CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 18 septembre 2024, n° 22/14799
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Indira de Paris (SAS)
Défendeur :
Promod (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Chokron
Avocats :
Me Giusti, Me Salord, Me Grappotte-Benetreau, Me Minne
EXPOSÉ DU LITIGE
Créée en 2017, notamment par la styliste [O] [P], la société INDIRA DE PARIS (ci-après, la société INDIRA) se présente comme leader sur le marché de la vente d'accessoires de cheveux, commercialisant des vêtements pour femmes et des bijoux sur son site internet et dans sa boutique située [Adresse 4] à Paris.
Elle expose avoir fait réaliser en 2018, par une salariée en charge de la communication, des photographies du mannequin [X] [H] portant un bonnet enturbanné commercialisé sous la dénomination « Parisienne », et avoir eu la surprise de constater que deux de ces photographies avaient été combinées pour être apposées sur un tee-shirt proposé à la vente par la société PROMOD :
Estimant que ce tee-shirt portait atteinte à son droit à l'image, Mme [H] a fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier le 4 juin 2020 portant à la fois sur le site internet de la société PROMOD et sur un achat dans un magasin de l'enseigne situé à [Localité 6] et attestant de la commercialisation du tee-shirt sous la référence 1-4-25-01-19-087 et la dénomination « T voyage », et a vainement sollicité une indemnisation de la société PROMOD.
Après avoir fait diligenter des opérations de saisie-contrefaçon au siège de cette dernière le 17 septembre 2020, la société INDIRA l'a fait assigner, par acte du 9 octobre 2020, devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de droits d'auteur et, subsidiairement, en concurrence déloyale.
Par jugement rendu le 8 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Paris a notamment :
débouté la société PROMOD de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité des procès-verbaux des 4 juin et 17 septembre 2020 et à les voir écarter des débats;
dit que la société INDIRA bénéficie de la présomption de titularité sur les deux clichés litigieux ;
débouté la société INDIRA de ses demandes en contrefaçon de droit d'auteur ;
dit qu'en reproduisant sur un modèle de tee-shirt « T voyage » qu'elle a commercialisé sous la référence 1-4-25-01-19-087 une illustration reproduisant la combinaison des deux photographies en cause, la société PROMOD s'est rendue coupable de parasitisme au préjudice de la société INDIRA ;
condamné la société PROMOD à payer à la société INDIRA la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice ;
fait interdiction en tant que de besoin à la société PROMOD de poursuivre la commercialisation du modèle de tee-shirt ayant donné lieu à sa condamnation pour parasitisme ;
débouté la société INDIRA de ses autres demandes indemnitaires (atteinte à l'image de marque, rappel et destruction, publication judiciaire) ;
condamné la société PROMOD à payer à la société INDIRA la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société PROMOD aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Jérôme GIUSTI, pour ceux dont il aura fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société INDIRA a interjeté appel de ce jugement le 4 août 2022.
Dans ses dernières conclusions « rectificatives n°2 », transmises le 11 décembre 2023, la société INDIRA, appelante, demande à la cour de :
À titre principal :
confirmer la décision du tribunal en ce qu'il a :
dit que la société INDIRA bénéficie de la présomption de titularité sur les deux clichés litigieux ;
dit qu'en reproduisant sur un modèle de tee-shirt « T-voyage » qu'elle a commercialisé sous la référence 1-4-25-01-19-087 une illustration reproduisant la combinaison des deux photographies en cause, la société PROMOD s'est rendue coupable de parasitisme au préjudice de la société INDIRA ;
infirmer la décision du tribunal en ce qu'il a débouté la société INDIRA au titre de la contrefaçon de ses droits d'auteur sur les photographies objet du présent litige sur lesquelles il a été reconnu que la société INDIRA détient des droits d'exploitation ;
Et y ajoutant :
juger qu'en reproduisant les photographies sur lesquelles la société INDIRA détient des droits d'exploitation, sur un tee-shirt fabriqué, commercialisé et dénommé « T voyage » sous la référence 1-4-25-01-19-087, ainsi qu'en le représentant sur son site Internet à des fins de vente, sans l'autorisation de l'appelante, la société PROMOD a commis des actes de contrefaçon de droit d'auteur de la société INDIRA ;
condamner la société PROMOD à verser à la société INDIRA la somme de 150.000 euros, au titre de son préjudice commercial et financier ;
condamner la société PROMOD à verser à la société INDIRA la somme de 50.000 euros, au titre de son préjudice moral ;
À titre subsidiaire :
confirmer la décision du tribunal en ce qu'il a dit qu'en reproduisant sur un modèle de tee-shirt « T-voyage » qu'elle a commercialisé sous la référence 1-4-25-01-19-087 une illustration reproduisant la combinaison des deux photographies en cause, la société PROMOD s'est rendue coupable de parasitisme au préjudice de la société INDIRA ;
infirmer la décision du tribunal en ce qu'il a condamné la société PROMOD à verser à la société INDIRA la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
infirmer la décision du tribunal en ce qu'il a alloué la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
Et y ajoutant :
condamner la société PROMOD à verser à la société INDIRA la somme de 200.000 euros, en réparation des préjudices subis au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire dont a été reconnue coupable la société PROMOD ;
condamner la société PROMOD à verser à la société INDIRA la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
En tout état de cause :
condamner la société PROMOD aux entiers dépens dont distraction sera faite au profit de Maître Jérôme Giusti, ainsi qu'au paiement à la société INDIRA, de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 16 janvier 2024, la société PROMOD, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :
Vu l'article L.332-1 du code de la propriété intellectuelle
Vu les articles L.335-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle
Vu l'article 1241 du code civil
Vu les articles 117 et 114 du code de procédure civile ;
infirmer le jugement et statuant à nouveau :
prononcer la nullité du procès-verbal du 4 juin 2020,
prononcer la nullité du procès-verbal du 17 septembre 2020 ;
confirmer le jugement et juger que les photographies ne sont pas originales ;
à titre subsidiaire, si la cour devait considérer les photographies en cause protégeables par le droit d'auteur :
infirmer le jugement et juger qu'INDIRA ne justifie pas de sa qualité à agir ;
Y ajoutant,
constater que PROMOD n'a pas commis d'actes de contrefaçon,
débouter INDIRA de ses demandes de condamnation pour contrefaçon,
constater qu'INDIRA n'apporte par la preuve de son préjudice et la débouter de ses demandes ;
infirmer le jugement et statuant à nouveau :
débouter INDIRA de ses demandes de condamnation subsidiaire pour concurrence déloyale,
juger qu'il n'y a pas de parasitisme ;
à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a alloué 1500 € d'indemnisation à INDIRA du chef de parasitisme ;
- en tout état de cause :
condamner INDIRA à payer à PROMOD une indemnité de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner INDIRA aux entiers dépens d'instance avec faculté de recouvrement direct au profit de Me Grappotte en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les chefs non contestés du jugement
La cour constate que nonobstant le libellé de la déclaration d'appel, le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a débouté la société INDIRA de ses demandes relatives à l'atteinte portée à son image de marque, au rappel des tee-shirts litigieux en vue de leur destruction, à la publication judiciaire. Le jugement est donc définitif sur ces points.
Sur la validité des procès-verbaux
La société PROMOD, appelante incidente, demande la nullité du procès-verbal en date du 4 juin 2020 (comprenant un constat sur internet et un constat d'achat en boutique), faute pour l'huissier d'avoir mentionné l'éditeur du site internet et en raison de l'absence d'achat effectué dans le magasin par un tiers indépendant, l'achat du tee-shirt ayant été effectué par la mère de la mannequin [X] [H] ; elle fait valoir que le tribunal a estimé que l'absence de mentions relatives à l'identité de l'éditeur du site n'était pas de nature à entraîner la nullité du procès-verbal de constat sur internet mais seulement à interroger son caractère probant, ce qui relevait de son appréciation, mais qu'il n'a pas statué sur ce caractère probant ; que ce caractère probant est inexistant dès lors que la référence mentionnée sur l'étiquette du tee-shirt prétendument acheté en boutique n'est pas celle figurant sur le ticket de caisse joint. Elle poursuit également la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 septembre 2020, arguant du fait que l'huissier lui a signifié tardivement les actes de la procédure, ne lui permettant pas de vérifier l'étendue de sa mission, et a formulé des appréciations personnelles au lieu de se contenter de constater ce qu'il voyait par une simple description.
La société INDIRA ne répond pas sur ces points.
Sur le procès-verbal de constat sur internet et de constat d'achat en boutique du 4 juin 2020
C'est pour de justes motifs, adoptés par la cour, que les premiers juges ont décidé que le fait que l'huissier instrumentaire n'ait pas reproduit dans son procès-verbal les mentions du site internet relatives à l'identité de son éditeur et exploitant n'était pas de nature à emporter la nullité de ce procès-verbal, mais seulement de mettre en doute son caractère probant.
Il sera ajouté à cet égard que le caractère probant du procès-verbal quant à l'identité de l'exploitant du site ne fait pas de doute au regard des intitulés des URL et liens apparaissant sur les copies d'écran, qui font systématiquement apparaître le terme « Promod », et du contenu des pages du site qui proposent à la vente des produits PROMOD. En outre, la société INDIRA produit un extrait « Whois » relatif au nom de domaine 'promod.fr' qui indique le nom et l'adresse de la société PROMOD.
Il est donc établi à suffisance que la société PROMOD exploite le site https://www.promod.fr sur lequel est commercialisé le tee-shirt litigieux « à motif placé femme », ce que le tribunal a retenu implicitement en examinant les griefs de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire.
Il sera relevé encore que l'huissier instrumentaire a dûment détaillé les travaux préparatoires et informations techniques relatives à l'environnement informatique de ses constatations et précisément décrit les étapes de sa navigation sur le moteur de recherches Google à partir du terme « promod », de telle sorte que les éléments constatés peuvent être considérés comme fiables.
En ce qui concerne le procès-verbal de constat d'achat en boutique, la circonstance que la personne ayant procédé à l'achat du tee-shirt litigieux au sein du magasin PROMOD du centre commercial de la [Adresse 7] à Orléans était la mère de Mme [X] [H], le mannequin dont la photographie a été prétendument reproduite sur le tee-shirt PROMOD, n'est pas en soi susceptible d'entraîner la nullité du procès-verbal dès lors que, comme l'a retenu le tribunal, le patronyme de Mme [H] mère, identique à celui de sa fille, a été mentionné dans le procès-verbal et qu'il n'est fait état d'aucun stratagème ou tentative de dissimulation de la part de la société INDIRA, de l'huissier instrumentaire ou de l'acheteuse dont l'identité n'a nullement été dissimulée.
Il sera ajouté que les garanties d'indépendance requises de la part du tiers acheteur ont été suffisamment respectées dès lors que l'huissier instrumentaire a indiqué être resté à l'extérieur du magasin, avoir vérifié que l'acheteuse n'était porteuse que de son moyen de paiement en pénétrant dans le magasin et avoir constaté que cette même acheteuse était ressortie de ce même magasin en tenant à la main un tee-shirt marqué PROMOD muni d'une étiquette, un ticket de caisse et un reçu de carte de paiement correspondant à son achat, dont les photographies ont été insérées dans le procès-verbal.
Comme le tribunal l'a relevé, le seul fait que l'achat a été effectué par la mère de Mme [X] [H] ne porte pas non plus, en soi, atteinte au droit de la société PROMOD à un procès équitable, cette dernière ayant tout loisir de contester, comme elle le fait, le procès-verbal de constat d'achat.
Dans ces conditions et alors que la preuve de la contrefaçon est libre, la cour estime que décider autrement reviendrait à priver inutilement la société INDIRA de la possibilité d'obtenir simplement des éléments susceptibles de constituer la preuve de la matérialité des agissements qu'elle invoque, comme le prescrit la directive (CE) n° 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle et comme l'impose le principe de proportionnalité qui exige du juge qu'il s'assure de l'existence d'un juste équilibre entre des droits fondamentaux opposés, en l'occurrence la loyauté des preuves dont dépend le respect du droit au procès équitable et le droit de propriété des titulaires de droits de propriété intellectuelle qui doit leur permettre de réunir des preuves, dans des conditions qui ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses, afin d'assurer le respect de ces droits.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société PROMOD de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du procès-verbal du 4 juin 2020 et de voir ce procès-verbal écarté des débats.
Sur le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 septembre 2020
C'est pour de justes motifs, adoptés, que les premiers juges ont estimé que la signification à la société PROMOD de la requête aux fins de saisie-contrefaçon et de l'ordonnance ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon est intervenue à 15h15 et non pas à 19h15 comme le soutient la société PROMOD au vu de l'heure mentionnée de façon manuscrite sur l'acte qui lui a été remis - qui peut être lue 15h15 aussi bien que 19h15 -, de sorte que les opérations ayant débuté à 15h30 (comme indiqué sur le procès-verbal), un temps suffisant (d'un quart d'heure) a été laissé au saisi pour prendre connaissance des pièces de la procédure.
L'heure de 15h15 ressort clairement en effet à la fois de la version typographiée de l'acte de signification issue du répertoire informatique de l'étude de l'huissier (pièce 43) et de l'attestation dudit huissier telles que produites par la société INDIRA (ses pièces 39 et 43).
Par ailleurs, le tribunal a estimé à juste raison que l'huissier n'avait pas porté une appréciation sur le caractère contrefaisant du tee-shirt litigieux et de ce fait excédé les termes de sa mission en portant, dès lors qu'il avait indiqué seulement, ne s'en tenant ainsi qu'à une constatation purement factuelle, que la description du tee-shirt litigieux telle que figurant dans la requête aux fins de saisie-contrefaçon « correspond[ait] en tout point au dessin reproduit sur l'échantillon » qui lui avait été remis par la société saisie (en l'absence sur place du modèle de tee-shirt litigieux).
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société PROMOD de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 septembre 2020 et de voir ce procès-verbal écarté des débats.
Sur la contrefaçon de droits d'auteur
Sur la titularité des droits
À la société INDIRA qui prétend apporter la preuve qu'elle détient les droits d'auteur patrimoniaux sur les photographies litigieuses, la société PROMOD oppose que l'appelante ne justifie pas de l'acquisition des droits sur les photographies, qu'aucun élément ne permet de donner date certaine aux clichés et que le contrat conclu entre la société INDIRA et un de ses préposés n'a qu'un effet relatif et n'a pas date certaine vis-à-vis des tiers.
La société INDIRA justifie à suffisance de la titularité de ses droits patrimoniaux sur les deux photographies revendiquées par elle en produisant le contrat de cession de droits conclu le 29 janvier 2020 entre Mme [M] [E], sa salariée, et elle-même, par laquelle cette dernière lui a cédé, à titre exclusif et définitif, ses droits patrimoniaux sur l'ensemble de ses créations photographiques, et notamment sur divers clichés listés en annexe, parmi lesquels les deux photographies en cause. L'existence de ce contrat de cession en bonne et due forme rend inopérante l'argumentation de la société PROMOD selon laquelle, sa date étant inopposable aux tiers, il ne permettrait pas de donner date certaine aux clichés.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a reconnu la titularité des droits de la société INDIRA sur les deux photographies qu'elle invoque, sauf à préciser que cette titularité ne résulte pas de la présomption prétorienne de titularité mais de la cession de droits consentie à son profit par la photographe.
Sur l'originalité des deux photographies
La société INDIRA soutient que les photographies réalisées pour son compte sont originales et donc éligibles à la protection par le droit d'auteur. Elle fait valoir qu'au-delà du simple savoir-faire d'une professionnelle de la communication, ces photographies résultent d'une combinaison de choix esthétiques, arbitraires et libres traduisant l'empreinte de la personnalité de leur auteur. Elle présente ainsi qu'il suit leurs caractéristiques originales :
- photographie n° 1 :
« Le photographe a réalisé un travail de mise en scène, en procédant à des choix esthétiques et arbitraires qui lui sont propres.
Les accessoires de bijoux ont été choisis dans les tons dorés pour créer une harmonie avec le bordeaux et le beige du bonnet enturbanné « Parisienne », le mettant ainsi en avant.
Le positionnement des mains est volontairement choisi pour permettre une asymétrie entre les bagues et les créoles, renforçant ainsi cette harmonie des couleurs.
La coiffure réalisée sur Madame [X] [H] laisse apparaitre uniquement ses cheveux au-dessus du front, le reste étant caché dans le bonnet enturbanné « Parisienne », dans le but de féminiser la coiffe.
La tête de Madame [X] [H] a été sciemment posée sur les mains, son visage est neutre, mais le regard fixe l'objectif de l'appareil photographique, conférant à la photographie une forte intensité.
Le photographe a également fait le choix du lieu, afin de faire écho au nom du modèle tout en choisissant un environnement hautement symbolique du style architectural parisien.
Au moment de la prise de la photographie, le choix s'est porté sur un cadrage sur un plan rapproché de Madame [X] [H], afin à la fois de mettre en avant l'intensité du regard de la mannequin, et le turban que celle-ci porte.
En outre, le floutage de l'arrière-fond de la photographie afin de mettre en avant l'expression de la mannequin caractérise des partis pris artistiques.
(')
Les démarches entreprises dans le cadre des photographies réalisées démontrent une approche hautement personnelle du photographe, cherchant toujours à rattacher les images qu'il produit à la collection, sous la forme de différentes références et clins d''il dans sa prise de vue ».
- photographie n° 2 :
« Au travers de ce cliché, le photographe a eu pour intention de créer l'impression d'une image vivante et non posée. Afin de renforcer cette impression, le photographe a choisi de photographier la posture de Madame [X] [H], accoudée sur la table, son visage, placé sur le côté, est souriant et le regard est porté au loin.
Dans la mise en scène de la photographie, l'intention a été de créer un dynamisme dans les couleurs entre les accessoires et le vêtement par le choix des bagues et du bracelet dorés, de la montre et des boucles d'oreilles triangulaires noires, du vêtement blanc et du bonnet enturbanné dans les tons rouge, bleu et vert.
Elle est coiffée d'un bonnet enturbanné cachant ses cheveux, à l'exception de la partie frontale et d'une mèche sur le côté, afin de donner l'impression d'une coiffure « faussement négligée ».
La photographie a également été prise à un café parisien, reconnaissable par les éléments visuels caractéristiques de ce type d'endroits (petite table ronde en métal, tasse de café blanche, etc.), qui font écho encore une fois au nom du turban et au mythe de la parisienne.
Le choix d'un cadrage buste/poitrine, coupé à mi-bras entre l'épaule et le coude, avec l'arrière-plan volontairement flouté mettent l'accent sur l'attitude décontractée de la mannequin, vivant un moment de joie, à une terrasse de café typiquement parisienne (') ».
Elle ajoute que la banalité de la thématique ou du sujet des photographies (la parisienne) ne peut remettre en cause l'originalité de celles-ci ; que le choix de présenter une femme aux allures d'une parisienne chic, coiffée d'un turban, se démarque du style vestimentaire de la parisienne typique, apporte une note singulière et permet aux tiers d'imaginer une parisienne renouvelée et moderne ; qu'il importe de s'attacher, non au sujet, mais à la démarche du photographe ; que l'originalité revendiquée est liée aux choix ayant conduit à la photographie dans son ensemble, par la mise en scène de la mannequin guidée et dirigée par l'auteur, les couleurs, le matériel utilisé, le décor, l'éclairage, l'angle de vue ou encore le cadrage, à « l'instant idéal » que le photographe a cherché à capter ; qu'aucune des photographies produites par l'intimée, au demeurant non datées, ne fait apparaître les éléments originaux caractéristiques des deux photographies revendiquées, montrant en outre des femmes enturbannées mais selon les codes vestimentaires de l'Inde ou de l'Afrique du nord.
La société PROMOD soutient que l'ensemble des caractéristiques invoquées par la société INDIRA a fréquemment été reproduit par des clichés photographiques et ne présente aucun effort créatif ; que la société INDIRA ne peut revendiquer un monopole sur la représentation d'une jeune femme brune, la tête posée sur les mains jointes et portant un turban ; qu'aucune preuve d'originalité n'est rapportée.
Ceci étant exposé, conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une 'uvre de l'esprit jouit sur cette 'uvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute 'uvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Selon l'article L. 112-2, 9° du même code, sont considérées comme 'uvres de l'esprit les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie.
Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une 'uvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.
Néanmoins, lorsque l'originalité d'une 'uvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur de caractériser l'originalité de l'oeuvre revendiquée, c'est à dire de justifier de ce que cette oeuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.
En l'espèce, il est constant que les deux photographies invoquées sont des photographies de commande destinées à la promotion, notamment sur les réseaux sociaux, des produits de mode diffusés par la société INDIRA (cf. conclusions appelantes pages 3 à 5). Il s'en déduit que les choix de la photographe dans la réalisation de ces deux clichés étaient nécessairement contraints, quand bien même, en qualité de professionnelle de la communication, elle a pu bénéficier d'une certaine latitude, sa mission étant avant tout de photographier un mannequin professionnel portant des turbans dits « Parisienne » commercialisés par la société commanditaire, sans avoir eu le choix ni du mannequin ni des modèles de coiffure portés par celle-ci.
Par ailleurs, les choix dont il est fait état, concernant tant les bijoux et la montre portés par le mannequin, l'attitude ou la posture de celle-ci, vue de profil ¿ afin de mettre en valeur le turban porté, que le lieu de la prise de vue (terrasse de café parisien) directement inspiré du nom du modèle de turban (« Parisienne »), ne peuvent suffire à traduire une démarche personnelle et créatrice qui porterait l'empreinte de la personnalité de la photographe, le matériel photographique sélectionné, l'éclairage, les cadrages et le floutage choisi pour la seconde photographie relevant quant à eux d'un savoir-faire de photographe mis en oeuvre, en l'occurrence, afin de valoriser les produits de la société INDIRA et d'en accroître l'attractivité commerciale.
L'originalité des deux photographies n'étant pas démontrée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société INDIRA de ses demandes en contrefaçon de droit d'auteur.
À titre subsidiaire, sur le parasitisme
La société INDIRA soutient que la société PROMOD s'est rendue coupable d'actes de parasitisme, ainsi que l'a jugé le tribunal. Elle fait valoir que l'intimée a reproduit servilement et à deux reprises ses photographies, ce qui démontre sa volonté manifeste de détourner la valeur économique créée par autrui ; que les photographies issues de la séance photo organisée avec le mannequin [X] [H] connaissent un grand succès auprès du public, ont été très largement partagées sur les réseaux sociaux et également été la source d'inspiration de dessinatrices, autorisées par INDIRA à reproduire ses photographies pour créer des oeuvres dérivées ; qu'en outre, INDIRA commercialise des vêtements et accessoires pour femmes et a une clientèle commune à celle de PROMOD qui sera amenée à penser que le tee-shirt litigieux est le fruit d'une collaboration entre les parties, notamment dans le cadre d'une collection capsule, à l'instar d'une précédente collaboration en 2018 avec l'illustratrice [Y] [G] ; que l'intimée a bien eu conscience de l'enthousiasme soulevé par les deux photographies qui n'ont pas été reproduites par hasard ; que PROMOD a entendu, dans un but lucratif et sans bourse délier, copier les valeurs économiques d'INDIRA, fruits d'un travail intellectuel et d'investissements importants ; qu'en s'appropriant ce travail et ces investissements, PROMOD a bénéficié d'un avantage indu lui permettant de faire des bénéfices, ce qui rompt le principe d'égalité dans la compétition économique entre concurrents et est constitutif de parasitisme économique.
La société PROMOD conteste l'existence du parasitisme, arguant que INDIRA ne démontre aucune notoriété particulière attachée aux photographies ou au tee-shirt en cause, n'ayant effectué aucun effort de promotion des clichés prétendument repris et ne commercialisant pas de tee-shirts ; que PROMOD ne s'est pas épargnée des efforts puisqu'elle a mandaté une designeuse pour concevoir une série de tee-shirt ; que l'illustration de ses tee-shirts ne constituait pas la copie des photos d'INDIRA mais reprenait seulement la même thématique de jeune femme brune souriante avec les sourcils marqués, un turban et des bijoux, en mettant l'accent sur les bijoux ; qu'aucune preuve n'est apportée d'un quelconque rattachement dans l'esprit de la clientèle entre le tee-shirt et INDIRA ; qu'en tout état de cause, INDIRA ne justifie pas de son préjudice, notamment d'image.
Ceci étant exposé, la cour rappelle que la concurrence déloyale, qui trouve son fondement dans l'article 1240 du code civil selon lequel 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer', doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou du service proposé, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
La caractérisation d'une faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel EQCHAPTER\h\r1 (Com., 7 septembre 2022, pourvoi n° 21-12.602 ; Com., 13 octobre 2021, pourvoi n° 19-20.504).
Par ailleurs, le parasitisme, également fondé sur l'article 1240 du code civil, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements. Il requiert la circonstance qu'à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Comme celle de concurrence déloyale, cette notion est appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par l'existence d'une captation parasitaire, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
Il incombe à celui qui se prétend victime d'actes de concurrence déloyale ou de parasitisme d'en rapporter la preuve et de démontrer que les éléments constitutifs de ces comportements répréhensibles sont réunis.
Sur la matérialité
Comme en première instance, la société INDIRA invoque le fondement à la fois de la concurrence déloyale et du parasitisme mais ses griefs à l'encontre de la société PROMOD concernent en réalité seulement des actes de parasitisme.
La circonstance que la référence mentionnée sur l'étiquette attachée au tee-shirt (1 4250119087 01181) soit légèrement différente de celle figurant sur le ticket de caisse remis lors de l'achat effectué le 4 juin 2020 (1 4250119087 20131) est sans emport dès lors que lors de la saisie-contrefaçon, les personnes représentant la société PROMOD ont sans ambiguïté reconnu que la société commercialisait « le tee-shirt référencé 1-4-25-01-19-087 ». Il est ainsi établi que le tee-shirt litigieux est bien un tee-shirt vendu par la société PROMOD.
Force est de constater que l'illustration imprimée sur le tee-shirt de la société PROMOD reproduit une combinaison des deux photographies de la société INDIRA, reprenant à la fois le visage souriant du mannequin coiffé d'un turban de la photographie 2 et la pose dudit mannequin de la photo 1 (visage appuyé sur les deux mains entrelacées exactement de la même façon et baguées). Le visage de la jeune femme est parfaitement reconnaissable sur le tee-shirt litigieux.
La société INDIRA ne justifie pas des investissements consacrés spécifiquement aux deux clichés en cause mais produit des relevés de comptes montrant qu'elle a dépensé environ 2 850 euros pour la seule année 2018, année de la réalisation des deux photographies, pour la promotion de ses produits. Elle démontre en outre que ses deux photographies ont fait l'objet de publications et de commentaires sur ses comptes ouverts sur des réseaux sociaux (Pinterest, Instagram) en 2018, 2019 et 2020 (ses pièces 12 et 13). Il en résulte que les deux photographies constituent une valeur économique individualisée.
En reprenant sans autorisation les photographies pour illustrer son tee-shirt, la société PROMOD s'est épargné des efforts d'investissement ab initio, quand bien même elle a recouru aux services d'un prestataire pour le design de l'illustration de son produit, et s'est indûment appropriée les efforts de création et de promotion, fussent-ils modestes, de la société INDIRA, ce qui constitue des actes de parasitisme.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la société PROMOD s'est rendue coupable de parasitisme au préjudice de la société INDIRA.
Sur la réparation
La société INDIRA fait valoir que le parasitisme a entraîné une dévalorisation de ses efforts de conception, d'exploitation et de promotion de ses produits ; que son image de marque a été en outre diluée ; qu'elle subit ainsi un préjudice économique et un préjudice moral qu'elle évalue respectivement à 150 000 € et 50 000 € ; que le montant des dommages et intérêts alloués par le tribunal est dérisoire ; que la société PROMOD a retiré un chiffre d'affaires important de la vente des tee-shirts incriminés.
La société PROMOD conteste l'existence du préjudice invoqué, arguant du fait que les photos litigieuses n'ont été présentées que très brièvement sur internet, qu'il n'est pas démontré qu'elle a réalisé des économies alors qu'elle a exposé des frais auprès d'une graphiste, qu'il ne peut y avoir dilution de l'image de marque d'INDIRA dès lors il est exclu que le public établisse un lien entre le tee-shirt en cause et les produits de l'appelante.
Ceci étant exposé, il n'est pas contestable que sur un tee-shirt imprimé de forme banale, l'illustration constitue un critère d'achat important, voire essentiel. En l'occurrence, la combinaison des photos litigieuses constitue le seul motif du tee-shirt litigieux.
Il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que le tee-shirt litigieux « T voyage » a été commandé en 15 595 exemplaires au fabricant et que 15 232 produits ont été vendus (au prix unitaire en France de 14,95 €) dans 23 pays, générant un chiffre d'affaires, non contesté, de 151 080 €.
La clientèle de la société PROMOD, amatrice de mode, qui se situe sur le même créneau que celle de la société INDIRA, a pu être amenée à penser que le tee-shirt litigieux était le fruit d'une collaboration entre les parties.
Comme il a été dit supra, le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a écarté la demande de la société INDIRA relative à l'atteinte prétendument portée à son image de marque. La société appelante ne peut donc invoquer cette atteinte au soutien de sa demande indemnitaire.
Ces éléments conduisent la cour à évaluer à 8 000 € le montant des dommages et intérêts devant réparer le préjudice subi par la société INDIRA du fait des actes de parasitisme.
Le jugement sera réformé en ce sens.
Il sera confirmé en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction à l'encontre de la société PROMOD.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société PROMOD, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Jérôme GIUSTI, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de la société PROMOD au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société INDIRA peut être équitablement fixée à 8 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société PROMOD à payer à la société INDIRA la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice né des actes de parasitisme,
Statuant à nouveau sur ce point,
Condamne la société PROMOD à payer à la société INDIRA la somme de 8 000 euros au titre de son préjudice né des actes de parasitisme,
Confirme le jugement pour le surplus, sauf à préciser que la société INDIRA est titulaire des droits patrimoniaux sur les photographies en cause du fait de la cession de droits consentie à son profit,
Y ajoutant,
Condamne la société PROMOD aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me GIUTI, avocat, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société PROMOD à payer à la société INDIRA la somme de 8 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.