] comme référent de comparaison.
- la prise en compte de la charge de la taxe foncière pour fixer la valeur locative
Concernant la pondération de la surface du magasin de référence, la société Baumont ne verse pas aux débats la preuve de l'usage qu'elle invoque qui conduirait systématiquement à voir une valeur locative inversement proportionnelle à la surface louée ; au vu de la proximité des locaux situé sur un retail park et de la similitude de types de locaux, en l'absence d'éléments versés par l'appelante et l'intervenante devant l'expert puis devant la cour, cette dernière estime que, dans ce type de commerce, la surface du bien ne justifie pas une décote particulière et que par ailleurs la clause du bail de la société Baumont reportant les effets de l'accession en fin de jouissance du preneur, qui implique de faire abstraction des travaux ou améliorations réalisés par le preneur lors de son entrée en jouissance, constitue une charge s'équilibrant avec la clause du bail d'[8] prévoyant que les travaux d'amélioration restent au bénéfice du bailleur sans indemnité.
Dès lors, la cour considère que la valeur locative retenue par l'expert n'a pas à subir un abattement supplémentaire en fonction de ces points.
Concernant la prise en compte de la taxe foncière pour fixer la valeur locative : il apparaît qu'effectivement, si l'expert avait procédé à un abattement de 2 % sur la valeur locative basée sur la première estimation, il n'a pas procédé à cet abattement dans la deuxième solution qu'il a retenue estimant que les deux baux comparés comportaient pour les locataires cette même charge exorbitante de la taxe foncière.
Or, il résulte de l'article R.145-8 du code de commerce, que « les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative ».
Considérant que les parties n'ont pas discuté l'abattement de 2% qui était proposé par l'expert pour tenir compte, dans la première solution proposée puis abandonnée par l'expert pour des motifs indépendants de la taxe foncière, de cette charge exorbitante qui ne pesait pas sur les commerces comparés, la cour retient que la prise en compte de cette charge par un abattement de 2 % est adaptée à la situation en litige.
La décote supplémentaire (2% de 36 000 euros de loyer annuel = 720 euros) appliquée à la valeur locative corrigée du commerce [8] permet de fixer cette dernière à 23 580 euros soit une valeur locative de référence au m² pondérée annuelle corrigée de 23 580/274,80 m² = 85,81 euros HT.
Il en résulte une valeur locative du bien loué à la société La Halle = 1 249,68 m² x 85,81 euros soit 107,235,04 euros HT.
Ce montant, arrêté par la cour, est inférieur au plafond légal prévu par l'article L. 145-34 du code de commerce, quelle que soit la méthode appliquée pour calculer la variation du loyer en fonction des indices retenus, points qui opposent les parties.
Les demandes de déplafonnement sont donc sans objet.
Dès lors, la cour fixe à 107 235,04 euros HT à compter du 2 mai 2016 le loyer concernant le bail souscrit par la société La Halle auprès de la société Baumont à effet au 2 mai 2007 (soit 26 808,76 euros HT par trimestre).
- Sur la demande de la société La Halle au titre des trop-perçus par la SCI Baumont :
L'article 1302-1 du code civil dispose que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.
C'est au demandeur en restitution des sommes qu'il prétend avoir indûment payées qu'il incombe de prouver le caractère indu du paiement.
Si les parties sont en désaccord sur l'indice à appliquer pour calculer le loyer renouvelé, en revanche, elles s'accordent à calculer les révisions triennales du loyer avec l'indice contractuellement prévu en 2007 à savoir l'ICC (et non l'ILC).
Dès lors, sur la base du loyer trimestriel HT arrêté par le présent arrêt à 26 808,76 euros, le loyer fixé à partir du 2 mai 2019 par la variation de l'ICC entre 2018 et 2015, est de :
26 808,76 x 108,41(ILC 4ème trimestre 2015) / 96,40 (ILC 4e trimestre 2006) : 28 026,59 euros par trimestre.
Trop perçu de loyers HT :
ECHEANCES
LOYERS DUS € HT
LOYERS REGLES HT
TROP PERCUS HT
du 2/5/16 au 2/07/16
(62 jours)
18 265,31
19 118,60
853,29
du 3/7/16 au 2/10/16
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/10/16 au 2/1/17
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/1/17 au 2/4/17
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/4/17 au 2/7/17
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/7/17 au 2/10/17
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/10/17 au 2/1/18
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/1/18 au 2/4/18
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/4/18 au 2/7/18
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/7/18 au 2/10/18
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/10/18 au 3/1/19
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/1/19 au 2/4/19
26 808,76
28 061,17
1 252,41
du 3/4/19 au 1/5/19
8 543,45
8 942,57
399,12
du 2/5/19 au 2/7/19
19 095,04
19 118,60
23,56
du 3/7/19 au 2/10/19
28 026,59
28 061,17
34,58
du 3/10/19 au 3/1/20
28 026,59
28 061,17
34,58
du 3/1/19 au 2/4/20
28 026,59
28 061,17
34,58
du 3/4/20 au 20/4/20
5 605,32
0
- 5 605,32
du 21/4/20 au 2/7/20
22 421,27
22 448,94
27,67
du 3/7/20 au 14/7/20
3 496,79
3 660,15
163,36
TOTAL
456 403,31
466 145,24
9 741,93
Les trop-perçus par la société Baumont à l'encontre de la société La Halle s'élèvent à 9 741,93 euros HT et portent intérêts au taux légal à chaque échéance trimestrielle de loyer.
Intérêts au taux légal sur trop perçu :
ECHEANCES
TAUX D'INTERETS
PRINCIPAL (trop-versé cumulé)
MONTANT DES INTERETS DUS en €
du 2/5/16 au 2/07/16
1,01
853,29
1,46
du 3/7/16 au 2/10/16
0,93
2 105,70
4,92
du 3/10/16 au 2/1/17
0,93
3 358,11
7,76
du 3/1/17 au 2/4/17
0,90
4 610,52
10,23
du 3/4/17 au 2/7/17
0,90
5 862,93
13,16
du 3/7/17 au 2/10/17
0,90
7 115,34
16,14
du 3/10/17 au 2/1/18
0,90
8 367,75
18,78
du 3/1/18 au 2/4/18
0,89
9 620,16
21,11
du 3/4/18 au 2/7/18
0,89
10 872,57
24,13
du 3/7/18 au 2/10/18
0,88
12 124,98
26,89
du 3/10/18 au 3/1/19
0,88
13 377,39
29,35
du 3/1/19 au 2/4/19
0,86
14 629,80
31,02
du 3/4/19 au 1/5/19
0,86
15 028,92
10,27
du 2/5/19 au 2/7/19
0,86
15052,48
21,99
du 3/7/19 au 2/10/19
0,87
15 087,06
33,08
du 3/10/19 au 3/1/20
0,87
15 121,64
32,80
du 3/1/20 au 2/4/20
0,87
15 156,22
32,78
du 3/4/20 au 20/4/20
0,87
9 550,90
4,09
du 21/4/20 au 2/7/20
0,87
9 578,57
16,39
du 3/7/20 au 14/7/20
0,84
9 741,93
2,68
TOTAL
359,03
Trop-perçu de TVA du 2 mai 2016 au 14 juillet 2020 = 9 741,93 x 20 % = 1 948,39 euros.
Total des trop-perçus par la société Baumont à l'égard de la société La Halle :
- loyers 9 741,93
- intérêts 359,03
- TVA 1 948,39
TOTAL 12 049,35
La cour condamne la société Baumont à verser aux mandataires liquidateurs de la société La Halle la somme de 12 049,35 euros et ordonne la compensation judiciaire avec la somme de 118 870,42 euros qu'elle a payée le 3 avril 2023 entre les mains des liquidateurs en exécution du jugement ici infirmé.
- Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de la fin de non recevoir formée par la SCI Baumont tirée de l'intervention volontaire de la société Pégase à hauteur de cour :
Le moyen d'irrecevabilité tiré de l'autorité de la chose jugée résultant de l'ordonnance de la mise en état de la fin de non recevoir formulée par la société Baumont relativement à l'intervention volontaire de la société Pégase à hauteur de cour, est évoqué par la société Pégase dans le corps de ses conclusions, laquelle n'en a pas tiré les conséquences dans le dispositif de ses conclusions. Dès lors, la cour relève cette fin de non recevoir qui est déjà soumise au débat contradictoire des parties.
Par ordonnance rendue le 26 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a dit recevable l'intervention volontaire de la société Pégase du 9 janvier 2023 considérant qu'il s'agissait d'une intervention principale et que la société Pégase avait le droit d'agir relativement à cette prétention concernant la fixation d'un loyer pour le bail qu'elle a repris à son compte à la suite de la société La Halle et pour des demandes en paiement de trop perçus liés à la fixation de ce loyer.
La société Baumont n'a pas déféré à la cour cette ordonnance de la mise en état qui a donc autorité de la chose jugée.
La fin de non recevoir présentée par la société La Halle relative à l'intervention volontaire de la société Pégase doit donc être déclarée irrecevable.
- Sur la fin de non recevoir des demandes de la société Pégase :
Par ordonnance rendue le 26 septembre 2023, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent au profit de la cour pour juger de la recevabilité de la demande de la société Pégase en paiement par la SCI Baumont de trop-perçus de loyer à compter du 15 juillet 2020 que la société La Halle qualifie de demandes nouvelles.
En ouvrant à un tiers, absent en première instance, le droit d'intervenir à certaines conditions qui ont été validées par le conseiller de la mise en état, le code de procédure civile permet, par définition, à un tiers de présenter des demandes qui n'ont pas été présentées en première instance.
En l'espèce, le plan de cession du 8 juillet 2020 accordé à la société La Halle a transmis à la société Pégase le bail qui existait entre la SCI Baumont et la société La Halle ; la société Pégase, qui dispose désormais d'un droit propre à l'encontre de son bailleur, comptait faire appliquer le bail dans les conditions du renouvellement qui était en cours de fixation par le juge. Une fois fixé le loyer à un prix inférieur à celui qui lui était appliqué, il s'est vu refuser le droit de tirer des bénéfices du jugement opposant la société Baumont et la société La Halle. Dès lors, il n'a pas eu d'autre choix que de solliciter, comme la société La Halle et pour les mêmes arguments, la fixation du loyer renouvelé en 2016 pour la période le concernant à compter du 20 juillet 2020.
La cour rejette la fin de non recevoir tirée du caractère nouveau des demandes de la société Pégase.
- Sur le bien-fondé des demandes de la société Pégase :
La cour a fixé le loyer renouvelé à 107 235,04 euros HT à compter du 2 mai 2016, loyer dû par la société La Halle à la société Baumont (soit 26 808,76 euros HT par trimestre). Par application de la clause de révision du loyer par le jeu de l'indexation sur l'ICC, le loyer est, à partir du 2 mai 2019, de 28 026,59 euros HT par trimestre.
La société Pégase formule une demande de condamnation de la société La Halle à lui restituer les trop-perçus de loyer au vu du montant fixé judiciairement mais ne présente pas de demande quantifiée et ne verse aucun justificatif de ses paiements ; la société Baumont lui oppose le fait que, sans autorisation judiciaire, elle a cessé de payer son loyer depuis avril 2024, ce à quoi elle n'a pas présenté de contestation.
Dès lors, la cour rejette sa demande en paiement, faute de preuve d'un trop-perçu par la société Baumont et renvoie les parties à faire leurs comptes au vu du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :
Déclare irrecevable la fin de non recevoir formulée par la SCI Baumont relative à l'irrecevabilité de l'intervention de la SAS Pégase en cause d'appel ;
Déclare recevable la SAS Pégase en ses demandes de fixation de loyer et de paiement par la société Baumont de trop-perçus de loyer ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 10 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Besançon ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Fixe à 107 235,04 euros HT à compter du 2 mai 2016 le loyer concernant le bail souscrit par la SA La Halle auprès de la SCI Baumont à effet au 2 mai 2007 (soit 26 808,76 euros HT par trimestre) et repris par la SAS Pégase à compter du 20 juillet 2020 ;
Condamne la SCI Baumont à verser aux mandataires liquidateurs de la SA La Halle la somme de 12 049,35 euros au titre des trop-perçus de loyers, intérêts et TVA et ordonne la compensation judiciaire de cette dette avec la somme de 118 870,42 euros qu'elle a payée le 3 avril 2023 entre les mains des liquidateurs de la société La Halle en exécution du jugement ici infirmé ;
Déboute la SAS Pégase de sa demande en paiement d'un trop-perçu de loyer et dit qu'il appartiendra aux parties de faire leurs comptes au vu du présent arrêt ;
Déboute toutes les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI Baumont aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.