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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 17 septembre 2024, n° 24/01057

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Manzi Finances (SA)

Défendeur :

Banque Nationale du Canada, Amethis Africa Finance Ltd

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barlow

Conseillers :

Mme Schaller, M. Le Vaillant

Avocats :

Me Pelit-Jumel, Me Brun, Me Autier, Me Mondoloni, Me Boccon Gibod, Me Mounier, Me Teuma

T. com. Paris, du 30 nov. 2023, n° 20230…

30 novembre 2023

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel interjeté contre un jugement rendu le 30 novembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Paris dans un litige opposant la société Manzi Finances SA (ci-après : « Manzi ») à la Banque Nationale du Canada (ci-après : « la BNC »).

2. Manzi est, avec NSIA Participations (« NSIA »), l'une des deux sociétés holding d'un groupe de banques et d'assurances opérant sur le continent africain, principalement en Côte d'Ivoire où se situe son siège social.

3. La BNC est l'une des principales institutions financières du Québec.

4. Amethis Africa Finance (« Amethis »), non partie à la cause, est une société du groupe Amethis, gestionnaire de fonds d'investissements en capital-développement, active sur les continents africain et européen.

5. Le 16 mars 2015, la BNC et Amethis ont chacune pris une participation minoritaire dans le capital de NSIA, respectivement de 20,85 % et 5,39 %, le reste étant contrôlé majoritairement par le fondateur de cette société, M. [O], et des membres de sa famille, directement et indirectement, notamment via Manzi.

6. Le même jour, la BNC, Amethis, M. [O] et Manzi ont conclu un pacte d'actionnaires (« le Pacte ») organisant leurs relations au sein de NSIA.

7. Ce Pacte envisage les conséquences d'un franchissement du seuil de participation de M. [O] et de sa famille dans Manzi sous la barre de 60 %. Il reconnaît, en pareille hypothèse, un « Droit de Sortie Totale » (DST) au bénéfice d'Amethis et de la BNC, avec rachat de leurs actions à un prix devant être déterminé d'un commun accord ou, à défaut d'accord, à dires d'expert désigné par le président du tribunal de commerce de Paris.

8. Il contient une clause compromissoire en vertu de laquelle tout différend devra être tranché par un tribunal arbitral selon le règlement d'arbitrage de la CCI.

9. Invoquant divers manquements commis par M. [O] et Manzi, la BNC et Amethis ont engagé une procédure arbitrale sur le fondement de cette stipulation.

10. Alors que cette procédure était en cours, elles ont notifié à Manzi l'exercice de leur DST. M. [O] et Manzi ont alors étendu la saisine du tribunal arbitral à cette question.

11. Par sentence du 20 janvier 2022, le tribunal arbitral a :

- déclaré que l'augmentation de capital de Manzi du 18 octobre 2019 avait fait franchir à la baisse le seuil de détention par Monsieur [O] et la Famille [O], en direct et en pleine propriété, de 60 % des actions ou des droits de vote de Manzi et que cela constituait un franchissement de seuil au sens de l'article 7.4.1 (ii) du Pacte ;

- déclaré que ce franchissement de seuil autorisait BNC et Amethis à exercer leur DST du capital de NSIA Participations ;

- enjoint à Manzi d'acquérir ou de faire acquérir l'intégralité des titres détenus par BNC et Amethis dans NSIA Participations, pour un prix à déterminer selon la procédure prévue à l'article 7.4.4 du Pacte et dans les conditions de l'article 7.4.5 du Pacte.

12. Cette sentence a été revêtue de l'exequatur en France par ordonnance du délégué du président du tribunal judiciaire de Paris du 17 février 2022.

13. Les parties ne trouvant pas d'accord sur la valorisation des titres, la BNC a assigné Manzi, en présence d'Amethis, devant le président du tribunal de commerce de Paris, saisi selon la procédure accélérée au fond, aux fins de voir désigner un expert avec mission de fixer le prix des parts de NSIA.

14. Par jugement du 30 novembre 2023, le président de ce tribunal a statué en ces termes :

« Statuant selon la procédure accélérée au fond, par jugement contradictoire, insusceptible de recours, nous :

Disons les exceptions de nullité et d'incompétence irrecevables ;

Désignons M. [U] [Z], avec pour mission de fixer les prix auquel doivent être cédées les parts de la société NSIA Participations par La Banque Nationale du Canada et AMETHIS AFRICA FINANCE Ltd à la société MANZI FINANCES SA ;

Déboutons les parties de leurs autres demandes. »

15. Manzi a interjeté appel de cette décision par déclaration du 12 janvier 2024.

16. Elle a été autorisée à assigner la BNC et Amethis à jour fixe devant la chambre commerciale internationale de la cour d'appel de Paris, pour l'audience du 11 juin 2024 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2024, Manzi demande à la cour, au visa des articles 1843-4 du code civil, 74, 1448, 688, 31 et 378 du code de procédure civile, 38 de l'Accord de coopération en matière de justice entre la France et la Côte d'Ivoire, du pacte d'actionnaires de NSIAP du 16 mars 2015 et plus particulièrement ses articles 1.1., 7.4 et 19, de bien vouloir :

I/ In limine litis

- JUGER que le président du tribunal de commerce de Paris a excédé ses pouvoirs dès lors qu'il a tranché une contestation qui nécessitait de procéder à une interprétation des dispositions du Pacte de NSIA Participations conclu le 16 mars 2015 et qui relevait donc exclusivement de la compétence d'un tribunal arbitral à constituer en application de l'article 19.2 du Pacte conformément au principe de compétence-compétence ;

- JUGER que le président du tribunal de commerce de Paris a excédé ses pouvoirs en jugeant que l'expert désigné était « libre de choisir ses critères d'évaluation » alors que l'article 1843-4 du code civil impose à l'expert évaluateur d'appliquer les règles et modalités de détermination de la valeur convenues entre les parties, et qu'il en existe à l'article 7.4.4 du Pacte ;

En conséquence :

- ANNULER le jugement rendu par le président du tribunal de commerce de Paris le 30 novembre 2023, ainsi que tous actes subséquents ;

II/ Si la cour décidait d'évoquer le fond après avoir annulé le jugement déféré

In limine litis à titre principal :

- SE DECLARER INCOMPÉTENTE pour statuer sur l'interprétation des stipulations du Pacte relatives aux conditions de mise en 'uvre de la procédure d'expertise au profit d'un tribunal arbitral à constituer en application de l'article 19.2 du Pacte susvisé ;

Par conséquent,

- SURSEOIR À STATUER dans l'attente de la sentence qui viendrait à être rendue par le tribunal arbitral à constituer, qui serait saisi à la requête de la plus diligente des parties, d'une demande d'interprétation des clauses du Pacte relatives aux conditions de mise en 'uvre du droit de sortie totale au sens dudit pacte et d'interprétation de la procédure d'expertise définie à l'article 1.1 dudit pacte, notamment en ce qui concerne la détermination du point de départ du délai de quinze jours de « notification de demande d'expertise » au sens du Pacte et des conséquences d'une absence de respect de ce délai ;

Subsidiairement, si par extraordinaire la cour se déclarait compétente pour interpréter les stipulations du Pacte :

- DÉCLARER la Banque Nationale du Canada irrecevable en ses demandes, pour défaut d'intérêt à agir, du fait de l'absence de mise en cause de la société de droit ivoirien NSIA Participations ;

Très subsidiairement, si par extraordinaire la Cour ne faisait pas droit aux exceptions de procédure et fins de non-recevoir soulevées par la société Manzi :

- DÉBOUTER la Banque Nationale du Canada de sa demande d'expertise comme non fondée, les conditions de recours au président du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur cette demande au visa de l'article 1843-4 du code civil n'ayant jamais été réunies ;

À titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour entendait néanmoins désigner un expert :

- DIRE que l'expert désigné :

Aura pour mission de déterminer la valeur des titres détenus par BNC dans NSIA Participations dans les conditions prévues à l'article 7.4 du Pacte conclu le 16 mars 2015 ;

Devra mener sa mission en Côte d'Ivoire et se rendre au siège de NSIA Participations pour s'y voir remettre copie de toutes les informations comptables et financières utiles à sa mission ;

- METTRE HORS DE CAUSE la société Amethis Africa Finances Ltd.

III/ En tout état de cause

- DÉBOUTER la Banque Nationale du Canada et la société Amethis Africa Finances Ltd de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la Banque Nationale du Canada à payer à Manzi Finances SA la somme de 30.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens de l'instance.

18. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 avril 2024, la BNC demande à la cour au visa des articles 1843-4 du code civil, 544 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- JUGER irrecevable l'appel interjeté par la société Manzi Finances du jugement rendu le 30 novembre 2023 selon la procédure accélérée au fond par le président du tribunal de commerce de Paris ;

- SUBSIDIAIREMENT, débouter la société Manzi Finances de toutes ses demandes, fins et conclusions et confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 30 novembre 2023 ;

- CONDAMNER Manzi Finances à payer à la Banque Nationale du Canada la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur l'annulation du jugement

19. Manzi soutient que le président du tribunal de commerce a commis un excès de pouvoir en méconnaissant le principe de compétence-compétence et en violant les dispositions de l'article 1843-4 du code civil.

20. Elle expose, sur le premier point, que le président du tribunal de commerce était incompétent pour trancher les demandes de BNC dès lors que celles-ci soulevaient des questions rendant nécessaire l'interprétation du Pacte par un tribunal arbitral, en ce que :

- la clause compromissoire prévue dans le Pacte attribue compétence exclusive à un tribunal arbitral à constituer sous l'égide de la CCI pour tout différend en relation avec le Pacte et, partant, tout différend sur son interprétation et les conditions de sa mise en 'uvre ;

- il existe un différend entre les parties sur l'interprétation de l'article 1.1 du Pacte et plus précisément sur la notion d'« événement déclenchant le besoin de valorisation » faisant courir un délai de 15 jours pour notifier la demande d'expertise ;

- le président du tribunal de commerce de Paris ne pouvait statuer sur la demande de désignation d'un expert sans que ne soit tranché au préalable ce différend ;

- il ne pouvait que se déclarer incompétent, sauf à caractériser la nullité ou l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, ce qu'il n'a pas fait ;

- les parties sont en désaccord sur l'interprétation qui doit être donnée des termes même du Pacte, et non des dispositions légales applicables, une grande partie de la motivation du jugement attaqué étant consacrée à trancher ce différend contractuel ;

- dès lors que les parties ont appliqué l'article 1843-4 du code civil à titre dérogatoire, le pouvoir juridictionnel du président du tribunal de commerce devait se limiter à apprécier l'existence d'une contestation, qu'il ne pouvait en aucun cas se permettre de trancher ;

- la violation par un juge du principe de compétence-compétence est constitutive d'un excès de pouvoir ;

- lorsque Manzi conteste la « compétence » du président du tribunal de commerce de Paris, elle critique son défaut de pouvoir juridictionnel sur le fondement du principe de compétence-compétence, et non une violation des règles de compétence d'attribution ou de compétence territoriale.

21. Elle soutient, sur le second point, que le président du tribunal de commerce a commis un excès de pouvoir par la liberté qu'il a accordée à l'expert dans le choix des critères d'évaluation et fait valoir à ce titre que :

- le président du tribunal de commerce a retenu que l'expert désigné était « libre de choisir ses critères d'évaluation » ;

- or le Pacte fixe des modalités de valorisation à l'article 7.4.4 qui s'imposaient à l'expert évaluateur en vertu de l'article 1843-4 du code civil ;

- pour que la désignation de l'expert fût valable, le président du tribunal de commerce de Paris aurait dû missionner l'expert en lui imposant ces modalités prévues par le Pacte ;

- BNC admet sans la moindre ambiguïté la portée de ce moyen lorsqu'elle demande dans ses écritures l'application des modalités d'évaluation prévues dans le Pacte ;

- la décision du juge sur les modalités d'évaluation à respecter par l'expert est constitutive d'un excès de pouvoir lorsqu'elle est contraire aux termes de l'article 1843-4 du code civil.

22. La BNC conteste tout excès de pouvoir du président de tribunal de commerce et conclut à l'irrecevabilité de l'appel en exposant que :

- les pouvoirs du président du tribunal résultent en l'espèce du Pacte qui prévoit, en cas de désaccord entre les parties sur la fixation du prix d'achat des titres cédés dans le cadre du DST, le recours à une procédure d'expertise comprenant l'intervention du président du tribunal de commerce qui se voit ainsi reconnaître une compétence exclusive ;

- la prétendue divergence d'interprétation invoquée par Manzi ne portait pas sur la portée d'une stipulation du Pacte mais sur la seule question de la recevabilité de la demande de désignation de l'expert ;

- il ne s'agit donc pas d'un litige qu'il aurait appartenu au juge du contrat de trancher mais d'une question portant sur les conditions dans lesquelles un expert peut être désigné, question relevant de la seule compétence du président du tribunal de commerce de Paris en application du Pacte ;

- conformément à la jurisprudence, il revient exclusivement au président du tribunal de déterminer si les conditions d'application de l'article 1843-4 du code civil sont réunies, son pouvoir juridictionnel se limitant à examiner la réunion de ces conditions, sans avoir à se prononcer sur la validité de la convention ;

- la compétence du juge déroge ainsi à celle de l'arbitre sur la question précise de savoir s'il y a lieu ou non de nommer l'expert qui lui est demandé de désigner, de sorte que le président du tribunal de commerce n'a commis aucun excès de pouvoir ;

- en l'espèce, la demande d'expertise était recevable dès lors que la BNC avait intérêt à agir, l'absence de NSIA étant indifférente, et que les conditions prévues par le Pacte pour le recours à la procédure d'expertise se trouvaient réunies, l'absence d'accord entre les parties sur la valeur des droits sociaux s'analysant en une condition préalable à l'application de la procédure d'expertise.

23. Elle expose, sur la mission confiée à l'expert et ses modalités d'exécution, que :

- en l'absence d'indication à l'article 1843-4 du code civil, il est de jurisprudence constante que l'expert détermine la valeur des droits sociaux selon les critères qu'il estime appropriés ;

- l'expert est toutefois tenu, lorsqu'il procède à l'évaluation, de faire application des « règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties » ;

- au cas présent, l'article 7.4.4 du Pacte se contente d'indiquer comme directive dans la fixation du prix de cession qu'« en toute hypothèse, le prix des Titres Cédés dans le cadre du DST devra prendre en compte les éléments de détermination du prix ayant donné lieu au franchissement de seuil, et être établi par transparence avec ce dernier » ;

- si le jugement rappel que « l'expert est libre de choisir ses critères d'évaluation », ce n'est qu'en « l'absence de règles et modalités de fixation de la valeur des droits sociaux dans les statuts ou tout autre convention liant les parties », ce qui n'est que le simple rappel de la loi, le juge ayant pris le soin de rappeler précédemment que « les dispositions contractuelles convenues » lui donnaient « mission de désigner l'expert en cas de désaccord, et de fixer sa mission dans les termes du contrat » ;

- c'est sans excès de pouvoir que le président du tribunal de commerce de Paris a refusé de s'immiscer dans la mission de l'expert qu'il a désigné.

SUR CE :

24. L'article 7.4.1 du pacte d'actionnaires litigieux stipule que :

Dans l'hypothèse d'un Franchissement de Seuil, chaque Investisseur disposera alors d'un droit de sortie totale (le « Droit de Sortie Totale ») lui permettant de Céder tout ou partie des Titres qu'il détiendra dans la Société à la date de survenance dudit Franchissement de Seuil, au Sponsor (ou toute Entité que ce dernier se substituerait sous réserve de rester solidaire de cette dernière). À cet effet, en cas d'exercice par un Investisseur de son Droit de Sortie Totale, le Sponsor s'engage à faire acquérir par le cessionnaire ou l'investisseur pressenti (ou à défaut le Sponsor s'engage à acquérir) l'intégralité des Titres détenus par l'Investisseur dans les conditions de l'Article 7.4.5.

25. Aux termes de ce dernier article, relatif à la « Réalisation de la cession » :

En cas d'exercice valable du Droit de Sortie Totale par suite d'un Franchissement de Seuil, la réalisation de la Cession des Titres de l'investisseur ayant valablement exercé ce droit et le paiement du prix y afférent auront lieu au jour de la réalisation du Franchissement de Seuil ou, si l'exercice du Droit de Sortie Totale intervient après le Franchissement de Seuil, dans les dix (10) jours de la Notification du Droit de Sortie Totale visée au 7.4.3 ci-dessus ou de la date de détermination du prix dans le cas où le prix serait fixé conformément à la Procédure d'Expertise.

26. L'article 1.1 du pacte précise sur ce point que :

« Procédure d'Expertise » désigne la procédure suivante :

En cas de désaccord sur la valorisation de la Société dans les cas prévus ci-après, chacune des Parties concernées pourra notifier (la « Notification de Demande d'Expertise »), dans les quinze (15) Jours Ouvrés suivant la survenance de l'événement déclenchant le besoin de valorisation de la Société, sa décision de demander la désignation d'un Expert par ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de Paris statuant en la forme des référés, chargé de déterminer la valeur des Titres objet de l'opération conformément aux dispositions de l'Article 1843-4 du Code Civil français (le « Prix d'Expertise »).

27. Son article 19.2 prévoit que :

Tous différends découlant du présent Pacte ou en relation avec celui-ci seront tranchés définitivement suivant le Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (la « CCI »), lequel est réputé faire partie intégrante du présent Pacte.

28. Aux termes de l'article 1843-4 du code civil :

I.- Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II.- Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

29. La décision par laquelle le président, statuant en application de ce texte, procède à la désignation d'un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible, sauf excès de pouvoir, lequel s'entend comme la méconnaissance par le juge de l'étendue de son pouvoir de juger.

30. Lorsque le président du tribunal est appelé à désigner un expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, son pouvoir juridictionnel se limite à en examiner les conditions d'application.

31. En l'espèce, saisi d'une contestation relative à l'exercice par la BNC et Amethis de leur DST, le tribunal arbitral a fait droit à leur demande et a « enjoint à Manzi d'acquérir ou de faire acquérir l'intégralité des titres détenus par BNC et Amethis dans NSIA Participations, pour un prix à déterminer selon la procédure prévue à l'article 7.4.4 du Pacte et dans les conditions de l'article 7.4.5 du Pacte ».

32. Il a par ailleurs « Dit non-fondé pour le surplus l'ensemble des autres demandes des Parties », considérant notamment qu'il ne lui appartenait pas de « faire droit aux demandes des Demanderesses qui vont au-delà de ce qui est prévu par la Pacte, pour : ['] Fixer un délai dans lequel Manzi devrait engager des discussions pour la nomination d'un expert ; / - Enjoindre à Manzi de ne pas s'opposer à la saisine du Tribunal Arbitral ou du Président du Tribunal de commerce de Paris pour procéder à la nomination de l'expert ».

33. Saisi par la BNC d'une demande de nomination d'un expert, le président du tribunal de commerce de Paris a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence élevée par Manzi concernant l'interprétation des dispositions du Pacte relatives aux conditions de mise en 'uvre de la procédure d'expertise. Il a en conséquence nommé un expert « avec mission de fixer le prix auquel doivent être cédées les parts de la société NSIA Participations par La Banque Nationale du Canada et ARTHEMIS AFRICA FINANCE Ltd à la société MANZI FINANCES SA », en déboutant les parties de leurs autres demandes.

(i) Sur l'existence d'un excès de pouvoir pour méconnaissance du principe de compétence-compétence

34. Conformément à l'article 1448 du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international en vertu de l'article 1506 du même code, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

35. La société Manzi se prévaut, de ce chef, de l'incompétence du président du tribunal de commerce pour se prononcer sur l'interprétation des stipulations du Pacte relatives à la mise en 'uvre de la procédure d'évaluation du prix de cession des actions dans le cadre de l'exercice du DST.

36. Il apparaît toutefois que la contestation opposant les parties sur ce point portait sur la recevabilité de la demande de nomination de l'expert requis pour la valorisation des titres et les conditions d'application de l'article 1843-4 du code civil. Elle relevait, comme telle, du pouvoir du président du tribunal de commerce de Paris, la société Manzi cherchant en réalité, par ce moyen détourné, à remettre en cause la décision prise et l'autorité de la chose jugée par le tribunal arbitral quant à l'exercice du DST et son obligation subséquente d'acquérir les titres détenus par la BNC.

37. Il ne saurait, dans ces conditions, être considéré que le président du tribunal de commerce aurait excédé son pouvoir juridictionnel.

(ii) Sur l'existence d'un excès de pouvoir dans la fixation de la mission de l'expert

38. La société Manzi fait ici grief au président du tribunal de commerce d'avoir retenu que l'expert désigné était « libre de choisir ses critères d'évaluation », alors que l'article 7.4.4 du Pacte stipule qu'« en toute hypothèse, le prix des Titres Cédés dans le cadre du Droit de Sortie Totale devra prendre en compte les éléments de détermination du prix ayant donné lieu au Franchissement de Seuil, et être établi par transparence avec ce dernier ».

39. Mais, outre que cette mention ne figure pas dans le dispositif de la décision querellée, il résulte de la lecture de celle-ci que la motivation complète de l'ordonnance retient sur ce point que :

« ['] il nous appartient d'appliquer strictement les dispositions contractuelles convenues entre les parties, qui nous donnent mission de désigner l'expert en cas de désaccord, et de fixer la mission dans les termes du contrat, étant rappelé que, en l'absence de règles et modalités de fixation de la valeur des droits sociaux dans les statuts ou tout autre convention liant les parties, l'expert est libre de choisir ces critères d'évaluation ».

40. Ainsi, s'il rappelle la règle générale de libre détermination par l'expert des critères d'évaluation en l'absence de règles résultant de la volonté des parties, le président du tribunal n'en renvoie pas moins aux termes du contrat, le dernier alinéa de l'article 1843-4 du code civil, que la décision ne remet nullement en cause, faisant obligation à l'expert d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

41. Il ne saurait dès lors être retenu un quelconque excès de pouvoir de ce chef, étant rappelé que, même à la supposer établie, l'inobservation des conditions d'application de l'article 1843-4 du code civil ne constitue pas un excès de pouvoir.

42. Il y a lieu, dans ces conditions, de déclarer irrecevable l'appel-nullité formé par la société Manzi.

B. Sur les frais et dépens

43. La société Manzi, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.

44. Elle sera condamnée, en application du même article, à payer à la BNC la somme de 30 000 euros en application des dispositions du même article.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Déclare irrecevable l'appel interjeté par la société Manzi Finances contre jugement rendu le 30 novembre 2023 selon la procédure accélérée au fond par le président du tribunal de commerce de Paris ;

2) Condamne la société Manzi Finances aux dépens ;

3) La condamne à payer à la Banque Nationale du Canada la somme de trente mille euros (30 000,00 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.