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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 12 septembre 2024, n° 23/05664

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Éditions Jalou (SARL), P2G (SELARL)

Défendeur :

Parlan Publishing (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Ricard, Me Maury, Me Dupuis, Me Picard

T. com. Paris, du 22 déc. 2011, n° 20100…

22 décembre 2011


La société Les Editions Jalou est l'éditeur du magazine « L'Officiel de la couture et de la mode de [Localité 6] » depuis 1921.

Elle a, en 1997, conclu un accord de licence avec la société New sovereign ltd pour la diffusion du magazine en langue russe en Russie et dans les pays voisins.

Le 28 décembre 2001 a été signé un contrat d'une durée de dix ans expirant le 31 décembre 2011. Le 1er octobre 2006, ce contrat a été amendé et les droits et obligations de la société New sovereign ltd ont été transférés à la société CJSC Parlan publishing (« la société Parlan »). Le 1er janvier 2007, un contrat de licence standard, concédant à la société Parlan l'exclusivité d'exploitation du magazine sur tout le territoire défini en 1997, a été signé par la société Les Editions Jalou aux fins d'enregistrement auprès de l'administration russe.

Des divergences d'appréciation sur l'exécution du contrat de 2001 sont apparues et, les 17 avril et 5 août 2010, la société Les Editions Jalou a conclu avec la société AST deux contrats, le premier fixant les conditions d'exploitation du magazine en Russie à compter du 1er janvier 2012, le second définissant les conditions de licence et de distribution du 1er septembre 2010 au 31 décembre 2011. Ce dernier contrat n'a pu être enregistré au registre de la propriété intellectuelle de Moscou en raison du contrat amendé de 2001 expirant le 31 décembre 2011.

Dans le même temps, la société Les Editions Jalou a, par lettre du 4 août 2010, résilié les contrats la liant à la société Parlan à compter du 30 août 2010 en lui reprochant divers griefs.

La société Parlan a publié après le 30 août 2010 sept numéros d'un magazine de mode en Russie.

C'est dans ces conditions que la société Les Editions Jalou a, le 10 novembre 2010, assigné la société Parlan devant le tribunal de commerce de Paris en résiliation du contrat amendé de 2001 et du contrat de licence standard de 2007 aux torts exclusifs de la société Parlan, paiement de dommages et intérêts et cessation de toute activité en relation avec l'élaboration et la publication du magazine. La société Parlan a reconventionnellement engagé la responsabilité de la société Les Editions Jalou à raison de la résiliation brutale et abusive du contrat, de la rupture brutale des relations commerciales, de la rupture brutale et sans motif des pourparlers en vue de l'extension du contrat de licence.

Le tribunal a statué par jugement du 22 décembre 2011 en déboutant la société Les Editions Jalou de sa demande de résiliation judiciaire du contrat amendé de 2001, en jugeant infondée la « résolution » (lire « résiliation ») unilatérale de ce contrat, en condamnant la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan la somme de 2 millions d'euros à titre de compensation pour interruption du contrat au 30 août 2010 au lieu du 31 décembre 2011, la somme de 2 millions de dollars au titre du non renouvellement du contrat à son terme, la somme de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine et la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en condamnant la société Les Editions Jalou aux dépens et en déboutant la société Parlan de ses autres demandes indemnitaires.

Sur appel de la société Les Editions Jalou et par arrêt du 28 janvier 2015, alors que la société Les Editions Jalou avait en outre présenté des demandes en réparation d'actes commis par la société Parlan après la résiliation du contrat, la cour d'appel de Paris :

- a déclaré recevable l'exception d'incompétence soulevée in limine litis par la société Parlan et s'est déclarée compétente pour apprécier la légalité des actes de la société Parlan dont il était demandé réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle,

- a rejeté les demandes sur ce point comme présentées pour la première fois en appel,

- a confirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan la somme de 2 millions d'euros à titre de compensation pour l'interruption du contrat au 30 août 2010 au lieu du 31 décembre 2011,

- l'a infirmé sur ce point et, statuant à nouveau, a condamné la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan la somme de 2.217.000 euros sur ce fondement,

- a rejeté la demande de délai de paiement de la société Les Editions Jalou,

- a condamné la société Les Editions Jalou aux dépens d'appel, recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à la société Parlan la somme de 75.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Les Editions Jalou par jugement du 4 février 2015 et un plan de redressement arrêté par jugement du 17 mars 2016.

Sur le pourvoi formé par la société Les Editions Jalou et son administrateur judiciaire, la Cour de cassation a, par arrêt du 8 novembre 2016, cassé et annulé cet arrêt sauf en ce que, infirmant le jugement, il condamne la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan la somme de 2.217.000 euros à titre de compensation pour l'interruption du contrat au 30 août 2010 au lieu du 31 décembre 2011, et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Sur saisine de la société Les Editions Jalou et du commissaire à l'exécution du plan et par arrêt du 13 février 2019, la cour d'appel de Paris a :

- infirmé le jugement en ce qu'il avait prononcé les condamnations à l'encontre de la société Les Editions Jalou pour les sommes de 2.000.000 dollars et 153.000 euros et, statuant à nouveau, fixé au passif de la société Les Editions Jalou les créances de la société Parlan à 1.760.000 euros correspondant à la contre-valeur en euros de la somme de 2.000.000 dollars au taux de conversion du 4 février 2015 et à 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence ukrainienne,

- condamné la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan la somme de 60.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Parlan de toutes ses autres demandes,

- déclaré recevables mais mal fondées les demandes de la société Les Editions Jalou,

- débouté la société Les Editions Jalou de toutes ses demandes,

- condamné la société Les Editions Jalou aux dépens d'appel.

Sur le pourvoi formé par la société Les Editions Jalou et les commissaires à l'exécution du plan, la Cour de cassation a, par arrêt du 24 juin 2020, cassé et annulé cet arrêt mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts de la société Les Editions Jalou au titre de la publication de sept numéros de magazine postérieurement à la résiliation du contrat, et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Sur saisine de la société Les Editions Jalou et du commissaire à l'exécution et par arrêt du 23 juin 2021, la cour d'appel de Paris a, dans les limites de sa saisine, confirmé le jugement, débouté la société Les Editions Jalou du surplus de ses demandes de dommages et intérêts et compensation, condamné la société Les Editions Jalou aux dépens et l'a condamnée à payer à la société Parlan la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté toute autre demande.

Sur le pourvoi formé par la société Les Editions Jalou et les commissaires à l'exécution du plan, la Cour de cassation a, par arrêt du 22 mars 2023, cassé et annulé cet arrêt en toutes ses dispositions, et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Versailles.

Par déclaration du 27 juillet 2023, la société Les Editions Jalou et la société P2G, commissaire à l'exécution du plan, ont saisi la cour d'appel de céans et, par dernières conclusions n° 4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 19 mars 2024, elles demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Les Editions Jalou au paiement d'une somme de 2.000.000 dollars au titre du non renouvellement du contrat et de la somme de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine, de débouter la société Parlan de l'ensemble de ses demandes en paiement et en fixation au passif de la somme de 2.000.000 dollars (soit 1.760.000 euros correspondant à la contre-valeur en euros) au titre du non renouvellement du contrat et de la somme de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine ;

- de condamner la société Parlan à payer à la société Les Editions Jalou à titre de dommages et intérêts la somme globale de 6.325.197,50 euros se décomposant comme suit :

- 251.335 euros au titre de la perte de redevance fixe due au titre des sept numéros publiés sans droit,

- 62.862,50 euros au titre de la perte de la redevance variable,

- 6.011.000 euros au titre de la perte des redevances attendues pour les deux contrats conclus avec la société AST,

- d'ordonner la compensation judiciaire entre, d'une part, la condamnation de la société Parlan à payer à la société Les Editions Jalou l'indemnité globale de 6.325.197,50 euros et, d'autre part, les condamnations prononcées à l'encontre de la société Les Editions Jalou au profit de la société Parlan pour la somme globale de 4.265.970 euros diminuée de la somme de 1.219.950 euros déjà réglée au titre de l'exécution du plan de continuation,

- de condamner la société Parlan à payer à la société Les Editions Jalou la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Par dernières conclusions n° 2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 26 mars 2024, la société Parlan demande à la cour :

- de déclarer irrecevables les demandes de la société Les Editions Jalou d'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 2.000.000 dollars au titre du non renouvellement du contrat et de la somme de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine et de sa demande qu'il soit statué à nouveau et qu'elle soit déboutée de ces droits à indemnisation,

- de déclarer irrecevables toutes autres demandes que celle de la société Les Editions Jalou tendant à l'indemnisation du préjudice allégué résultant selon elle de la publication de sept numéros postérieurement à la résiliation du contrat de licence, à défaut de les rejeter,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Les Editions Jalou de ses demandes antérieures en indemnisation du préjudice allégué résultant selon elle de la publication de sept numéros postérieurement à la résiliation du contrat de licence,

- en toutes hypothèses, de débouter la société Les Editions Jalou de ses demandes en condamnation à hauteur de 6.325.197,50 euros, de confirmer les créances en condamnation de la société Les Editions Jalou à lui payer les sommes de 2 millions de dollars et de 153.060 euros et, par voie de conséquence, de fixer ses créances au passif de la société Les Editions Jalou aux sommes de 2 millions de dollars et de 153.060 euros,

- en toutes hypothèses, de débouter la société Les Editions Jalou et la selarl P2GF de toutes demandes contraires, de débouter la société Les Editions Jalou de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de la condamner à lui payer la somme de 300.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble des procédures ainsi qu'aux dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 mai 2024.

A l'issue des débats, le rapporteur a posé la question du sort des créances de la société Parlan dans la procédure collective de la société Les Editions Jalou et le plan par voie de continuation et celle de la possibilité d'ordonner la compensation, comme demandé par la société Les Editions Jalou, compte tenu des règles propres au paiement des créances dans une procédure collective. Les parties ont été autorisées à déposer une note en délibéré avant le 21 juin 2024.

Les 18 et 21 juin 2024, la société Les Editions Jalou puis la société Parlan ont communiqué par RPVA une note en délibéré.

SUR CE,

Sur l'étendue de la saisine de la cour de renvoi et la recevabilité des demandes d'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Les Editions Jalou au paiement des sommes de 1.760.000 euros et de 153.060 euros et de rejet des demandes en paiement de ces sommes formées par la société Parlan :

La société Les Editions Jalou soutient que la fixation à son passif des sommes de 1.760.000 euros et de 153.060 euros au titre du non renouvellement du contrat, d'une part, et de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine, d'autre part, entre dans la saisine de la cour de renvoi de sorte qu'elle peut demander l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de ces sommes. Elle fait valoir que l'arrêt cassé du 23 juin 2021 a statué sur le jugement, que, la cassation du 23 mars 2023 étant totale, la juridiction de renvoi est investie de la connaissance de l'entier litige dans tous ses éléments de fait et de droit et que la Cour de cassation a bien statué sur le moyen juridique tiré des effets et de la portée de la résiliation du contrat.

La société Parlan réplique que la cour de renvoi ne peut être saisie que des demandes d'indemnisation relatives à la publication de sept numéros après la résiliation du contrat, les autres demandes ayant été tranchées irrévocablement. Elle soutient que les demandes de la société Les Editions Jalou sont irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée faisant valoir que la Cour de cassation a précédemment, par arrêts des 8 novembre 2016 et 24 juin 2020, cassé partiellement les arrêts de la cour d'appel de Paris des 28 janvier 2015 et 13 février 2019, confirmant sa créance indemnitaire de 2.217.000 euros, que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 juin 2021 a tranché le litige dans les limites de sa saisine sur la réparation du seul préjudice allégué par la société Les Editions Jalou résultant de la publication de sept numéros après la résiliation du contrat, qu'en outre, alors que la portée de la cassation dépend de l'étendue du pourvoi en cassation, la société Les Editions Jalou n'avait pas critiqué dans son pourvoi à l'égard de l'arrêt d'appel du 13 février 2019 sa condamnation au titre de la perte de la sous-licence ukrainienne devenue en conséquence définitive en application de l'article 500 du code de procédure civile et qu'elle a, dans son pourvoi à l'égard de l'arrêt d'appel du 23 juin 2021, critiqué le seul rejet de sa demande d'indemnisation relative à la publication de sept numéros après la résiliation du contrat.

Il résulte de l'article 638 du code de procédure civile que l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Par jugement du 22 décembre 2011, le tribunal de commerce de Paris a notamment condamné la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan les sommes de 2 millions de dollars (équivalant à 1.760.000 euros) au titre du non-renouvellement du contrat à son terme et de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine.

Par arrêt du 28 janvier 2015, la cour d'appel de Paris a confirmé ces chefs du jugement.

Par arrêt du 8 novembre 2016, la Cour de cassation a cassé cet arrêt d'appel notamment en ce qu'il a confirmé ces deux chefs du jugement.

Par arrêt du 13 février 2019, la cour d'appel de Paris a, compte tenu de la procédure collective ouverte le 4 février 2015 à l'égard de la société Les Editions Jalou, infirmé ces mêmes chefs du jugement et, statuant à nouveau, a fixé au passif de la société Les Editions Jalou les créances de 1.760.000 euros au titre du non-renouvellement du contrat à son terme et de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine. Cet arrêt a également notamment débouté la société Les Editions Jalou de sa demande indemnitaire fondée sur la publication par la société Parlan de sept numéros de magazine après la résiliation du contrat.

Par arrêt du 24 juin 2020, la Cour de cassation a cassé cet arrêt d'appel mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts de la société Les Editions Jalou au titre de la publication de sept numéros de magazine postérieurement à la résiliation du contrat. Il en résulte que le chef de l'arrêt d'appel du 13 février 2019, qui a fixé au passif de la société Les Editions Jalou les créances de 1.760.000 euros au titre du non-renouvellement du contrat à son terme et de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine, n'a pas été atteint par la cassation prononcée par arrêt du 24 juin 2020 de sorte que la cour de renvoi n'a pas été saisie des deux chefs du jugement ayant condamné la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan ces mêmes sommes.

Ainsi la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 23 juin 2021, statué dans les limites de la cassation et la Cour de cassation a, par arrêt du 22 mars 2023, cassé et annulé cet arrêt d'appel en toutes ses dispositions, lesquelles n'ont pas statué sur les chefs du jugement ayant condamné la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan les sommes de 1.760.000 euros et de 153.060 euros.

Il s'ensuit que la saisine de la présente cour de renvoi ne s'étend pas à ces deux chefs du jugement dont la société Les Editions Jalou et son commissaire à l'exécution du plan demandent l'infirmation.

Sont dès lors irrecevables cette demande d'infirmation et celle, subséquente, de voir débouter la société Parlan de l'ensemble de ses demandes en paiement et en fixation au passif de la somme de 2.000.000 dollars au titre du non renouvellement du contrat et de la somme de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine.

Sur les demandes d'indemnisation de la société Les Editions Jalou fondées sur la publication par la société Parlan de sept numéros après la résiliation du contrat :

La cour d'appel de Paris a, dans son arrêt du 28 janvier 2015, jugé irrecevable une partie de ces demandes car formées pour la première fois en cause d'appel et rejeté la demande de la société Les Editions Jalou qu'elle avait considérée recevable car déjà présentée aux premiers juges. Par arrêt du 8 novembre 2016, la Cour de cassation a cassé ces chefs de l'arrêt.

Dans son arrêt du 13 février 2019, la cour de renvoi a déclaré recevables mais mal fondées les demandes, nouvelles, de la société Les Editions Jalou et l'a déboutée de toutes ses demandes. La Cour de cassation a, par arrêt du 24 juin 2020, cassé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Les Editions Jalou au titre de la publication des sept numéros de magazine postérieurement à la résiliation du contrat, demande que la cour d'appel de Paris avait, dans son arrêt du 28 janvier 2015, considérée comme soulevée en première instance et ainsi recevable mais qu'elle avait rejetée.

La cour d'appel de Paris a sur ce point, dans son arrêt du 23 juin 2021, confirmé le jugement et débouté la société Les Editions Jalou du surplus de ses demandes à titre de dommages et intérêts et compensation. Il se déduit des précédentes décisions que la confirmation du jugement porte sur le rejet des demandes indemnitaires fondées sur la publication des sept numéros de magazine après la résiliation du contrat, la demande de compensation ayant quant à elle été formée pour la première fois en cause d'appel.

La Cour de cassation a dans l'arrêt du 22 mars 2023, cassé cet arrêt d'appel du 23 juin 2021 en toutes dispositions.

Compte tenu des demandes formées par la société Les Editions Jalou et son commissaire à l'exécution du plan dans leurs dernières conclusions, la cour est donc saisie du chef du jugement qui a débouté la société Les Editions Jalou de ses demandes indemnitaires fondées sur la publication des sept numéros de magazine après la résiliation du contrat qu'elle réitère devant la cour de céans et d'une demande de compensation, présentée pour la première fois en cause d'appel.

La société Les Editions Jalou, qui agit sur le fondement de la responsabilité délictuelle de droit commun, reproche à la société Parlan des agissements contrefaisants et une atteinte à la marque, d'une part, et des actions qui ont conduit à ce que le magazine russe ne soit plus édité pendant trois ans en ruinant sa propre réputation, d'autre part.

Elle fait valoir que la publication par la société Parlan de sept numéros de la revue russe après la résiliation du contrat du 4 août 2010, à effet du 30 août 2010, avec une modification de la charte graphique, a porté atteinte à la marque, que la société Parlan a ainsi continué de jouir de la marque L'Officiel sans lui verser aucune redevance alors qu'en raison de la résiliation du contrat elle ne disposait plus d'aucun droit sur la publication de la revue russe ni sur l'utilisation de la marque. La société Les Editions Jalou soutient avoir subi comme préjudice la perte des redevances, variables et fixes, dues par la société Parlan en cas de publication. Elle fait par ailleurs valoir que la société Parlan a empêché la publication du magazine par un autre licencié, la société AST, en s'y opposant et en communiquant publiquement de manière tronquée sur les événements ayant conduit à la résiliation, et qu'il en a résulté pour elle la perte des redevances avantageuses du contrat conclu avec la société AST que celle-ci a résilié dès le 11 juillet 2012.

La société Parlan réplique qu'elle n'a commis aucune faute, qu'en outre la faute fondée sur l'usage illicite de la marque comme droit d'auteur est sanctionnée par le code de la propriété intellectuelle et qu'elle est irrecevable eu égard aux cassations partielles précédemment intervenues et au renvoi de l'affaire devant la cour de renvoi sur le seul visa de l'article 1240 du code civil, qu'il a déjà été précédemment jugé qu'elle n'avait pas causé la perte des redevances de la licence de la société AST, subsidiairement que si la cour se considère saisie de cette dernière demande indemnitaire dans le cadre de la publication des sept numéros, elle devra rejeter toute réparation au titre de ce préjudice.

Elle fait valoir qu'elle n'a pas poursuivi le contrat de licence au-delà de son terme dès lors qu'elle n'a pas eu accès au contenu rédactionnel du magazine, contrepartie aux redevances, qu'elle n'a pas utilisé la marque et qu'il n'y a pas eu contrefaçon ou d'usage illicite de la marque car elle a pris soin de ne pas la reproduire, que la perte des redevances de la licence consentie à la société AST n'est pas de son fait, comme cela a déjà été jugé, que la publication du magazine par ses soins n'a pas empêché la société AST de publier la revue, la licence n'ayant été enregistrée par la société AST que le 12 mars 2012. La société Parlan soutient en outre qu'aucun préjudice n'est démontré et qu'à supposer établis les préjudices de perte de redevance, leur caractère illégitime les rend irréparables, que le lien de causalité fait défaut et que la société Les Editions Jalou est exclusivement à l'origine de ses propres dommages, à les supposer établis.

Sur la publication de sept numéros du magazine avec l'usage de la marque :

Dès lors que la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 23 juin 2021 qui a confirmé le jugement en ce qu'il a débouté la société Les Editions Jalou de ses demandes indemnitaires fondées sur la publication des sept numéros de magazine après la résiliation du contrat, la société Les Editions Jalou est en droit d'invoquer tout moyen au soutien de son action qu'il soit relatif à une faute, un préjudice ou le lien de causalité. L'usage illicite de la marque peut ainsi être invoqué par la société Les Editions Jalou et ce, peu important qu'il soit par ailleurs susceptible d'être sanctionné par le code de la propriété intellectuelle.

En outre, la société Les Editions Jalou ne se prévaut pas d'une faute tirée de la poursuite du contrat de licence au-delà de son terme, bien qu'elle estime au titre du préjudice subi avoir été privée de redevances, de sorte que la circonstance que la société Parlan n'aurait pas édité de magazine en exécution du contrat de licence est sans incidence sur le bien-fondé de l'action indemnitaire exercée par la société Les Editions Jalou.

Il est constant que la société Parlan a publié après le 30 août 2010, date de prise d'effet de la résiliation du contrat de licence, sept numéros d'un magazine de mode, le dernier en avril 2011.

La couverture de chaque numéro porte l'intitulé « L'Officiel », en gros caractères, « de la couture et de la mode de [Localité 6] », en caractères réduits et police différente.

La société Parlan a ainsi fait usage, en son entier et non d'un seul de ses termes, de la marque « L'Officiel de la couture et de la mode de [Localité 6] », enregistrée à titre international le 13 janvier 1989 et objet du contrat de licence résilié.

La société Parlan affirme avoir modifié le graphisme sans toutefois expliciter les différences. La comparaison entre les éditions antérieures de 1997 et les publications litigieuses révèle l'emploi d'un graphisme identique, seule la lettre « L » du mot « l'officiel » ayant, dans les publications postérieures à la résiliation du contrat de licence, été réduite et placée différemment, en hauteur par rapport aux autres lettres.

En ayant ainsi fait un usage non autorisé, en raison de la résiliation du contrat de licence, de la marque « L'Officiel de la couture et de la mode de [Localité 6] » pour la publication d'un magazine de mode en Russie, produit identique à celui pour lequel cette marque est notoirement connue, la société Parlan est susceptible d'avoir engagé sa responsabilité à l'égard de la société Les Editions Jalou, la cour observant par ailleurs que la société Parlan expose, sans être contredite par la société Les Editions Jalou, que les publications litigieuses avaient pour seule cause ses engagements publicitaires antérieurs qu'elle ne pouvait rompre sans péril pour elle-même, minimisant ainsi le préjudice subi à raison de la résiliation anticipée assortie d'un préavis de seulement 14 jours.

La société Les Editions Jalou se prévaut de préjudices constitués de la perte de la redevance fixe prévue par l'article 8 du contrat de licence et de la redevance variable annuelle pendant la période de publication du magazine par la société Parlan.

Cependant cette perte de gains prévus par le contrat de licence conclu avec la société Parlan ne résulte pas de la publication des sept numéros avec l'usage non autorisé de la marque mais de la résiliation de ce contrat par la société Les Editions Jalou elle-même ' résiliation qui a mis un terme, dès le 30 août 2010, à l'obligation de la société Parlan de lui verser des redevances ' sans qu'elle n'ait pu faire exécuter un autre contrat de licence avec une autre société à effet au 30 août 2010.

Sur ce dernier point, la société Les Editions Jalou ne démontre pas que l'impossibilité dans laquelle la société AST s'est trouvée de publier le magazine à partir du 1er septembre 2010 en exécution du contrat de licence du 5 août 2010 est imputable à la société Parlan.

En effet, en premier lieu, ce dernier contrat, dont la durée allait du 1er septembre 2010 au 31 décembre 2011, n'a pu être exécuté dès le 1er septembre 2010 non pas en raison de la publication par la société Parlan de sept numéros mais des décisions de la cour arbitrale de Moscou, saisie par la société Parlan aux fins d'interdiction d'inscription sur deux registres de la résiliation de son contrat de licence et de la licence consentie au groupe AST, laquelle, en faisant droit à ses demandes par ordonnance du 19 octobre 2010 et arrêt confirmatif du 3 mars 2011, a légitimé la démarche de la société Parlan avant que la cour fédérale d'arbitrage du district de Moscou annule, par une décision du 9 juin 2011 postérieure au dernier numéro du magazine publié par la société Parlan, ces deux décisions.

En second lieu, malgré la possibilité de procéder aux enregistrements nécessaires et les démarches entreprises, la société AST n'est pas parvenue à obtenir l'enregistrement du contrat de licence du 5 août 2010 compte tenu du litige opposant en France les sociétés Les Editions Jalou et Parlan, initié par la société Les Editions Jalou, et, en avril 2012, elle a déposé le bilan en raison de ses dettes, les analystes russes expliquant ses difficultés financières par la récession mondiale et une enquête pénale de nature fiscale. La société Les Editions Jalou ne démontre pas que ces difficultés ont résulté d'une quelconque action de la société Parlan postérieure à la publication du dernier numéro du magazine par ses soins et à la décision de la cour fédérale d'arbitrage du district de Moscou du 9 juin 2011.

La société Les Editions Jalou a ainsi contribué au préjudice de perte de redevances qu'elle invoque et ce, d'autant plus que la résiliation unilatérale du contrat conclu avec la société Parlan était fautive, sans que ce préjudice ait résulté de la publication fautive du magazine par la société Parlan.

La société Les Editions Jalou invoque également comme préjudice, résultant de la publication de sept numéros avec l'usage non autorisé de la marque, la perte des redevances plus avantageuses prévues par les contrats de licence conclus avec la société AST dont celui, à effet au 1er janvier 2012, résilié par celle-ci de manière anticipée le 11 juillet 2012.

Comme il a été dit précédemment le terme du contrat du 5 août 2010 était le 31 décembre 2011. Ce contrat n'a pas été résilié mais n'a pas été exécuté pour des raisons que la cour a jugé non fautives ou non imputables à la société Parlan.

Par lettre du 11 juillet 2012, la société AST a résilié le contrat du 17 avril 2010 à effet au 1er janvier 2012. Les motifs de résiliation sont l'absence d'enregistrement de ce contrat avant le 31 décembre 2011 et le fait que la société Les Editions Jalou avait rendu impossible l'exécution du contrat en raison des procédures en cours l'opposant à la société Parlan. Ces motifs ne sont pas imputés à la société Parlan, étant rappelé qu'à compter du 9 juin 2011, l'enregistrement du contrat de licence conclu avec la société AST était possible et que c'est la société Les Editions Jalou qui a assigné la société Parlan devant le tribunal de commerce de Paris le 10 novembre 2010 en résiliation judiciaire du contrat le liant à la société Parlan après avoir fautivement résilié unilatéralement ce même contrat. En outre comme il a été relevé précédemment, la société AST a déposé le bilan en avril 2012 pour des raisons étrangères à la société Parlan.

Enfin, à supposer que la société Les Editions Jalou ait subi un dommage né de la résiliation anticipée par la société AST de ce contrat de licence, ce préjudice ne tire nullement sa cause dans la publication par la société Parlan des sept numéros du magazine dès lors que, comme il a été rappelé précédemment, le contrat de licence a bien été conclu par les sociétés Les Editions Jalou et AST le 17 avril 2010 avec une prise d'effet le 1er janvier 2012, que les décisions russes interdisant l'enregistrement du contrat du 5 août 2010 ont été annulées par une ordonnance de la cour d'arbitrage de Moscou du 9 juin 2011 alors que les publications litigieuses de la société Parlan avaient pris fin en mars 2011 avant cette ordonnance et que la résiliation en cause du 17 juillet 2012 est postérieure à ces mêmes publications litigieuses.

Faute d'établir l'existence d'un préjudice de perte des redevances prévues par les contrats de licence conclus avec la société Parlan puis la société AST résultant d'une faute de la société Parlan, la société Les Editions Jalou doit être déboutée de ses demandes indemnitaires fondées sur la publication par la société Parlan de sept numéros du magazine en Russie après la résiliation de son contrat de licence. Le jugement sera confirmé.

Sur l'empêchement par la société Parlan de la publication du magazine par la société AST :

En page 17 de ses écritures, la société Les Editions Jalou, tout en exposant le préjudice de perte des redevances du contrat conclu avec la société AST précédemment considéré par la cour comme sans lien de causalité avec la publication des sept numéros du magazine reprochée à la société Parlan, soutient que la société Parlan a empêché le nouveau licencié d'exploiter la marque sur le territoire concédé, en s'étant opposée à l'enregistrement des contrats de licence conclus avec la société AST et en ayant diffusé deux communiqués de presse, les 1er et 26 septembre 2010, ayant conduit à la résiliation de ces contrats, et qu'il en a résulté la perte des redevances prévues par ces contrats conclus avec la société AST. Bien que figurant dans la partie « préjudices » des conclusions de la société Les Editions Jalou, ces développements doivent également être analysés comme une demande indemnitaire en réparation du préjudice constitué de la perte des redevances attendues pour les deux contrats conclus avec la société AST à raison des agissements de la société Parlan tendant à empêcher la société AST de publier le magazine.

La société Les Editions Jalou demande ainsi réparation de ce préjudice au titre d'actes reprochés à la société Parlan distincts de la publication de sept numéros de magazine après la résiliation du contrat de licence.

Or, par arrêt du 24 juin 2020, la Cour de cassation a, avant de casser et d'annuler, par arrêt du 22 mars 2023, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 juin 2021 en toutes ses dispositions, cassé et annulé le précédent arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 février 2019 mais seulement en ce qu'il avait rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Les Editions Jalou au titre de la publication de sept numéros de magazine postérieurement à la résiliation du contrat alors que la société Les Editions Jalou avait formé d'autres demandes notamment au titre du blocage, attribué à la société Parlan, de l'enregistrement du contrat de licence conclu avec la société AST

Il s'ensuit que la saisine de la présente cour n'est pas étendue à des demandes de dommages-intérêts de la société Les Editions Jalou autres que celle formée au titre de la publication de sept numéros de magazine postérieurement à la résiliation du contrat de licence conclu avec la société Parlan de sorte qu'elle ne peut statuer sur la demande de la société Les Editions Jalou au titre de la perte des redevances attendues pour les deux contrats avec la société AST qu'elle ne qualifie pas de nouvelle en cause d'appel. Cette demande sera déclarée irrecevable.

Sur la demande de compensation de la société Les Editions Jalou :

La société Les Editions Jalou fonde sa demande sur l'article 1347 du code civil, les sommes mises à la charge des deux sociétés dérivant du même litige.

L'issue du litige conduit à rejeter la demande de société Les Editions Jalou.

Sur les demandes accessoires :

Partie perdante, la société Les Editions Jalou sera condamnée aux dépens et ne peut prétendre à une indemnité procédurale au titre de ses frais irrépétibles. Elle sera condamnée à payer à la société Parlan une somme de 50.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant contradictoirement dans les limites de sa saisine,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 décembre 2011,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 2015,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 8 novembre 2016,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 février 2019,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2020,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 juin 2021,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 2023,

Déclare irrecevables la demande de la société Les Editions Jalou et de la selarl P2G ès qualités d'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan publishing la somme de 2.000.000 dollars au titre du non renouvellement du contrat et la somme de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine et leur demande subséquente de voir débouter la société Parlan de l'ensemble de ses demandes en paiement et en fixation au passif de la somme de 2.000.000 dollars au titre du non renouvellement du contrat et de la somme de 153.060 euros au titre de la rupture d'exclusivité de la sous-licence en Ukraine ;

Déclare irrecevable la demande indemnitaire de la société Les Editions Jalou et de la selarl P2G ès qualités en ce qu'elle est fondée sur la perte des redevances attendues pour les deux contrats conclus avec la société AST ;

Déboute la société Les Editions Jalou et la selarl P2G ès qualités de leurs demandes de dommages-intérêts fondées sur la publication des sept numéros de magazine après la résiliation du contrat et, dans les limites de sa saisine, confirme le jugement ;

Déboute la société Les Editions Jalou et la selarl P2G ès qualités de leur demande de compensation ;

Déboute la société Les Editions Jalou et la selarl P2G ès qualités de toutes leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Les Editions Jalou à payer à la société Parlan publishing la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Les Editions Jalou aux dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.