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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 17 septembre 2024, n° 22/12955

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Bomend's (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze

Avocats :

Me Aulibe-Istin, Me Laverrerie, Me Allouane

T. com. Evry, du 10 juin 2022, n° 2021L0…

10 juin 2022

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société par actions simplifiée Bomend's a été créée le 4 octobre 1984 avec pour objet social « l'importation, l'exportation, la vente de gros et de détail de chaussures dames et hommes et tous produits accessoires et de maroquinerie ». Elle est dirigée par M. [S] [T] auquel elle appartient à concurrence de 5% de son capital social, le surplus appartenant à une société holding Stock Chauss elle-même détenue à 95% par M. [T].

Sur requête du ministère public et par jugement du 27 mai 2019, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Bomend's, désigné la SELARL [X][Z], prise en la personne de Me [B] [Z], en qualité de mandataire judiciaire et fixé la date de cessation des paiements le 27 novembre 2017.

Par ordonnance du 8 juillet 2019, le juge-commissaire a désigné en qualité de technicien le Cabinet Abergel & Associés en application des dispositions de l'article L. 621-9 du code de commerce.

A la demande de Me [Z] ès qualités et par jugement du 7 octobre 2019, le tribunal de commerce a prononcé la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire et désigné Me [Z] en qualité de mandataire liquidateur. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 5 mars 2020.

Sur assignation de la SELARL [X] [Z] ès qualités du 3 novembre 2021 et par jugement du 10 juin 2022, le tribunal de commerce d'Evry a :

- condamné M. [T] à payer la somme de 150 000 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif,

- prononcé la faillite personnelle de M. [T] pour une durée de 10 ans,

- débouté Me [Z] ès qualités de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- employé les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Le tribunal a considéré qu'étaient caractérisées les fautes de gestion qui étaient reprochées à M. [T], à savoir :

- l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal,

- le non-paiement des cotisations sociales et de dettes fiscales postérieurement à la date de cessation des paiements et

- l'usage des biens ou du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci et à des fins personnelles ou pour favoriser des sociétés dans lesquelles le dirigeant était directement ou indirectement intéressé.

Le tribunal a évalué le montant de l'insuffisance d'actif définitive à la somme de 4 157 938,21 euros (conformément à l'estimation du liquidateur) dont 1 450 000 euros imputable aux fautes de gestion commises par M. [T].

Pour prononcer une mesure de faillite personnelle, il a retenu les griefs suivants :

- la poursuite abusive d'une activité déficitaire,

- le détournement ou la dissimulation d'actifs de la société,

- l'absence de collaboration avec les organes de la procédure,

- le défaut de déclaration de la cessation de paiement.

Par déclaration du 8 juillet 2022, M. [T] a relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions (n°1), remises au greffe et notifiées par RPVA le 5 octobre 2022, M. [S] [T] demande à la cour de :

- de juger nulle l'assignation introductive d'instance et d'annuler le jugement déféré,

- sur le fond, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau, de rejeter les demandes de condamnation au titre de l'insuffisance d'actif,

- de juger n'y avoir lieu de prononcer une sanction personnelle à son encontre,

- de condamner la SELARL [X][Z] ès qualités aux dépens.

Par dernières conclusions (n°1), remises au greffe et notifiées par RPVA le 20 avril 2023, la SELARL [X][Z] ès qualités demande à la cour de :

- à titre principal, de déclarer irrecevables les demandes nouvelles en cause d'appel,

- à titre subsidiaire, de déclarer mal fondées l'ensemble des demandes de M. [T],

- en tout état de cause, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de condamner M. [T] à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par avis communiqué le 21 décembre 2022, le ministère public est favorable à la confirmation du jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 12 décembre 2023.

SUR CE,

Sur la nullité de l'assignation

M. [T] soulève la nullité de l'assignation, soutenant qu'il n'a pas reçu l'avis de passage dans sa boite aux lettres ni la lettre prévue à l'article 658 du code de procédure civile et qu'il n'est pas démontré que l'huissier de justice a accompli toutes les diligences permettant de conclure que la signification à personne s'avérait impossible et que les formalités des articles 656 et 658 du code de procédure civile ont bien été effectuées.

La SELARL [X][Z] ès qualités lui oppose l'irrecevabilité de cette demande comme étant une demande nouvelle en cause d'appel. A titre subsidiaire, elle considère que la preuve de la nullité de l'assignation n'est pas rapportée.

Le ministère public relève que l'assignation a été signifiée à la bonne adresse et dans des formes régulières.

Sur ce,

L'exception de nullité de l'assignation soulevée par M. [T] ne constitue pas une demande mais un moyen de défense, qu'il soulève devant la cour avant toute défense au fond et qu'il ne pouvait de surcroît pas faire valoir en première instance alors qu'il n'a pas comparu et prétend ne pas avoir été valablement cité à comparaître.

La nullité des actes de procédure pouvant être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement, sous réserve de l'être avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ce qui est le cas en l'occurrence, il convient de déclarer cette exception de nullité recevable et d'examiner son bien-fondé.

L'article 656, alinéa 1er du code de procédure civile dispose que si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude de l'huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.

L'article 658, alinéa 1er, du même code prévoit que dans tous les cas prévus aux articles 655 et 656, l'huissier de justice doit aviser l'intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l'avis de passage et rappelant, si la copie de l'acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l'article 656. La lettre contient en outre une copie de l'acte de signification.

En l'espèce, il résulte de l'acte de signification de l'assignation délivré le 3 novembre 2021 à l'adresse de M. [T] telle qu'elle figure sur sa déclaration d'appel et ses dernières écritures, que l'huissier de justice s'est présenté à son domicile, qu'il a reçu confirmation de la part d'un voisin qu'il s'agissait bien de l'adresse de M. [T], qu'en l'absence de ce dernier, il lui a laissé un avis de passage conformément aux articles 656 et 655 du code de procédure civile puis lui a adressé la lettre prévue à l'article 658 du code de procédure civile, précisant qu'elle comportait les mêmes mentions que l'avis de passage et la copie de l'acte signification.

Il s'ensuit que les formes prévues aux articles précités ont été respectées, de sorte qu'à défaut de preuve contraire, la signification a valablement été faite à l'étude.

L'assignation n'encourt donc pas le grief de la nullité contrairement à ce que soutient

M. [T] et l'exception de nullité sera en conséquence rejetée.

Sur la recevabilité des demandes de M. [T]

La SELARL [X][Z] ès qualités oppose à M. [T] le caractère nouveau de ses demandes en cause d'appel et prétend que sont irrecevables sa demande d'infirmation du jugement, le moyen soulevé à l'appui tenant à la forclusion d'une créance de 3 004 048 euros admise au passif de la procédure de liquidation judiciaire et le moyen tiré du caractère excessif, prématuré et constitutif d'un cumul de sanctions de la mesure de faillite personnelle.

Or en première instance, M. [T] n'a jamais comparu, ne s'est pas fait représenter et n'a fait valoir aucune défense au fond. Il est donc recevable à demander l'infirmation du jugement pour faire écarter les prétentions adverses, en application de l'article 564 du code de procédure civile, et de faire valoir tous moyens de fait ou de droit à l'appui, en vertu de l'article 563 du même code.

Les fins de non-recevoir ainsi soulevées par la SELARL [X][Z] ès qualités sont donc inopérantes et doivent par conséquent être rejetées.

Sur l'insuffisance d'actif

Au soutien de sa demande d'infirmation de sa condamnation à verser la somme de 150 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, M. [T] conteste le montant du passif de 4 157 938,21 euros, en ce qu'il contient une créance d'un montant de 3 004 348 euros admise au passif alors que le créancier était forclos en sa déclaration et que son mandataire n'a pas justifié de son mandat, et affirme que l'insuffisance d'actif ne résulte pas d'une faute de sa part dans la mesure où il a contesté vainement cette créance.

La SELARL [X][Z] ès qualités indique que M. [T] n'a jamais expressément contesté cette créance d'un fournisseur espagnol la société Sa Fabrica de Calcado Penha, que le juge-commissaire n'a jamais été saisi d'une contestation à ce titre, que ce créancier n'était pas forclos et que la présente instance n'a pas pour objet la vérification du passif de la société Bomend's. Elle ajoute que le passif définitif s'élève à 4 190 011,08 euros, alors que l'actif est de 32 072,87 euros, soit une insuffisance d'actif estimée à 4 157 938,21 euros.

Le ministère public affirme qu'il n'appartient pas à la cour d'évaluer l'admissibilité de la créance litigieuse au passif de la procédure et que ce moyen d'infirmation lui apparaît devoir être rejeté.

Sur ce,

L'article L. 651-2 du code de commerce dispose : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée (') ».

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le montant du passif total définitif s'élève à la somme de 4 190 011,08 euros, dont la créance litigieuse d'un montant de 3 004 348 euros.

Ce montant n'a pas fait l'objet d'une contestation suivant les formes et les modalités de la procédure de vérification du passif et il n'appartient pas à la cour dans le cadre de la présente instance de se prononcer sur l'admission ou le rejet de la créance de la société Sa Fabrica de Calcado Penha, principal fournisseur de la société Bomend's.

En tout état de cause, le liquidateur n'ayant pas formé d'appel incident, l'enjeu du litige soumis à la cour n'est que de 150 000 euros, de sorte qu'il suffit que l'insuffisance d'actif soit certaine à hauteur de ce montant, ce qui n'apparait pas discuté et rend inopérant le débat sur la créance litigieuse.

Le montant du passif retenu par la cour s'élève donc à la somme de 4 190 011,08 euros, tandis que l'actif non contesté est de 32 072,87 euros, ce dont il résulte une insuffisance d'actif de 4 157 938,21 euros.

- Sur les fautes de gestion

M. [T] ne discute pas avoir commis les trois fautes de gestion retenues par le tribunal, pour mémoire, l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, le non-paiement des cotisations sociales et de dettes fiscales postérieurement à la date de cessation des paiements et l'usage des biens ou du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci et à des fins personnelles ou pour favoriser des sociétés dans lesquelles le dirigeant était directement ou indirectement intéressé.

- Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements

En premier lieu, la SELARL [X][Z] ès qualités fait état du défaut de déclaration de cessation des paiements, indiquant que le compte de résultat de l'année 2017 montrait des pertes d'exploitation à hauteur de 3 807 772 euros, qu'à compter du 27 novembre 2017, date de cessation des paiements fixée par le jugement d'ouverture, la société a cessé de régler ses cotisations URSSAF (88 986,92 euros), ses dettes fiscales (803 191,82 euros) et ses cotisations de retraite complémentaire (21 236,20 euros), qu'entre septembre 2018 et mars 2019, la société a contracté de nouvelles dettes auprès de son fournisseur Linea Pura pour un montant total de 106 910,14 euros et que l'ouverture tardive de la procédure collective a causé une augmentation du passif à tout le moins à hauteur de 1 020 325,08 euros.

Le ministère public estime que cette faute engage la responsabilité de M. [T] pour insuffisance d'actif.

La cour constate au vu des pièces produites (manifestement non exhaustives) que les montants des créances déclarées hors pénalités sont les suivants :

- créance de l'URSSAF : 88 986,92 euros pour la période allant de novembre 2018 à mai 2019, dont 67 899 euros au titre de l'année 2019,

- créance fiscale (TVA) : 557 906 euros du 1er janvier 2018 au 30 septembre 2019, dont 67 906 euros au titre de l'année 2018, 210 000 euros de mars à mai 2019 et 280 000 euros de juin à septembre 2019,

- créance de l'organisme Klesia : 20 952,70 euros pour la période comprise entre janvier et mai 2019.

Si ces créances ne comportent pas de pénalités, elles ont cependant été générées par la poursuite de l'activité de la société Bomend's dont M. [T] était le dirigeant de droit, alors que le compte de résultat de la société affichait au titre de l'exercice comptable 2017 une perte nette de plus de 3,8 millions d'euros.

Si cette perte comptable s'explique selon le cabinet d'expertise-comptable Abergel par une baisse du chiffre d'affaire de 500 000 euros et par des provisions pour dépréciation, et s'il est concevable que M. [T] a pu espérer redresser la situation dans le courant de l'année 2018, il n'en demeure pas moins que les dettes générées ultérieurement au cours de l'année 2019 et jusqu'au jugement d'ouverture du 27 mai 2019, soit 298 851,7 euros (67 899 +210 000 +20 952,70), auraient pu être évitées par l'ouverture d'une procédure collective, de sorte que l'insuffisance d'actif a été aggravée à concurrence de 298 851,7 euros du fait de l'absence de déclaration de cessation des paiements qui ne peut être considérée comme une simple négligence en raison de sa durée depuis la perte nette enregistrée au titre de l'exercice 2017 et en raison de l'importance de cette perte de l'ordre de 3 millions d'euros.

- Sur le manquement aux obligations sociales et fiscales

En deuxième lieu, la SELARL [X][Z] ès qualités soutient que M. [T] a commis des manquements à ses obligations sociales et fiscales en créant un passif social qu'elle chiffre à la somme de 110 225,12 euros (URSSAF et Klesia pour les sommes précitées et Malakoff-Mederic pour 315,50 euros) et une passif fiscal (TVA) estimé à 826 000 euros dont 426 000 euros de pénalités.

Le ministère public indique que le passif social n'est pas fautif à ce titre en ce qu'il n'a pas donné lieu à des pénalités, ni à une charge anormale mais que le passif fiscal, en ce qu'il comporte des majorations et pénalités pour l'exercice 2018 en raison du non reversement de la TVA, engage la responsabilité de M. [T].

La cour constate que hormis la créance de l'organisme de retraite Malakoff-Mederic de 315,50 euros, les créances sociales et fiscales auxquelles il est fait référence sont celles mentionnées dans la précédente sous-partie, étant précisé que les pénalités de 426 000 euros mentionnées par le mandataire liquidateur et par le ministère public le sont en référence au rapport d'alerte du commissaire aux comptes rédigé le 3 décembre 2018 mais non actualisé depuis alors que ces pénalités ont été ultérieurement déduites par l'administration dans sa déclaration de créance.

Pour mémoire, les créances sociales et fiscales impayées qui ont été déclarées sans pénalités sont les suivantes :

- créance de l'URSSAF : 88 986,92 euros pour la période allant de novembre 2018 à mai 2019, dont 67 899 euros au titre de l'année 2019,

- créance fiscale (TVA) : 557 906 euros du 1er janvier 2018 au 30 septembre 2019, dont 67 906 euros au titre de l'année 2018, 210 000 euros de mars à mai 2019 et 280 000 euros de juin à septembre 2019,

- créance de l'organisme Klesia : 20 952,70 euros pour la période comprise entre janvier et mai 2019.

Le non-paiement des cotisations sociales et des charges fiscales est ainsi avéré.

S'il n'est pas discuté par M. [T] qu'il soit fautif, les conséquences de cette faute sont déjà prises en compte au titre de la précédente faute de gestion et ne majorent pas le passif, ni l'insuffisance d'actif, dans la mesure où le non-respect de ces obligations sociales et fiscales n'a pas donné lieu à pénalités de la part de l'administration ou des organismes concernés.

- Sur l'usage des biens de la société Bomend's contraire à l'intérêt social

En troisième lieu, la SELARL [X][Z] ès qualités et le ministère public reprennent à leur compte les constatations du rapport du Cabinet Abergel et estiment la faute de gestion caractérisée.

Le rapport du Cabinet Abergel fait en effet apparaître, pour l'essentiel, une affectation en compte courant de M. [T] des encaissements clients perçus en liquide et non remis en banque pour encaissement, des encaissements par la société IWTS de chèques établis au nom de la société Bomend's, le financement de la société IWTS, intégralement détenue par Stock Chauss, elle-même détenue majoritairement par M. [T], par imputation d'une créance en compte client de 272 000 euros et par apport en compte courant auprès de Stock Chauss de 750 000 euros sans justification et à fonds perdus.

M. [T] a ainsi fait un usage des biens de la société Bomend's contraire à l'intérêt social et dans son intérêt personnel à destination de sociétés dans lesquelles il est directement ou indirectement intéressé.

Les débits réalisés sur le compte bancaire de la société Bomend's au profit de sociétés du même groupe ayant M. [T] pour dirigeant et/ou actionnaire majoritaire, Stock Chauss (société holding du groupe), IWTS, Vin'Shoes et Romaluchi (sociétés s'urs de Bomend's), et totalisant 16 200 euros, en ce qu'ils apparaissent sur les relevés bancaires versés aux débats avoir été effectués le 28 mai 2019 lendemain du jugement d'ouverture, n'ont pas à être retenus au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif.

Compte tenu de leur importance, soit 1 022 000 euros (272 000 + 750 000), ces flux anormaux ne sauraient être qualifiés de simple négligence, se révèlent fautifs, et ont grevé le passif social pour une somme supérieure à 1 million d'euros.

Faute de tenue d'une comptabilité dans les semaines précédant le jugement d'ouverture de la procédure collective, l'insuffisance d'actif imputable à ces flux anormaux sera évaluée à la somme de 1 022 000 euros.

- Sur le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif

Le montant de l'insuffisance d'actif imputable aux fautes de M. [T] s'élève ainsi à la somme de 1 320 851,7 euros (1 022 000 + 298 851,7).

M. [T] ne fait pas état, ni ne justifie du montant de ses ressources et charges.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis la charge de M. [T] une contribution à l'insuffisance d'actif de 150 000 euros.

Sur la sanction personnelle

M. [T] soutient que les conditions légales du prononcé de la faillite personnelle ne sont pas réunies, faute par le tribunal de caractériser un intérêt personnel, que le prononcé de la sanction anticipe un défaut d'exécution de sa condamnation à régler l'insuffisance d'actif, que cette sanction est constitutive d'un cumul de sanctions, que son quantum est excessif et qu'en définitive, il n'y a pas lieu à sanction.

La SELARL [X][Z] ès qualités fait valoir que ces moyens sont inopérants, que M. [T] ne se fonde pas sur les textes adéquats, qu'il ajoute à la loi des conditions et qu'en tout état de cause le tribunal a valablement constaté que les conditions du prononcé de ces sanctions étaient réunies.

Le ministère public soutient que deux griefs sont constitués (absence de collaboration avec les organes de la procédure et usage du crédit de la société contraire à l'intérêt social). Il demande à la cour de ne pas retenir l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal car ce grief est sanctionné par une interdiction de gérer et non par une faillite. Il estime enfin que la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire n'est pas caractérisée car l'activité est devenue déficitaire concomitamment avec la cessation des paiements.

- Sur le défaut de coopération avec les organes de la procédure

Il résulte de l'article L. 653-5, 5° du code de commerce qu'est sanctionné par la faillite personnelle le fait d'avoir, en s'abstenant de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement.

En l'espèce, le rapport de la SELARL [X][Z] ès qualités mentionne que M. [T] n'a plus coopéré avec elle à partir de l'ouverture du redressement judiciaire, cessant de répondre aux courriels, ne communiquant pas les comptes sociaux ni la liste de ses créanciers et ne donnant pas suite aux promesses faites par téléphone.

Le défaut de communication de comptes récents et de la liste des créanciers a fait obstacle au bon déroulement de la procédure, a contraint le mandataire judiciaire à faire appel aux services d'un technicien expert en comptabilité en la personne du Cabinet Abergel et a finalement conduit le mandataire judiciaire à déposer une requête en conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire à laquelle le tribunal de commerce a fait droit en octobre 2019.

Il ressort du rapport du Cabinet Abergel que M. [T] s'est abstenu de répondre à la plupart des sollicitations du technicien ou qu'il y a répondu en promettant de transmettre ultérieurement une information qu'il n'a finalement jamais communiquée. Ainsi, il n'a pas communiqué les comptes annuels de l'exercice 2018, ni la comptabilité de l'exercice 2019.

Il en résulte que le défaut de coopération avec les organes de la procédure ayant fait obstacle à son bon déroulement est ainsi caractérisé. Le grief sera donc retenu.

- Sur la poursuite abusive dans un intérêt personnel d'une exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements

Il résulte de l'article L. 653-4, 4° du code de commerce que le tribunal peut prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d'avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

Le fait que la date de cessation des paiements ait été fixée par le tribunal à une époque concomitante à l'apparition du déficit est sans incidence sur la caractérisation du grief puisqu'il peut être caractérisé y compris lorsque la cessation des paiements est déjà survenue.

En l'espèce, la poursuite de l'exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements est caractérisée par la poursuite de l'exploitation tout au long des années 2018 et 2019 (jusqu'en mai), alors que le résultat d'exploitation était déficitaire de plus de 3 millions d'euros dès la fin de l'année 2017, que la cessation des paiements est intervenue le 22 novembre 2017 et que l'exploitation n'a cessé que sur saisine du ministère public alerté par le commissaire aux comptes de la société Bomend's.

Cette poursuite d'activité est abusive en ce qu'elle est intervenue malgré une forte baisse du chiffre d'affaires de 1,65 millions d'euros et une dette fournisseur conséquente, alors que concomitamment M. [T] en sa qualité de dirigeant de la société Bomend's maintenait ses financements à la société IWTS et consentait un abandon de créance à la société Romaluchi à hauteur de 42 000 euros, sociétés auxquelles il est directement intéressé.

La poursuite d'activité doit également être considérée comme abusive en ce qu'elle a perduré au-delà de l'année 2018 malgré une situation économique très dégradée.

Le grief doit donc être retenu.

- Sur l'usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l'intérêt de celle-ci

Il résulte des termes de l'article L. 653-4, 3° du code de commerce qu'est sanctionné par la faillite personnelle le fait pour un dirigeant d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

En l'espèce, il a été précédemment jugé que M. [T] a ainsi fait un usage des biens de la société Bomend's contraire à l'intérêt social et dans son intérêt personnel à destination de sociétés dans lesquelles il est directement ou indirectement intéressé.

Le grief est également caractérisé et sera retenu.

- Sur le défaut de déclaration de la cessation de paiement

Au vu de la gravité des autres griefs retenus que la cour entend sanctionner par une mesure de faillite personnelle, ce grief ne sera pas retenu.

- Sur le quantum de la sanction

La mesure du déficit d'exploitation, la durée de la période suspecte et la gravité des griefs ainsi caractérisés justifient le prononcé d'une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans.

Cette sanction n'emporte pas cumul de sanction avec la contribution du dirigeant à l'insuffisance d'actif de la société.

A ces motifs substitués, le jugement sera donc également confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Partie perdante, M. [T] sera condamné aux dépens de première instance, le jugement étant confirmé sur ce point, ainsi qu'aux dépens d'appel et ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SELARL [X][Z] ès qualités se verra allouer la somme de 2 000 euros au titre de ses frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, étant précisé que le jugement est confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevable mais mal fondée l'exception de nullité de l'assignation et déboute M.[T] de sa demande d'annulation du jugement ;

Rejette les fins de non-recevoir soulevées par la SELARL [X][Z] ès qualités ;

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Condamne M. [S] [T] aux dépens d'appel ;

Condamne M. [S] [T] à verser à la SELARL [X][Z] ès qualités la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.