Décisions
CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 12 septembre 2024, n° 23/08182
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/08182 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSBW
Décision déférée à la cour
Jugement du 18 avril 2023-Juge de l'exécution de Créteil-Rg n°23/234
APPELANTE
CAISSE RÉGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE,
Société coopérative à capital et personnel variables, régie par les articles L 512 ' 20 à L 512 -54 du code monétaire et financier et par l'ancien livre V du Code Rural, dont le siège social est à [Adresse 3], immatriculée au RCS d'AMIENS sous le numéro 487 625 436, venant aux droits de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE L'OISE et de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE, par suite de la signature du traité de fusion en date du 11 mai 2007, cette dernière venant elle-même aux droits de LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA BRIE et de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA SOMME par suite de la signature d'un traité de fusion en date du 29 avril 2005, prise en la personne de son représentant légal,
Représentée par Me Olivier BOHBOT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 342
INTIMÉS
Monsieur [P] [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Sylvie EX-IGNOTIS de la SCP SCP FOUCHE-EX IGNOTIS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 155
Madame [B] [J] épouse [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Sylvie EX-IGNOTIS de la SCP SCP FOUCHE-EX IGNOTIS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 155
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 juin 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseillère
Madame Valérie DISTINGUIN, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, conseillère dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, greffier, présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte notarié du 30 mai 2001, M. [P] [W] et Mme [B] [J] épouse [W] ont souscrit un prêt auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie (ci-après la CRCAM) afin de financer l'acquisition de leur résidence principale à [Localité 4] (93).
La banque a prononcé la déchéance du terme le 29 octobre 2013 et a engagé une procédure de saisie immobilière à l'encontre des époux [W] selon commandement de payer du 27 février 2014, publié le 7 avril 2014.
Par jugement du 6 mars 2014, le tribunal de grande instance de Bobigny a placé M. [P] [W], médecin, en liquidation judiciaire. Ce jugement a été infirmé par la cour d'appel de Paris, qui l'a placé en redressement judiciaire par arrêt du 18 septembre 2014. Un plan de redressement sur dix ans a été arrêté selon jugement du tribunal de grande instance de Bobigny en date du 23 juillet 2015.
La CRCAM, dont la créance déclarée a été admise partiellement à titre privilégié par ordonnance du 17 décembre 2015, a perçu des dividendes dans le cadre de l'exécution de ce plan.
Par jugement en date du 15 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Bobigny a prononcé la résolution du plan de redressement et a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de M. [W], désignant Me [Y] [M] en qualité de mandataire liquidateur. La CRCAM a déclaré de nouveau sa créance.
Par ordonnance du 1er juillet 2021, le juge-commissaire a ordonné la vente aux enchères de la maison de [Localité 4] aux requêtes, poursuites et diligences de Me [M]. La cour d'appel de Paris, par arrêt du 31 mars 2022, a infirmé cette ordonnance et a rejeté la demande du mandataire liquidateur tendant à la reprise de la procédure de saisie immobilière, estimant que la résidence principale des époux [W] ne pouvait être saisie et vendue dans le cadre de la procédure collective relative à M. [W], en application de l'article L.526-1 du code de commerce, en vigueur à l'ouverture de la liquidation judiciaire le 15 novembre 2018.
Le 25 octobre 2022, la CRCAM a fait délivrer aux époux [W] un commandement de payer aux fins de saisie-vente.
Par assignation en date du 27 décembre 2022, M. et Mme [W] ont fait citer la CRCAM devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil aux fins d'annulation du commandement en raison de la procédure collective en cours.
Par jugement du 18 avril 2023, le juge de l'exécution a :
débouté M. et Mme [W] de leur fin de non-recevoir,
prononcé la nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 25 octobre 2022 et tout acte subséquent,
condamné la CRCAM au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge a retenu que si la CRCAM était un créancier personnel de M. [W], par opposition aux créanciers professionnels, elle faisait partie des créanciers de la procédure collective et était donc soumise à l'interdiction de toute mesure d'exécution, tant à l'égard de M. [W] que de son épouse commune en biens, résultant de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de M. [W], en application de l'article L.622-21 du code de commerce.
Par déclaration du 2 mai 2023, la CRCAM a formé appel (partiel) de ce jugement.
Par conclusions du 26 juin 2023, elle demande à la cour d'appel de :
infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
En conséquence,
débouter les époux [W] de toutes leurs demandes, fins, et conclusions,
dire et juger que le commandement de payer du 25 octobre 2022 a été régulièrement signifié,
condamner solidairement les époux [W] au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et 4.000 euros en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens, donc distraction, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En premier lieu, elle fait valoir que la mesure d'exécution forcée engagée est valable. Elle explique qu'étant créancier personnel de M. et Mme [W], l'insaisissabilité de l'article L.526-1 du code de commerce et les règles de la procédure collective ne lui sont pas opposables, de sorte qu'elle peut engager une procédure de saisie immobilière, puisqu'elle peut exercer son droit de poursuite sur l'immeuble sur lequel elle bénéficie d'une sûreté pendant la procédure collective par voie de saisie immobilière et dispose donc d'un droit personnel et propre pour engager une mesure d'exécution forcée. Elle soutient que le bien immobilier objet du commandement querellé a fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable puisque ses droits sont nés antérieurement à la publication de la déclaration, de sorte qu'elle conserve le droit de saisir l'immeuble sans être soumise aux règles de la procédure collective. Elle conclut qu'elle est en droit de faire signifier un commandement de payer aux fins de saisie-vente.
En second lieu, elle conclut à l'absence de prescription, faisant valoir que sa déclaration de créance du 14 avril 2014 a interrompu la prescription, puis qu'elle disposait d'un nouveau délai pour agir à compter du 15 novembre 2018, date de l'ouverture de la liquidation judiciaire, qui se prolonge jusqu'à la clôture, laquelle n'est pas encore intervenue.
Par conclusions du 21 juillet 2023, M. et Mme [W] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En tout état de cause, y ajoutant,
- condamner la CRCAM au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Ils font valoir que la conversion d'une procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire n'est pas une nouvelle procédure mais la continuité, de sorte que la créance de la CRCAM a été admise de plein droit dans le cadre de la liquidation judiciaire ; que selon l'article L.622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ; et que le commandement de payer aux fins de saisie-vente, qui constitue une mesure d'exécution forcée, a été délivré en cours de procédure de liquidation judiciaire, de sorte qu'il est nul en application de l'article L.622-7 alinéa 4 du code de commerce.
Ils estiment sans objet l'argumentation de la banque relative à son droit de poursuite individuel à l'encontre de leur bien immobilier en ce que la CRCAM leur a délivré un simple commandement de payer aux fins de saisie-vente et non un commandement de payer valant saisie immobilière. En tout état de cause, ils considèrent que la procédure collective affecte tant le patrimoine professionnel que personnel de M. [W], qui exerçait une activité libérale à titre individuel sans patrimoine d'affectation, de sorte que tous ses créanciers, y compris la CRCAM, sont soumis aux règles de la procédure collective ; que selon la Cour de cassation, un créancier, auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable, bénéficie d'un droit de poursuite sur cet immeuble, mais n'en demeure pas moins soumis au principe d'ordre public d'arrêt des poursuites et d'interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d'ouverture, de sorte que le créancier doit attendre la clôture de la liquidation judiciaire.
Ils ajoutent que la question de la prescription n'était pas soumise au juge de l'exécution, mais que si l'appelante considère qu'elle n'avait pas d'interdiction de poursuivre le débiteur depuis le début de la procédure et n'était donc pas dans l'impossibilité d'agir, le délai de prescription a commencé à courir à compter le 17 décembre 2015, date d'admission de sa créance, pour expirer le 17 décembre 2017, étant précisé que la CRCAM n'avait pas à procéder à une nouvelle déclaration de créance après la résolution du plan.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente
Il n'est pas contesté que les procédures collectives instituées par le code de commerce s'appliquent à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut réglementé, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon les dettes professionnelles ou personnelles.
Il résulte des articles L.641-3 alinéa 1er et L.622-21 II du code de commerce que le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire arrête ou interdit toute procédure d'exécution de la part des créanciers antérieurs tant sur les meubles que sur les immeubles.
En outre, selon la jurisprudence, ces créanciers ne peuvent pas non plus poursuivre l'exécution forcée à l'encontre du conjoint co-débiteur in bonis sur les biens communs, ces biens constituant le gage des créanciers de la procédure collective.
Par ailleurs, selon l'article L.526-1 alinéa 1er du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-690 du 6 août 2015, la résidence principale de l'entrepreneur individuel est de droit insaisissable par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne. Ces dispositions n'ont d'effet, en vertu de l'article 206 IV de cette loi, qu'à l'égard des créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de l'activité professionnelle après la publication de ladite loi, soit le 8 août 2015, les deux conditions étant cumulatives.
En l'espèce, il est constant que le bien immobilier de [Localité 4], dont l'acquisition a été financée par le prêt de la CRCAM, est un bien commun (les époux [W] étant mariés sous un régime de communauté de meubles et acquêts : régime légal congolais) constituant la résidence principale de M. et Mme [W]. La CRCAM a inscrit sur ce bien immobilier un privilège de prêteur de deniers. Il n'existe aucune déclaration d'insaisissabilité sur ce bien, contrairement à ce que laissent penser les conclusions de l'appelante.
La CRCAM, dont la créance n'est pas née à l'occasion de l'activité professionnelle de M. [W] et est antérieure à la publication de la loi du 6 août 2015, n'est pas concernée par l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale, qui lui est donc inopposable.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le créancier titulaire d'une sûreté réelle, auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable, bénéficie d'un droit de poursuite sur l'immeuble, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, et peut, contrairement aux autres créanciers de la procédure collective, saisir le bien et faire procéder à sa vente, sans être autorisé par le juge-commissaire puisque cette vente sur saisie n'est pas une opération de liquidation judiciaire. L'immeuble insaisissable n'entrant pas dans le gage commun des créanciers, il ne peut en revanche être réalisé par le liquidateur judiciaire.
Ainsi en l'espèce, si par arrêt d'appel du 31 mars 2022, le liquidateur judiciaire de M. [W] a été débouté de sa demande d'autorisation de vente aux enchères de la résidence principale des époux [W] en raison de l'insaisissabilité de plein droit s'appliquant à ce bien, la CRCAM conserve quant à elle son droit de poursuite individuelle sur l'immeuble en raison de sa sûreté réelle.
Il n'en reste pas moins que le droit de poursuite de la CRCAM ne concerne que l'immeuble sur lequel elle bénéficie d'une sûreté et non l'ensemble du patrimoine des époux [W], qui reste le gage (à l'exception de la résidence principale insaisissable) des créanciers de la procédure collective.
Dès lors, la CRCAM, qui demeure soumise pour les autres biens à l'interdiction des procédures d'exécution résultant de l'article L.622-21 II du code de commerce, ne pouvait valablement faire délivrer à M. et Mme [W] un commandement de payer aux fins de saisie-vente, lequel porte sur des biens meubles.
C'est dès lors à bon droit que le juge de l'exécution a annulé ce commandement. Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante, la CRCAM sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité justifie que chaque partie garde la charge de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
CONFIRME en toutes ses dispositions déférées à la cour le jugement rendu le 18 avril 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil,
Y ajoutant,
REJETTE les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie aux dépens d'appel.
Le greffier, Le président,
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/08182 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSBW
Décision déférée à la cour
Jugement du 18 avril 2023-Juge de l'exécution de Créteil-Rg n°23/234
APPELANTE
CAISSE RÉGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE,
Société coopérative à capital et personnel variables, régie par les articles L 512 ' 20 à L 512 -54 du code monétaire et financier et par l'ancien livre V du Code Rural, dont le siège social est à [Adresse 3], immatriculée au RCS d'AMIENS sous le numéro 487 625 436, venant aux droits de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE L'OISE et de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE, par suite de la signature du traité de fusion en date du 11 mai 2007, cette dernière venant elle-même aux droits de LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA BRIE et de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA SOMME par suite de la signature d'un traité de fusion en date du 29 avril 2005, prise en la personne de son représentant légal,
Représentée par Me Olivier BOHBOT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 342
INTIMÉS
Monsieur [P] [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Sylvie EX-IGNOTIS de la SCP SCP FOUCHE-EX IGNOTIS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 155
Madame [B] [J] épouse [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Sylvie EX-IGNOTIS de la SCP SCP FOUCHE-EX IGNOTIS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 155
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 juin 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseillère
Madame Valérie DISTINGUIN, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, conseillère dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, greffier, présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte notarié du 30 mai 2001, M. [P] [W] et Mme [B] [J] épouse [W] ont souscrit un prêt auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie (ci-après la CRCAM) afin de financer l'acquisition de leur résidence principale à [Localité 4] (93).
La banque a prononcé la déchéance du terme le 29 octobre 2013 et a engagé une procédure de saisie immobilière à l'encontre des époux [W] selon commandement de payer du 27 février 2014, publié le 7 avril 2014.
Par jugement du 6 mars 2014, le tribunal de grande instance de Bobigny a placé M. [P] [W], médecin, en liquidation judiciaire. Ce jugement a été infirmé par la cour d'appel de Paris, qui l'a placé en redressement judiciaire par arrêt du 18 septembre 2014. Un plan de redressement sur dix ans a été arrêté selon jugement du tribunal de grande instance de Bobigny en date du 23 juillet 2015.
La CRCAM, dont la créance déclarée a été admise partiellement à titre privilégié par ordonnance du 17 décembre 2015, a perçu des dividendes dans le cadre de l'exécution de ce plan.
Par jugement en date du 15 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Bobigny a prononcé la résolution du plan de redressement et a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de M. [W], désignant Me [Y] [M] en qualité de mandataire liquidateur. La CRCAM a déclaré de nouveau sa créance.
Par ordonnance du 1er juillet 2021, le juge-commissaire a ordonné la vente aux enchères de la maison de [Localité 4] aux requêtes, poursuites et diligences de Me [M]. La cour d'appel de Paris, par arrêt du 31 mars 2022, a infirmé cette ordonnance et a rejeté la demande du mandataire liquidateur tendant à la reprise de la procédure de saisie immobilière, estimant que la résidence principale des époux [W] ne pouvait être saisie et vendue dans le cadre de la procédure collective relative à M. [W], en application de l'article L.526-1 du code de commerce, en vigueur à l'ouverture de la liquidation judiciaire le 15 novembre 2018.
Le 25 octobre 2022, la CRCAM a fait délivrer aux époux [W] un commandement de payer aux fins de saisie-vente.
Par assignation en date du 27 décembre 2022, M. et Mme [W] ont fait citer la CRCAM devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil aux fins d'annulation du commandement en raison de la procédure collective en cours.
Par jugement du 18 avril 2023, le juge de l'exécution a :
débouté M. et Mme [W] de leur fin de non-recevoir,
prononcé la nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 25 octobre 2022 et tout acte subséquent,
condamné la CRCAM au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge a retenu que si la CRCAM était un créancier personnel de M. [W], par opposition aux créanciers professionnels, elle faisait partie des créanciers de la procédure collective et était donc soumise à l'interdiction de toute mesure d'exécution, tant à l'égard de M. [W] que de son épouse commune en biens, résultant de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de M. [W], en application de l'article L.622-21 du code de commerce.
Par déclaration du 2 mai 2023, la CRCAM a formé appel (partiel) de ce jugement.
Par conclusions du 26 juin 2023, elle demande à la cour d'appel de :
infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
En conséquence,
débouter les époux [W] de toutes leurs demandes, fins, et conclusions,
dire et juger que le commandement de payer du 25 octobre 2022 a été régulièrement signifié,
condamner solidairement les époux [W] au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et 4.000 euros en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens, donc distraction, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En premier lieu, elle fait valoir que la mesure d'exécution forcée engagée est valable. Elle explique qu'étant créancier personnel de M. et Mme [W], l'insaisissabilité de l'article L.526-1 du code de commerce et les règles de la procédure collective ne lui sont pas opposables, de sorte qu'elle peut engager une procédure de saisie immobilière, puisqu'elle peut exercer son droit de poursuite sur l'immeuble sur lequel elle bénéficie d'une sûreté pendant la procédure collective par voie de saisie immobilière et dispose donc d'un droit personnel et propre pour engager une mesure d'exécution forcée. Elle soutient que le bien immobilier objet du commandement querellé a fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable puisque ses droits sont nés antérieurement à la publication de la déclaration, de sorte qu'elle conserve le droit de saisir l'immeuble sans être soumise aux règles de la procédure collective. Elle conclut qu'elle est en droit de faire signifier un commandement de payer aux fins de saisie-vente.
En second lieu, elle conclut à l'absence de prescription, faisant valoir que sa déclaration de créance du 14 avril 2014 a interrompu la prescription, puis qu'elle disposait d'un nouveau délai pour agir à compter du 15 novembre 2018, date de l'ouverture de la liquidation judiciaire, qui se prolonge jusqu'à la clôture, laquelle n'est pas encore intervenue.
Par conclusions du 21 juillet 2023, M. et Mme [W] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En tout état de cause, y ajoutant,
- condamner la CRCAM au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Ils font valoir que la conversion d'une procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire n'est pas une nouvelle procédure mais la continuité, de sorte que la créance de la CRCAM a été admise de plein droit dans le cadre de la liquidation judiciaire ; que selon l'article L.622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ; et que le commandement de payer aux fins de saisie-vente, qui constitue une mesure d'exécution forcée, a été délivré en cours de procédure de liquidation judiciaire, de sorte qu'il est nul en application de l'article L.622-7 alinéa 4 du code de commerce.
Ils estiment sans objet l'argumentation de la banque relative à son droit de poursuite individuel à l'encontre de leur bien immobilier en ce que la CRCAM leur a délivré un simple commandement de payer aux fins de saisie-vente et non un commandement de payer valant saisie immobilière. En tout état de cause, ils considèrent que la procédure collective affecte tant le patrimoine professionnel que personnel de M. [W], qui exerçait une activité libérale à titre individuel sans patrimoine d'affectation, de sorte que tous ses créanciers, y compris la CRCAM, sont soumis aux règles de la procédure collective ; que selon la Cour de cassation, un créancier, auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable, bénéficie d'un droit de poursuite sur cet immeuble, mais n'en demeure pas moins soumis au principe d'ordre public d'arrêt des poursuites et d'interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d'ouverture, de sorte que le créancier doit attendre la clôture de la liquidation judiciaire.
Ils ajoutent que la question de la prescription n'était pas soumise au juge de l'exécution, mais que si l'appelante considère qu'elle n'avait pas d'interdiction de poursuivre le débiteur depuis le début de la procédure et n'était donc pas dans l'impossibilité d'agir, le délai de prescription a commencé à courir à compter le 17 décembre 2015, date d'admission de sa créance, pour expirer le 17 décembre 2017, étant précisé que la CRCAM n'avait pas à procéder à une nouvelle déclaration de créance après la résolution du plan.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité du commandement de payer aux fins de saisie-vente
Il n'est pas contesté que les procédures collectives instituées par le code de commerce s'appliquent à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut réglementé, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon les dettes professionnelles ou personnelles.
Il résulte des articles L.641-3 alinéa 1er et L.622-21 II du code de commerce que le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire arrête ou interdit toute procédure d'exécution de la part des créanciers antérieurs tant sur les meubles que sur les immeubles.
En outre, selon la jurisprudence, ces créanciers ne peuvent pas non plus poursuivre l'exécution forcée à l'encontre du conjoint co-débiteur in bonis sur les biens communs, ces biens constituant le gage des créanciers de la procédure collective.
Par ailleurs, selon l'article L.526-1 alinéa 1er du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-690 du 6 août 2015, la résidence principale de l'entrepreneur individuel est de droit insaisissable par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne. Ces dispositions n'ont d'effet, en vertu de l'article 206 IV de cette loi, qu'à l'égard des créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de l'activité professionnelle après la publication de ladite loi, soit le 8 août 2015, les deux conditions étant cumulatives.
En l'espèce, il est constant que le bien immobilier de [Localité 4], dont l'acquisition a été financée par le prêt de la CRCAM, est un bien commun (les époux [W] étant mariés sous un régime de communauté de meubles et acquêts : régime légal congolais) constituant la résidence principale de M. et Mme [W]. La CRCAM a inscrit sur ce bien immobilier un privilège de prêteur de deniers. Il n'existe aucune déclaration d'insaisissabilité sur ce bien, contrairement à ce que laissent penser les conclusions de l'appelante.
La CRCAM, dont la créance n'est pas née à l'occasion de l'activité professionnelle de M. [W] et est antérieure à la publication de la loi du 6 août 2015, n'est pas concernée par l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale, qui lui est donc inopposable.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le créancier titulaire d'une sûreté réelle, auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable, bénéficie d'un droit de poursuite sur l'immeuble, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, et peut, contrairement aux autres créanciers de la procédure collective, saisir le bien et faire procéder à sa vente, sans être autorisé par le juge-commissaire puisque cette vente sur saisie n'est pas une opération de liquidation judiciaire. L'immeuble insaisissable n'entrant pas dans le gage commun des créanciers, il ne peut en revanche être réalisé par le liquidateur judiciaire.
Ainsi en l'espèce, si par arrêt d'appel du 31 mars 2022, le liquidateur judiciaire de M. [W] a été débouté de sa demande d'autorisation de vente aux enchères de la résidence principale des époux [W] en raison de l'insaisissabilité de plein droit s'appliquant à ce bien, la CRCAM conserve quant à elle son droit de poursuite individuelle sur l'immeuble en raison de sa sûreté réelle.
Il n'en reste pas moins que le droit de poursuite de la CRCAM ne concerne que l'immeuble sur lequel elle bénéficie d'une sûreté et non l'ensemble du patrimoine des époux [W], qui reste le gage (à l'exception de la résidence principale insaisissable) des créanciers de la procédure collective.
Dès lors, la CRCAM, qui demeure soumise pour les autres biens à l'interdiction des procédures d'exécution résultant de l'article L.622-21 II du code de commerce, ne pouvait valablement faire délivrer à M. et Mme [W] un commandement de payer aux fins de saisie-vente, lequel porte sur des biens meubles.
C'est dès lors à bon droit que le juge de l'exécution a annulé ce commandement. Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante, la CRCAM sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité justifie que chaque partie garde la charge de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
CONFIRME en toutes ses dispositions déférées à la cour le jugement rendu le 18 avril 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil,
Y ajoutant,
REJETTE les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie aux dépens d'appel.
Le greffier, Le président,