CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 18 septembre 2024, n° 24/00078
BASTIA
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hotel Ziglione (SARL)
Défendeur :
Société d'Exploitation de l'Hôtel Casadelmar (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lebreton
Conseillers :
Mme Zamo, M. Desgens
Avocats :
Me Lanfranchi, Me Bettan, Me Poletti, Me Guillemain
EXPOSE DES FAITS :
Par jugement du 7 novembre 2023, le juge des loyers du tribunal judiciaire d'Ajaccio a ordonné une expertise, a fixé le loyer provisionnel annuel à la somme de 1 096 900,41 euros et a réservé les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Par arrêt du 30 janvier 2024, la cour d'appel de Bastia a débouté la société d'exploitation casadelmar de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de l'exploit introductif d'instance, a autorisé la société hôtel Ziglione à interjeter appel du jugement du 7 novembre 2023 à interjeter appel du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Ajaccio.
Par déclaration enregistrée au greffe le 2 février 2024, la société hôtel Ziglione a interjeté appel du jugement du 7 novembre 2023, en ce que le tribunal a rejeté la demande sursis à statuer, la demande d'incompétence, a ordonné une expertise, a fixé le loyer provisionnel
annuel à la somme de 1 096 900,41 euros et a réservé les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 mars 2024, que la cour vise pour l'exposé de ses moyens et prétentions, la société hôtel Ziglione sollicite l'infirmation de la décision, statuant à nouveau, surseoir à statuer dans l'attente de la communication par la société d'exploitation de l'hôtel Casadelmar des pièces A,B,D annexées au contrat de bail du 8 décembre 2005 visé à son mémoire préalable dans son assignation, déclarer que les parties ont écarté les dispositions des baux commerciaux, déclarer que le juge des loyers était incompétent au profit du tribunal judiciaire pour statuer sur les demandes, déclarer non fondée la mesure d'expertise pour fixation de la valeur locative des lieux loués, déclarer irrecevables les demandes formées par la société d'exploitation Casadelmar en application du principe de l'estoppel, fixer le loyer en renouvellement au 1er janvier 2015 à la somme de 1 250 940 euros en principal, hors charges, juger mal fondé l'appel incident de l'hôtel Casadelmar, débouter la société Casadelmar de sa demande de fixation du montant renouvelé à la somme par an et en principal à compter du 1er janvier 2015 de 400 000 euros hors taxes et charges, débouter la société Casaldelmar de sa demande de confirmer la désignation d'un expert et fixer le loyer provisionnel à une somme en principal de 600 000 euros.
A titre subsidiaire, elle sollicite de fixer le montant du loyer provisionnel à la somme de 1 577 573,16 euros par an, condamner la société de l'hôtel Casdelmar à payer une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 mai 2024, la société d'exploitation de l'hôtel Casadelmar sollicite le débouté de la société hôtel Ziglione de toutes ses demandes, que l'application de l'estoppel n'est pas justifiée, de fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 400 000 euros hors charges, à titre subsidiaire, elle demande la confirmation de la désignation de l'expert pour déterminer la valeur locative par l'utilisation de la méthode hôtelière, fixer le loyer provisionnel à compter du 1er janvier 2015 par an à la somme de 600 000 euros HT, juger les trop-versés de loyers porteront intérêts de droit au taux légal à compter de chaque échéance à effet au 1er janvier 2015 avec capitalisation, outre une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE :
Sur la demande de sursis à statuer :
L'appelante sollicite un sursis à statuer car elle explique que la société d'exploitation de l'hôtel Casadelmar a visé dans sa demande de renouvellement de bail signifiée le 16 juillet 2014 et dans son assignation du 1er décembre 2015 devant la juridiction des baux commerciaux le bail commercial du 8 décembre 2005, qu'elle a sollicité la communication
des pièces A,B,C,D,E et F, et qu'elle n'a pas obtenu communication des pièces A, B et D.
Elle ajoute que ces pièces permettent de déterminer l'assiette actuelle du bail une fois les travaux d'extension de l'hôtel réalisés.
Elle sollicite donc un sursis à statuer dans l'attente de la communication des pièces : A -les plans des locaux existants, la pièce B- le plan de l'extension projetée, la pièce D-le contrat de maîtrise d'ouvrage délégué.
En réponse, l'intimée sollicite le rejet de la demande de sursis à statuer.
En vertu de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis à statuer, hors les cas prévus par la loi, est appréciée de manière discrétionnaire par les juges du fond.
En l'espèce, la communcation alléguée défaillante des pièces A,B et D n'est pas de nature à motiver une décision de sursis à statuer.
En conséquence, la demande de sursis à statuer sera rejetée.
Sur la compétence :
En vertu de l'article 75 du code de procédure civile, s'il est prétendu que la juridiction saisie est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée.
En l'espèce, la société hôtel Ziglione se fonde sur l'article R 211-4 du code de l'organisation judiciaire pour solliciter la compétence du tribunal judiciaire s'agissant de la fixation du montant du loyer en renouvellement.
Elle ajoute que les parties ont convenu d'un loyer dont la fixation échappe aux dispositions du statut des baux commerciaux et aux règles de l'article L 145-33 du code du commerce.
En réponse, la société hôtel Casadelmar explique que l'appelante n'avait pas désigné la juridiction compétente dans sa demande de première instance et que l'exception d'incompétence a été rejetée.
En cause d'appel, elle indique que la cour est compétente pour l'appel des décision du juge des loyers commerciaux et du tribunal judiciaire.
La cour constate que les parties sont liées contractuellement par un contrat de bail du 8 décembre 2005, aux termes duquel, la société Ziglione, le bailleur, représentée par monsieur [R] a conclu avec la société d'exploitation de l'hôtel Casadelmar le preneur, un bail portant sur deux parcelles édifiées de plusieurs bâtiments permettant l'exploitation de l'hôtel et une extension projetée, pour un loyer de 569 500 euros et un montant complémentaire de prise en charge du coût de l'extension avec un loyer complémentaire de 6,7 % du montant des travaux HT acquittés par le bailleur.
L'article 6 du bail prévoyait une indexation annuelle du loyer en fonction des indices du
coût de la construction, l'indexation étant prévue également pour le loyer complémentaire.
Le 15 septembre 2006, un avenant au bail commercial était conclu entre les parties, 'pour tenir compte du surcroît de coût engendré par l'extension de l'hôtel Casadelmar par rapport aux estimations', le rendement annuel de l'investissement était porté à 7% à compter du 1er juillet 2007.
Est également produit aux débats une copie et non un original d'un avenant comportant des signatures en date du 2 et 7 juillet 2009, aux termes duquel le loyer était fixé à la somme de 1 096 900,41 euros à compter du 1er février 2009, ledit loyer se substituant aux articles 5.1, 5.2 et 5.3 du bail, soit l'article 5 loyer du bail initial du 8 décembre 2005.
La cour ne peut que constater qu'elle ne dispose pas de l'original de l'avenant querellé : sur la pièce produite aux débats, l'avenant est signé du directeur général [G] et du gérant monsieur [B], lequel n'avait que le pouvoir d'effectuer des opérations bancaires générales. Ce dernier a attesté le 12 avril 2016, ne pas lire, écrire et comprendre le français et n'avoir pas apposé sa signature le 10 juillet 2009, déclaration corroborée par madame [L], avocate luxembourgeoise dans un courrier du 21 juin 2016.
L'attestation de madame [X] du 27 mai 2016 réfute ces éléments et a indiqué que monsieur [B] avait bien signé l'avenant, avec l'autorisation de l'avocat d'affaires luxembourgeois.
Etait également produit aux débats, un courriel de madame [X] qui évoque le 8 juin 2009, l'avenant signé en juillet 2009, l'envoi du bail signé avec envoi par courrier pour l'original.
En outre, l'avenant n'a pas été considéré comme un faux aux termes de l'arrêt de non-lieu rendu par la chambre de l'instruction de Bastia le 2 mars 2022, dont le pourvoi n'a pas été admis.
En définitive, la cour se retrouve avec un bail en date du 8 décembre 2015 et un avenant du 15 septembre 2006 non querellés et un avenant signé le 10 juillet 2009, contesté, mais qui n'a pas été qualifié de faux par la justice pénale.
Quoiqu'il en soit, il ne ressort pas de l'analyse du bail originel du 8 décembre 2005 et de son avenant du 15 septembre 2006, qu'il existe un loyer binaire.
En effet, la pratique du loyer binaire repose sur un loyer minimum garanti dont le renouvellement est convenu à la valeur locative, et un loyer variable correspondant à un pourcentage sur le chiffre d'affaires, initialement aligné sur le taux d'effort admissible pour l'activité considérée.
Rien de tel en l'espèce, où il existe un loyer et une majoration du loyer initial inhérent à la réalisation de travaux, la base de calcul étant le coût des travaux réalisés.
Il ne s'agit pas d'une part du loyer indexé sur le chiffre d'affaires ou les recettes et ne constitue donc pas un loyer binaire.
Ainsi, en l'absence d'un loyer binaire, il n'est pas possible de déroger aux dispositions des baux commerciaux pour le renouvellement du bail.
Il ressort des pièces produites que le 16 juillet 2014, la société hôtel Casadelmar a assigné la société Ziglione en demande de renouvellement du bail afin que soit fixé le montant du bail renouvelé à la valeur locative.
Le 11 septembre 2014, la société hôtel Ziglione était autorisée à se présenter sur les lieux loués afin de procéder à la visite des lieux, examiner l'état de l'ensemble immobilier et les modalités d'exploitation des locaux.
Le 13 janvier 2015, le juge des référés a débouté la société hôtel Casadelmar de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 11 septembre 2014, a condamné cette dernière à payer à la société Ziglione une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 29 avril 2015, la société hôtel Ziglione a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire à la société hôtel Casadelmar, pour le paiement des loyers et charges arrêtés au 30 avril 2015 pour un montant de 670 085,30 euros.
Le 1er décembre 2015, la société hôtel Casadelmar a fait assigner la société hôtel Ziglione afin de faire fixer la valeur du bail renouvelé avec un mémoire préalable proposant un montant annuel de 450 000 euros.
Le 4 avril 2016, la société hôtel Ziglione a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire à la société hôtel Casadelmar, pour le paiement des loyers et charges arrêtés au 31 mars 2016 pour un montant de 43 805,08 euros.
Deux autres commmandements de payer visant la clause résolutoire étaient délivrés les 9 mars 2017 et 22 octobre 2020.
Le 6 septembre 2016, le juge des baux commerciaux du tribunal d'Ajaccio ordonnait un sursis à statuer jusqu'à la décision définitive de la plainte déposée par la société hôtel Ziglione pour faux et usage de faux au sujet de l'avenant du 10 juillet 2009.
Par arrêt du 12 septembre 2018, la cour d'appel de Bastia a rejeté la demande de la société Casadelmar, nouvelle en appel tendant à voir juger mensongères et diffamatoires les allégations de la société Ziglione contre les dirigeants de l'hôtel Casadelmar, a confirmé la décision du 13 janvier 2015 et a condamné la société Casadelmar à payer à la société Ziglione une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 20 novembre 2020, la société hôtel Ziglione assignait l'hôtel Casadelmar aux fins de paiement de sommes et sollicitait la résiliation du bail.
Le 28 décembre 2020, la société hôtel Casadelmar assignait l'hôtel Ziglione afin de faire opposition au commandement de payer du 22 octobre 2020.
Il ressort de l'étude du bail du 8 décembre 2005 et de son avenant du 15 septembre 2006 non contesté, qu'il s'agit bien d'un bail commercial.
Sur le contenu du bail, il est conclu pour une durée de 9 ans, conformément aux dispositions de l'article L 145-4 du code du commerce.
De même l'avenant non contesté du 15 septembre 2006 parle bien de bail commercial.
Or, en matière de bail commercial, la manifestation de volonté nécessaire pour mettre fin au bail, est strictement réglementée par les articles L. 145-9 à L. 145-12 du code de commerce.
Ces textes imposent un formalisme rigoureux qu'il faut toutefois distinguer selon que l'initiative émane du bailleur et qui prend la forme d'un congé ou du preneur et qui prend la forme d'une demande de renouvellement.
En l'espèce, le 16 juillet 2014, le preneur a pris l'initiative de la demande de renouvellement du bail.
Or, en l'espèce, après avoir demandé de visiter les lieux, la société Ziglione a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 29 avril 2015, puis plusieurs autres qui n'ont pas été jugés pertinents, puisque par décision du 4 septembre 2023, le tribunal judiciaire d'Ajaccio a rejeté la demande de résiliation du bail.
Ainsi, conformément à l'article L 145-10 du code de commerce, le locataire a fait la demande dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail, le bail initial ayant été signé le 8 décembre 2005.
Manifestement, la société Casadelmar en sollicitant le renouvellement du bail a fait l'exacte démarche prévue dans le code du commerce en matière de renouvellement des baux commerciaux.
S'il est acquis que les parties peuvent déroger au statut des baux commerciaux, la cour saisie doit s'assurer que les deux parties ont manifesté de manière non équivoque et expresse cette dérogation aux dispositions du statut des baux commerciaux.
Or, en l'espèce, les moyens de l'appelante qui indique que les parties ont souhaité déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux ne sont absolument pas corroborés par les éléments produits aux débats.
Ainsi, le bail du 8 décembre 2005 n'en fait pas état, l'avenant non querellé du 15 septembre 2006 non plus, pas plus que l'avenant du 10 juillet 2019.
En conséquence, l'incompétence soulevée du juge des loyers commerciaux en raison de la dérogation au statut des baux commerciaux et de l'existence d'un loyer binaire sera rejetée.
En conséquence, la compétence des juges des loyers étant confirmée, il convient de se pencher sur la demande d'expertise.
Sur la demande d'expertise :
En l'espèce, la société hôtel Ziglione a excipé de l'irrecevabilité des demandes relatives au bail renouvelé de la société hôtel Casadelmar en vertu du principe de l'estoppel.
La société hôtel Casadelmar, a sollicité la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 400 000 euros.
En vertu de l'article R 145-30 du code de commerce, lorsque le juge s'estime insuffisamment éclairé par les points qui peuvent être élucidés par une visite des lieux ou s'il lui apparaît que les prétentions des parties divergent sur des points de fait qui ne peuvent être tranchés sans recourir à une expertise, il peut ordonner une expertise.
En l'espèce, les parties ont des avis divergents, la société Casadelmar sollicitant un bail renouvelé de 400 000 euros, la société hôtel Ziglione contestant les demandes portées par les mémoires de l'intimée.
Il est donc manifeste qu'il existe de vraies divergences d'appréciation des deux parties et que le juge ne peut statuer et trancher le litige sans recourir à une expertise.
C'est donc à bon droit que le premier juge a ordonné une expertise.
En conséquence, la décision ordonnant une expertise sera confirmée, de même que la mission qui permet l'appréciation de la valeur locative.
Sur la fixation du loyer provisionnel :
La société hôtel Ziglione sollicite le montant du loyer provisionnel à la somme de 1 577 573 euros correspondant au loyer actuel indexé.
La société hôtel Casadelmar explique qu'elle s'est acquittée depuis le 1 er janvier 2015 d'un loyer provisoire exorbitant par rapport à la valeur locative de 1 096 900,41 euros, elle indique que la valeur locative est au moins 50% inférieure à ce montant, elle se réfère à l'avis amiable de monsieur [P], elle sollicite un loyer provisionnel de 600 000 euros.
La cour relève qu'en vertu des dispositions de l'article L 145-47 du code de commerce, pendant la durée de l'instance relative à la fixation du prix du bail renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien, ou le cas échéant au prix qui peut, en tout état de cause être fixé à titre provisionnel par la juridiction saisie.
En l'espèce, un avis amiable ne lie pas la juridiction, ce d'autant qu'une expertise a été ordonnée pour apprécier la valeur locative et le prix du bail renouvelé.
En conséquence, pendant la durée de l'instance, le preneur, la société hôtel Casadelmar sera tenue de payer le prix ancien, soit une somme de 1 096 900,41 euros.
En conséquence, la décision du premier juge sera confirmée en toutes ses dispositions.
L'équité commande en cause d'appel que la société hôtel Ziglione soit condamnée au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société hôtel Ziglione sera également condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire
REJETTE la demande de la société hôtel Ziglione de sursis à statuer
REJETTE la demande de la société hôtel Ziglione au titre de l'incompétence
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire d'Ajaccio du 7 novembre 2023 en toutes ses dispositions
Y AJOUTANT
DEBOUTE la société hôtel Ziglione de toutes ses demandes
CONDAMNE la société hôtel Ziglione à payer à la société d'exploitation de la hôtel Casadelmar la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
DEBOUTE la société d'exploitation de l' hôtel Casadelmar de toutes ses autres demandes
CONDAMNE la société hôtel Ziglione aux entiers dépens.