Cass. 1re civ., 18 septembre 2024, n° 23-11.407
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champalaune
Rapporteur :
Mme Robin-Raschel
Avocats :
Me Boré, Salve de Bruneton et Mégret, Me Boucard-Maman
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 1er décembre 2022), la société Banque populaire des Alpes, devenue la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes (la Banque populaire) a consenti à M. et Mme [T] deux prêts immobiliers libellés en francs suisses, remboursables en trois cents mensualités et aux taux d'intérêts variables indexés sur le Libor CHF 1 mois.
2. En mars 2015, ces prêts ont été intégralement remboursés à la suite de la vente du bien immobilier pour lesquels ils avaient été accordés.
3. Le 4 janvier 2021, M. [T] (l'emprunteur) a assigné la banque en annulation des contrats, restitution des sommes versées, compensation des créances réciproques des parties et indemnisation sur le fondement de manquements de la banque à ses devoirs d'information et de mise en garde. Aux termes de ses conclusions au fond notifiées le 2 août 2021, il a également demandé au tribunal de constater le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêts et de réputer non écrites de telles clauses.
4. La banque a demandé au juge de la mise en état de déclarer irrecevables comme étant prescrites les demandes formées par l'emprunteur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de déclarer ses actions irrecevables, alors « que la demande tendant à la constatation du caractère abusif d'une clause est imprescriptible ; qu'en retenant, pour juger les actions de l'emprunteur irrecevables, que la prescription avait commencé à courir en septembre 2014, date à laquelle l'emprunteur avait eu connaissance de son préjudice consistant en la perte de change, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, ensemble l'article 7, §1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
6. Selon le premier de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
7. Il résulte du second que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
8. La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que le juge national était tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l'appliquait pas, sauf si le consommateur s'y opposait (CJCE, 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM).
9. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance), la CJUE a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
10. Il s'en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale.
11. Pour déclarer irrecevables, comme prescrites, les actions formées par l'emprunteur, dont celle fondée sur le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt, l'arrêt retient que cette action constitue, au cas d'espèce, une action en responsabilité soumise à un délai de prescription de cinq ans courant à compter du 1er septembre 2014, date à laquelle il a eu connaissance du montant du dommage, peu important que l'action tendant à voir déclarer une clause abusive non écrite soit imprescriptible.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
15. La demande formée par l'emprunteur, tendant au constat du caractère abusif de clauses des contrats de prêt, n'étant pas soumise à la prescription quinquennale (1re Civ., 30 mars 2022, pourvoi n° 19-17.996, publié), il y a lieu d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 1er février 2020, de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de dire que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire entre la Banque populaire et l'emprunteur.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable, comme étant prescrite, la demande, formée par M. [T], tendant au constat du caractère abusif de clauses des contrats de prêt, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 1er décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état du 1er février 2020 et rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande formée par M. [T], tendant au constat du caractère abusif de clauses des contrats de prêt ;
Dit que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire entre la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes et M. [T] ;
Condamne la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le juge de la mise en état et la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.