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Décisions

CA Metz, 1re ch., 17 septembre 2024, n° 22/00558

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières (Association Coopérative)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flores

Conseillers :

Mme Dussaud, Mme Devignot

Avocats :

Me Rozanek, Me Decot, Me Bettenfeld

TJ Metz, du 10 févr. 2022, n° 2018/02798

10 février 2022

EXPOSE DU LITIGE

M. [T] [S] a été gérant d'une société civile « Corbiaux » constituée par acte sous seing privé du 7 avril 2014.

La société civile Corbiaux a acquis la SAS Corbiaux & Fils par deux actes successifs. D'abord l'acquisition de 860 actions le 18 juin 2014 pour un montant de 200.000,00 euros, réglés par l'apport personnel de M. [T] [S] ; ensuite l'acquisition de 1940 actions le 18 décembre 2014 pour un montant de 450 000,00 euros.

La seconde acquisition a été financée, en partie, par un prêt souscrit le 11 décembre 2014 par la société civile Corbiaux auprès de la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières (ci-après désigné « la CCMTF ») d'un montant de 225 000,00 euros, remboursable en sept annuités de 36 045,91 euros au taux de 2,95 % par an.

Le contrat de prêt a été garanti par plusieurs sûretés :

Un cautionnement solidaire de M. [T] [S] et BPI France Financement, à hauteur respectivement de 27 000,00 euros et 40% ;

Un nantissement de 2 800 actions de la SAS Corbiaux et fils ;

Par délibération de l'assemblée générale en date du 30 septembre 2015, la société civile Corbiaux a adopté de nouveaux statuts, ainsi qu'une nouvelle forme juridique pour devenir une SARL, M. [T] [S] étant désormais propriétaire de 17.899 parts sociales sur 17.900.

La SARL Corbiaux & Fils a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire le 26 janvier 2016.

Par jugement du 12 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Sarreguemines a prononcé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL Corbiaux, constatant un état de cessation des paiements au 1e juillet 2016.

Par jugement du 17 octobre 2017, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Sarreguemines a condamné la SARL Corbiaux à payer à la CCMTF la somme de 191.005,82 euros portant intérêt au taux conventionnel de 2,95% l'an, à compter du 21 décembre 2017 et au taux de 0,5% l'an au titre de la cotisation d'assurance-vie sur la somme en principal de 177.314,41 euros au taux légal pour le surplus à compter de la signification de l'assignation soit le 11 octobre 2016.

Par un courrier en date du 17 novembre 2017 notifié le 20 novembre 2017, la CCMTF a déclaré sa créance au passif de la SARL Corbiaux à hauteur de 197.284,20 euros.

Par acte délivré le 27 août 2018, la CCMTF a assigné M. [T] [S] devant le tribunal de grande instance de Metz aux fins de le voir condamné à lui verser 17.899/17.900ème de la somme de 177.314,41 euros, assortis des intérêts au taux conventionnel.

Par acte délivré le 24 octobre 2018, M. [T] [S] a fait assigné en intervention forcée aux fins de garantie la SAS Sologest Audit et Conseil devant le tribunal de grande instance de Metz.

Par jugement en date du 10 février 2022, le tribunal judiciaire de Metz a :

Déclaré la CCMTF prise en la personne de son représentant recevable en son action ;

Débouté le CCMTF prise en la personne de son représentant légal de son action tendant à ce que la modification de personne morale de la société Corbiaux intervenue le 30 septembre 2015 lui soit déclarée inopposable, et par conséquent de son action en condamnation de M. [T] [S] à lui payer les échéances et les intérêts dus au titre du contrat de prêt accordé le 11 décembre 2014 ;

Rejeté la demande de la CCMTF prise en la personne de son représentant légal formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la CCMTF prise en la personne de son représentant légal à payer à M. [T] [S] la somme de 4.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté la demande de M. [T] [S] formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné M. [T] [S] à payer à la SAS Sologest Audit et Conseil la somme de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la CCMTF prise en la personne de son représentant légal aux dépens de la procédure ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Metz en date du 4 mars 2022, la CCMTF a interjeté appel de la décision du tribunal judiciaire de Metz.

Par ses dernières conclusions du 5 mai 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la CCMTF demande à la cour d'appel de :

« JUGER l'appel recevable et bien fondé,

INFIRMER le jugement entrepris en tous points, sauf en ce qu'il a déclaré la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières recevable en son action,

Statuant à nouveau

DECLARER recevables les demandes de la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières,

DECLARER inopposable à la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières la modification de la personne morale de la société civile Corbiaux intervenue selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015.

En tant que de besoin :

DECLARER inopposable à la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières la décision de transformation de la société civile Corbiaux en société à responsabilité limitée intervenue selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015.

En conséquence :

CONDAMNER monsieur [T] [S] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières les 17.899/17.900èmes de la somme de 197.284,20 € augmentée des intérêts au taux conventionnel de 3,45% l'an sur la somme en principal de 177.314,41 € à compter du 12 septembre 2017 au taux légal pour le surplus

CONDAMNER monsieur [T] [S] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières la somme de 6.000,00 € par application de l'article 700 du CPC au titre de la procédure de première instance et la somme de 6.000,00 € par application de l'article 700 du cpc au titre de la procédure d'appel.

Le CONDAMNER aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel. »

Par ses dernières conclusions du 16 novembre 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [T] [S] demande à la cour d'appel de :

« Recevoir l'appel de Monsieur [T] [S],

Infirmer le jugement du 10 février 2022 en ce qu'il a déclaré recevable la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES, en ce qu'il a :

Déclaré la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES prise en la personne de son représentant légal recevable en son action et l'a débouté de son action,

Statuant de fait sur le fond :

Rejeté les demandes de Mr [T] [S] dirigées contre la SAS SOLOGEST AUDIT ET CONSEIL qui tendaient à le voir déclarer recevable et bien fondé en sa demande d'intervention forcée et à voir condamner la société SOLOGEST AUDIT ET CONSEIL à le garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre et par le jugement intervenu au profit de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES et ce tant en principal, intérêts ou accessoires, ainsi qu'au titre de l'article 700 du CPC, condamner la société SOLOGEST AUDIT ET CONSEIL aux dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer une somme de 3 000 € au titre de l'Article 700 du CPC, ainsi qu'en toute autre demande qui en serait le complément ou l'accessoire ou qui serait par nature indivisible,

Et enfin, en ce qu'il a

Condamné Monsieur [S] à payer à la SAS SOLOGEST AUDIT ET CONSEIL la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du CPC

Et statuant à nouveau

Déclarer la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES irrecevable en l'ensemble ses demandes dirigées contre Monsieur [S], comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée et au principe de concentration des moyens et/ou pour défaut de qualité à agir et d'intérêt légitime et suffisant à agir et/ou pour défaut de qualité à agir en défense de Monsieur [S],

Déclarer, au besoin d'office, la CCM DES TROIS FRONTIERES irrecevable (notamment comme étant nouvelle au sens de l'article 564 du CPC et au sens de l'article 910-4 du CPC, en sa demande nouvelle, présentée pour la première fois dans le dispositif de ses conclusions du 30 novembre 2022, et tendant à voir :

Déclarer inopposable à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES la décision de transformation de la société civile CORBIAUX en société à responsabilité limitée intervenue selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015.

Subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES de l'intégralité de ses demandes, au besoin par substitution de motifs ou adjonction de motifs et subsidiairement par adoption de motifs,

En tout état de cause :

Déclarer la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES irrecevable et subsidiairement mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins, moyens, conclusions et prétentions dirigées contre Monsieur [S],

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES aux dépens d'instance et à verser à Monsieur [S] la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du CPC pour la procédure de première instance,

Y ajoutant,

Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES aux dépens d'appel,

Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES à payer à Monsieur [S] la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du CPC pour la procédure d'appel. »

Par ordonnance du 14 décembre 2023, le conseiller de la mise en l'état a ordonné la clôture de l'instruction du dossier.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la recevabilité des demandes

Concernant l'autorité de chose jugée et la concentration des moyens

Il résulte des articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile que l'autorité de la chose jugée a lieu à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

S'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

Il ressort du jugement du 17 octobre 2017 rendu par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz entre la CCM des trois Frontières, la SARL Corbiaux et M. [E] [T] [S], que la banque avait initialement assigné M. [T] [S] en paiement en sa qualité de caution de la SARL Corbiaux, puis s'est désistée de cette demande. Il est constant que cet engagement a été souscrit par M. [S] dans la limite de la somme de 27 000 euros en principal.

Dans le cadre de la présente procédure la demande de la CCM des trois frontières a un objet différent, la condamnation de M. [S] à lui payer les 17 899/17900ème de la somme de 197 284,20 euros (soit 197 273,18 euros en principal) augmentés des intérêts au taux conventionnel de 3,45% l'an sur la somme en principal de 177.314,41 € à compter du 12 septembre 2017 au taux légal pour le surplus, et l'inopposabilité de la décision de transformation de la société civile.

Le principe de concentration des moyens n'est dès lors pas applicable.

Par ailleurs le dispositif du jugement du 17 octobre 2017 qui donne acte à la CCM de son désistement à l'égard de M. [S] "ès qualités de caution de la SARL Corbiaux", n'a pas autorité de chose jugée concernant la demande en paiement des 17 899/17900eme de la somme de 197 284,20 euros (soit 197 273,18 euros en principal) augmentés des intérêts au taux conventionnel de 3,45% l'an sur la somme en principal de 177.314,41 € à compter du 12 septembre 2017 au taux légal pour le surplus, ni concernant la demande d'inopposabilité, ces deux demandes ayant un objet distinct de celle dont la CCM s'est désistée.

Aucune cause d'irrecevabilité n'est constituée à ces égards.

Concernant l'allégation de demande nouvelle

Selon l'article 561 du code de procédure civile l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel. Il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième dudit code.

Conformément à l'article 563 du code de procédure civile, pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

En vertu de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 du même code précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En application de l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Par ailleurs l'article 1844-3 du code civil indique que la transformation d'une société en une société d'une autre forme n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle.

Dans l'assignation du 27 août 2018 la CCM des trois frontières a souhaité voir :

déclarer inopposable "la modification de la personne morale de la société civile Corbiaux intervenue selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015",

en conséquence "CONDAMNER M. [T] [S] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel des Trois Frontières les 17.899/17.900èmes de la somme de 197.284,20 € augmentée des intérêts au taux conventionnel de 3,45% l'an sur la somme en principal de 177.314,41 € à compter du 12 septembre 2017 au taux légal pour le surplus".

Il ressort des moyens soulevés par la demanderesse en première instance, qui éclairent le dispositif de ses dernières conclusions, qu'elle entendait que la décision relatée dans le procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015 de transformer la société civile Corbiaux en société à responsabilité limitée lui soit déclarée inopposable, et qu'elle qualifiait cette transformation de "modification de la personnalité morale". Il est constant que depuis la première instance la CCM estime que la transformation de la société civile en société à responsabilité limitée a été faite en fraude de ses droits parce qu'elle lui a fait perdre les droits tirés de l'article 1857 du code civil.

Au demeurant l'annonce publiée au BODACC le 20 décembre 2015 concernant la société Corbiaux indique dans les commentaires : "modification survenue sur la forme juridique, le capital (augmentation) et l'administration". Il est manifeste que dès la première instance la CCM a entendu voir déclarer inopposable la modification survenue sur la forme juridique.

Il est en outre souligné que la demande d'inopposabilité formée dès la première instance ne concerne pas une éventuelle création de personne morale nouvelle, mais porte expressément sur la modification actée dans le procès-verbal du 30 septembre 2015.

La demande formée par la CCM en cours de procédure d'appel, "en tant que de besoin", tendant à " Déclarer inopposable à la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DES TROIS FRONTIERES la décision de transformation de la société civile Corbiaux en société à responsabilité limitée intervenue selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015" a le même objet que celle présentée dès la première instance. Elle correspond à la même demande, formulée avec un vocabulaire différent et plus précis.

Le moyen d'irrecevabilité soulevé par M. [S] est écarté.

Concernant l'article 910-4 du code de procédure civile

Il résulte de l'article 910-4 du code de procédure civile qu'à peine d'irrecevabilité les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.

Dès ses premières conclusions justificatives d'appel du 2 juin 2022, la CCM a sollicité de la cour une déclaration d'inopposabilité de la "modification de la personne morale de la société civile Corbiaux intervenue selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015".

Dans ses conclusions ultérieures du 30 novembre 2022 elle a souhaité voir également, "en tant que de besoin", "déclarer inopposable (...) la décision de transformation de la société civile Corbiaux en société à responsabilité limitée intervenue selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2015". Il a déjà été observé qu'il s'agit de la même demande autrement formulée.

Le moyen d'irrecevabilité soulevé à cet égard est écarté.

Concernant le délai de prescription

Il résulte des articles 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2224 du code civil que l'action des créanciers en inopposabilité d'actes accomplis par leur débiteur en fraude de leurs droits se prescrit par cinq ans à compter du jour où ils ont connu ou auraient dû connaître ces actes.

En l'espèce, la transformation reprochée date du 30 septembre 2015, elle a été publiée au BODACC le 20 décembre 2015, et l'action paulienne a été engagée par la CCM le 27 août 2018, avant l'expiration du délai de prescription de cinq ans.

L'exception de prescription est écartée.

Concernant la qualité et l'intérêt à agir

Conformément à l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

La CCM a intérêt à agir aux fins de voir déclarer inopposable la transformation de la société civile en société à responsabilité limitée, lui ayant fait perdre le bénéfice de l'article 1857 du code civil.

Concernant la qualité à défendre de M. [S]

M. [S], assigné en qualité d'ancien associé de la société civile Corbiaux a qualité pour défendre à la demande en paiement formée à son encontre, et à la demande préalable en déclaration d'inopposabilité de la transformation juridique de la société, laquelle aurait des conséquences juridiques à son encontre s'il y était fait droit. La question de savoir si les conditions de fond de l'action paulienne sont réunies à son égard relève d'un examen au fond.

Par ailleurs la liquidation judiciaire de la SARL Corbiaux a été clôturée pour insuffisance d'actif le 20 septembre 2018, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la mise en cause de celle-ci.

Le jugement est confirmé en ce qu'il déclare les demandes de la CCM des trois frontières recevables.

II- Au fond

Sur les demandes principales

Selon l'ancien article 1167 du Code Civil, devenu article 1341-2 du Code Civil, le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposable à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits.

L'une des conditions de fond de cette action est la détention par le demandeur d'un principe certain de créance à l'encontre du défendeur à l'action à la date de l'acte litigieux.

Dans le cadre de la présente procédure M. [S] n'est pas poursuivi en sa qualité de caution, mais en sa qualité d'associé de la société civile Corbiaux à la date de la transformation litigieuse du 30 septembre 2015, aux fins de remboursement du crédit du 11 décembre 2014 contracté par cette société en proportion de ses parts sociales.

En vertu de l'article 1857 du code civil, à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.

L'associé d'une société civile, qui désintéresse un créancier social en application de l'article 1857 du Code civil, acquitte la dette de la société et non pas une dette personnelle (Cass. 3e civ., 6 mai 2015, n° 14-15.222).

En outre conformément à l'article 1858 du code civil les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale.

Or la CCM des trois frontières ne se prévaut pas d'actes de vaines poursuites à l'encontre de la société civile Corbiaux, débitrice du prêt, qui seraient antérieurs au 30 septembre 2015. Elle ne fait état que d'incidents postérieurs à cette date dans le remboursement du prêt contracté par cette société.

Dès lors la CCM des trois frontières ne justifie pas d'un principe certain de créance à l'égard de M. [S], défendeur, à la date de la décision de transformation de la société civile Corbiaux en SARL Corbiaux du 30 septembre 2015, et même antérieurement, au titre du prêt du 11 décembre 2014 d'un montant initial de 225 000 euros.

Les conditions de fond de l'action paulienne prévue par l'article 1167 du code civil devenu 1341-2 ne sont pas réunies.

Le jugement est confirmé en ce qu'il rejette la demande de déclaration d'inopposabilité. La demande en paiement doit être également rejetée, M. [S] n'étant plus tenu aux dettes sociales dans les conditions de l'article 1857 du code civil depuis la transformation de la société civile en société à responsabilité.

Sur les dépens et l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement statuant sur les dépens et indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance sont confirmées.

La CCM des trois frontières est condamnée aux dépens d'appel et à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme le jugement en toutes ses dispositions dont appel ;

Y ajoutant,

Condamne la Caisse de crédit Mutuel des trois frontières aux dépens de la procédure d'appel;

Condamne la Caisse de crédit Mutuel des trois frontières à payer à M. [T] [S] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Déboute la Caisse de crédit Mutuel des trois frontières de ses demandes au titre des dépens et de l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.