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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 20 décembre 2023, n° 21/14354

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MBIP (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme SENTUCQ

Conseillers :

Mme THEVENIN-SCOTT, Mme PELIER-TETREAU

Avocats :

Me LAURENT, Me LAMBERT

TC MELUN, du 5 juill. 2021

5 juillet 2021

FAITS ET PROCEDURE

Dans le cadre de la construction de quatre-vingts logements [Adresse 1] à [Localité 6], selon contrat de sous-traitance n° 19SIL05.01 en date du 28 mai 2019, la société M.B.I.P. a sous traité à l'entreprise unipersonnelle de Monsieur [Y] [J], selon marché à forfait au prix de 105 000 € HT, la réalisation du lot enduit-peinture.

Le délai de réalisation des travaux était fixé à six mois à partir du 3 juin 2019.

Le contrat de sous-traitance ne prévoyait pas de retenue de garantie mais la fourniture d'une caution bancaire par l'entrepreneur principal.

La déclaration de sous-traitance est intervenue le 28 mai 2019.

Par courriel du 28 juin 2019 Monsieur [Y] [J] informait par mail le conducteur des travaux de l'entreprise M.B.I.P., Monsieur [Z], des retards non imputables à l'entreprise [J].

La société M.B.I.P. établissait avec l'entreprise [J] un avenant au contrat de sous-traitance prévoyant des travaux supplémentaires dans le bâtiment CNI et VINCI pour un montant forfaitaire de 8.500 € en date du 2 janvier 2020 facturé par l'entreprise [J] le 10 janvier 2020 pour ce montant.

Par courriel du 2 janvier 2020, Monsieur [J] faisait part à la société MBIP de son désaccord sur les conditions dans lesquelles ont été réalisées les opérations préalables à la réception indiquant que les conditions du DTU 59.1 n'ont pas été respectées, 'les ouvrages ayant été réceptionnés avec une lumière rasante de téléphone portable et l'observation s'étant faite à moins de 50 cm du revêtement.'

Par courrier du 15 février 2020, Monsieur [Y] [J] signifiait à l'entreprise MBIP que la prolongation du délai d'exécution liés aux retards des lots gros-oeuvre et plomberie nécessitait l'établissement d'un nouveau devis à hauteur de 52 250 euros hors taxe avec prise en charge des frais d'intervention à partir du 3 décembre 2019 jusqu'au 30 avril 2020.

Par un courrier du 21 février 2020, la société MBIP mettait en demeure Monsieur [J] de terminer les prestations prévues au planning avant le 25 février et de lever les réserves avant le 2 mars.

Par courrier du 20 février 2020 Monsieur [Y] [J] sollicitait la fourniture de la caution bancaire prévu au contrat de sous- traitance sous 72 heures.

Par courrier recommandé dont la date de présentation n'est pas lisible, Monsieur [J] mettait en demeure l'entreprise MBIP de régler les frais de prolongation du chantier du mois de janvier au mois de février à hauteur de 27 880 euros et réitérait la demande de fourniture de la caution bancaire.

Par courrier du 22 février 2020 Monsieur [J] signifiait à l'entreprise MBIP :

- l'achèvement et la levée des réserves des travaux dans le bâtiment Vinci - l'achèvement à 90 % des travaux dans le bâtiment CNI
- la non réalisation des reprises de maçonnerie
- la nécessité de fournir une caution bancaire

- la nécessité de valider un bon de commande pour la prolongation du devis.

Le 24 février 2020, Monsieur [J] mettait en demeure l'entreprise MBIP de régler le solde de tout compte de 6 980 euros ainsi que les frais de salaires, déplacement, hôtel et charge d'Urssaf à hauteur de 20 900 euros.

La société MBIP adressait à Monsieur [J] le 26 février 2020 une nouvelle mise en demeure de lever les réserves et finir le chantier.

La société MBIP a fait établir deux constats d'huissier le 28 février 2020 pour les travaux de peinture du chantier du bâtiment A01 et le 2 mars 2020 pour l'ilôt C1, situé à la même adresse. Ils relèvent principalement des défauts de finition mineurs : aspect non lissé, traces de coulure, traces de peinture .

L'entreprise [J] a saisi le Tribunal de commerce de MELUN afin d'obtenir une ordonnance d'injonction de payer la somme de 29.640 euros, ordonnance à l'encontre de laquelle la société MBIP a formé opposition.

Le Tribunal de commerce de MELUN a, par jugement du 5 juillet 2021 :

'Rejeté l'ensemble des prétentions fins et conclusions de la société MBIP,
Dit que l'entreprise [J] n'était pas responsable des retards,
Dit que la société MBIP est fautive de ne pas avoir produit la caution bancaire, Condamné la société MBIP au paiement de la somme de 37.751,61€,
Ordonné l'exécution provisoire,
Condamné la société MBIP au paiement d'une somme de 2.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société MBIP aux dépens.'

La société SAS MBIP a interjeté appel selon déclaration reçue au greffe le 22 juillet 2021.

Par conclusions signifiées le 6 octobre 2021 la SAS MBIP demande à la cour de :

Infirmer le jugement rendu le 5 juillet 2021 par le Tribunal de commerce de MELUN, Statuant à nouveau,
Constater l'abandon de chantier par l'Entreprise [J] quelques jours après la lettre recommandée qui lui a été adressée par la Sté MBIP ;

Constater que l'Entreprise [J] ne fait état d'un retard qui ne lui serait pas imputable que par LRAR du 15 février 2020, courrier réceptionné le 18 février 2020 et ce conformément aux dispositions de l'article 7-4 des conditions générales du contrat de sous-traitance qui lui est applicable ;

Dire et juger que l'Entreprise [J] est responsable de l'abandon de chantier ainsi que

de ses conséquences ;
Débouter l'Entreprise [J] de l'intégralité de ses explications et demandes ;
Condamner l'Entreprise [J] au paiement de la somme de 12.576,59 euros au titre des
sommes complémentaires dont le paiement est imputable à l'abandon de chantier de l'entreprise [J] ; Constater que les règlements effectués par la Société MBIP à l'entreprise [J] l'ont été
pour des travaux incorrectement réalisés qui ont nécessité des reprises de sorte que
l'entreprise [J] est irrecevable à solliciter quelque somme complémentaire que ce soit ;
Débouter l'entreprise [J] de toutes demandes et motivation contraire aux présentes
écritures ;
Condamner l'Entreprise [J] au paiement d'une somme de 4.000 € sur le fondement de
l'article 700 du CPC ;
La condamner aux dépens.

Par conclusions signifiées le 25 novembre 2021 l'entreprise individuelle [Y] [J] demande à la cour de :

Confirmer purement et simplement le Jugement rendu le 5 juillet 2021 par le Tribunal de Commerce de [Localité 7] en ce qu'il a :
-rejeté l'ensemble des prétentions, fins et conclusions de la société M.B.I.P.,
- dit que l'entreprise [J] n'est pas responsable des retards du chantier,

- dit que la société M.B.I.P. est fautive de ne pas avoir produit la caution
bancaire ;
- condamné la société M.B.I.P. à payer l'entreprise [J] la somme de
37.551,60 euros ainsi que la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du CPC ; Constater que ces deux sommes ont été réglées par la société M.B.I.P. ;

Débouter la société M.B.I.P. de ses demandes reconventionnelles ;
Condamner la société M.B.I.P. à payer à la l'entreprise [J] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile.

La clôture a été prononcée le 11 avril 2023.

SUR QUOI, LA COUR

1- L'exception d'inexécution

Le tribunal, au constat des retards imputables aux autres corps d'état dénoncés par Monsieur [J] dès le 28 juin 2019, de l'absence de remarques résultant des comptes-rendus de chantier émises à l'encontre de la société MBIP, de la non- fourniture de la caution bancaire par la société MBIP en dépit des demandes réitérées du sous-traitant et des frais supplémentaires engagés par Monsieur [J] pour la période du 3 décembre 2019 au 20 février 2020, a jugé que l'abandon de chantier n'est pas fautif puisqu'il fait suite à la non-fourniture de la caution bancaire par l'entreprise, s'agissant d'une obligation légale sanctionnée par la nullité du sous-traité.

La société MBIP, au soutien de l'infirmation du jugement, fait valoir que les comptes rendus de chantier établissent que les travaux demandées aux sociétés Biagot et P2C ne peuvent en rien expliquer l'impossibilité pour l'entreprise [J] d'effectuer les reprises qui lui incombaient dont le coût a été assumé par l'entreprise et qui sont étayées par les constats d'huissier ; que le tribunal se devait soit de prononcer la nullité pure et simple du contrat de sous-traitance soit se référer au contrat de sous-traitance, s'agissant de sommes réclamées par l'entreprise [J] ; que le devis présenté par Monsieur [J] est non seulement postérieur à la période considérée mais il est totalement contestable s'agissant d'un calcul unilatéral cependant que tous les coûts supportés par la société MBIP sont justifiés à hauteur de

34 368,19 euros, fondant, sous déduction des sommes réglées, sa demande en paiement de la somme de 12 576,59 euros.

L'entreprise individuelle [Y] [J], au soutien de la confirmation du jugement, oppose qu'il lui était impossible de respecter le délai de réalisation initial au regard des retards pris par les autres intervenants signalés très rapidement à l'entrepreneur et qu'elle n'avait d'autre possibilité pour continuer à travailler que d'obtenir la signature d'un avenant et l'acceptation de son devis de 52 250 euros hors taxe, pour ses travaux dont la poursuite lui était demandée au-delà du 3 décembre 2019, date de la fin du marché initial ; que la mauvaise foi de la société MBIP est avérée alors que les échanges entre les parties montrent que le retard des autres entreprises a mis l'entreprise [J] dans l'impossibilité d'avancer, qu'elle ne pouvait être mise en demeure de poursuivre le chantier dont les délais étaient dépassés sans être indemnisée des frais supplémentaires tandis que l'appelante reste taisante sur les raisons de la non fourniture de la caution bancaire qui a justifié la suspension des interventions du sous-traitant.

Réponse de la cour

Selon les dispositions de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ' A peine de nullité du sous- traité les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1338 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.

A titre transitoire, la caution pourra être obtenue d'un établissement figurant sur la liste fixée par le décret pris en application de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 concernant les retenues de garantie.'

La violation des formalités de l'article 14, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1975, qui ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, est sanctionnée par une nullité relative, celle-ci ne pouvant être invoquée que par la partie que la loi entend protéger, en l'occurrence le sous-traitant, l'entreprise [Y] [J] qui en l'espèce, ne demande pas la nullité du sous-traité qu'elle a exécuté jusqu'à l'échéance du calendrier d'exécution des travaux prévu au 3 décembre 2019.

Par conséquent et contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, le tribunal ne pouvait prononcer une nullité qui ne lui était pas demandée.

Selon les dispositions de l'article 1219 du Code civil : 'Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.'

Les comptes-rendus des réunions de coordination sont produits pour la période du 30 octobre 2019 au 20 janvier 2020 mais ils ne mettent en exergue aucun manquement ou retard imputable à la société MBIP.

Les rapports de réserves à la date du 15 octobre 2020 pour le lot peinture font état, lot par lot, de réserves non levées pour des joints, nettoyages et reprises de peinture auxquelles sont jointes des photographies qui caractérisent des reprises mineures mais cette date est postérieure à l'échéance du calendrier d'exécution des travaux or, dès le 28 juin 2019 Monsieur [J], ainsi que la chronologie des échanges avec la société MBIP le montre, a alerté celle-ci sur la désorganisation du chantier, le retard des lots gros oeuvre et plomberie n'ayant pas permis la réception des surfaces à enduire et à peindre.

Par des courriers postérieurs, il dénonçait les prolongations du chantier du fait de retards liés aux finitions de maçonnerie non faites, à l'ouverture des gaines, à la pose de bandes et de placoplâtre après qu'il ait effectué la finition des peintures et réitérait le 15 et le 22 février 2020, postérieurement à l'échéance contractuelle du calendrier d'exécution du marché sous-traité, sa demande de prise en compte des coûts supplémentaires générés par la prolongation du chantier ainsi que sa demande de fourniture de la caution bancaire à laquelle la société MBIP n'a jamais répondu .

Ainsi en ne satisfaisant pas à la fourniture de la caution bancaire pourtant expressément mise à sa charge par le contrat de sous-traitance et alors que les conséquences de cette inexécution étaient d'autant plus grave pour l'entreprise [J] que celle-ci, par le fait des dépassements des délais d'exécution contractuelle pour des raisons manifestement extérieures à son intervention, se trouvait confrontée à l'exposition de coûts supplémentaires induits par la prolongation du chantier, la société MBIP a manqué à l'exécution de son obligation à l'égard du sous-traitant qui était par voie de conséquence fondé à suspendre son obligation de lever les réserves dans l'attente de la fourniture de ladite caution.

Partant le jugement qui a retenu le bien fondé de l'exception d'inexécution et rejeté les demandes de la société MBIP tendant à réparer les préjudices liés à la non levée des réserves doit être confirmé.

2- Le préjudice subi par l'entreprise [J]

Le tribunal a fait droit aux demandes de l'entreprise [J] et a condamné la société MBIP au règlement du marché, de son avenant et des travaux hors marché, sous déduction d'une somme de 4 940 euros correspondant à des travaux non réalisés.

La société MBIP fait valoir que les sommes réclamées au titre des coûts supplémentaires exposés ne sont aucunement justifiées au contraire des sommes dont elle demande le règlement qui correspondent au coût des reprises des réserves non levées.

L'entreprise [Y] [J] sollicite la confirmation du jugement qui a fait une exacte appréciation des préjudices.

Réponse de la cour

Selon les dispositions de l'article 1231-2 du Code civil : 'Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.'

L'entreprise [J] excipe du paiement des charges sociales, des salaires, des frais d'hébergement sur place ensuite de la prolongation du chantier cependant sa demande n'est étayée par aucune pièce autre que des factures établies par elle- même, aucun élément comptable n'étant produit pour justifier les surcoûts exposés du fait de la prolongation du chantier.

Il est cependant démontré par le solde de tout compte établi le 24 février 2020 que le solde du marché s'élevait à cette date à 11 920 euros dont il convient de déduire les travaux de peitnure non exécutés dans la cage d'esclaier, les celliers, le local à vélo et le sol de l'escalier à hauteur de 6 980 euros.

Partant le jugement sera infirmé des chefs des préjudices alloués à l'entreprise [Y] [J] et la société MBIP condamnée à lui la somme de 6 890 euros. Pour solde de tout compte.

3- Les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société MBIP à régler une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles outre les dépens.

Statuant à nouveau de ces chefs, il sera fait masse des dépens qui seront partagés par moitié entre les parties et chacune des parties sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement en ce qu'il a statué sur le préjudice de l'entreprise individuelle [Y] [J], les frais irrépétibles et les dépens ;

Statuant à nouveau de ces seuls chefs ;

CONDAMNE la société MBIP à régler à l'entreprise individuelle [Y] [J] la somme de 6 890 euros au titre du solde de tout compte ;

DEBOUTE l'entreprise individuelle [Y] [J] du surplus de ses demandes ;

DEBOUTE la société MBIP et l'entreprise individuelle [Y] [J] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;

FAIT masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties ;

CONFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions.