Décisions
CA Dijon, 1re ch. civ., 17 septembre 2024, n° 22/00956
DIJON
Arrêt
Autre
[L] [W]
[R] [M]
épouse [W]
[E] [W]
C/
[N] [H]
[F] [K] épouse [H]
[B] [S] épouse [W]
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1re chambre civile
ARRÊT DU 17 SEPTEMBRE 2024
N° RG 22/00956 - N° Portalis DBVF-V-B7G-GAB3
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 07 juin 2022,
rendu par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône - RG : 20/01297
APPELANTS :
Monsieur [L] [W]
décédé le 22 août 2023 à [Localité 13] (71)
Madame [R] [A] [I] [M] épouse [W]
née le 26 Novembre 1940 à [Localité 10] (71)
[Adresse 7]
[Localité 3]
Monsieur [E] [W]
né le 01 Mars 1965 à [Localité 8] (71)
[Adresse 2]
[Localité 4]
agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'héritiers de [L] [W]
représentés par Me Florian LOUARD, avocat au barreau de MACON
INTIMÉS :
Monsieur [N] [H]
né le 17 Décembre 1980 à [Localité 9] (91)
[Adresse 6]
[Localité 5]
Madame [F] [K] épouse [H]
née le 03 Juin 1981 à [Localité 12]
[Adresse 6]
[Localité 5]
assistés de Me Céline MAURY, membre de l'AARPI ROOM Avocats, avocat au barreau de Paris, plaidant, et représentés par Me Laurent DELMAS, membre de la SCP LAURENT DELMAS, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE, postulant
PARTIE INTERVENANTE :
Madame [B] [S] épouse [W]
née le 10 mars 1973 à [Localité 8] (71)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Florian LOUARD, avocat au barreau de MACON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juin 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et Bénédicte KUENTZ, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 17 Septembre 2024,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte du 19 mai 2020, les époux [N] [H] / [F] [K] ont acquis auprès de M. [L] [W], Mme [R] [M] épouse [W] et M. [E] [W], pour le prix de 149 000 euros, un immeuble de rapport sis [Adresse 1] à [Localité 11], comprenant :
- au rez de chaussée, un garage, un local commercial et un appartement,
- au premier étage, trois appartements.
Il était stipulé que deux appartements et le local commercial étaient loués en contrepartie de loyers mensuels de 400 euros pour chacun des appartements et de 500 euros pour le bail commercial.
Par courrier du 4 juin 2020, les époux [H] se sont plaints auprès des consorts [W] essentiellement de vices affectant l'immeuble et d'impayés de loyers de la part des locataires et leur ont vainement demandé le paiement de la somme de 52 100 euros au titre de la réfaction du prix de vente et de l'indemnisation de leur préjudice de bailleurs.
Par acte du 15 septembre 2020, les époux [H] ont fait citer les consorts [W] devant le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône afin d'obtenir leur condamnation au paiement des sommes suivantes :
- au titre des vices affectant l'immeuble,
. à titre principal, 37 250 euros au titre de la réfaction du prix de vente,
. à titre subsidiaire, 9 497,23 euros au titre de la prise en charge des frais d'intervention sur la toiture et de la dératisation,
- 9 000 euros au titre de la perte des loyers, concrète et avérée,
- 5 000 euros au titre de la procédure d'expulsion à conduire,
- 8 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Les consorts [W] ont conclu au débouté des époux [H].
Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal judiciaire de Chalon sur Sâone a :
- condamné solidairement les consorts [W] à payer aux époux [H] la somme de 14 900 euros en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix le bien objet de la vente du 19 mai 2020,
- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
- débouté les époux [H] de leurs autres demandes indemnitaires,
- débouté les consorts [W] de leurs demandes au titre d'une procédure abusive et d'un préjudice moral,
- condamné solidairement les consorts [W] aux dépens de l'instance et à payer aux époux [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.
Par déclaration du 26 juillet 2022, les consorts [W] ont interjeté appel de ce jugement, dont ils critiquent expressément toutes les dispositions, à l'exception de celles
- ayant débouté les époux [H] de certaines de leurs demandes indemnitaires,
- les ayant déboutés de leurs demandes au titre d'une procédure abusive et d'un préjudice moral,
- ayant rappelé l'exécution provisoire de droit du jugement.
M. [L] [W] est décédé le 22 août 2023.
Mme [R] [W] née [M], son épouse, et M. [E] [W], son fils, poursuivent la procédure tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'héritiers ; par ailleurs, Mme [B] [W] née [S], épouse de M. [E] [W], intervient volontairement à la procédure.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées le 23 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions, les consorts [W] demandent à la cour, au visa des articles 1003, 1240 et 1614 du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile, de :
- déclarer leur appel recevable et bien fondé,
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il :
. les a solidairement condamnés à payer aux époux [H] la somme de 14 900 euros en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix le bien objet de la vente du 19 mai 2020,
. a ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
. les a solidairement condamnés à payer aux époux [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- à titre principal, débouter les époux [H] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- à titre reconventionnel, condamner les époux [H] à verser à chacun d'entre eux :
. la somme de 2 500 euros pour procédure abusive, soit au total 7 500 euros,
. la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, soit au total 3 000 euros,
- condamner les époux [H] aux entiers dépens de l'instance et à leur verser in solidum la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées le 24 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions, les époux [H] demandent à la cour, au visa des articles 542 et 562 du code de procédure civile et des articles 1137 et 1240 du code civil, de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- sur les 'demandes reconventionnelles' des consorts [W],
. à titre principal, juger ces demandes irrecevables pour ne pas avoir été comprises dans l'acte d'appel,
. à titre subsidiaire, débouter les consorts [W] de l'intégralité de leurs demandes,
- en toute hypothèse,
. condamner les consorts [W] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Delmas conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
. condamner les consorts [W] à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. débouter les consorts [W] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mai 2024.
MOTIVATION
Sur la demande des époux [H]
Bien que déboutés de plusieurs de leurs demandes soumises au premier juge, les époux [H] demandent la confirmation du jugement dont appel qui leur a alloué 14 900 euros de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix le bien objet de la vente du 19 mai 2020.
Pour parvenir à cette condamnation, le premier juge a retenu que les vendeurs avaient fait preuve d'une réticence dolosive, consistant à taire l'existence d'une dette locative pour chacun des trois locataires alors que l'objet de la vente était un immeuble de rapport de sorte que le paiement des loyers par les locataires était un élément déterminant de la volonté des acquéreurs.
Au soutien de leur demande de confirmation du jugement, les époux [H] font valoir que la réticence dolosive des vendeurs n'a pas porté que sur la situation d'impayés des trois baux mais également sur l'existence d'une occupation illégale d'un des appartements.
Pour leur part, les consorts [W] contestent toute réticence dolosive.
Sur les impayés de loyers
Eu égard aux dispositions de l'article 1112-1 du code civil, il est certain, et d'ailleurs non contesté par les consorts [W], qu'étant vendeurs d'un immeuble de rapport, ils devaient informer les époux [H] de l'existence d'éventuels impayés de loyers par les locataires dont les baux étaient en cours d'exécution.
Débiteurs de cette obligation d'information, il leur appartient de démontrer qu'ils y ont satisfait, étant observé qu'à défaut, il pourra être retenu une réticence dolosive de leur part.
Il ressort des mises en demeure de payer adressées le 9 juillet 2020, par le conseil des vendeurs, à chacun des trois locataires de l'immeuble vendu le 19 mai 2020, qu'ils restaient chacun débiteurs de loyers échus avant la vente.
D'ailleurs, le locataire d'un des deux appartements, bénéficiaire de l'APL, a, le 17 mai 2020 soit deux jours seulement avant la vente, signé au profit des consorts [W], une reconnaissance de dette au terme de laquelle il indique ne pas avoir réglé la part de loyer restant à sa charge, pendant 25 mois, si bien qu'il reste devoir la somme de 3 350 euros.
Les consorts [W] soutiennent que les clauses de l'acte de vente établissent que les époux [H] étaient informés de ces impayés.
Ils se réfèrent expressément aux stipulations selon lesquelles ils ont remis à l'acquéreur qui le reconnaît la dernière quittance de loyer établie en faveur de chacun des locataires des deux appartements.
Les époux [H] contestent avoir reçu lesdites quittances, dont la cour observe qu'aucune des parties ne les produit aux débats ne serait-ce qu'en copie.
En tout état de cause, à supposer lesdites quittances effectivement remises, les stipulations de l'acte ne permettent pas de savoir à quel mois elles sont relatives.
Par ailleurs, aucune quittance de loyer afférente au bail commercial n'a été remise aux acquéreurs.
En conséquence, les clauses de l'acte sont insuffisantes à établir que les vendeurs ont satisfait à leur obligation d'information.
Et en l'absence de tous autres éléments établissant que les impayés de loyers étaient connus des époux [H] lors de la vente, la cour ne peut que confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu une réticence dolosive sur ce point de la part des vendeurs.
Sur l'occupation illégale d'un des appartements
La cour rappelle que le premier juge a considéré que l'occupation sans droit ni titre de l'appartement du premier étage n'était pas rapportée.
Les époux [H] insistent sur cette situation mais ils n'en rapportent pas davantage la preuve en cause d'appel, étant rappelé qu'il ressort des pièces du dossier qu'avant la vente, ils disposaient du bail de cet appartement et savaient que le loyer dû pour celui-ci était partiellement réglé par la CAF via une allocation, dont ils n'allèguent, et a fortiori ne justifient, pas qu'ils n'ont pas pu la recevoir directement, postérieurement à la vente.
Par ailleurs, ainsi que l'a relevé le premier juge, le titulaire du bail était en droit d'héberger son frère, voire la famille de celui-ci, famille dont la composition et le nombre de membres n'est pas connue, si bien qu'aucune situation de suroccupation manifeste de l'appartement n'est démontrée.
Sur ce second point, aucune réticence dolosive ne peut donc être retenue à l'encontre des vendeurs.
Sur le préjudice
Il est constitué par la perte d'une chance d'acquérir l'immeuble à un prix inférieur à 149 000 euros.
Cette perte de chance a été évaluée à 10 % du prix payé par le premier juge.
Or, les époux [H] eux-mêmes écrivent dans leurs conclusions que le prix était 'raisonnable'.
En outre, lors de l'achat d'un immeuble de rapport, les impayés de loyers constituent un risque prévisible, et d'ailleurs assurable, et la survenance de ce risque n'est pas totalement indépendante de la gestion plus ou moins rigoureuse de l'immeuble, étant observé qu'en l'espèce, malgré les termes figurant dans leur assignation, les époux [H] ne justifient ni avoir subi une quelconque perte de revenus locatifs, ni avoir été contraints d'engager une procédure d'expulsion.
Dans ces circonstances, la cour réduit à 4 000 euros le montant des dommages-intérêts, somme assurant une juste et intégrale réparation du préjudice subi par les vendeurs.
Conformément à l'article 1231-7 du code civil, cette somme produit intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2022, date du jugement dont appel, intérêts dont la capitalisation annuelle est confirmée.
La cour précise toutefois que ces intérêts ne sont dus que jusqu'au jour du paiement de la somme de 4 000 euros, même si ce paiement est intervenu au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Sur les demandes indemnitaires des consorts [W]
En cause d'appel, les consorts [W] présentent les mêmes demandes indemnitaires 'pour procédure abusive' et 'pour préjudice moral' qu'en première instance ; ils ont seulement augmenté le montant de ces demandes.
Le premier juge n'a pas fait droit à ces demandes.
Et dans leur déclaration d'appel, les consorts [W] n'ont pas critiqué la disposition du jugement les ayant déboutés de ces demandes.
Dès lors qu'ils ne peuvent pas étendre le périmètre de l'appel tel que défini par cette déclaration, les époux [H] sont fondés à soutenir qu'ils sont irrecevables à réitérer ces demandes devant la cour, demandes qui ne pouvaient en tout état de cause pas prospérer eu égard à la solution donnée au litige.
Sur les frais de procès
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par les consorts [W], le conseil des époux [H] pouvant recouvrer ceux d'appel comme il est dit à l'article 699 du même code.
Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont donc réunies qu'en faveur des époux [H].
La cour confirme le jugement dont appel en ce qu'il leur a alloué la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens de première instance.
Eu égard à la sensible réduction des dommages-intérêts que le premier juge leur avait alloués, la cour laisse à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare Mme [R] [W] née [M] et les époux [E] [W] / [B] [S] irrecevables en leurs demandes indemnitaires pour procédure abusive et pour préjudice moral,
Confirme les dispositions critiquées du jugement dont appel, sauf à :
- réduire à 4 000 euros le montant des dommages-intérêts dus solidairement par les consorts [W] aux époux [N] [H] / [F] [K], en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix l'immeuble objet de la vente du 19 mai 2020,
- préciser que cette somme de 4 000 euros produit intérêts au taux légal du 7 juin 2022 jusqu'au jour de son paiement,
Rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes que les consorts [W] auraient indument payées au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Y ajoutant,
Condamne solidairement les consorts [W] aux dépens d'appel et autorise Maître Laurent Delmas à recouvrer directement à leur encontre ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision,
Déboute les parties de leurs demandes présentées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,
[R] [M]
épouse [W]
[E] [W]
C/
[N] [H]
[F] [K] épouse [H]
[B] [S] épouse [W]
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1re chambre civile
ARRÊT DU 17 SEPTEMBRE 2024
N° RG 22/00956 - N° Portalis DBVF-V-B7G-GAB3
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 07 juin 2022,
rendu par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône - RG : 20/01297
APPELANTS :
Monsieur [L] [W]
décédé le 22 août 2023 à [Localité 13] (71)
Madame [R] [A] [I] [M] épouse [W]
née le 26 Novembre 1940 à [Localité 10] (71)
[Adresse 7]
[Localité 3]
Monsieur [E] [W]
né le 01 Mars 1965 à [Localité 8] (71)
[Adresse 2]
[Localité 4]
agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'héritiers de [L] [W]
représentés par Me Florian LOUARD, avocat au barreau de MACON
INTIMÉS :
Monsieur [N] [H]
né le 17 Décembre 1980 à [Localité 9] (91)
[Adresse 6]
[Localité 5]
Madame [F] [K] épouse [H]
née le 03 Juin 1981 à [Localité 12]
[Adresse 6]
[Localité 5]
assistés de Me Céline MAURY, membre de l'AARPI ROOM Avocats, avocat au barreau de Paris, plaidant, et représentés par Me Laurent DELMAS, membre de la SCP LAURENT DELMAS, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE, postulant
PARTIE INTERVENANTE :
Madame [B] [S] épouse [W]
née le 10 mars 1973 à [Localité 8] (71)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Florian LOUARD, avocat au barreau de MACON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juin 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et Bénédicte KUENTZ, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 17 Septembre 2024,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte du 19 mai 2020, les époux [N] [H] / [F] [K] ont acquis auprès de M. [L] [W], Mme [R] [M] épouse [W] et M. [E] [W], pour le prix de 149 000 euros, un immeuble de rapport sis [Adresse 1] à [Localité 11], comprenant :
- au rez de chaussée, un garage, un local commercial et un appartement,
- au premier étage, trois appartements.
Il était stipulé que deux appartements et le local commercial étaient loués en contrepartie de loyers mensuels de 400 euros pour chacun des appartements et de 500 euros pour le bail commercial.
Par courrier du 4 juin 2020, les époux [H] se sont plaints auprès des consorts [W] essentiellement de vices affectant l'immeuble et d'impayés de loyers de la part des locataires et leur ont vainement demandé le paiement de la somme de 52 100 euros au titre de la réfaction du prix de vente et de l'indemnisation de leur préjudice de bailleurs.
Par acte du 15 septembre 2020, les époux [H] ont fait citer les consorts [W] devant le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône afin d'obtenir leur condamnation au paiement des sommes suivantes :
- au titre des vices affectant l'immeuble,
. à titre principal, 37 250 euros au titre de la réfaction du prix de vente,
. à titre subsidiaire, 9 497,23 euros au titre de la prise en charge des frais d'intervention sur la toiture et de la dératisation,
- 9 000 euros au titre de la perte des loyers, concrète et avérée,
- 5 000 euros au titre de la procédure d'expulsion à conduire,
- 8 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Les consorts [W] ont conclu au débouté des époux [H].
Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal judiciaire de Chalon sur Sâone a :
- condamné solidairement les consorts [W] à payer aux époux [H] la somme de 14 900 euros en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix le bien objet de la vente du 19 mai 2020,
- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
- débouté les époux [H] de leurs autres demandes indemnitaires,
- débouté les consorts [W] de leurs demandes au titre d'une procédure abusive et d'un préjudice moral,
- condamné solidairement les consorts [W] aux dépens de l'instance et à payer aux époux [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.
Par déclaration du 26 juillet 2022, les consorts [W] ont interjeté appel de ce jugement, dont ils critiquent expressément toutes les dispositions, à l'exception de celles
- ayant débouté les époux [H] de certaines de leurs demandes indemnitaires,
- les ayant déboutés de leurs demandes au titre d'une procédure abusive et d'un préjudice moral,
- ayant rappelé l'exécution provisoire de droit du jugement.
M. [L] [W] est décédé le 22 août 2023.
Mme [R] [W] née [M], son épouse, et M. [E] [W], son fils, poursuivent la procédure tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'héritiers ; par ailleurs, Mme [B] [W] née [S], épouse de M. [E] [W], intervient volontairement à la procédure.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées le 23 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions, les consorts [W] demandent à la cour, au visa des articles 1003, 1240 et 1614 du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile, de :
- déclarer leur appel recevable et bien fondé,
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il :
. les a solidairement condamnés à payer aux époux [H] la somme de 14 900 euros en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix le bien objet de la vente du 19 mai 2020,
. a ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
. les a solidairement condamnés à payer aux époux [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- à titre principal, débouter les époux [H] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- à titre reconventionnel, condamner les époux [H] à verser à chacun d'entre eux :
. la somme de 2 500 euros pour procédure abusive, soit au total 7 500 euros,
. la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, soit au total 3 000 euros,
- condamner les époux [H] aux entiers dépens de l'instance et à leur verser in solidum la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées le 24 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions, les époux [H] demandent à la cour, au visa des articles 542 et 562 du code de procédure civile et des articles 1137 et 1240 du code civil, de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- sur les 'demandes reconventionnelles' des consorts [W],
. à titre principal, juger ces demandes irrecevables pour ne pas avoir été comprises dans l'acte d'appel,
. à titre subsidiaire, débouter les consorts [W] de l'intégralité de leurs demandes,
- en toute hypothèse,
. condamner les consorts [W] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Delmas conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
. condamner les consorts [W] à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. débouter les consorts [W] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mai 2024.
MOTIVATION
Sur la demande des époux [H]
Bien que déboutés de plusieurs de leurs demandes soumises au premier juge, les époux [H] demandent la confirmation du jugement dont appel qui leur a alloué 14 900 euros de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix le bien objet de la vente du 19 mai 2020.
Pour parvenir à cette condamnation, le premier juge a retenu que les vendeurs avaient fait preuve d'une réticence dolosive, consistant à taire l'existence d'une dette locative pour chacun des trois locataires alors que l'objet de la vente était un immeuble de rapport de sorte que le paiement des loyers par les locataires était un élément déterminant de la volonté des acquéreurs.
Au soutien de leur demande de confirmation du jugement, les époux [H] font valoir que la réticence dolosive des vendeurs n'a pas porté que sur la situation d'impayés des trois baux mais également sur l'existence d'une occupation illégale d'un des appartements.
Pour leur part, les consorts [W] contestent toute réticence dolosive.
Sur les impayés de loyers
Eu égard aux dispositions de l'article 1112-1 du code civil, il est certain, et d'ailleurs non contesté par les consorts [W], qu'étant vendeurs d'un immeuble de rapport, ils devaient informer les époux [H] de l'existence d'éventuels impayés de loyers par les locataires dont les baux étaient en cours d'exécution.
Débiteurs de cette obligation d'information, il leur appartient de démontrer qu'ils y ont satisfait, étant observé qu'à défaut, il pourra être retenu une réticence dolosive de leur part.
Il ressort des mises en demeure de payer adressées le 9 juillet 2020, par le conseil des vendeurs, à chacun des trois locataires de l'immeuble vendu le 19 mai 2020, qu'ils restaient chacun débiteurs de loyers échus avant la vente.
D'ailleurs, le locataire d'un des deux appartements, bénéficiaire de l'APL, a, le 17 mai 2020 soit deux jours seulement avant la vente, signé au profit des consorts [W], une reconnaissance de dette au terme de laquelle il indique ne pas avoir réglé la part de loyer restant à sa charge, pendant 25 mois, si bien qu'il reste devoir la somme de 3 350 euros.
Les consorts [W] soutiennent que les clauses de l'acte de vente établissent que les époux [H] étaient informés de ces impayés.
Ils se réfèrent expressément aux stipulations selon lesquelles ils ont remis à l'acquéreur qui le reconnaît la dernière quittance de loyer établie en faveur de chacun des locataires des deux appartements.
Les époux [H] contestent avoir reçu lesdites quittances, dont la cour observe qu'aucune des parties ne les produit aux débats ne serait-ce qu'en copie.
En tout état de cause, à supposer lesdites quittances effectivement remises, les stipulations de l'acte ne permettent pas de savoir à quel mois elles sont relatives.
Par ailleurs, aucune quittance de loyer afférente au bail commercial n'a été remise aux acquéreurs.
En conséquence, les clauses de l'acte sont insuffisantes à établir que les vendeurs ont satisfait à leur obligation d'information.
Et en l'absence de tous autres éléments établissant que les impayés de loyers étaient connus des époux [H] lors de la vente, la cour ne peut que confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu une réticence dolosive sur ce point de la part des vendeurs.
Sur l'occupation illégale d'un des appartements
La cour rappelle que le premier juge a considéré que l'occupation sans droit ni titre de l'appartement du premier étage n'était pas rapportée.
Les époux [H] insistent sur cette situation mais ils n'en rapportent pas davantage la preuve en cause d'appel, étant rappelé qu'il ressort des pièces du dossier qu'avant la vente, ils disposaient du bail de cet appartement et savaient que le loyer dû pour celui-ci était partiellement réglé par la CAF via une allocation, dont ils n'allèguent, et a fortiori ne justifient, pas qu'ils n'ont pas pu la recevoir directement, postérieurement à la vente.
Par ailleurs, ainsi que l'a relevé le premier juge, le titulaire du bail était en droit d'héberger son frère, voire la famille de celui-ci, famille dont la composition et le nombre de membres n'est pas connue, si bien qu'aucune situation de suroccupation manifeste de l'appartement n'est démontrée.
Sur ce second point, aucune réticence dolosive ne peut donc être retenue à l'encontre des vendeurs.
Sur le préjudice
Il est constitué par la perte d'une chance d'acquérir l'immeuble à un prix inférieur à 149 000 euros.
Cette perte de chance a été évaluée à 10 % du prix payé par le premier juge.
Or, les époux [H] eux-mêmes écrivent dans leurs conclusions que le prix était 'raisonnable'.
En outre, lors de l'achat d'un immeuble de rapport, les impayés de loyers constituent un risque prévisible, et d'ailleurs assurable, et la survenance de ce risque n'est pas totalement indépendante de la gestion plus ou moins rigoureuse de l'immeuble, étant observé qu'en l'espèce, malgré les termes figurant dans leur assignation, les époux [H] ne justifient ni avoir subi une quelconque perte de revenus locatifs, ni avoir été contraints d'engager une procédure d'expulsion.
Dans ces circonstances, la cour réduit à 4 000 euros le montant des dommages-intérêts, somme assurant une juste et intégrale réparation du préjudice subi par les vendeurs.
Conformément à l'article 1231-7 du code civil, cette somme produit intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2022, date du jugement dont appel, intérêts dont la capitalisation annuelle est confirmée.
La cour précise toutefois que ces intérêts ne sont dus que jusqu'au jour du paiement de la somme de 4 000 euros, même si ce paiement est intervenu au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Sur les demandes indemnitaires des consorts [W]
En cause d'appel, les consorts [W] présentent les mêmes demandes indemnitaires 'pour procédure abusive' et 'pour préjudice moral' qu'en première instance ; ils ont seulement augmenté le montant de ces demandes.
Le premier juge n'a pas fait droit à ces demandes.
Et dans leur déclaration d'appel, les consorts [W] n'ont pas critiqué la disposition du jugement les ayant déboutés de ces demandes.
Dès lors qu'ils ne peuvent pas étendre le périmètre de l'appel tel que défini par cette déclaration, les époux [H] sont fondés à soutenir qu'ils sont irrecevables à réitérer ces demandes devant la cour, demandes qui ne pouvaient en tout état de cause pas prospérer eu égard à la solution donnée au litige.
Sur les frais de procès
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel doivent être supportés par les consorts [W], le conseil des époux [H] pouvant recouvrer ceux d'appel comme il est dit à l'article 699 du même code.
Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont donc réunies qu'en faveur des époux [H].
La cour confirme le jugement dont appel en ce qu'il leur a alloué la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens de première instance.
Eu égard à la sensible réduction des dommages-intérêts que le premier juge leur avait alloués, la cour laisse à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare Mme [R] [W] née [M] et les époux [E] [W] / [B] [S] irrecevables en leurs demandes indemnitaires pour procédure abusive et pour préjudice moral,
Confirme les dispositions critiquées du jugement dont appel, sauf à :
- réduire à 4 000 euros le montant des dommages-intérêts dus solidairement par les consorts [W] aux époux [N] [H] / [F] [K], en réparation de la perte de chance de négocier à meilleur prix l'immeuble objet de la vente du 19 mai 2020,
- préciser que cette somme de 4 000 euros produit intérêts au taux légal du 7 juin 2022 jusqu'au jour de son paiement,
Rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes que les consorts [W] auraient indument payées au titre de l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Y ajoutant,
Condamne solidairement les consorts [W] aux dépens d'appel et autorise Maître Laurent Delmas à recouvrer directement à leur encontre ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision,
Déboute les parties de leurs demandes présentées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,