Cass. 3e civ., 1 février 2024, n° 22-23.039
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 septembre 2022), pour la construction d'une unité de production de lait infantile, la société Laiterie nouvelle de l'Arguenon (la société LNA) a confié, sous la maîtrise d'oeuvre de la société Lavalin, la réalisation de travaux de bardage à la société Atria Le Gall (la société Atria).
2. La société Huet location (la société Huet) s'est engagée, par contrats du 11 août 2016, à mettre diverses machines- outils à disposition de la société Atria.
3. Le 10 août 2016, une délégation de paiement a été conclue entre les sociétés LNA (le délégué), Atria (le délégant) et Huet (le délégataire).
4. Après la mise en redressement judiciaire de la société Atria, la société Huet a mis en demeure la société LNA de lui payer sa créance, puis l'a assignée en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche Enoncé du moyen
5. Le délégué fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au délégataire une certaine somme due par le délégant, avec intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 2016, et d'ordonner la capitalisation des intérêts, alors « qu'en décidant que la méconnaissance par la société Atria des formalités de facturation prévues dans le contrat de délégation, à savoir l'absence d'apposition de la mention « bon à payer directement au délégataire » sur les factures émises par la société Huet, et le fait de ne pas les avoir jointes aux situations de travaux produites par la société Atria, n'emportait aucune conséquence à l'égard de la société Huet, après avoir pourtant constaté que l'article 4 du contrat de délégation, auquel cette dernière était partie, stipulait que les factures émises par la société Huet location devaient être validées par la société Atria, qui devait y apposer la mention « bon à payer directement au délégataire » et les joindre à la situation de travaux aux fin de transmission au maître d'oeuvre, ce dont il résultait que la méconnaissance de ces formalités de facturation était opposable à la société Huet et faisait obstacle au paiement, la cour d'appel, qui a méconnu la loi du contrat, telle qu'elle résulte du contrat de délégation de paiement du 10 août 2016, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 :
6. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
7. Selon le second de ces textes, à peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant sont garanties par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur ou par une délégation de paiement conclue entre l'entrepreneur, le maître de l'ouvrage et le sous-traitant, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.
8. Il en résulte que, si la délégation de paiement ne relève pas des dispositions impératives de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, les parties peuvent déroger à l'interdiction faite au délégué d'opposer au délégataire les exceptions tirées des rapports entre le délégant et le délégataire.
9. Pour condamner la société LNA à payer une certaine somme à la société Huet, l'arrêt relève que l'acte de délégation de paiement du 10 août 2016 tendait à garantir le paiement de la créance de la société Huet résultant de la location de matériel à la société Atria en prévoyant l'adjonction d'un débiteur dans l'intérêt du créancier et que l'article 4 de cet acte conditionnait le paiement du délégué au respect de formalités tenant à l'établissement des factures au nom du délégant et à leur validation par celui-ci en apposant la mention « bon à payer directement au délégataire » et en les joignant à la situation de travaux.
10. Puis, il retient que, si les factures ne comportaient pas cette mention et n'avaient pas été jointes aux situations de travaux, la société LNA ne pouvait pas reprocher à la société Huet l'inexécution de formalités incombant à la société Atria, de sorte que leur méconnaissance n'emportait aucune conséquence à l'égard de la société Huet.
11. En statuant ainsi, alors que, pour écarter la clause tenant à la validation des factures par le délégant, elle n'avait pas retenu une relation de sous-traitance entre les sociétés Atria et Huet, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la société Huet location aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Huet location à payer à la société Laiterie nouvelle de l'Arguenon la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-quatre.