Décisions
CA Amiens, ch. économique, 17 septembre 2024, n° 22/01697
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
[V]
C/
S.A. BANQUE CIC EST
VD
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 17 SEPTEMBRE 2024
N° RG 22/01697 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IM6S
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SAINT-QUENTIN EN DATE DU 11 MARS 2022
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [B] [V]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Mathilde LEFEVRE de la SCP MATHILDE LEFEVRE, AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 19
Ayant pour avocat plaidant, Me Olivier PINÇON, avocat au barreau de REIMS
ET :
INTIMEE
S.A. BANQUE CIC EST, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité ausit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Pierre LOMBARD de l'ASSOCIATION DONNETTE-LOMBARD, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
DEBATS :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère, qui ont avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 Juillet 2024.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.
GREFFIER :
Mme Charlotte RODRIGUES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Ces magistrats ont rendu compte à la Cour composée de :
Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,
Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,
et M. Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Les conseils des parties ont été avisé par le réseau privé vituel des avocats du prorogé du délibéré au 17 septembre 2024.
Le 17 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Malika RABHI, Greffier.
DECISION
La banque S.A CIC EST a octroyé plusieurs concours financiers à la SAS UTRONIX, créée en septembre 2016, spécialisée dans le développement des systèmes connectés et dirigée par Monsieur [B] [V], président directeur général :
- Par acte sous seing privé en date du 19/01/2018, un crédit professionnel d'un montant de 80 000 euros, garanti à hauteur de 50% par la caution solidaire de Monsieur [B] [V] dans la limite de 48 000 euros ;
- Par acte sous seing privé en date du 25/01/2019, un crédit de trésorerie d'un montant de 60 000 euros au taux de 2,50% l'an, utilisable par escompte de billets financiers, garanti par la caution solidaire de Monsieur [B] [V] à hauteur de 72 000 euros pour 12 mois;
- Par acte sous seing privé en date du 05/04/2019, un crédit de trésorerie d'un montant de 50 000 euros au taux de 3% l'an, garanti par l'aval de Monsieur [B] [V] à concurrence de 50 000 euros.
Le premier crédit de trésorerie a été utilisé à hauteur de 10 000 euros par billet à ordre en date du 07/05/2019 à échéance de trois mois et à hauteur de 50 000 euros par billet à ordre en date du 03/08/2019, également à échéance de trois mois. Ces deux billets à ordre ont été avalisés par M. [B] [V].
Le dernier billet à l'ordre a été souscrit le 03/08/2019 à hauteur de 10 000 euros à l'échéance d'un mois, avalisé par Monsieur [B] [V].
Par un jugement en date du 06/08/2019 du tribunal de commerce de Reims, la SAS UTRONIX a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et Maître [I] [X] a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Par un jugement en date du 31/03/2020 du tribunal de commerce de Reims, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire.
Par courrier recommandé en date du 08/06/2020, la S.A CIC EST a adressé sa déclaration de créance actualisée au mandataire judicaire.
Par courrier recommandé en date du 10/06/2020, la S.A CIC EST a mis en demeure Monsieur [B] [V], en sa qualité de caution et d'avaliste, de régler la somme totale de 104 564,03 euros arrêtée au 10/06/2020.
Par acte d'huissier en date du 24/02/2021, la S.A CIC EST a fait assigner Monsieur [B] [V] devant le tribunal de commerce de Saint-Quentin, sollicitant sa condamnation au paiement des sommes suivantes :
- Au titre du crédit de trésorerie de 60 000 euros, sous forme d'escompte en compte courant de billets à ordre :
Billet à ordre n°200265715 de 10 000 euros, souscrit le 07/05/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 10 073,41 euros ;
Billet à ordre n°200269343 de 50 000 euros, souscrit le 03/08/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 50 262,19 euros.
- Au titre de crédit de trésorerie initialement de 50 000 euros, sous forme d'escompte en compte courant de billets à ordre, le billet à ordre n°200269345 de 10 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance d'un mois avalisé à 10 066,98 euros ;
- Au titre du crédit professionnel d'un montant nominal de 80 000 euros n°33780 202341 04 consenti par acte sous seing privé en date du 19/01/2018 et cautionné à hauteur de 50%, la somme de 34 161,45 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020 ;
- Au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 800 euros outre les intérêts jusqu'à parfait paiement.
En réponse, Monsieur [B] [V] a sollicité aux termes de ses conclusions :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes de condamnation dirigées à son encontre ;
- De le déclarer recevable et bien-fondé en ses demandes reconventionnelles.
En conséquence :
- De condamner la S.A CIC EST à lui payer la somme de 104 564,03 euros en réparation du préjudice subi du fait du défaut de conseil, d'information et de mise en garde de la banque à l'égard de la caution et de l'avaliste, et du soutien abusif à l'égard de la SAS UTRONIX, qui se répercute sur la caution/avaliste, et de prononcer la compensation judiciaire des créances respectives ;
- De prononcer la déchéance de la S.A CIC EST à actionner le cautionnement et les avals de Monsieur [B] [V] pour disproportion de ses engagements, en application de l'article L.343-3 du code de la consommation ;
Dans tous les cas :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires à celles de Monsieur [B] [V] ;
- De condamner la S.A CIC EST au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et de laisser à sa charge les dépens de l'instance.
En réponse à ses demandes, la S.A CIC EST a conclu au débouté des moyens, fins et conclusions de Monsieur [B] [V] et sollicite l'entier bénéfice de son acte introductif d'instance.
Par un jugement en date du 11/03/2022 (n° 2021021896), le Tribunal de commerce de Saint-Quentin a :
- Dit les demandes de la S.A CIC EST à l'égard de Monsieur [B] [V] recevables et bien-fondées ;
- Débouté Monsieur [B] [V] de ses moyens, fins et conclusions ;
- Condamné Monsieur [B] [V] à payer à la S.A CIC EST :
10 073,41 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts au taux légal à compter de cette date à ordre n°200265715 de 10 000 euros souscrit le 07/05/2019 à échéance de trois mois avalisé ;
50 262,19 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts au taux légal à compter de cette date (billet à ordre n°200269343 de 50 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance de trois mois avalisé ;
10 066,98 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts au taux légal à compter de cette date (billet à ordre n°20026345 de 10 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance d'un mois avalisé ;
34 161,45 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts contractuels à compter de cette date (crédit professionnel d'un montant nominal de 80 000 euros n°33780 202341 04 consenti par acte sous seing privé le 19/01/2018 et cautionné à hauteur de 50% ;
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les entiers dépens, dont frais de greffe liquidés à la somme de 60,22 euros.
Le 08/04/2022, Monsieur [B] [V] a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin auprès de la cour d'appel d'Amiens en toutes ses dispositions.
Le 25/01/2023, le conseil de l'appelant a fait parvenir son second jeu de conclusions à la cour d'appel d'Amiens par voie électronique, après avoir transmis un premier jeu de conclusions le 30/06/2022.
Dans ses conclusions en date du 25/01/2023, l'appelant demande à la cour d'appel d'Amiens :
- De déclarer recevable et bien-fondé Monsieur [B] [V] en son appel ;
- De réformer le jugement entrepris;
Statuant à nouveau sur les dispositions visées par l'appel :
A titre principal :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes de condamnations dirigées à l'encontre de Monsieur [B] [V], en prononçant sa déchéance en application des articles 2299 et 2300 du code civil, et pour défaut de mise en garde, d'information et de conseil.
A titre subsidiaire :
- De déclarer recevable et bien-fondé Monsieur [B] [V] en ses demandes reconventionnelles en application des articles 2298 et 2300 du code civil, pour défaut d'information et de conseil et disproportion des engagements sollicités ;
- De condamner la S.A CIC EST à payer à Monsieur [B] [V] la somme de 105 465,03 euros en réparation du préjudice subi du fait du défaut de conseil et d'information de la banque à l'égard de la caution et de l'avaliste, et du soutien abusif de crédit à l'égard de la SAS UTRONIX, qui se répercute sur la caution/avaliste, et prononcer la compensation judiciaire des créances respectives.
Dans tous les cas :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires à celles de Monsieur [B] [V] ;
- De condamner la S.A CIC EST au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- De condamner la S.A CIC EST aux dépens de première instance et d'appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maitre Mathilde LEFEVRE en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le 17/04/2023, le conseil de l'intimé a fait parvenir un second jeu de conclusions à la cour d'appel d'Amiens par voie électronique, après avoir transmis un premier jeu de conclusions le 27/09/2022.
Dans ses conclusions en date du 17/04/2023, l'intimé demande à la cour d'appel d'Amiens :
- De débouter Monsieur [B] [V] de ses demandes ;
- De confirmer le jugement en toutes ses dispositions et
Y ajoutant :
- De condamner Monsieur [B] [V] à régler la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- De condamner Monsieur [B] [V] en tous les dépens, dire que cette condamnation aux dépens sera assortie au profit de Maitre Pierre LOMBARD du droit de recouvrer les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 07/09/2023.
SUR CE,
Concernant l'obligation de mise en garde à la charge du professionnel, l'appelant invoque à l'appui de son argumentation l'article 2299 du code civil :
'Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l'engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier.
A défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci. "
L'appelant allègue à la lumière de cet article que la S.A CIC EST a manqué à cette obligation dès lors que le cautionnement était inadapté aux capacités financières de la caution, à savoir les revenus propres.
Il souligne l'existence de nombreuses charges relatives à son logement, à l'entretien de ses trois enfants, ou encore à différents prêts contractés à titre personnel, par opposition à de faibles revenus.
L'appelant a en outre été condamné par le tribunal de commerce de Saint-Quentin par un jugement en date du 11/03/2022 à payer la somme de 25 000 euros à une autre banque en qualité de caution ou aval de la SAS UTRONIX.
L'appelant rajoute également que Monsieur [B] [V] n'est pas une caution avertie car lors de la création de la SAS UTRONIX, Monsieur [B] [V] ne disposait d'aucune expérience de chef d'entreprise, étant simplement ingénieur de formation - ses différentes expériences préalables ne permettant de considérer selon l'appelant qu'il avait acquis suffisamment d'expérience.
Concernant le caractère disproportionné du cautionnement, l'appelant cite l'article 2300 du code civil :
" Si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s'engager à cette date."
Ainsi que l'article 343-4 du code de la consommation :
" Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. "
L'appelant estime qu'en l'espèce à la date de souscription de ses engagements, Monsieur [B] [V] n'avait pas de patrimoine lui permettant de faire face à cet endettement d'une part, et que d'autre part il était contraint par de nombreuses charges personnelles (logement, éducation de ses enfants, charges courantes, etc.) - éléments qui rendent le caractère disproportionné du cautionnement manifeste.
Concernant l'octroi abusif de crédit, l'appelant sollicite la jurisprudence constante combinée à l'article 2298 du code civil :
" La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 2293.
Toutefois la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. "
L'appelant souhaite engager la responsabilité délictuelle de la S.A CIC EST pour lui-même mais également pour le compte de la SAS UTRONIX dans la mesure où la S.A CIC EST a octroyé son concours financier le 19/05/2019 alors même qu'était prononcé une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS UTRONIX le 06/08/2019, soit moins de trois mois après ledit concours, ce qui constituerait un soutien abusif.
Concernant le devoir d'information et de conseil à la charge du professionnel, l'appelant prétend que la S.A CIC EST a manqué à celui-ci dès lors qu'elle ne pouvait ignorer que la souscription des différents engagements de Monsieur [B] [V], dans son contexte actuel, ne pouvait que l'amener dans une situation de difficultés financières - et ce d'autant plus que Monsieur [B] [V] n'a aucune formation en gestion d'entreprise ou en commerce.
A ce titre, l'appelant indique que la S.A CIC EST a également failli à cette obligation au regard du contexte de l'activité particulière de la SAS UTRONIX.
En effet, le business plan de cette dernière, établi par un expert-comptable, évoquait des levées de fonds importants pour la conception des systèmes électroniques et des logiciels, mais qui étaient illusoires et impossibles à obtenir puisqu'elles reposaient sur une rentabilité rapide ce qui n'était pas possible compte tenu de l'activité pour laquelle un retour sur investissement n'était attendu qu'après plusieurs années.
Selon l'appelant, la S.A CIC EST aurait dû alerter sur ce point Monsieur [B] [V] en sa qualité de caution/avaliste - ce qu'elle n'a pas fait.
Pour sa part l'intimé souhaite interpeller la cour à propos du fait que selon lui, les articles 2298 et suivants du code civil issus de l'ordonnance 2021-1192 du 15/09/2021 invoqués par l'appelant ne s'appliquent pas aux cautionnements conclus antérieurement au 01/01/2022, et donc au cas d'espèce.
L'intimé conteste à cet égard l'application au cas d'espèce de l'arrêt cité par l'appelant de la Cour de Cassation en date du 20/04/2022 anticipant la réforme du droit des sûretés susvisés en appliquant les nouveaux articles 2298 et suivants du code civil, en estimant d'une part que rien ne permet d'affirmer que la Cour de Cassation entend généraliser cette extension à tous les nouveaux articles de la réforme, et d'autre part que cet arrêt est rendu en matière de droit de la consommation et ne concerne nullement la notion de caution avertie. Il souligne qu'aucun autre arrêt ne va dans ce sens et que l'article 37 de l'ordonnance précitée dispose que les cautionnements conclus avant le 01/01/2022 demeurent soumis à la loi ancienne.
Concernant l'obligation de mise en garde à la charge du professionnel, l'intimé souligne que Monsieur [B] [V], en qualité de dirigeant de la SAS UTRONIX, s'était entouré d'un expert-comptable et d'un commissaire aux comptes, de sorte qu'il ne pouvait ignorer l'objet de ses engagements.
En outre, l'intimé pointe du doigt une confusion établie par l'appelant entre l'aval et la caution, puisque l'aval est considéré comme un engagement cambiaire au titre de l'article L.343-4 du code de la consommation.
A l'appui d'une jurisprudence versée aux débats, l'intimé soulève que le donneur d'aval n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde ni pour violation de l'article L.341-4 du code de la consommation relatif au principe de proportionnalité, de sorte que Monsieur [B] [V] ne peut agir en responsabilité contre la S.A CIC EST.
En ce qui concerne le crédit professionnel cautionné, l'intimé estime que Monsieur [B] [V] est une caution avertie, dans la mesure où ce dernier a été dirigeant ou mandataire au sein de différentes entreprises, toutes dans le domaine des nouvelles technologies.
Selon l'article 2224 du code civil : 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'. Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il est admis que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face. En l'espèce, la CRCAM des Savoie a adressé à l'appelant une première LRAR de mise en demeure de lui régler des échéances impayées le 13 juin 2017 (réceptionnée 22 juin 2017). C'est à cette dernière date que l'emprunteur a pu prendre conscience du manquement allégué de la banque à son devoir de mise en garde, de sorte que la demande indemnitaire formulée par M. [M] [O] à ce titre, devant le premier juge, à l'occasion de la remise le 15 mai 2018 de son premier jeu de conclusions en défense, n'est pas prescrite et donc recevable. Il est admis que le devoir de mise en garde du prêteur ne s'applique qu'à un emprunteur non averti et comprend trois obligations cumulatives: celle de ne pas accorder à un emprunteur un crédit excessif ou disproportionné compte tenu de son patrimoine et de ses revenus; celle de se renseigner sur les capacités de remboursement de l'emprunteur et celle d'alerter celui-ci sur les risques encourus en cas de non remboursement du crédit.
Concernant le caractère disproportionné du cautionnement, l'intimé rappelle qu'au titre de l'article L.332-1 du code de la consommation, la proportionnalité s'apprécie au regard des biens et des revenus de la caution, informations fournies par la caution sans que le créancier n'ait à en vérifier l'exactitude.
Or, Monsieur [B] [V] a complété dans le cadre de son engagement limité à 48 000 euros en principal, intérêts et frais une fiche d'information patrimoniale dans laquelle il déclarait :
- Des revenus annuels de 22 000 euros ;
- Une épargne de 40 000 euros ;
- Les parts détenues dans la SCI CRISTALIMMO estimées à 20 000 euros ;
- 100% des parts de la société GV CONSEIL non-valorisée.
Ainsi qu'un endettement de 29 000 euros et un loyer mensuel de 550 euros.
Pour toutes ces raisons, l'intimé constate que la caution n'était pas disproportionnée, les charges dont fait état l'appelant dans le cadre de ses conclusions pour justifier de ce caractère disproportionné étant postérieures à l'engagement et non-déclarées à la banque.
Concernant l'octroi abusif de crédit, l'intimé invoque l'article L.650-1 du code de commerce disposant que :
" Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge. "
L'intimé indique à cet égard que pour retenir le soutien abusif, trois conditions cumulatives doivent être respectées - étant précisé que celles-ci doivent être appréciées à la date du prêt consenti :
- La situation de l'entreprise doit être irrémédiablement compromise ;
- De ce fait, le prêt ne pourra être en aucun cas remboursé ;
- Il doit exister un lien de causalité entre la diminution de l'actif et le soutien financier.
Or, la SAS UTRONIX a été admise au bénéfice du redressement judiciaire en 2019, procédure convertie en liquidation judiciaire en 2020, alors que les prêts ont été consenti en 2018.
La S.A CIC EST a par la suite déclaré ses créances qui ont été admises au passif de la SAS UTRONIX sans aucune contestation.
En outre, la situation de la SAS UTRONIX n'était pas irrémédiablement compromise et ce même au jour de l'ouverture de la première procédure collective, puisque cette dernière a bénéficié d'une période de redressement judiciaire.
Concernant le devoir d'information et de conseil à la charge du professionnel, l'intimé reprend le même argumentaire que celui cité supra.
1- Sur les demandes en paiement de 10 066,98 euros,
10 073,41 euros et 50 262,19 euros et sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts, au titre du crédit de trésorerie de 60 000 euros consenti le 25 janvier 2019 et au titre du crédit de trésorerie de 50 000 euros consenti le 5 avril 2019, sous forme d'escompte en compte courant de billets à ordre, ayant donné lieu à émission du billet à ordre n°200269345 de 10 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance d'un mois avalisé à 10 066,98 euros, du billet à ordre n°200265715 de 10 000 euros souscrit le 07/05/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 10 073,41 euros et du billet à ordre n°200269343 de 50 000 euros, souscrit le 03/08/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 50 262,19 euros.
La cour rappelle que l'aval, en ce qu'il garantit le paiement d'un titre dont la régularité n'est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que les règles propres au cautionnement ne s'appliquent pas et que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde (Com.30 octobre 2012, n°11-23.519) ni pour manquement au devoir d'information (Com. 20 avril 2017-n°15-14812).
L'avaliste ne peut davantage invoquer le principe de proportionnalité issu de l'article L.332-1 du code de la consommation (Civ.1, 19 décembre 2013 - 12.25.888).
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande d'indemnisation de ces chefs et en ce qu'il l'a condamné au paiement des sommes restant dues au titre des avals consentis sur les billets souscrits.
2-Sur la demande en paiement de la somme de
34 161,45 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, au titre du cautionnement solidaire du crédit professionnel de 80 000 euros n°33780 202341 04 consenti par acte sous seing privé en date du 19/01/2018 et cautionné à hauteur de 48.000 euros :
Aux termes de l'article 2288 du code civil, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même.
L'article 2300 du code civil, issu de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 entrée en vigueur le 1er janvier 2022, ne trouve pas à s'appliquer, l'engagement de caution ayant été souscrit avant.
La cour rappelle qu'en application de l'article L.332-1 du code de la consommation applicable aux contrats de cautionnement souscrits avant le 1er janvier 2022, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et ses revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée lui permette de faire face à son obligation.
Il est admis au visa de cet article qu'il appartient à la caution personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus lors de la souscription de son engagement, d'en apporter la preuve et qu'il appartient le cas échéant au créancier en cas de cautionnement manifestement disproportionné lors de l'engagement d'établir qu'au moment où elle est appelée la caution peut faire face à son obligation.
Par ailleurs la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier, étant ajouté que la caution peut faire, lorsqu'elle est appelée, état de dettes non mentionnées sur la fiche de renseignement si le créancier ne pouvait les ignorer, en particulier lorsqu'il est lui-même le créancier.
C'est à juste titre et par des moyens que la cour adopte que le premier juge a considéré que l'engagement de caution souscrit le 19 janvier 2018 à hauteur de 48000 euros par M. [V] n'était pas manifestement disproportionné à ses biens et ses revenus puisqu'à cette date la fiche d'information patrimoniale qu'il a remplie révèle qu'il détenait, outre 100% des parts de la société GV Conseil (non valorisées), une épargne de 40.000 euros et des parts de la SCI Cristalimmo évaluées à 20.000 euros, pour un endettement de 29.000 euros (crédit-réserve trésorerie), des revenus de 22000 euros par an et un loyer de 550 euros par mois.
M. [V] ne saurait opposer à la banque des dettes souscrites postérieurement ni des charges qu'il n'a pas déclarées, la banque n'étant pas tenue, en l'absence de d'anomalies apparentes, de vérifier l'exactitude des déclarations faites par la caution ou de ses éventuelles omissions. Il ne saurait davantage opposer la charge d'un crédit personnel souscrit auprès de la CIC le 28 décembre 2016 pour l'acquisition de la moitié des parts sociales de la SCI Cristalimmo, dont il ne justifie pas, la pièce qu'il produit étant un accord de crédit, dont la cour ignore d'ailleurs le sort, envers ladite SCI.
Par ailleurs c'est par de justes motifs que la cour adopte que le premier juge, constatant que la banque a adressé à M. [V] par courriers les 18 février 2019 et 3 mars 2020 l'information annuelle conformément à l'article L.313-22 du code monétaire et financier, a débouté la caution de sa demande de déchéances du droit aux intérêts.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné M. [V] au paiement des sommes restant dues au titre de son cautionnement du crédit professionnel souscrit par la société Utronix le 19 janvier 2018.
3- Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement au devoir de mise en garde quant au risque d'endettement relativement à l'engagement de caution du 19 janvier 2018 :
L'article 2299 du code civil, issu de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 entrée en vigueur le 1er janvier 2022, ne trouve pas à s'appliquer, l'engagement de caution ayant été souscrit avant.
Il est établi toutefois que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsqu'au jour de son engagement ce dernier n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières du débiteur et la preuve en revient à la caution- (Com.9 mars 2022-n°20-16.277)
La caution avertie est exclue du bénéfice du devoir de mise en garde quant au risque d'endettement (Com.28 janvier 2014-n°12-27.703).
C'est par de justes motifs que la cour adopte que le premier juge a considéré que M. [V] n'était pas une caution profane et que la banque n'avait pas d'obligation particulière de mise en garde quant aux risques d'endettement, puisque même s'il est ingénieur de formation il a, avant Utronix créée en septembre 2016 qui emploie 9 salariés, dirigé à partir de 2009 une autre société dans le même domaine d'activité, ayant acquis deux autres sociétés, que parallèlement il est gérant et associé unique de la société GV Conseil créée en 2015 au capital social de 2.075.876 euros, et qu'il s'est fait assisté d'un comptable et d'un expert-comptable pour présenter un business-plan afin de lever les fonds requis pour l'exploitation d'Utronix. Ainsi tant ses compétences que son expérience des affaires le mettaient à même de mesurer la portée de son engagement et les risques pris au regard de son patrimoine ; qu'au demeurant force est de constater que la société Utronix a parfaitement honoré le remboursement du prêt professionnel du 19 janvier 2018 jusqu'au 15 juillet 2019 soit jusqu'à sa mise en redressement judiciaire.
En tout état de cause M. [V] ne démontre pas le défaut de viabilité de son entreprise ni que la banque, qui n'avait pas à s'immiscer dans les affaires de l'emprunteur, avait des informations sur la situation financière d'Utronix que lui-même aurait ignorées.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
4-Sur la demande de dommages et intérêts pour soutien abusif de la banque :
M. [V] reproche au CIC de s'être rendu coupable d'un soutien abusif de crédit dès lors qu'il a octroyé à la société Utronix des concours financiers le 19 mai 2019 soit juste quelques mois avant le redressement judiciaire le 6 août 2019 si bien que sa responsabilité doit être mise en jeu sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
La responsabilité d'un créancier pour soutien abusif d'un débiteur en procédure collective est encadrée par l'article L.650-1 du code de commerce qui dispose : "Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ces concours peuvent être annulées ou réduites par le juge."
Il est établi qu'il existe un soutien abusif lorsqu'un établissement bancaire accorde un prêt à une entreprise dont elle sait que la situation est irrémédiablement compromise et que le prêt ne sera pas remboursé.
Cependant comme l'a retenu à bon droit le premier juge dont la cour s'approprie les motifs, M. [V] ne démontre pas qu'au 19 mai 2019 la situation de la société Utronix était irrémédiablement compromise ni que la banque savait que les concours financiers souscrits à cette date ne pourraient pas être remboursés étant rappelé à cet égard que la date de cessation des paiements a été fixée le 30 juillet 2019 par le tribunal de commerce qui a ouvert une procédure de redressement judiciaire le 6 août 2019, et que le 24 juin 2019 M. [V] s'est fait consentir par l'association Scientipôle Initiative un prêt d'honneur de 50000 euros d'une durée de 60 mois avec 12 mois de différé, qu'il a apporté en compte-courant d'associé ce qui montre qu'il croyait encore aux possibilités de développement de son entreprise malgré son exploitation déficitaire.
Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
5- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [V] succombant en son recours sera condamné à en supporter les dépens et frais hors dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions et,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [B] [V] à régler à la société CIC Est la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [B] [V] en tous les dépens et dit que cette condamnation aux dépens sera assortie au profit de Maitre Pierre LOMBARD du droit de recouvrer les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,
N°
[V]
C/
S.A. BANQUE CIC EST
VD
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 17 SEPTEMBRE 2024
N° RG 22/01697 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IM6S
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SAINT-QUENTIN EN DATE DU 11 MARS 2022
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [B] [V]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Mathilde LEFEVRE de la SCP MATHILDE LEFEVRE, AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 19
Ayant pour avocat plaidant, Me Olivier PINÇON, avocat au barreau de REIMS
ET :
INTIMEE
S.A. BANQUE CIC EST, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité ausit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Pierre LOMBARD de l'ASSOCIATION DONNETTE-LOMBARD, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
DEBATS :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère, qui ont avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 Juillet 2024.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.
GREFFIER :
Mme Charlotte RODRIGUES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Ces magistrats ont rendu compte à la Cour composée de :
Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,
Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,
et M. Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Les conseils des parties ont été avisé par le réseau privé vituel des avocats du prorogé du délibéré au 17 septembre 2024.
Le 17 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Malika RABHI, Greffier.
DECISION
La banque S.A CIC EST a octroyé plusieurs concours financiers à la SAS UTRONIX, créée en septembre 2016, spécialisée dans le développement des systèmes connectés et dirigée par Monsieur [B] [V], président directeur général :
- Par acte sous seing privé en date du 19/01/2018, un crédit professionnel d'un montant de 80 000 euros, garanti à hauteur de 50% par la caution solidaire de Monsieur [B] [V] dans la limite de 48 000 euros ;
- Par acte sous seing privé en date du 25/01/2019, un crédit de trésorerie d'un montant de 60 000 euros au taux de 2,50% l'an, utilisable par escompte de billets financiers, garanti par la caution solidaire de Monsieur [B] [V] à hauteur de 72 000 euros pour 12 mois;
- Par acte sous seing privé en date du 05/04/2019, un crédit de trésorerie d'un montant de 50 000 euros au taux de 3% l'an, garanti par l'aval de Monsieur [B] [V] à concurrence de 50 000 euros.
Le premier crédit de trésorerie a été utilisé à hauteur de 10 000 euros par billet à ordre en date du 07/05/2019 à échéance de trois mois et à hauteur de 50 000 euros par billet à ordre en date du 03/08/2019, également à échéance de trois mois. Ces deux billets à ordre ont été avalisés par M. [B] [V].
Le dernier billet à l'ordre a été souscrit le 03/08/2019 à hauteur de 10 000 euros à l'échéance d'un mois, avalisé par Monsieur [B] [V].
Par un jugement en date du 06/08/2019 du tribunal de commerce de Reims, la SAS UTRONIX a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et Maître [I] [X] a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Par un jugement en date du 31/03/2020 du tribunal de commerce de Reims, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire.
Par courrier recommandé en date du 08/06/2020, la S.A CIC EST a adressé sa déclaration de créance actualisée au mandataire judicaire.
Par courrier recommandé en date du 10/06/2020, la S.A CIC EST a mis en demeure Monsieur [B] [V], en sa qualité de caution et d'avaliste, de régler la somme totale de 104 564,03 euros arrêtée au 10/06/2020.
Par acte d'huissier en date du 24/02/2021, la S.A CIC EST a fait assigner Monsieur [B] [V] devant le tribunal de commerce de Saint-Quentin, sollicitant sa condamnation au paiement des sommes suivantes :
- Au titre du crédit de trésorerie de 60 000 euros, sous forme d'escompte en compte courant de billets à ordre :
Billet à ordre n°200265715 de 10 000 euros, souscrit le 07/05/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 10 073,41 euros ;
Billet à ordre n°200269343 de 50 000 euros, souscrit le 03/08/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 50 262,19 euros.
- Au titre de crédit de trésorerie initialement de 50 000 euros, sous forme d'escompte en compte courant de billets à ordre, le billet à ordre n°200269345 de 10 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance d'un mois avalisé à 10 066,98 euros ;
- Au titre du crédit professionnel d'un montant nominal de 80 000 euros n°33780 202341 04 consenti par acte sous seing privé en date du 19/01/2018 et cautionné à hauteur de 50%, la somme de 34 161,45 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020 ;
- Au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 800 euros outre les intérêts jusqu'à parfait paiement.
En réponse, Monsieur [B] [V] a sollicité aux termes de ses conclusions :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes de condamnation dirigées à son encontre ;
- De le déclarer recevable et bien-fondé en ses demandes reconventionnelles.
En conséquence :
- De condamner la S.A CIC EST à lui payer la somme de 104 564,03 euros en réparation du préjudice subi du fait du défaut de conseil, d'information et de mise en garde de la banque à l'égard de la caution et de l'avaliste, et du soutien abusif à l'égard de la SAS UTRONIX, qui se répercute sur la caution/avaliste, et de prononcer la compensation judiciaire des créances respectives ;
- De prononcer la déchéance de la S.A CIC EST à actionner le cautionnement et les avals de Monsieur [B] [V] pour disproportion de ses engagements, en application de l'article L.343-3 du code de la consommation ;
Dans tous les cas :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires à celles de Monsieur [B] [V] ;
- De condamner la S.A CIC EST au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et de laisser à sa charge les dépens de l'instance.
En réponse à ses demandes, la S.A CIC EST a conclu au débouté des moyens, fins et conclusions de Monsieur [B] [V] et sollicite l'entier bénéfice de son acte introductif d'instance.
Par un jugement en date du 11/03/2022 (n° 2021021896), le Tribunal de commerce de Saint-Quentin a :
- Dit les demandes de la S.A CIC EST à l'égard de Monsieur [B] [V] recevables et bien-fondées ;
- Débouté Monsieur [B] [V] de ses moyens, fins et conclusions ;
- Condamné Monsieur [B] [V] à payer à la S.A CIC EST :
10 073,41 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts au taux légal à compter de cette date à ordre n°200265715 de 10 000 euros souscrit le 07/05/2019 à échéance de trois mois avalisé ;
50 262,19 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts au taux légal à compter de cette date (billet à ordre n°200269343 de 50 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance de trois mois avalisé ;
10 066,98 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts au taux légal à compter de cette date (billet à ordre n°20026345 de 10 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance d'un mois avalisé ;
34 161,45 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, outre intérêts contractuels à compter de cette date (crédit professionnel d'un montant nominal de 80 000 euros n°33780 202341 04 consenti par acte sous seing privé le 19/01/2018 et cautionné à hauteur de 50% ;
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les entiers dépens, dont frais de greffe liquidés à la somme de 60,22 euros.
Le 08/04/2022, Monsieur [B] [V] a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin auprès de la cour d'appel d'Amiens en toutes ses dispositions.
Le 25/01/2023, le conseil de l'appelant a fait parvenir son second jeu de conclusions à la cour d'appel d'Amiens par voie électronique, après avoir transmis un premier jeu de conclusions le 30/06/2022.
Dans ses conclusions en date du 25/01/2023, l'appelant demande à la cour d'appel d'Amiens :
- De déclarer recevable et bien-fondé Monsieur [B] [V] en son appel ;
- De réformer le jugement entrepris;
Statuant à nouveau sur les dispositions visées par l'appel :
A titre principal :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes de condamnations dirigées à l'encontre de Monsieur [B] [V], en prononçant sa déchéance en application des articles 2299 et 2300 du code civil, et pour défaut de mise en garde, d'information et de conseil.
A titre subsidiaire :
- De déclarer recevable et bien-fondé Monsieur [B] [V] en ses demandes reconventionnelles en application des articles 2298 et 2300 du code civil, pour défaut d'information et de conseil et disproportion des engagements sollicités ;
- De condamner la S.A CIC EST à payer à Monsieur [B] [V] la somme de 105 465,03 euros en réparation du préjudice subi du fait du défaut de conseil et d'information de la banque à l'égard de la caution et de l'avaliste, et du soutien abusif de crédit à l'égard de la SAS UTRONIX, qui se répercute sur la caution/avaliste, et prononcer la compensation judiciaire des créances respectives.
Dans tous les cas :
- De débouter la S.A CIC EST de toutes ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires à celles de Monsieur [B] [V] ;
- De condamner la S.A CIC EST au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- De condamner la S.A CIC EST aux dépens de première instance et d'appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maitre Mathilde LEFEVRE en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le 17/04/2023, le conseil de l'intimé a fait parvenir un second jeu de conclusions à la cour d'appel d'Amiens par voie électronique, après avoir transmis un premier jeu de conclusions le 27/09/2022.
Dans ses conclusions en date du 17/04/2023, l'intimé demande à la cour d'appel d'Amiens :
- De débouter Monsieur [B] [V] de ses demandes ;
- De confirmer le jugement en toutes ses dispositions et
Y ajoutant :
- De condamner Monsieur [B] [V] à régler la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- De condamner Monsieur [B] [V] en tous les dépens, dire que cette condamnation aux dépens sera assortie au profit de Maitre Pierre LOMBARD du droit de recouvrer les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 07/09/2023.
SUR CE,
Concernant l'obligation de mise en garde à la charge du professionnel, l'appelant invoque à l'appui de son argumentation l'article 2299 du code civil :
'Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l'engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier.
A défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci. "
L'appelant allègue à la lumière de cet article que la S.A CIC EST a manqué à cette obligation dès lors que le cautionnement était inadapté aux capacités financières de la caution, à savoir les revenus propres.
Il souligne l'existence de nombreuses charges relatives à son logement, à l'entretien de ses trois enfants, ou encore à différents prêts contractés à titre personnel, par opposition à de faibles revenus.
L'appelant a en outre été condamné par le tribunal de commerce de Saint-Quentin par un jugement en date du 11/03/2022 à payer la somme de 25 000 euros à une autre banque en qualité de caution ou aval de la SAS UTRONIX.
L'appelant rajoute également que Monsieur [B] [V] n'est pas une caution avertie car lors de la création de la SAS UTRONIX, Monsieur [B] [V] ne disposait d'aucune expérience de chef d'entreprise, étant simplement ingénieur de formation - ses différentes expériences préalables ne permettant de considérer selon l'appelant qu'il avait acquis suffisamment d'expérience.
Concernant le caractère disproportionné du cautionnement, l'appelant cite l'article 2300 du code civil :
" Si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s'engager à cette date."
Ainsi que l'article 343-4 du code de la consommation :
" Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. "
L'appelant estime qu'en l'espèce à la date de souscription de ses engagements, Monsieur [B] [V] n'avait pas de patrimoine lui permettant de faire face à cet endettement d'une part, et que d'autre part il était contraint par de nombreuses charges personnelles (logement, éducation de ses enfants, charges courantes, etc.) - éléments qui rendent le caractère disproportionné du cautionnement manifeste.
Concernant l'octroi abusif de crédit, l'appelant sollicite la jurisprudence constante combinée à l'article 2298 du code civil :
" La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 2293.
Toutefois la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. "
L'appelant souhaite engager la responsabilité délictuelle de la S.A CIC EST pour lui-même mais également pour le compte de la SAS UTRONIX dans la mesure où la S.A CIC EST a octroyé son concours financier le 19/05/2019 alors même qu'était prononcé une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS UTRONIX le 06/08/2019, soit moins de trois mois après ledit concours, ce qui constituerait un soutien abusif.
Concernant le devoir d'information et de conseil à la charge du professionnel, l'appelant prétend que la S.A CIC EST a manqué à celui-ci dès lors qu'elle ne pouvait ignorer que la souscription des différents engagements de Monsieur [B] [V], dans son contexte actuel, ne pouvait que l'amener dans une situation de difficultés financières - et ce d'autant plus que Monsieur [B] [V] n'a aucune formation en gestion d'entreprise ou en commerce.
A ce titre, l'appelant indique que la S.A CIC EST a également failli à cette obligation au regard du contexte de l'activité particulière de la SAS UTRONIX.
En effet, le business plan de cette dernière, établi par un expert-comptable, évoquait des levées de fonds importants pour la conception des systèmes électroniques et des logiciels, mais qui étaient illusoires et impossibles à obtenir puisqu'elles reposaient sur une rentabilité rapide ce qui n'était pas possible compte tenu de l'activité pour laquelle un retour sur investissement n'était attendu qu'après plusieurs années.
Selon l'appelant, la S.A CIC EST aurait dû alerter sur ce point Monsieur [B] [V] en sa qualité de caution/avaliste - ce qu'elle n'a pas fait.
Pour sa part l'intimé souhaite interpeller la cour à propos du fait que selon lui, les articles 2298 et suivants du code civil issus de l'ordonnance 2021-1192 du 15/09/2021 invoqués par l'appelant ne s'appliquent pas aux cautionnements conclus antérieurement au 01/01/2022, et donc au cas d'espèce.
L'intimé conteste à cet égard l'application au cas d'espèce de l'arrêt cité par l'appelant de la Cour de Cassation en date du 20/04/2022 anticipant la réforme du droit des sûretés susvisés en appliquant les nouveaux articles 2298 et suivants du code civil, en estimant d'une part que rien ne permet d'affirmer que la Cour de Cassation entend généraliser cette extension à tous les nouveaux articles de la réforme, et d'autre part que cet arrêt est rendu en matière de droit de la consommation et ne concerne nullement la notion de caution avertie. Il souligne qu'aucun autre arrêt ne va dans ce sens et que l'article 37 de l'ordonnance précitée dispose que les cautionnements conclus avant le 01/01/2022 demeurent soumis à la loi ancienne.
Concernant l'obligation de mise en garde à la charge du professionnel, l'intimé souligne que Monsieur [B] [V], en qualité de dirigeant de la SAS UTRONIX, s'était entouré d'un expert-comptable et d'un commissaire aux comptes, de sorte qu'il ne pouvait ignorer l'objet de ses engagements.
En outre, l'intimé pointe du doigt une confusion établie par l'appelant entre l'aval et la caution, puisque l'aval est considéré comme un engagement cambiaire au titre de l'article L.343-4 du code de la consommation.
A l'appui d'une jurisprudence versée aux débats, l'intimé soulève que le donneur d'aval n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde ni pour violation de l'article L.341-4 du code de la consommation relatif au principe de proportionnalité, de sorte que Monsieur [B] [V] ne peut agir en responsabilité contre la S.A CIC EST.
En ce qui concerne le crédit professionnel cautionné, l'intimé estime que Monsieur [B] [V] est une caution avertie, dans la mesure où ce dernier a été dirigeant ou mandataire au sein de différentes entreprises, toutes dans le domaine des nouvelles technologies.
Selon l'article 2224 du code civil : 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'. Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il est admis que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face. En l'espèce, la CRCAM des Savoie a adressé à l'appelant une première LRAR de mise en demeure de lui régler des échéances impayées le 13 juin 2017 (réceptionnée 22 juin 2017). C'est à cette dernière date que l'emprunteur a pu prendre conscience du manquement allégué de la banque à son devoir de mise en garde, de sorte que la demande indemnitaire formulée par M. [M] [O] à ce titre, devant le premier juge, à l'occasion de la remise le 15 mai 2018 de son premier jeu de conclusions en défense, n'est pas prescrite et donc recevable. Il est admis que le devoir de mise en garde du prêteur ne s'applique qu'à un emprunteur non averti et comprend trois obligations cumulatives: celle de ne pas accorder à un emprunteur un crédit excessif ou disproportionné compte tenu de son patrimoine et de ses revenus; celle de se renseigner sur les capacités de remboursement de l'emprunteur et celle d'alerter celui-ci sur les risques encourus en cas de non remboursement du crédit.
Concernant le caractère disproportionné du cautionnement, l'intimé rappelle qu'au titre de l'article L.332-1 du code de la consommation, la proportionnalité s'apprécie au regard des biens et des revenus de la caution, informations fournies par la caution sans que le créancier n'ait à en vérifier l'exactitude.
Or, Monsieur [B] [V] a complété dans le cadre de son engagement limité à 48 000 euros en principal, intérêts et frais une fiche d'information patrimoniale dans laquelle il déclarait :
- Des revenus annuels de 22 000 euros ;
- Une épargne de 40 000 euros ;
- Les parts détenues dans la SCI CRISTALIMMO estimées à 20 000 euros ;
- 100% des parts de la société GV CONSEIL non-valorisée.
Ainsi qu'un endettement de 29 000 euros et un loyer mensuel de 550 euros.
Pour toutes ces raisons, l'intimé constate que la caution n'était pas disproportionnée, les charges dont fait état l'appelant dans le cadre de ses conclusions pour justifier de ce caractère disproportionné étant postérieures à l'engagement et non-déclarées à la banque.
Concernant l'octroi abusif de crédit, l'intimé invoque l'article L.650-1 du code de commerce disposant que :
" Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge. "
L'intimé indique à cet égard que pour retenir le soutien abusif, trois conditions cumulatives doivent être respectées - étant précisé que celles-ci doivent être appréciées à la date du prêt consenti :
- La situation de l'entreprise doit être irrémédiablement compromise ;
- De ce fait, le prêt ne pourra être en aucun cas remboursé ;
- Il doit exister un lien de causalité entre la diminution de l'actif et le soutien financier.
Or, la SAS UTRONIX a été admise au bénéfice du redressement judiciaire en 2019, procédure convertie en liquidation judiciaire en 2020, alors que les prêts ont été consenti en 2018.
La S.A CIC EST a par la suite déclaré ses créances qui ont été admises au passif de la SAS UTRONIX sans aucune contestation.
En outre, la situation de la SAS UTRONIX n'était pas irrémédiablement compromise et ce même au jour de l'ouverture de la première procédure collective, puisque cette dernière a bénéficié d'une période de redressement judiciaire.
Concernant le devoir d'information et de conseil à la charge du professionnel, l'intimé reprend le même argumentaire que celui cité supra.
1- Sur les demandes en paiement de 10 066,98 euros,
10 073,41 euros et 50 262,19 euros et sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts, au titre du crédit de trésorerie de 60 000 euros consenti le 25 janvier 2019 et au titre du crédit de trésorerie de 50 000 euros consenti le 5 avril 2019, sous forme d'escompte en compte courant de billets à ordre, ayant donné lieu à émission du billet à ordre n°200269345 de 10 000 euros souscrit le 03/08/2019 à échéance d'un mois avalisé à 10 066,98 euros, du billet à ordre n°200265715 de 10 000 euros souscrit le 07/05/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 10 073,41 euros et du billet à ordre n°200269343 de 50 000 euros, souscrit le 03/08/2019 à échéance de trois mois, avalisé à 50 262,19 euros.
La cour rappelle que l'aval, en ce qu'il garantit le paiement d'un titre dont la régularité n'est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que les règles propres au cautionnement ne s'appliquent pas et que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde (Com.30 octobre 2012, n°11-23.519) ni pour manquement au devoir d'information (Com. 20 avril 2017-n°15-14812).
L'avaliste ne peut davantage invoquer le principe de proportionnalité issu de l'article L.332-1 du code de la consommation (Civ.1, 19 décembre 2013 - 12.25.888).
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande d'indemnisation de ces chefs et en ce qu'il l'a condamné au paiement des sommes restant dues au titre des avals consentis sur les billets souscrits.
2-Sur la demande en paiement de la somme de
34 161,45 euros selon décompte arrêté au 10/06/2020, au titre du cautionnement solidaire du crédit professionnel de 80 000 euros n°33780 202341 04 consenti par acte sous seing privé en date du 19/01/2018 et cautionné à hauteur de 48.000 euros :
Aux termes de l'article 2288 du code civil, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même.
L'article 2300 du code civil, issu de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 entrée en vigueur le 1er janvier 2022, ne trouve pas à s'appliquer, l'engagement de caution ayant été souscrit avant.
La cour rappelle qu'en application de l'article L.332-1 du code de la consommation applicable aux contrats de cautionnement souscrits avant le 1er janvier 2022, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et ses revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée lui permette de faire face à son obligation.
Il est admis au visa de cet article qu'il appartient à la caution personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus lors de la souscription de son engagement, d'en apporter la preuve et qu'il appartient le cas échéant au créancier en cas de cautionnement manifestement disproportionné lors de l'engagement d'établir qu'au moment où elle est appelée la caution peut faire face à son obligation.
Par ailleurs la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier, étant ajouté que la caution peut faire, lorsqu'elle est appelée, état de dettes non mentionnées sur la fiche de renseignement si le créancier ne pouvait les ignorer, en particulier lorsqu'il est lui-même le créancier.
C'est à juste titre et par des moyens que la cour adopte que le premier juge a considéré que l'engagement de caution souscrit le 19 janvier 2018 à hauteur de 48000 euros par M. [V] n'était pas manifestement disproportionné à ses biens et ses revenus puisqu'à cette date la fiche d'information patrimoniale qu'il a remplie révèle qu'il détenait, outre 100% des parts de la société GV Conseil (non valorisées), une épargne de 40.000 euros et des parts de la SCI Cristalimmo évaluées à 20.000 euros, pour un endettement de 29.000 euros (crédit-réserve trésorerie), des revenus de 22000 euros par an et un loyer de 550 euros par mois.
M. [V] ne saurait opposer à la banque des dettes souscrites postérieurement ni des charges qu'il n'a pas déclarées, la banque n'étant pas tenue, en l'absence de d'anomalies apparentes, de vérifier l'exactitude des déclarations faites par la caution ou de ses éventuelles omissions. Il ne saurait davantage opposer la charge d'un crédit personnel souscrit auprès de la CIC le 28 décembre 2016 pour l'acquisition de la moitié des parts sociales de la SCI Cristalimmo, dont il ne justifie pas, la pièce qu'il produit étant un accord de crédit, dont la cour ignore d'ailleurs le sort, envers ladite SCI.
Par ailleurs c'est par de justes motifs que la cour adopte que le premier juge, constatant que la banque a adressé à M. [V] par courriers les 18 février 2019 et 3 mars 2020 l'information annuelle conformément à l'article L.313-22 du code monétaire et financier, a débouté la caution de sa demande de déchéances du droit aux intérêts.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné M. [V] au paiement des sommes restant dues au titre de son cautionnement du crédit professionnel souscrit par la société Utronix le 19 janvier 2018.
3- Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement au devoir de mise en garde quant au risque d'endettement relativement à l'engagement de caution du 19 janvier 2018 :
L'article 2299 du code civil, issu de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 entrée en vigueur le 1er janvier 2022, ne trouve pas à s'appliquer, l'engagement de caution ayant été souscrit avant.
Il est établi toutefois que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsqu'au jour de son engagement ce dernier n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières du débiteur et la preuve en revient à la caution- (Com.9 mars 2022-n°20-16.277)
La caution avertie est exclue du bénéfice du devoir de mise en garde quant au risque d'endettement (Com.28 janvier 2014-n°12-27.703).
C'est par de justes motifs que la cour adopte que le premier juge a considéré que M. [V] n'était pas une caution profane et que la banque n'avait pas d'obligation particulière de mise en garde quant aux risques d'endettement, puisque même s'il est ingénieur de formation il a, avant Utronix créée en septembre 2016 qui emploie 9 salariés, dirigé à partir de 2009 une autre société dans le même domaine d'activité, ayant acquis deux autres sociétés, que parallèlement il est gérant et associé unique de la société GV Conseil créée en 2015 au capital social de 2.075.876 euros, et qu'il s'est fait assisté d'un comptable et d'un expert-comptable pour présenter un business-plan afin de lever les fonds requis pour l'exploitation d'Utronix. Ainsi tant ses compétences que son expérience des affaires le mettaient à même de mesurer la portée de son engagement et les risques pris au regard de son patrimoine ; qu'au demeurant force est de constater que la société Utronix a parfaitement honoré le remboursement du prêt professionnel du 19 janvier 2018 jusqu'au 15 juillet 2019 soit jusqu'à sa mise en redressement judiciaire.
En tout état de cause M. [V] ne démontre pas le défaut de viabilité de son entreprise ni que la banque, qui n'avait pas à s'immiscer dans les affaires de l'emprunteur, avait des informations sur la situation financière d'Utronix que lui-même aurait ignorées.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
4-Sur la demande de dommages et intérêts pour soutien abusif de la banque :
M. [V] reproche au CIC de s'être rendu coupable d'un soutien abusif de crédit dès lors qu'il a octroyé à la société Utronix des concours financiers le 19 mai 2019 soit juste quelques mois avant le redressement judiciaire le 6 août 2019 si bien que sa responsabilité doit être mise en jeu sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
La responsabilité d'un créancier pour soutien abusif d'un débiteur en procédure collective est encadrée par l'article L.650-1 du code de commerce qui dispose : "Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ces concours peuvent être annulées ou réduites par le juge."
Il est établi qu'il existe un soutien abusif lorsqu'un établissement bancaire accorde un prêt à une entreprise dont elle sait que la situation est irrémédiablement compromise et que le prêt ne sera pas remboursé.
Cependant comme l'a retenu à bon droit le premier juge dont la cour s'approprie les motifs, M. [V] ne démontre pas qu'au 19 mai 2019 la situation de la société Utronix était irrémédiablement compromise ni que la banque savait que les concours financiers souscrits à cette date ne pourraient pas être remboursés étant rappelé à cet égard que la date de cessation des paiements a été fixée le 30 juillet 2019 par le tribunal de commerce qui a ouvert une procédure de redressement judiciaire le 6 août 2019, et que le 24 juin 2019 M. [V] s'est fait consentir par l'association Scientipôle Initiative un prêt d'honneur de 50000 euros d'une durée de 60 mois avec 12 mois de différé, qu'il a apporté en compte-courant d'associé ce qui montre qu'il croyait encore aux possibilités de développement de son entreprise malgré son exploitation déficitaire.
Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
5- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [V] succombant en son recours sera condamné à en supporter les dépens et frais hors dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions et,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [B] [V] à régler à la société CIC Est la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [B] [V] en tous les dépens et dit que cette condamnation aux dépens sera assortie au profit de Maitre Pierre LOMBARD du droit de recouvrer les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,