CA Riom, ch. com., 18 septembre 2024, n° 23/00818
RIOM
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Sudre (SELARL), Atlantis 63 (SAS), Cna Insurance Company (Europe) (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubled-Vacheron
Conseillers :
Mme Theuil-Dif, M. Kheitmi
Avocats :
Me Lacquit, Me Pincent, Me Sudre, Me Arsac, Me Lemoux
ARRET :
Prononcé publiquement le 18 Septembre 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [J] a conclu, le 8 octobre 2010, par l'intermédiaire de la société Atlantis 63 (dirigée par M. [B] [T] et exerçant une activité de « conseils pour les affaires et la gestion de patrimoine et toutes opérations s'y rattachant ») un contrat de vente portant sur 6 parts de l'indivision « Les Grandes Heures du Génie Humain » au prix de 15.000 euros (2.500 euros par part) avec la société Aristophil.
Parallèlement à la conclusion de ce contrat de vente, en sa qualité de coindivisaire, Mme [J] a également signé un contrat de dépôt, garde et conservation, aux termes duquel les membres des indivisions « Les Grands Heures du génie humain », dont Mme [J] :
- confiaient à la société Aristophil pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction jusqu'à 5 années la garde, la conservation et les expositions par le dépôt des collections,
- promettaient, au terme des 5 ans du contrat de garde, de vendre la collection à la société Aristophil à un prix majoré de 8% par année de garde, la société Aristophil se réservant le droit de lever ou non l'option ainsi consentie.
En août 2008, Mme [A] a investi la somme de 100.000 euros en achetant des parts au sein de l'indivision « Les Grands Manuscrits de l'Empereur ».
Le 15 août 2013, elle a conclu avec la société Aristophil :
- un contrat d'échange de parts d'indivision aux termes duquel il était convenu « l'échange de ses parts de l'ancienne division qui arrive à terme par des parts de la nouvelle indivision en cours »,
- un contrat de vente portant sur 288 parts de l'indivision « Espace et Grandeur de l'Histoire de France », acquises par la revente à la société Aristophil des parts détenues au sein de l'indivision « Les Manuscrits de l'Empereur » précédemment acquises en 2008 au prix de 100.000 euros.
En sa qualité de coindivisaire, Mme [A] a également signé un contrat de dépôt, garde et conservation.
La société Aristophil a été placée en redressement judiciaire le 16 février 2015 puis en liquidation judiciaire le 5 août 2015. Le 8 mars 2015, son président M. [W] [S], a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, présentation de comptes infidèles, abus de biens sociaux, abus de confiance et pratiques commerciales trompeuses.
Estimant avoir été mal informées et conseillées par la SA Atlantis 63 au titre des investissements réalisés auprès de la société Aristophil, Mmes [J] et [A] ont, par acte d'huissier du 5 février 2020, fait assigner la SA Atlantis 63 et la SA CNA Insurance Company aux fins de voir notamment réparer leurs différents préjudices.
Par jugement du 24 avril 2023, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :
- débouté Mmes [J] et [A] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné in solidum Mmes [J] et [A] à payer à la SA CNA Insurance Company la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum Mme [J] et Mme [A] aux entiers dépens de l'instance et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Par déclaration du 23 mai 2023, enregistrée le 24 mai 2023, Mme [J] et Mme [A] ont interjeté appel de cette décision.
Par conclusions déposées et notifiées le 29 mai 2024, elles demandent à la cour :
- de rejeter l'incident formé par la SA CNA Insurance Company,
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau :
- de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Atlantis 63 la créance de Mme [J] comme suit :
* 15.150 euros de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 6.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Atlantis 63 la créance de Mme [A] comme suit :
* 104.700 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 8.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
* 6.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- de condamner la SA CNA Insurance Company à verser à Mme [J] les sommes suivantes :
* 15.150 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 6.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- de condamner la SA CNA Insurance Company à verser à Mme [A] les sommes suivantes :
* 104.700 euros de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 8.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
* 6.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- de condamner la SA CNA Insurance Company aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions déposées et notifiées le 23 mars 2024, la SA CNA Insurance Company (assureur de la SA Atlantis 63) demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris
A titre principal :
- de juger que Mmes [J] et [A] ne peuvent se prévaloir d'aucun défaut d'information ou de conseil à l'occasion de la souscription des investissements litigieux,
- de les débouter de toutes leurs prétentions,
A titre subsidiaire :
- de juger qu'elles échouent à démontrer subir un préjudice réparable,
- de les débouter de toutes leurs prétentions,
A titre plus infiniment subsidiaire encore :
- de juger qu'elle ne saurait être tenue à garantir la société Atlantis 63 au-delà des termes de la police n° FN 1925 souscrite auprès d'elle, et donc après application d'une franchise de 3.000 euros par demanderesse,
- de juger que l'ensemble des réclamations formées par les personnes ayant investi dans des collections constituées par la société Aristophil par l'intermédiaire de la société Art Courtage ou de ses mandataires, assurés par la police n° FN 1925, constituent un seul et même sinistre, soumis au plafond de garantie par sinistre prévu à la police n° FN 1925 de 2.000.000 euros et applicable au 6 février 2015.
Si la qualification de sinistre sériel est écartée, à titre principal,
- de juger que la police n° FN 1925 a cessé de produire ses effets à compter du 31 décembre 2014 (date de sa résiliation) ou subsidiairement du 31 décembre 2015 (date de la dernière période de tacite reconduction) et que les réclamations de Mmes [J] et [A] doivent être rattachées à la période de garantie subséquente de 5 ans,
- de constater qu'elle a d'ores et déjà réglé ou séquestré au titre de cette période d'assurance subséquente des condamnations pour un montant de deux millions d'euros égal au plafond de garantie de la police n° FN 1925 applicable à cette période d'assurance subséquente,
- de débouter, en conséquence, Mmes [J] et [A] de leurs demandes de condamnation,
- de juger en revanche qu'elles pourront prétendre, en concurrence avec les autres investisseurs bénéficiant de sa garantie au titre de la période d'assurance subséquente de la police n° FN 1925, au bénéfice des condamnations ces sommes devant être réparties au marc l'euro des indemnités allouées par les décisions de justice définitives bénéficiant auxdits investisseurs ;
A titre subsidiaire, si la cour retient que la police n° FN 1925 s'est tacitement reconduite d'année en année,
- de juger que les réclamations de Mmes [J] et [A] doivent être rattachées à la période d'assurance de 2019,
- de constater qu'elle a d'ores et déjà réglé ou séquestré au titre de la période d'assurance de 2019 des condamnations pour un montant de deux millions d'euros égal au plafond de garantie de la police n° FN 1925 applicable à cette période d'assurance,
- de débouter, en conséquence, Mmes [J] et [A] de leurs demandes de condamnation,
- de juger en revanche qu'elles pourront prétendre, en concurrence avec les autres investisseurs bénéficiant de sa garantie au titre de la période d'assurance de 2019 de la police n° FN 1925, au bénéfice des condamnations séquestrées, ces sommes devant être réparties au marc l'euro des indemnités allouées par les décisions de justice définitives bénéficiant auxdits investisseurs,
En tout état de cause,
- de condamner in solidum Mesdames [J] et [A] à lui payer une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de Me Arsac en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La SELARL Sudre liquidateur de la SA Atlantis 63 n'a pas constitué avocat.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2024.
L'affaire a été appelée à l'audience du 5 juin 2024.
Motivation :
- Sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôtuure :
Suivant conclusions du 4 juin 2024, la société CNA Insurance Company a sollicité le rabat de l'ordonnance de clôture afin d'être autorisée à communiquer les justificatifs des paiements intervenus en exécution des décisions de condamnation prononcées à son encontre en exécution de la police FN 1925.
Les appelantes se sont opposées à cette demande.
La société CNA Insurance Company fait valoir que depuis le 11 avril 2024, la cour d'appel de Riom a rendu un arrêt le 15 mai 2024 dans une espèce identique et estimé que la production des décisions condamnant l'assureur n'étaient pas suffisantes pour justifier des paiements allégués.
Sur ce :
L'arrêt rendu le 15 ai 2024 par la cour d'appel de Riom ne constitue pas un élément nouveau, la cour ayant tiré les conséquences des éléments de preuve qui lui étaient présentés et la société CNA Insurrance Company ayant eu toute latitude dans le cadre de l'instruction du dossier pour réunir les éléments de preuve nécessaires au succès de ses prétentions.
En outre cette décision ne constitue pas une cause grave justifiant le rabat de l'ordonnance de clôture en ce qu'en cas de dépassement du plafond le juge de l'exécution pourra être saisi.
La demande de rabat d'ordonnance de clôture sera donc rejetée.
- Sur la responsabilité de la SASU Atlantis 63 :
Les appelantes font valoir qu'en sa qualité de conseil en gestion de patrimoine la SASU Atlantis 63 avait l'obligation de délivrer en toute bonne foi, les renseignements nécessaires leur permettant de s'engager en connaissance de cause, en ayant pleinement connaissance des risques et aléas auxquels elles s'exposaient.
Elles rappellent que cette information doit être fournie avant signature du contrat.
Les appelantes font également valoir que la responsabilité de la société Atlantis 63 est t susceptible d'être engagée sur le plan délictuel ; qu'en sus de sa qualité de conseil en gestion de patrimoine la société Atlantis 63 intervenait également en qualité de mandataire autorisé de la société Aristophil et de distributrice d'Art Courtage ou de « mandataire de la société exploitante. »
Elles demandent à la cour de prendre en compte le cumul de la qualité de mandataire de la société Aristophil et de la qualité de conseiller en gestion de patrimoine ; de considérer qu'en application des dispositions de l'article L 111-1 I 1° du code de la consommation, il appartenait à la société Atlantis 63 de les renseigner sur les caractéristiques essentielles des biens vendus et de constater qu'en l'espèce, la société Atlantis 63 a repris le discours stéréotypé et rassurant inculqué par son donneur d'ordre , la société Art Courtage, alors qu'aucune liste des biens indivis ne leur a été remis ; que les parts indivises leur ont été vendues sans aucun renseignement sur les aspects essentiels des biens vendus ; qu'elle n'a jamais délivré la moindre information sur la nature, la consistance précise et les valeurs de ces biens et n'a par ailleurs jamais fait état du risque induit par le produit Aristophil, ou des risques et difficultés de revente des collections.
Elles ajoutent que la société Atlantis 63 si elle avait été diligente, se serait abstenue de conseiller à Mme [A] d'investir une part aussi importante de son capital dans un produit atypique tel que le produit Aristophil ; que le risque garanti par les Lloyd's a été présenté comme une garantie de tous risques par tous moyens ; que la société Atlantis 63 ne s'est pas soucié des alertes émises par les professionnels.
La société CNA Insurance Company réplique :
- que la société Atlantis 63 est intervenue auprès des appelantes en qualité de conseiller en gestion de patrimoine et était effectivement tenue d'une obligation d'information et de conseil de moyens et non de résultat ; que cette profession est non réglementée et n'est pas soumise à la réglementation applicable aux conseillers en investissements financiers ;
- que l'obligation d'information et de conseil susvisée s'apprécie en considération des connaissances du conseiller au moment où il intervient et qu'il y est satisfait par la remise de documents clairs ; qu'en l'espèce les stipulations contractuelles étaient précises sur :
* le fait qu'il était consenti à la société Aristophil une promesse de vente sans aucune obligation de rachat de la société Aristophil ; qu'ainsi au jour où Mme [A] a renouvelé son investissement (août 2013) il lui a été remis un « dossier connaissance client » rappelant que les conventions Aristophil n'offraient aucune garantie de liquidités et aucun engagement de rachat ;
* les garanties offertes par les Lloyd's
- qu'à la date des souscriptions de Mmes [J] et [A] (soit aux mois d'octobre 2008 et 2010) l'alerte de l'AMF n'était pas connue ;
- que les appelantes avaient pleine connaissance de la composition et du prix des collections qui avaient fait l'objet d'expertises qui se sont malheureusement avérées être des expertises de complaisance ;
- que le fait d'avoir reçu mandat de la société Aristophil pour signer en ses lieu et place les conventions n'a pas rendu la société Atlantis 63 débitrice des obligations du vendeur ; que la société Atlantis 63 ne pouvait suspecter une surévaluation des collections.
- que s'agissant de l'adéquation du conseil qui leur a été donné, les appelantes tentent d'imputer à la société Atlantis 63 une obligation de résultat et reprochent en réalité à cette dernière la non obtention de la valorisation escomptée à la revente ;
- qu'à la date des souscriptions d'octobre 2010 et d'août 2013, les avis AMF communiqués les 23 décembre 2003 et 29 octobre 2007 n'étaient plus en ligne et le communiqué du 12 décembre 2012 n'était pas encore publié ; la société Aristophil était favorablement connue et présentait des gages de solidité financière ; que la situation des investisseurs résulte des man'uvres frauduleuses dont est suspectée la société Aristophil.
Sur ce :
Le tribunal a retenu que Mmes [A] et [J] fondaient leur action sur les dispositions de l'article 1147 du code civil et constaté que les appelantes ne justifiaient d'aucun lien contractuel avec la société Atlantis 63 dont elles n'avaient jamais été les mandantes ni les clientes.
Le fait que la société CNA Insurance Company indique que son assurée est intervenue auprès de ses clientes en qualité de conseiller en gestion de patrimoine ne dispensait effectivement pas la juridiction de première instance d'examiner les liens unissant la société Atlantis 63 à Mmes [J] et [A].
Il est établi ( Pièce 1.1) que la société Atlantis 63 avait pour objet : « le conseil pour les affaires et la gestion de patrimoine et toutes opérations s'y rattachant. » Elle avait conclu avec la société Art Courtage France un contrat de courtage aux termes duquel elle s'engageait à proposer les produits Aristophil en qualité de mandataire de la société Art Courtage, d'établir les contrats pour le compte de la société Art Courtage dans le respect des règles du code de la consommation proscrivant les pratiques commerciales déloyales.
Mme [J] ne produit aucun document permettant de vérifier qu'elle avait passé avec la société Atlantis 63 un contrat et notamment un contrat aux termes duquel elle aurait confié à cette dernière la gestion de son patrimoine.
Il n'en va pas de même pour Mme [A], car si cette dernière ne produit pas de convention la liant à la société Atlantis 63, elle verser aux débats une pièce 4.19 intitulé « identité du souscripteur » aux termes de laquelle elle confirme « avoir suivi les préconisations de mon conseiller qui sont conformes à ma situation familiale et patrimoniale et à mon profil d'investissement. » C'est donc bien en qualité de conseiller en gestion de patrimoine que la société Atlantis 63 est intervenue auprès de Mme [A]. Elle avait donc à cet égard un devoir d'information et de conseil.
Par ailleurs, l'absence de convention signée entre la société Atlantis 63 et Mme [J] ne permet pas de considérer que la société Atlantis 63 était dépourvue d'obligations à l'égard de cette dernière.
La société Atlantis 63 a en effet agi en qualité de mandataire de la société Aristophil à son égard.
Le contrat de vente signé par Mme [J] a été régularisé par le « vendeur ou son mandataire autorisé ». En cette qualité et dès lors qu'elle était en relation directe avec les acquéreurs, elle était tenue de remplir les obligations d'informations précontractuelles de l'article L111-1 du code de la consommation selon lequel tout professionnel vendeur de biens doit, avant la conclusion d'un contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien. En cas de litige, il appartient au vendeur de prouver qu'il a exécuté ses obligations (même article). Celles-ci s'imposaient à la société Atlantis 63 en sa qualité de mandataire du vendeur : elle se devait, étant en relation avec les clients potentiels, de leur adresser l'information prévue par la loi, quand bien même les contrats proposés étaient conclus entre le vendeur (la SAS Aristophil) et les acquéreurs.
L'obligation d'information qui pesait sur la société Atlantis 63 devait être donnée avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services ».
Aux termes de la convention d'arbitrage et échange de parts d'indivision signée le 15 août 2013, Mme [A] a choisi d'échanger ses parts de l'ancienne indivision (Manuscrits de l'Empereur) qui arrivait à terme par des parts de la nouvelle indivision en cours (Espace et Grandeur de Hhistoire de France). Cependant il n'est pas établi qu'elle ait eu connaissance de la liste des biens composants cette nouvelle collection avant l'acquisition. Il est seulement indiqué sur le contrat de vente de parts de l'indivision qu'elle se porte acquéreur de 288 parts de l'indivision Espace et Grandeur de l'Histoire de France portant sur « un ensemble de lettres, manuscrits dessin et objets. ».Aucune annexe n'est versée aux débats.
Mme [J] a acquis 6 parts de l'indivision « Les Grandes Heures du Génie Humain ». Il est indiqué au contrat que cette indivision porte sur un « ensemble de lettres, manuscrits dessins et photographies ».
Il est mentionné dans le contrat de vente signé par Mme [J] à l'article « désignation » que le bien indivis est composé d'un ensemble de lettres, manuscrits et livres dont la liste est la suivante :dont le détail est annexé aux présentes dans l'acte notarié. La convention d'indivision dressée le 23 juillet 2010 par Me [G], notaire, fait quant à elle état « d'un ensemble d'archives, manuscrits autographes, correspondances, dessins originaux, aquarelles et textes scientifiques dont le détail est demeuré joint et annexé aux présentes après mention » mais aucune annexe n'est versée aux débats.
Les appelantes n'avaient donc avant de contracter, aucune connaissance exacte de la composition des collections et n'avaient pas été mises en capacité de connaître les caractéristiques essentielles du bien acheté.
Une autre caractéristique essentielle du bien vendu, au sens de l'article L. 111-1 du code de la consommation, était le prix des documents constituant l'indivision, s'agissant de biens relevant d'un commerce spécialisé, dont la valeur ne pouvait être aisément appréciée ou vérifiée par un acquéreur profane. Le mode de fixation de ce prix, et la ou les garanties applicables à la valeur fixée, constituaient eux aussi des caractéristiques essentielles du bien vendu.
La SA CNA Insurance ne produit, ni sur ce point ni sur les autres caractéristiques des biens vendus aux appelantes, aucun document justifiant d'une quelconque information, donnée à aux appelantes avant qu'elles aient conclu les contrats initiaux en 2008 et 2010, puis avant le contrat « d'échange et d'arbitrage » passé en 2013; les actes se limitant à indiquer la valeur globale de chaque indivision, le nombre de parts et la valeur de chacune des parts.
Ainsi, si les stipulations contractuelles étaient claires quant à promesse de vente consenti à la société Aristophil et la faculté de rachat de cette dernière, il est établi que la société Atlantis 63 a manqué à son obligation d'information précontractuelle en omettant de remettre aux appelantes avant signature des contrats, la liste des biens composant les indivisions, de les informer du prix de chacun des documents composant les collections, et du mode de fixation de ce prix.
Ni Mme [A] ni Mme [J] n'ont été avisées d'un risque de surévaluation des collections.
Mme [A] s'est au contraire vue confortée dans l'idée d'un placement sécure par M. [T] (pièce 1.21) qui annonçait un placement sécurisé à 100% par acte notarié, alors que la convention d'indivision n'était de nature à conférer au placement un caractère sécurisé, et que le fait que les collections soient assurées auprès des Lloyd's ne garantissait un caractère sécurisé au placement dès lors que l'assurance portait sur le vol, l'incendie ou les risques de dégradation des 'uvres.
En s'abstenant de remplir son devoir de conseil à l'égard de Mme [J], la société Atlantis 63, mandataire professionnel a engagé sa responsabilité extra-contractuelle. La SA CNA Insurance ne saurait soutenir que son assurée la société Atlantis 63 ne pouvait déceler les lacunes, insuffisances ou fausses déclarations faites par la SAS Aristophil : c'est à la société mandataire elle-même, en sa qualité de professionnel s'adressant à des non professionnels, qu'il appartenait de s'assurer sous sa responsabilité du respect, envers les particuliers, des dispositions de l'article L. 111-1 du code de la consommation, après avoir exigé de son propre mandant (la SAS Aristophil, par l'intermédiaire de la société Art Courtage) qu'il lui transmette ces mêmes informations, afin qu'elle puisse les porter à la connaissance des acquéreurs potentiels. La société Atlantis 63, en ne prenant aucune disposition en ce sens, a manqué à ses propres obligations. La société Atlantis 63, pouvait ainsi alerter son client sur le fait qu'aucune précision n'était donnée dans le contrat de dépôt, garde et conservation sur les conditions dans lesquelles les biens avaient été expertisés et évalués et donc sur un risque de surévaluation des biens indivis. Dans le cadre de son activité de conseiller en gestion de patrimoine, la société Atlantis 63 devait, se renseigner et souligner les incertitudes inhérentes au placement dès lors qu'aucune indication précise n'était donnée sur le nom des experts ; qu'aucune certitude n'existait sur le fait que chaque pièce composant l'indivision avait été évaluée et que cette valeur était en adéquation avec les prix du marché.
Il est exact qu'à la décharge de la société Atlantis 63, la société Aristophil jouissait d'une excellente réputation dans son secteur d'activité et bénéficiait de l'approbation des acteurs institutionnels en matière de placements et d'investissements.
Cependant avant que Mme [A] n'accepte de réinvestir son argent en rachetant de nouvelles parts indivises l'autorité des marchés financiers (AMF) a par voie de communiqué de presse du 12 décembre 2012, appelé les épargnants à la plus grande vigilance en matière de placements atypiques proposés au public tels que les lettres et manuscrits. Le 31 mars 2011, l'association UFC Que Choisir a publié un communiqué rappelant la première alerte de l'AMF en 2007, soulignant l'ambiguïté des conventions, relayant les inquiétudes de M. [N], président de la compagnie des conseillers en gestion de patrimoine indépendants qui considérait que « [W] [S] fait le marché tout seul », et qui évoquait la possible existence d'une bulle spéculative. En présence d'un produit complexe, atypique et face à un investisseur non averti, la société Atlantis 63 devait adopter une certaine vigilance et rigueur afin d'attirer l'attention de son client sur les risques inhérents à ce type d'investissement, le caractère aléatoire de la valorisation du capital investi et son adéquation avec son profil et ses attentes Ces informations étaient d'autant plus importantes que dans l'hypothèse où la société Aristophil n'exerçait pas sa faculté de rachat, l'acquéreur se trouvait titulaire de parts indivises difficilement négociables ; que l'investisseur ne dépendait que d'une seule entreprise et d'un seul support de placement et que le produit commercialisé ne bénéficiait pas de la règlementation protectrice des instruments financiers.
La responsabilité de la société Atlantis 63 se trouve donc engagée à l'égard de Mme [A] et de Mme [J].
Sur les préjudices :
Mmes [A] et [J] sollicitent le versement de :
- 12 000 euros à Mme [J] correspondant à 80% des sommes investies, outre la somme de 2.100 euros correspondant à la perte de chance de ne pas bénéficier pour 95% des sommes investies d'un rendement annuel de 1.5% sur 13 ans
- 80 000 euros à Mme [A] correspondant à 80% des sommes investies, outre la somme de 17.100 euros correspondant à la perte de chance de ne pas bénéficier pour 95% des sommes investies d'un rendement annuel de 1.5% sur 15 ans et celle de 8000 euros au titre du préjudice moral.
La SA CNA Insurance conteste la réalité des préjudices allégués, en faisant valoir que la perte de valeur des collections indivises présente un caractère hypothétique, tant qu'il n'a pas été procédé à leur vente, et que d'ailleurs, en admettant même une perte de chance de ne pas contracter, ce préjudice est beaucoup moins important que ce qu'affirment les appelantes.
Le préjudice, causé par les manquements des sociétés mandataires à leurs obligations d'information, ne peut consister qu'en une perte de chance de ne pas contracter ; il ne saurait donc être équivalent à la somme des pertes, mais à une fraction de cette somme.
Il ne présente pas un caractère hypothétique comme le soutient la société CNA. En effet Mme [A] produit deux courriers de Me [F], administrateur judiciaire, qui indique en 2021 et 2022, que les ventes effectuées en 2019 ont permis de distribuer un montant de 2,482 euros par part indivise ( étant rappelé que Mme [A] a investi 500 euros par part) ; qu'il est donc revenu à Mme [A] la somme de 714,816 euros sur ces ventes ; que les ventes effectuées en 2020 ont permis de distribuer la somme de 2,123 euros par parts, soit une somme encore inférieure aux ventes de 2019 (611,324 euros)
Il en va de même pour Mme [J], qui produit également deux courriers de Me [F] qui permettent de constater que les ventes effectuées en 2017 et 2018 ont permis de distribuer une somme de 56,10 euros par part soit 336,61 euros; que les ventes 2019 ont permis de distribuer une somme de 25,787 euros par part (soit 154,72 euros pour 15 000 euros investis) et celles réalisées en 2020 ont permis de distribuer 50,03 euros par part soit 300,21 euros pour 6 parts.
Il est donc établi que Mme [A] et [J] n'ont aucune chance de recouvrer le capital investi :
* Mme [A] a encaissé la somme de 1 326,14 euros depuis le début des ventes des collections indivises, soit 0.92 % des sommes investies;
* Mme [J] a encaissé 791.55 euros grâce aux ventes déjà réalisées soit 5.277 % des sommes investies.
Compte-tenu de ces éléments et de la possibilité qui reste offerte aux appelantes d'obtenir de nouveaux versements après 2020, il convient de fixer la perte d'investissement qu'elles ont subi à 80% des sommes placées.
L'obligation de réparation qui incombe à la société Atlantis 63 porte, comme déjà énoncé, non sur cette perte elle-même, mais sur la perte de chance de ne pas contracter avec la SAS Aristophil, qui est résultée directement des carences de la société de courtage à remplir sa obligation d'information ; la cour considère, eu égard à l'attitude d'un investisseur normalement attentif et prudent, que si la société Atlantis 63 avaient rempli loyalement et complètement son obligation d'information précontractuelle, les acquéreurs auraient eu, au vu des éléments ci-avant exposés, une chance de 75 % de renoncer à contracter.
Le montant des dommages et intérêts alloués sera donc fixé comme suit :
- Mme [A] : 144 000 x 80% x75%= 86 400 euros
- Mme [J] : 15 000 x 80% x 75% = 9 000 euros
Les appelantes ont en outre subi une perte de possibilité de gains puisqu'elles auraient pu placer leurs capitaux sur des produits plus fiables et productifs d'intérêts. Il convient de fixer la réparation de ce préjudice en se fondant sur la moyenne des taux pratiqués, pendant les années 2012 à 2024, pour les livrets A et les autres livrets dits défiscalisés (livret Bleu et livret de développement durable et solidaire), soit un taux moyen de (2,25 + 1,58 + 1,15 + 0,90 + 0,75 + 0,75 + 0,75 + 0,75 + 0,52 + 0,50 + 1,38 + 2,92 + 3) : 13 = 1,32 %. Par application de ce taux d'intérêt moyen, et de la perte de chance fixée à 75 %, la perte de possibilité de gains sera fixée, pour Mme [A] et sur la base de 11 ans ( de 2013 à 2024 inclus) à la somme de :144 000 x1.32%x11x75%= 15 681,60 euros et pour Mme [J] et sur la base de 14 ans ( de 2010 à 2024) à la somme de : 15 000x1.32%x14x75%= 2 079 euros.
Ces sommes seront donc inscrites au passif de la société Atlantis 63.
Mme [A] indique qu'elle a le sentiment d'avoir été manipulée par M. [T] qui aurait profité de sa situation médicale et de sa fragilité pour la convaincre de souscrire au placement.
Toutefois il n'est pas reproché à la société Atlantis 63 un dol et Mme [A] ne justifie d'aucun préjudice distinct de son préjudice financier.
Cette demande sera donc rejetée.
- Sur la demande de garantie formée contre la SA CNA Insurance Company :
La SA CNA Insurance, à l'encontre de laquelle les appelantes exercent une action directe, garantit la responsabilité civile professionnelle de la société Atlantis 63 en vertu de la police n° FN 1925, souscrite par la société Art Courtage pour elle-même et pour ses mandataires, parmi lesquels la société Atlantis 63 ; la SA CNA Insurance demande à la cour de juger que toutes les réclamations formées par des personnes ayant acquis des produits Aristophil par l'intermédiaire de la société Art Courtage ou de ses mandataires, sans limitation de période, constituent ensemble un sinistre unique (sinistre sériel), soumis au plafond de garantie de 2 000 0000 d'euros prévu au contrat, en vigueur à la date de la première de ces réclamations présentée le 6 février 2015.
Cependant, une prestation d'intermédiaire et de mandataire, telle que réalisée par la société Atlantis 63, comportait une obligation d'information envers les acquéreurs potentiels de produits vendus par la SAS Aristophil, et cette obligation était par nature individualisée, selon le contenu de chacune des indivisions proposée à la vente, et selon la situation propre à chacun des clients ; or cette obligation spécifique exclut l'existence d'une cause technique unique, caractérisant un litige global ou sériel qui s'étendrait à toutes les ventes de produits Aristophil, au sens de l'article L. 124-1-1 du code des assurances, ou de l'article 1.17 des Conditions spéciales de la police en cause. Il n'y a pas lieu d'appliquer ces dispositions.
La SA CNA Insurance demande ensuite à la cour, si elle ne retient pas l'existence d'un sinistre sériel, de juger que la police n° FN 1925 a cessé de produire ses effets le 31 décembre 2014 date de sa résiliation ( et en tous cas au 31 décembre 2015 s'il est considéré que l'avenant de résiliation à effet du 31 décembre 2014 n'est pas opposable), que les réclamations des appelantes ( des 28octobre 2019 et 9 décembre 2019) doivent se rattacher à la période subséquente de cinq ans prévue à l'article L. 124-5 du code des assurances, et de constater qu'elle a d'ores et déjà payé ou séquestré, au titre de la période subséquente, des condamnations pour un montant de 2 000 000 d'euros, égal au plafond de garantie, de sorte qu'il convient de débouter les appelants de leurs demandes de garantie.
Cependant la SA CNA Insurance ne justifie pas d'une résiliation faite à son initiative dans les formes prévues à l'article 2.4 des Conditions générales (lettre recommandée adressée au dernier domicile du souscripteur) : elle se limite à produire un « Avenant n°1 » à effet du 31 décembre 2014, qui mentionne la résiliation « d'un commun accord entre les parties » de la police n° FN 1925, mais avec la seule signature et le cachet commercial de la SA CNA Insurance elle-même, sans la signature du souscripteur ni la preuve que ce document lui a été envoyé en recommandé (pièce n°1-3). Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de cette société, de prononcer que la police en cause a cessé de produire ses effets à la date susdite.
La SA CNA Insurance, selon les termes de la police, était tenue à garantie dans la limite d'un plafond annuel de 2 000 000 d'euros, pour tous les sinistres relevant de la responsabilité professionnelle de la société Art Courtage et de ses mandataires, la règle étant celle d'un épuisement de la garantie lorsque le plafond annuel est atteint (Avenant n°6 du 22 mai 2012, pièces n°1-4). La SA CNA Insurance demande à la cour de constater l'épuisement du plafond, au motif qu'elle a déjà payé une somme globale de 2 000 000 d'euros, au titre des réclamations formées au cours de l'année 2019 au titre de la garantie en cause ; elle produit à titre de preuve divers jugements ou arrêts, qui comportent certes des condamnations de la SA CNA Insurance à garantir, en vertu de la police en cause, des condamnations à dommages et intérêts prononcées contre des intermédiaires ayant fait souscrire l'achat de produits Aristophil, par des acquéreurs ayant formulé des réclamations au cours de l'année 2019, comme l'ont fait les appelantes; cependant la seule production de ces jugements ou arrêts n'établit pas le paiement des sommes indiquées, les décisions n'ayant pas a priori de caractère définitif. La SA CNA Insurance produit d'autre part des relevés de réclamations reçues au titre de la police FN 1925, mais ces relevés incluent des demandes faites au cours d'autres années que l'année 2019, et ne précisent que les dates des « procédures », a priori judiciaires, non les dates des demandes faites avant toute procédure contentieuse, alors que celles-ci constituent aussi des réclamations.
En l'absence de preuve des paiements allégués par la SA CNA Insurance, il convient de prononcer que la condamnation de la société CNA Insurance Company Limited s'exécutera dans la limite du plafond de 2 000 000 euros, applicable à toutes les condamnations prononcées contre quelque tiers que ce soit, au titre des réclamations formulées au titre de la police FN 1925 au cours de l'année 2019, et après application de la franchise contractuelle de 3 000 euros par sinistre.
La société CNA Insurance succombant en ses demandes sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Elle sera condamnée à verser à chacune des appelantes la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Rejette la demande de rabat de l'ordonnance de clôture ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Atlantis 63 la créance de Mme [I] [J] comme suit :
* 11.079 euros de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 2.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Atlantis 63 la créance de Mme [M] [A] comme suit :
* 102 081.60 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 2.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- Condamne la SA CNA Insurance Company à verser à Mme [I] [J] les sommes suivantes :
* 11.079 euros euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 2.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- Condamne la SA CNA Insurance Company à verser à Mme [M] [A] les sommes suivantes :
* 102 081.60 euros euros de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier total,
* 2.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Déboute Mme [A] de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
- Condamne la SA CNA Insurance Company aux dépens de première instance et d'appel.