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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 18 septembre 2024, n° 23/07022

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Esprit d'O (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Drahi, M. D'ussel

Avocats :

Me Hordot, Me Gandin

TJ Saint-Etienne, du 17 août 2023, n° 23…

17 août 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte notarié reçu le 30 juin 2021 en l'étude de Maître [J] [E], notaire à [Localité 3], M. [K] [B] [G] a consenti à la SAS Esprit d'O, pour une durée de neuf ans, un bail commercial portant sur des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 3] pour y exploiter une activité de vente d'équipements de la maison et de la personne, moyennant le paiement d'un loyer annuel de 13'200 euros payable en douze termes mensuels de 1'100 euros chacun.

Ce contrat comporte une clause prévoyant sa résiliation de plein droit en cas d'impayés de loyer un mois après un commandement de payer resté infructueux.

Le 30 mars 2023, M. [G] a fait délivrer à la SAS Esprit d'O un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme de 1'284,77 euros en principal.

En l'absence de paiement dans le délai d'un mois, M. [G] a fait assigner le locataire devant la formation de référé du tribunal judiciaire de Saint-Étienne.

Par ordonnance de référé réputée contradictoire du 17 août 2023, le président de cette juridiction a :

Constaté la résiliation du bail liant Monsieur [K] [B] [G] à la SARL Esprit d'O, pour défaut de paiement des loyers, et ce à compter du 1er mai 2023,

Dit que la SARL Esprit d'O doit quitter les lieux dans les huit jours à compter de la signification de la présente décision,

A défaut de départ volontaire, ordonné son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique,

Condamné la SARL Esprit d'O à payer à Monsieur [K] [B] [G] les sommes suivantes :

6'199,78 euros à titre de provision à valoir sur les loyers, charges et indemnités impayées, créance arrêtée au 10 juillet 2023, termes de juillet 2023 inclus, avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2023 sur la somme de 1 284,77 euros,

une indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle égale au montant actuel du loyer et des charges à compter du 1er août 2023 jusqu'à la libération complète des lieux par la remise des clés,

800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamné la SARL Esprit d'O aux dépens, comprenant le coût du commandement de payer des loyers de 120,45 euros.

Par déclaration en date du 12 septembre 2023, la SAS Esprit d'O a relevé appel de cette décision en tous ses chefs et, par avis de fixation du 2 octobre 2023 pris en vertu de l'article 905 et suivants du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à bref délai.

Par ordonnance de référé du 8 janvier 2024, le délégué du premier président de la cour d'appel de Lyon a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par l'appelant.

***

Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 8 décembre 2023 (conclusions d'appelant n°2), la SAS Esprit d'O demande à la cour':

Vu l'article L.145-41 du Code de commerce,

Vu l'article 1343-5 du Code de commerce,

Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Esprit d'O,

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a : (reprise du dispositif de l'ordonnance de référé),

Constatant que la dette locative de la société Esprit d'O s'élève, au 30 novembre 2023, à la somme de 7'655,78 euros,

Autoriser la société Esprit d'O à s'acquitter de sa dette locative en 18 mensualités de 425,32 euros chacune,

Suspendre les effets de la clause résolutoire,

Débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes,

Le condamner aux entiers dépens de l'instance.

Elle expose exploiter un commerce de linge de maison et rencontrer des problèmes de trésorerie depuis 2023 à raison d'impayés de loyers qu'elle percevait par ailleurs et de mensualités de crédit trop importantes. Elle sollicite des délais de paiement suspensifs de la clause résolutoire en invoquant ses démarches pour être en mesure d'honorer un échéancier. Elle justifie avoir renégocié à la baisse le prêt qu'elle avait souscrit pour l'exercice de son commerce et avoir mis un terme à un contrat d'apprentissage qui la liait à Melle [R]. Elle ajoute avoir entrepris de diversifier son activité en réalisant durant les week-ends et congés des prestations à l'extérieur (marchés, dépôts vente, ...). Elle affirme que ces mesures sont de nature à lui permettre d'acquitter son loyer et d'honorer un échéancier pour l'apurement de la dette qui doit être ramenée à 7'655,78 euros après déduction des sommes saisies par voie de saisie attribution (1'068,12 euros) et d'un paiement qu'elle a effectués par chèque (2'500 euros).

***

Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 21 novembre 2023 (conclusions d'intimé n°1), M. [K] [B] [G] demande à la cour':

Vu les articles L.143-2 du Code de commerce et L.145-41 du Code de commerce,

Vu les articles 1728 du Code civil,

Vu les articles 1224 à 1229 du Code civil,

CONFIRMER l'ordonnance rendue par le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne en ce qu'elle a : (reprise du dispositif de la décision attaquée),

DEBOUTER la société Esprit d'O de l'intégralité de ses demandes,

CONDAMNER la société Esprit d'O à verser à Monsieur [G] la somme de 2'500 euros en application des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Il sollicite la confirmation pure et simple de l'ordonnance de référé considérant qu'il est incontestable que la société Esprit d'eau ne s'est pas acquittée du règlement des loyers et charges locatives, ce qui constitue un manquement grave de sa part à ses obligations.

Il rappelle que le commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 30 mars 2023 est resté infructueux en l'absence de paiement intervenu dans le délai d'un mois imparti et il en conclut que la clause résolutoire a joué, le bail étant résolu de plein droit depuis le 1er mai 2023. Il ajoute qu'il justifie de l'état d'endettement du locataire qui ne mentionne aucune inscription.

Il fait valoir que la dette locative de 6'199,78 euros arrêtée au 10 juillet 2023 n'est pas sérieusement contestable et il ajoute qu'en l'absence de tout règlement intervenu depuis mars 2023, la dette s'élève désormais à 11'223,90 euros.

Il conclut au rejet des prétentions de la société Esprit d'O qui n'a pas comparu en première instance bien qu'avisée de l'audience et qui devait se faire représenter. Il relève encore que les problèmes de trésorerie désormais allégués à hauteur d'appel ne sont pas justifiés par des éléments probants, la pièce adverse numéro cinq n'étant qu'un avis d'échéance portant la mention manuscrite «'relance impayée'», ce qui est insuffisant à corroborer les dires de la société appelante. Par ailleurs, il relève que les actions que la société Esprit d'O prétend avoir activées l'ont été postérieurement à l'ordonnance de référé critiquée. Il considère que la bonne foi alléguée par la société Esprit d'O aurait dû l'amener à justifier de ces éléments dès le premier impayé ce qui n'a pas été le cas. Au contraire il souligne que la société locataire persiste à ne pas exécuter ses obligations.

***

Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.

MOTIFS,

Sur l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail':

Il résulte de l'article 834 du Code de procédure civile que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du même code dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Aux termes de l'article L.145-41 alinéa 1 du Code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en 'uvre régulièrement, ce qui suppose notamment que la validité du commandement de payer visant la clause résolutoire ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

En l'espèce, le contrat de bail signé le 30 juin 2021 contient une clause résolutoire et un commandement de payer visant cette clause a été signifié le 30 mars 2023 pour la somme en principal de 1'284,77 euros. La validité du commandement de payer n'est pas contestée, pas plus que les décomptes produits dont il résulte que la société Esprit d'O n'a effectué aucun paiement dans le mois de la délivrance de ce commandement. Il s'ensuit qu'il n'est pas sérieusement contestable que la clause résolutoire ait produit ses effets au 1er mai 2023.

En conséquence, l'ordonnance entreprise doit être confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail acquise au 1er mai 2023 par l'effet de la clause résolutoire.

Sur l'octroi de délais de paiement suspensifs des effets de la clause résolutoire :

Aux termes de l'article L.145-41 alinéa 2 du Code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du Code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

L'article 1343-5 du Code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, la société Esprit d'O justifie d'abord, au soutien de sa demande de délai de paiement, avoir diminué ses charges courantes, d'une part, en ayant renégocié en août 2023 un prêt bancaire de manière à réduire les échéances de remboursement qu'elle assume, et d'autre part, en s'étant séparée d'une apprentie à laquelle elle a remis un reçu pour solde de tout compte le 26 août 2023.

La société Esprit d'O justifie ensuite de ses démarches pour diversifier ses activités en versant aux débats la copie d'un contrat de dépôt vente avec un créateur de bijoux, ce document n'étant toutefois ni daté, ni signé. Enfin, la société Esprit d'O produit le détail du bilan comptable actif et passif au 31 mars 2023.

Ces éléments, s'ils peuvent être de nature à établir la bonne foi de la société Esprit d'O, sont en tout état de cause insuffisants à établir que cette société serait en mesure de respecter l'échéancier qu'elle sollicite.

A cet égard, la cour constate que la dette locative, d'un montant non-contesté de 6'199,79 euros en première instance, s'est aggravée pour atteindre la somme de 7'655,78 euros au 30 novembre 2023. En outre, il apparaît que sur les sommes encaissées par le bailleur depuis la décision de première instance, seul un chèque de 2'500 euros correspond à un paiement volontaire effectué par la société Esprit d'O.

Surtout, il résulte du décompte produit par M. [G] actualisé au 20 novembre 2023 que la société Esprit d'O n'a pas repris le paiement des loyers courants, ce qui constitue pourtant un préalable pour envisager sérieusement l'apurement de la dette locative de manière échelonnée. Dans ces conditions, il n'est pas d'établi que la société Esprit d'O soit en capacité de respecter un échéancier, en sus de régler le montant des loyers et charges courants.

Par conséquent, il convient de débouter la société Esprit d'O de sa demande de délais de paiement avec effet suspensif des effets de la clause résolutoire.

La décision attaquée, qui a ordonné l'expulsion de la société Esprit d'O et l'a condamnée à une payer une indemnité d'occupation jusqu'à libération complète des lieux, est confirmée.

Sur les autres demandes':

La cour confirme la décision attaquée qui a condamné la société Esprit d'O, partie perdante, aux dépens de première instance et à payer à M. [G] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, montant justifié en équité.

La société Esprit d'O, partie perdante, est condamnée aux dépens à hauteur d'appel.

La cour condamne en outre à hauteur d'appel la société Esprit d'O à payer à M. [G] la somme de 1 500 euros à valoir sur l'indemnisation de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la demande de délais de paiement suspensifs des effets de la clause résolutoire présentée par la SAS Esprit d'O,

Confirme l'ordonnance de référé rendue le 17 août 2023 par la Vice-Présidente du Tribunal Judiciaire de Saint-Etienne en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Esprit d'O, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne la SAS Esprit d'O, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [K] [B] [G] la somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.