Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 septembre 2024, n° 20/17360

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SAS (SAS)

Défendeur :

Société de Vente et Représentation de Matériel d'Équipement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Ranoux-Julien

Avocats :

Me Boccalini, Me Migaud, Me De La Seigliere

T. com. Créteil, 1re ch., du 13 oct. 202…

13 octobre 2020

EXPOSE DU LITIGE

Le 28 mars 2017, la société [X], qui a pour activité les travaux de menuiserie bois et PVC, a acheté à la société allemande Surplex une ponceuse d'occasion de modèle Heesemann MFA 8 CC Sander pour la somme de 14 925 euros.

La société [X] a acheté au correspondant de la société Heesemann en France, la société Sovereme, une notice d'utilisation de la machine pour un montant de 1 632 euros TTC, somme réglée à réception d'une facture en date du 15 mai 2017. La notice a été livrée le 24 juillet 2017.

La société [X] a retourné à la société Sovereme la notice reçue en langue anglaise et l'a mise en demeure de lui rembourser la somme payée par lettre du 17 octobre 2017.

Par acte du 4 janvier 2018, la société [X] a assigné la société Sovereme devant le tribunal de commerce de Créteil en résolution du contrat de vente et en restitution de la somme payée.

Par jugement du 13 octobre 2020, le tribunal de commerce de Créteil a :

- Dit la société [X] mal fondée en ses demandes tendant à la livraison de la documentation d'utilisation en français sous astreinte et à la résolution du contrat de vente et l'en a déboutée.

- Dit la société [X] mal fondée en sa demande de dommages-intérêts et l'en a déboutée.

- Dit la société Sovereme mal fondée en sa demande de dommages-intérêts et l'en a déboutée.

- Condamné la société [X] à payer à la société Sovereme la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la société Sovereme du surplus de sa demande et débouté la société [X] de sa demande formée de ce chef.

- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire de ce jugement

- Condamné la société [X] aux dépens.

- Liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 154, 15 euros TTC (dont TVA 20%).

Par déclaration du 1er décembre 2020, la société [X] a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- Dit la société [X] mal fondée en ses demandes tendant à la livraison de la documentation en français sous astreinte et à la résolution du contrat de vente et l'en a déboutée,

- Dit la société [X] mal fondée en sa demande de dommages et intérêts et l'en a déboutée,

- Condamné la société [X] à régler à la société Sovereme la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société [X] aux dépens,

- Et en ce que le jugement a débouté la société [X] de ses demandes tendant à :

* Dire la société [X] recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions.

* Dire la société de vente et de représentation de matériel d'équipement par abréviation Sovereme irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter

* En conséquence : condamner la société Soreveme à livrer à la société [X] le manuel de fonctionnement de la ponceuse Heesemann MFA 8 CC Sander N° 9710271 et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard ensuite de la signification de la décision à intervenir

Subsidiairement

- Ordonner la résolution du contrat de vente.

- Condamner la société Sovereme à restituer la somme de 1 632 euros à la société [X]

En tout état de cause

- Condamner la société Soreveme à régler à la société [X] la somme de 7 500 euros en réparation de son préjudice financier

- Condamner la Sovereme à payer à la société [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner la société de vente et de représentation de matériel d'équipement par abréviation Sovereme aux dépens

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Par ses dernières conclusions notifiées le 28 mai 2021, la société [X] demande, au visa des articles 1112-1 et 1124 du code civil, de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant de nouveau

- Dire la société [X] recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions.

- Dire la société Sovereme irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter

- En conséquence : Condamner la société Soreveme à livrer à la société [X] le manuel de fonctionnement de la ponceuse Heesemann MFA 8 CC Sander N° 9710271 et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard ensuite de la signification de la décision à intervenir

Subsidiairement

- Ordonner la résolution du contrat de vente.

- Condamner la société Sovereme à restituer la somme de 1 632 euros à la société [X]

En tout état de cause

- Condamner la société Soreveme à régler à la société [X] la somme de 500 euros x 43 mois (juillet 2017 à janvier 2021) soit 21 500 euros en réparation de son préjudice financier

- Condamner la société Sovereme à payer à la société [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Sovereme aux dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées le 25 mars 2021, la société Sovereme demande de :

- Recevoir la société Sovereme dans ses demandes, et les déclarer bien fondées,

- Infirmer la décision rendue par le tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a débouté la société Sovereme de sa demande d'indemnisation au titre de la procédure abusivement introduite par la société [X] à son encontre,

- Confirmer la décision rendue par le tribunal de commerce de Créteil pour le surplus,

Par conséquent

- Débouter intégralement la société [X] de ses demandes,

- Dire et juger abusive la procédure introduite par la société [X],

- Condamner la société [X] à verser la somme de 2 000 euros à la société Sovereme en réparation du préjudice subi par cette dernière,

- Condamner la société [X] à payer à la société Sovereme la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est prévue au 28 mars 2024.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la commande d'une notice d'utilisation en langue française

La société [X] soutient que selon la directive machines 98/37/CE, chaque machine doit être accompagnée d'une notice d'instruction établie dans l'une des langues communautaires, avec une traduction dans la langue du pays d'utilisation. La société Sovereme, en sa qualité de distributeur de la marque Heesemann en France, avait l'obligation de fournir une notice d'utilisation en français et non une notice en anglais.

Elle affirme que la société Sovereme savait que la notice d'utilisation commandée par la société [X] n'était pas rédigée en français, et, en omettant de lui signaler cette information déterminante, la société Sovereme a violé son obligation d'information préalable.

La société [X] soutient à titre subsidiaire que la société Sovereme ne démontrant pas qu'elle a exécuté son obligation d'information à son égard, la vente doit être résolue, que ce défaut d'information est d'une gravité suffisante, et que la notice d'utilisation est impropre à l'utilisation prévue.

La société Sovereme réplique que la société [X] ne démontre pas que la délivrance d'une notice d'utilisation en français était une condition essentielle de son achat.

Elle ajoute qu'il n'existe pas de notice rédigée en langue française pour cette machine. Elle expose que les machines diffèrent en fonction de leur fonctionnalités et paramètres. Dès lors, les notices d'information sont rédigées spécifiquement par le fabricant à l'attention de la société qui commande la machine dans la langue du client. S'agissant d'une machine destinée initialement à une société allemande, la notice réclamée par la société [X] n'a été rédigée qu'en allemand et en anglais.

Elle affirme que la société [X] a démontré qu'elle comprenait l'anglais, en écrivant un mail dans cette langue à la société Heesemann. Enfin, elle affirme que la société Heesemann avaient indiqué à la société [X] que la notice n'était pas disponible en français.

S'agissant de la résolution de la vente, la société Sovereme réplique que la commande ayant été valablement passée, et la livraison valablement intervenue, la vente est parfaite. Elle rappelle que la notice lui a été retransmise par voie d'avocat et soutient que la livraison de la notice dans une langue autre que le français n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier la résolution de la vente.

Aux termes de l'article 1112 -1 du code civil, « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. [...]

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie, la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. »

L'article 1224 du code civil dispose que la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

En l'espèce, la société [X] est entrée en relation avec la société Sovereme après l'acquisition d'une ponceuse auprès d'un tiers dans le but d'obtenir une assistance technique pour la mise en route de la machine.

Est versé aux débats le courriel de la société Sovereme du 27 avril 2017, par lequel elle propose, suite à la sollicitation de la société [X], de lui fournir « une documentation complète pour la MFA8CC N°0710271 ».

La directive machines 98/37/CE, qui a pour objet d'encadrer la conception des machines par les obligations techniques et règlementaires visant à assurer la sécurité des travailleurs, n'impose pas à la société Sovereme, étrangère à l'opération d'achat de la machine, de fournir une documentation technique en langue française. La demande de la société [X] visant à voir condamner la société Sovereme à lui fournir sous astreinte une documentation technique en langue française sera, par voie de confirmation, rejetée.

Il est en revanche établi que la société Sovereme avait été préalablement informée par un courriel de la société [X] du 20 avril 2017 que celle-ci avait acquis un matériel d'occasion qu'elle ne parvenait pas à faire fonctionner normalement et qu'elle souhaitait la documentation complète de ce matériel qui lui faisait défaut : « bonjour, merci pour votre réponse.

La machine est-elle branchée : oui.

La machine est-elle de niveau : oui.

L'écran s'allume-t-il : oui.

Y-a-t-il des messages d'erreur sur l'écran et lesquels ' Je ne sais pas car elle est en allemand, et apparemment il n'y en a pas.

J'ai réussi à la démarrer mais les patins sont descendus sur la table, et puis plus rien.

Il faudrait donc la mettre en route, la régler et une petite formation.

Pouvez-vous avoir aussi le schéma électrique, le mode d'emploi ou je dois voir ça avec Heesemann ' ».

La facture d'acompte adressée par la société Sovereme le 31 mai 2017 indique que la commande porte sur une « documentation complète ponceuse Heeseman », ce que rappelle la facture du 31 juillet 2017.

Les échanges entre la société [X] et la société Sovereme se sont déroulés exclusivement en langue française.

La société Sovereme verse aux débats un courriel reçu le 10 janvier 2019 de la part de la société Heeseman aux termes duquel celle-ci lui affirme que M. [X] n'était « pas content du tout. Particulièrement du fait que cette documentation n'était disponible qu'en anglais » ; il ne s'évince cependant pas de ce document que le dirigeant de la société [X] avait été informé, préalablement à la commande de la notice, que celle-ci n'existait pas en langue française.

S'il est constant que la société Sovereme n'a pas été impliquée dans le processus d'acquisition par la société [X] de la ponceuse industrielle, les échanges précédant la commande litigieuse démontrent que la société [X] avait clairement exprimé sa volonté de disposer d'un manuel technique permettant la mise en route de la machine, alors qu'elle ne comprenait pas les instructions apparaissant sur l'écran.

La société Sovereme étant le distributeur en France de la société Heesemann, la commande d'une « documentation complète ponceuse Heeseman » laissait supposer la livraison d'une documentation en langue française et non en langue anglaise, et il appartenait au vendeur d'informer l'acheteur au moment de l'achat que celle-ci n'existait qu'en anglais ou en allemand.

Il en résulte que la documentation livrée par la société Sovereme n'est pas conforme à la commande. La société Sovereme n'ayant pas exécuté son obligation, il convient de prononcer la résolution du contrat de vente du 31 mai 2017.

En conséquence, la société Sovereme sera condamnée, par voie d'infirmation, à rembourser à la société [X] la somme de 1 632 euros.

La société [X] demande en outre que la société Sovereme soit condamnée à lui verser la somme de 21 500 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice lié à l'impossibilité d'utiliser la machine entre juillet 2017 et janvier 2021. Toutefois, la responsabilité de la société Sovereme ne saurait être engagée à ce titre alors qu'elle n'est pas intervenue dans la vente de la ponceuse et que l'impossibilité d'utiliser la machine ne lui est pas directement imputable. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société Sovereme pour procédure abusive

La société Sovereme sollicite la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice, estimant que la société [X] utilise la procédure judiciaire de manière déloyale.

Au vu de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement ayant rejeté sa demande.

Sur les mesures accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.

La société Sovereme, partie perdante, sera tenue aux dépens d'instance et d'appel. Sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Il apparaît équitable de condamner la société Sovereme à payer à la société [X] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Creteil du 13 octobre 2020 en ce qu'il a :

- Débouté la société [X] de sa demande de résolution du contrat ;

- Condamné la société [X] à payer à la société Sovereme la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société [X] de sa demande formée de ce chef.

- Condamné la société [X] aux dépens.

Le confirme pour le surplus.

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Prononce la résolution du contrat de vente du 31 mai 2017 ;

Condamne la société Sovereme restituer à la société [X] la somme de 1 632 euros ;

Rejette la demande de la société Sovereme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Sovereme à payer à la société [X] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'instance et d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Sovereme aux dépens d'instance et d'appel.