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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 18 septembre 2024, n° 23/09578

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/09578

18 septembre 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2024

SUR RENVOI APRES CASSATION

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/09578 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWMV

Sur arrêt de renvoi de la Cour de cassation en date 5 avril 2023 (pourvoi n° J21-17.319) prononçant la cassation partielle de l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la 1ère section de la chambre civile de la cour d'appel de Reims (RG N° 20/00373) sur appel du jugement rendu le 28 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Reims (RG N° 2019 004961)

DEMANDERESSE A LA SAISINE

S.A. BANQUE CIC-EST

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N°SIRET : 754 800 712

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Nicolas DUVAL de la SELEURL NOUAL DUVAL, avocat au barreau de Paris, toque : P0493

Ayant pour avocat plaidant Me Nathalie CAPELLI de la SELARL MCMB, avocat au barreau de Reims

DEFENDEUR A LA SAISINE

Monsieur [K] [L]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de Paris, toque : W09

Ayant pour avocat plaidant Me Christophe GASSERT de la SELARL GS AVOCATS, avocat au barreau de Reims, toque : 42

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Marc BAILLY dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

M. [K] [L], par le biais d'une société holding ' la société par actions simplifiée Cehere Capital ' était le principal actionnaire de la société par actions simplifiée Troisième ligne (ci-après « la société Troisième ligne »), spécialisée dans la gestion et le développement des marques ayant trait au sport professionnel.

La société Troisième ligne détenait elle-même la totalité des titres d'une filiale, la société à responsabilité limitée Troisième ligne Brand Stores (ci-après « la société Troisième ligne Brand Stores »), qui avait pour activité le merchandising sportif et notamment la prise en location gérance de boutiques officielles des clubs de football et de rugby.

La société Troisième ligne Brand Store était en situation de découvert bancaire de près de 70 000 euros auprès de la société anonyme Crédit industriel et commercial Est.

Par acte sous seing privé en date du 20 juillet 2017, le CIC Est a consenti à la société Troisième ligne un crédit de trésorerie n° 000200753 pour un montant de 70 000 euros au taux contractuel de 2,80 %, utilisable par escompte de billets financiers à libre utilisation d'une usance minimale de dix jours et maximale de quatre-vingt-treize jours représentatifs du montant du concours.

En garantie du remboursement de ce crédit de trésorerie, le CIC Est a bénéficié de billets à ordre renouvelables de 70 000 euros, dont le dernier renouvellement a été émis le 25 mai 2018 à échéance du 6 juillet 2018, avalisés par M. [L].

Par acte sous seing privé en date du 25 juillet 2017, le CIC Est a octroyé à la société Troisième ligne un prêt professionnel n° 00020075304 pour un montant de 100 000 euros au taux contractuel de 2,85% et remboursable en quarante-huit mensualités successives de 2 226,81 euros à compter du 15 août 2017 jusqu'au 15 juillet 2021.

À la sûreté du remboursement de ce prêt professionnel, le CIC Est a notamment bénéficié de l'engagement de caution solidaire de M. [L] en garantie du remboursement de la somme de 120 000 euros incluant principal, intérêts et, le cas échéant, pénalité ou intérêts de retard pour la durée du prêt majorée de vingt-quatre mois.

Par jugement en date du 3 octobre 2017, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la liquidation judiciaire de la société Troisième ligne Brand Stores et par jugement du 28 juin 2018, le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au 1er janvier 2017.

Par jugement en date du 16 octobre 2018, le tribunal de Commerce de Reims a placé la société Troisième ligne en redressement judiciaire.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 30 octobre 2018, le CIC Est a procédé à la déclaration de ses créances entre les mains de la S.C.P. [H] Barault Maigrot, en sa qualité de représentante des créanciers, sollicitant son admission au passif de la société Troisième ligne notamment pour les sommes suivantes :

99 005,52 euros à titre privilégié et nanti correspondant au prêt professionnel n° 00020075304 pour un montant initial de 100 000 euros.

70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé en garantie du crédit de trésorerie n° 000200753 pour un montant initial de 70 000 euros.

La procédure de redressement judiciaire de la Troisième ligne a été convertie en liquidation judiciaire par jugement en date du 5 mars 2019, Maître [G] [H] ayant été désigné en qualité de liquidateur.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 mars 2019, le CIC Est a mis en demeure M. [L] de lui payer au plus tard le 13 avril 2019 la somme de 100 262,37 euros au titre de son engagement de caution solidaire au prêt professionnel n° 00020075304.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 6 juin 2019, le CIC Est a adressé une nouvelle mise en demeure de payer à M. [L], tant en sa qualité d'avaliste au billet à ordre, qu'en sa qualité de caution solidaire de la société Troisième ligne, infructueusement.

Par exploit d'huissier en date du 11 juillet 2019, le CIC Est a fait assigner à M. [L] devant le tribunal de commerce de Reims afin de le voir notamment condamner au paiement des sommes de 100 262,37 euros au titre de l'engagement de caution du prêt professionnel et de 75 143,18 euros, en sa qualité d'avaliste du billet à ordre impayé.

Par un jugement contradictoire en date du 28 janvier 2020 le tribunal de commerce de Reims a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- Débouté M. [L] de sa demande de sursis à statuer ;

- Reçu le CIC Est en ses demandes, et l'a déclaré partiellement bien fondé ;

- Condamné M. [L] à régler au CIC Est la somme de 100 262,37 euros, outre intérêts au taux contractuel de 3 %, cotisations d'assurance et frais de recouvrement à compter du 6 mars 2019, jusqu'à parfait règlement ;

- Ordonné de lever la garantie bancaire pour le prêt 70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé n° 000200753 pour un montant initial de 70 000 euros ;

- Débouté le CIC Est de sa demande de condamnation de M. [L] au titre de l'aval ;

- Accordé à M. [L] un différé de paiement de deux ans au titre du prêt professionnel n° 00020075304 ;

- Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions des parties ;

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par déclaration remise au greffe de la cour d'appel de Reims le 12 février 2020, le CIC Est a interjeté appel de cette décision contre M. [L], en ce que le tribunal de commerce de Reims a ordonné la levée de la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé, a débouté le CIC Est de sa demande de condamnation au titre de l'aval, a accordé à M. [L] un différé de paiement de deux ans au titre du prêt professionnel et a condamné le CIC Est aux dépens.

Par un arrêt en date du 30 mars 2021, la cour d'appel de Reims a partiellement infirmé le jugement du tribunal de commerce de Reims du 28 janvier 2020, condamné M. [L] à régler au CIC Est la somme de 99 835,18 euros, outre intérêts au taux contractuel de 3 %, à compter du 6 mars 2019, jusqu'à parfait règlement en exécution du cautionnement et prononcé l'annulation de l'aval sur le fondement d'un manquement à l'obligation précontractuelle d'information prévue à l'article 1112-1 du code civil.

Le CIC Est a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cette décision.

Par un arrêt en date du 5 avril 2023, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a prononcé l'annulation de l'aval, en ce que, confirmant le jugement, il a ordonné de lever la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé n° 000200753 pour un montant initial de 70 000 euros et débouté le CIC Est de sa demande de condamnation de M. [L] au titre de l'aval, et en ce qu'il a rejeté la demande du CIC Est fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux entiers dépens d'appel, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris ;

- En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par M. [L] et l'a condamné à payer au CIC Est la somme de 3 000 euros ;

Par déclaration notifiée par voie électronique le 24 mai 2023, le CIC Est a saisi la cour d'appel de Paris, cour de renvoi, en exécution de l'arrêt rendu le 5 avril 2023 par la Cour de cassation cassant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Reims le 30 mars 2021, à l'encontre de M. [L].

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2024, le CIC Est demande à la cour, au visa des articles L. 511-21 et L. 512-4 du code de commerce, des pièces versées aux débats et de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 5 avril 2023, de :

- Déclarer le CIC Est recevable et bien fondé en son appel ;

En conséquence ;

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Reims en date du 28 janvier 2020 mais seulement en ce qu'il a :

- Ordonné la levée de la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé ;

- Débouté le CIC Est de sa demande de condamnation de M. [L] au titre de l'aval ;

- Accordé à M. [L] un différé de paiement de deux ans au titre du prêt professionnel ;

- Rejeté toutes autres demandes des parties ;

- Condamné le CIC Est aux entiers dépens.

Statuant à nouveau de ce chef ;

- Dire et juger que le CIC Est n'était pas tenu d'une obligation précontractuelle d'information sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil.

- Dire et juger que M. [L] en sa qualité d'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité du CIC Est sur le fondement du dol.

Par conséquent ;

- Condamner M. [L] en sa qualité d'avaliste au billet à ordre impayé n° 000200753, à payer au CIC Est la somme de 70 000 euros outre intérêts de retard au taux contractuel de 2,80 % à compter du 27 Juin 2019 jusqu'à parfait paiement ;

- Condamner M. [L] à payer au CIC Est la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter M. [L] de toutes ses demandes plus amples ou contraires ;

- Condamner M. [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction est requise au profit de Maître Nicolas Duval, avocat aux offres de droit, en faisant valoir :

- que l'aval, en ce qu'il constitue un engagement cambiaire, est gouverné par le droit du change et notamment les articles L. 512-4 et L. 511-21 du code de commerce. Il est de jurisprudence constante que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde ni pour violation de l'article L. 314-4 du code de la consommation relatif au principe de proportionnalité. La Cour de cassation a renforcé sa position par un arrêt en date du 20 avril 2017, énonçant que l'avaliste ne pouvait faire grief à la banque d'avoir manqué à son devoir d'information sur les conséquences de l'aval d'un billet à ordre par rapport à celles d'une caution. En l'espèce, le tribunal de commerce de Reims a retenu de manière erronée que M. [L], avaliste, était fondé à se prévaloir de l'inexécution par le CIC Est de son obligation d'information précontractuelle découlant de l'article 1112-1 du code civil, alors que ces dispositions sont inapplicables à un engagement de nature cambiaire. Bien plus qu'un devoir d'information, le tribunal de commerce de Reims a aussi estimé que le CIC Est aurait dû expliquer à M. [L] le fonctionnement des avals et leur différence de régime avec le cautionnement. Une telle obligation, pouvant être assimilée à une obligation de conseil, ne trouve aucun fondement, tant en matière d'aval qu'en matière de cautionnement, l'établissement de crédit n'étant pas tenu de conseiller son client sur l'opportunité de son engagement, que ce dernier soit civil ou cambiaire. M. [L] connaissait enfin les rouages de l'aval, pour avoir créé et dirigé un groupe de sociétés impliquant des montages juridiques et financiers propres à édifier une expérience en la matière,

- que les dispositions de l'article 1137 alinéa 2 du code civil relatives à la réticence dolosive ne trouvent pas non plus à s'appliquer en l'espèce. Le prêt accordé à la société Troisième ligne n° 00020075304 et le billet de trésorerie ne témoignent aucunement d'une volonté malveillante du CIC Est de se prémunir contre la défaillance de son débiteur en obtenant des garanties de M. [L] dont elle ne disposait pas auparavant. Conformément à son objet social, la société Troisième ligne a sollicité auprès du CIC Est l'octroi d'une part d'un contrat de prêt pour un montant de 100 000 euros ayant pour objet le refinancement partiel du besoin en fonds de roulement lié à sa filiale, la société Troisième ligne Brand Stores et, d'autre part, d'un crédit de trésorerie au bénéfice de la société Troisième ligne. Il ressort des pièces versées aux débats que la société Troisième ligne avait initié une restructuration du groupe sous l'assistance de son conseil juridique. Ce dernier a, par courriel en date du 12 avril 2017, fait part au gestionnaire du CIC Est qu'il lui confierait les prévisionnels et que ladite restructuration devrait intervenir sous peu. M. [L] soutient à tort que cet échange témoigne de la connaissance par le CIC Est de la situation économique et financière compromise de la société Troisième ligne Brand Stores. Le CIC Est fait valoir qu'il n'a jamais été question de financer directement la société Troisième ligne Brand Stores. Dans ce type de montage juridique, la société mère peut à la fois jouer un rôle industriel et financier. Dans la majorité des cas, les sociétés mères jouent à l'égard de leurs filiales un rôle exclusivement financier, se limitant à la gestion des différentes participations financières qu'elles détiennent dans ces dernières. De telles prérogatives induisent nécessairement une action de direction et de gestion. En l'espèce, c'est bien la société mère, à savoir la société Troisième ligne, qui assurait le financement global de la restructuration. Dans de telles circonstances, il ne peut être considéré que le CIC Est aurait été informé des difficultés financières de la société Troisième ligne Brand Stores. M. [L] entretient aussi une confusion entre la société Troisième ligne et la société Troisième ligne Brand Stores en arguant du fait que le billet à ordre impayé par la société Troisième ligne a été créé postérieurement à la liquidation judiciaire de la société Troisième ligne Brand Stores. Le crédit de trésorerie a été consenti à la société Troisième ligne, de sorte que la discussion autour de la liquidation judiciaire de la société Troisième ligne Brand Stores demeure improductive. De surcroît, la société Troisième ligne Brand Stores est gérée uniquement par la société Troisième ligne et sous sa seule responsabilité. La société Troisième ligne ne saurait ainsi faire supporter au CIC Est le poids de ses propres décisions relatives à la restructuration du groupe qui se seraient, à terme, révélées inopportunes, d'autant que les banques n'ont pas vocation à s'immiscer dans les affaires de leurs clients ni à se faire juge de l'opportunité des opérations financées. M. [L] ne pouvait, quant à lui, ignorer la situation financière de la société Troisième ligne Brand Stores et s'est gardé d'en faire état au CIC Est. Il ressort du contrat de trésorerie régularisé par la société Troisième ligne que cette dernière a garanti au CIC Est qu'aucun événement ayant un effet défavorable important sur l'activité, le patrimoine ou la situation économique et financière de l'emprunteur ne serait intervenu depuis la date de clôture du dernier exercice. En se portant avaliste, M. [L] s'est ainsi nécessairement engagé en connaissance de cause. Il est de jurisprudence que le seul fait pour une banque de solliciter une garantie, quelle qu'elle soit, pour se prémunir d'un risque d'impayé ne caractérise pas une man'uvre dolosive. Enfin, M. [L] ne justifie pas que la banque aurait détenu des informations déterminantes de son consentement qu'il aurait lui-même ignorées pour lui faire signer l'aval en cause.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 juillet 2023, M. [L] demande à la cour, au visa des articles 1104 et 1137 du code civil, de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné de lever la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros correspondant au billet à ordre pour manquement à l'obligation d'information précontractuelle visée à l'article 1112-1 du code civil ;

- Prononcer l'annulation de l'aval pour dol ;

- Condamner le CIC Est à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance en exposant :

- qu'il est de jurisprudence que pour qualifier le comportement de la banque de dolosif, il convient de rechercher si l'objectif de la banque n'était pas avant tout de se prémunir contre la défaillance de son débiteur afin d'obtenir de nouvelles garanties dont elle ne disposait pas avant l'opération. Le créancier tentant d'utiliser le mécanisme du billet à ordre pour se voir rembourser dans une situation financière difficile est ainsi sanctionné en jurisprudence. En l'espèce, l'octroi par le CIC Est du crédit n° 000200753 pour un montant de 70 000 euros à la société Troisième ligne s'inscrivait dans le cadre d'une opération de crédit globale de 170 000€, comme cela est expressément stipulé dans le contrat de prêt de 100 000 euros et dont la destination était de permettre le refinancement partiel du besoin en fonds de roulement lié à la société Troisième ligne Brand Stores. Au moment où ce prêt a été octroyé, le CIC Est était informé de l'arrêt de l'activité de la société Troisième ligne Brand Stores depuis plusieurs mois, M. [L] ayant fait état, dans un courriel en date du 12 avril 2017, du transfert de l'activité de la société Troisième ligne Brand Stores à la société Troisième ligne. La société Troisième ligne Brand Stores avait un découvert de trésorerie auprès du CIC Est, pour lequel ce dernier ne disposait d'aucune garantie. La situation financière difficile de la société Troisième ligne Brand Stores créait ainsi un risque pour le CIC Est de ne pas recouvrer sa créance sur le découvert en cas de redressement judiciaire de ladite société Troisième ligne Brand Stores. C'est dans ce contexte que le CIC Est aurait octroyé un prêt à la société Troisième ligne afin de financer un prétendu besoin en fonds de roulement de la société Troisième ligne Brand Stores pour la somme de 70 000 euros tout en prenant des garanties dont elle ne disposait pas auparavant. Le reliquat du prêt à hauteur de 100 000 euros aurait également été utilisé pour rembourser un crédit de trésorerie sur la société Troisième ligne, pour lequel le CIC Est ne disposait pas non plus de garanties. Or, à cette époque, la situation de la société Troisième ligne Brand Stores était déjà obérée, comme en témoignent les extraits de comptes de la société Troisième ligne Brand Stores au 30 juin 2015 et au 30 juin 2016. Cette dernière a aussi fait l'objet d'une liquidation judiciaire directe par jugement du tribunal de commerce de Reims en date du 3 octobre 2017. Par jugement du même tribunal en date du 28 juin 2018, sa date de cessation des paiements a été rétroactivement reportée au 1er janvier 2017. En ce qui concerne la société Troisième ligne, les comptes sociaux font apparaître au 30 juin 2016 et au 30 juin 2017 des pertes, respectivement de 136 000 euros et de 587 924 euros. Il ressort d'un courriel du CIC Est en date du 17 février 2017 que ce dernier connaissait les difficultés financières du groupe. Dès lors M. [L] fait valoir que le CIC Est a mis en place un financement « artificiel » en ce qui concerne la société Troisième ligne, lui permettant à coup sûr de solder le découvert de la société Troisième ligne Brand Stores et de se garantir contre tous les risques pour lesquels elle ne disposait d'aucune garantie, en s'adjoignant des avals et cautions de M. [L]. Le crédit de trésorerie de 70 000 euros était un crédit « utilisable par escompte de billets financiers » avec un plafond de 70 000 euros autorisé et pouvant être renouvelé. Afin de bénéficier des fonds, la société Troisième ligne a été contrainte, à chaque échéance, d'émettre un nouveau billet à ordre avalisé par M. [L]. Par ailleurs, le billet à ordre impayé et déclaré au passif de la liquidation judiciaire de la société Troisième ligne a été renouvelé à de nombreuses reprises. Le dernier en date a été créé le 06 juillet 2018, soit bien après la liquidation judiciaire de la société Troisième ligne Brand Stores, ce qui prouve que la société Troisième ligne n'a jamais réussi à supporter le remboursement du découvert de sa filiale. Ce sont ainsi sept billets à ordre de 70 000 euros qui ont été successivement créés et escomptés par le CIC Est afin de résorber le découvert créé par le débit de l'échéance du précédent billet à ordre, dont le premier a été accordé à la société Troisième ligne Brand Stores par le CIC Est lui-même. Le CIC Est ne saurait non plus s'expliquer quant au fait qu'elle ait accordé un prêt dont l'objet était le refinancement partiel du besoin en fonds de roulement de la société Troisième ligne Brand Stores alors qu'il lui avait été indiqué dès le mois d'avril que cette société allait arrêter son activité. Or, sans activité, il n'y a plus de besoin en fonds de roulement à financer,

- que le procédé du CIC Est consistant à diviser l'opération en deux prêts souscrits « le même jour », l'un avec billet à ordre successifs garantis par son aval, l'autre garanti par son cautionnement solidaire, est frauduleux puisqu'il a pour unique dessein le contournement de la législation protectrice du cautionnement. Les règles protectrices relatives au cautionnement, quand bien même souscrit par un dirigeant de société, ne s'appliquent pas à l'aval, ce qu'ignorait M. [L] en l'espèce. Le CIC Est s'est aussi gardé de le lui expliquer. Or, si le CIC Est avait également sollicité le cautionnement de M. [L] pour le crédit de trésorerie n° 000200753 de 70 000 euros en plus de la caution de 120 000 euros prise « le même jour » pour le second prêt, les cautionnements auraient été disproportionnés et auraient encouru la nullité au regard des dispositions du code de la consommation. En agissant ainsi, le CIC Est a manifestement commis une faute puisqu'elle a cherché à protéger ses propres intérêts au sein de la société Troisième ligne Brand Stores en se prémunissant contre sa défaillance grâce à l'obtention de nouvelles garanties auprès de M. [L] dont elle ne disposait pas avant l'opération. M. [L] fait ainsi valoir que le CIC Est a commis une faute caractérisée, constitutive d'un dol, correspondant aux cas sanctionnés par la Cour de cassation dans de nombreux arrêts.

MOTIFS

Les articles 625 alinéa 1er et 638 du code de procédure civile disposent respectivement que 'sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé' et que 'l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation', de sorte qu'en l'espèce seul demeure litigieux le sort de l'aval du billet à ordre, les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 30 mars 2021, infirmatif de ce chef, relatives au cautionnement revêtant un caractère définitif à défaut d'avoir été atteints par la cassation partielle prononcée.

M. [L], président de la société par actions simplifiée Troisième ligne poursuit la nullité de l'aval du crédit de trésorerie de 70 000 euros consenti par la banque à ladite société le 20 juillet 2017 sous forme d'escompte de billet financier - à ordre - à raison du dol commis par la société Cic-Est, le dernier billet ainsi que l'aval étant datés du 25 mai à échéance du 6 juillet 2018.

L'article 1137 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 applicable compte tenu de la date de l'aval, dispose, en ses alinéas1 et 2, que 'Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie'.

M. [L] reproche à la banque de n'avoir eu que pour seul but, en accordant à la société Troisième ligne ce crédit de trésorerie par escompte de billet à ordre puis, le 25 juillet 2017, un prêt de 100 000 euros garanti par son cautionnement, de se constituer des garanties dont elle ne disposait pas auparavant en contrepartie de crédits seulement destinés à combler des découverts et difficultés de trésorerie déjà existants.

Il est exact et au demeurant non contesté que le montant de l'escompte renouvelé du billet à ordre accordé à la société Troisième ligne est immédiatement venu combler le découvert de sa filiale, la s.à.r.l. Troisième Ligne Brand Store, dont M. [L] était le gérant, et ce, par virement ordonné par ce dernier en présence du préposé de la somme au profit de cette dernière du 25 juillet 2017 alors que la banque ne fait pas valoir qu'elle était titulaire d'une garantie du découvert de la société Troisième ligne Brand store.

Il résulte des échanges préalables entre le préposé et M. [L] relativement à la situation difficile des comptes bancaires des deux sociétés dans les livres du Cic-Est que :

- par courriel du vendredi 17 février, la banque 'notait' que les comptes de la société Troisième Ligne Brand Store allaient être disponibles et que lorsque la liasse fiscale de la société Troisième ligne lui parviendrait, serait alors étudié la 'demande d'amortissement via le dispositif RTCE de BPI France', que le billet de trésorerie de 100 000 euros de Troisième ligne a été mis en impayé ce jour, que le compte de Troisième Ligne Brand Store est débiteur de la somme de 60 000 euros après rejet des prélèvements Urssaf, ce qui n'est pas conforme aux engagements de faire revenir le découvert à la somme de 38 000 euros et que la banque demande donc qu'il soit revenu à ce niveau 'd'ici lundi 20/01" ( lire 20 février),

- par courriel du 12 avril 2017, M. [L] exposait à la banque qu'il allait adresser sous peu 'le prévisionnel sur Troisième ligne 17-18 entre cette fin de semaine et mardi prochain + plan de trésorerie 3LBS jusqu'au 30 juin', qu'il attend le 'retour de son conseil juridique pour mettre en place la restructuration rapidement. Quoiqu'il en soit, l'ensemble de nos contrats avec tous les clubs sont reconduit sur la raison sociale Troisième ligne', que sont ensuite évoqué le sort financier de certains de ces contrats avec les clubs sportifs et que M. [L] demande la confirmation de ce que 'en dehors de la caution, pour 36 K sur le prêt [Localité 4], je n'ai pas de caution personnelle sur 3LBS '',

- que les concours ont ensuite été accordés par la banque dans les conditions dites le contrat de prêt de la somme de 100 000 euros mentionnant un total de l'opération de 170 000 euros.

Il résulte ainsi du courriel de M. [L], des concours ainsi consentis et du virement immédiat de la somme de 70 000 euros de la société Troisième ligne à la société Troisième ligne Brand store à la demande de M. [L] qu'il a expressément entendu restructurer le fonctionnement de ses sociétés en 'recentrant' l'exploitation des activités de la seconde à la première, ce qui exigeait toutefois de combler le découvert de la seconde au moyen, non seulement connu de lui mais à sa demande, du crédit par escompte du billet à ordre accordé à la première.

A supposer même que les concours aient été ainsi prévus à l'instigation de la banque, il n'en reste pas moins qu'ils étaient consentis à la demande de M. [L] qui les a souscrits à la fois ès qualités de dirigeant de chacune des sociétés et, personnellement, de caution et d'avaliste.

La caractérisation d'une réticence dolosive exige que son auteur allégué, la banque, ait dissimulé un fait déterminent du consentement à son cocontractant, en l'espèce M. [L].

Or, ce dernier ne démontre pas, alors qu'il avait nécessairement connaissance de la situation financière exacte des sociétés qu'il dirigeait et des effets attendus de la restructuration dont il a sollicité le financement et sur laquelle il était conseillé par son 'conseil juridique' au vu d'un 'prévisionnel', qu'il ignorait un élément quelconque des financements accordés ou des garanties souscrites et, plus encore, que la banque avait, par suite de circonstances exceptionnelles, connaissance d'éléments que lui-même ignorait.

Si la banque a entendu, à l'occasion du financement de la restructuration dont le financement était sollicité, se constituer des garanties dont elle ne disposait pas auparavant, c'est sans man'uvre de dissimulation sur un élément de l'opération qui aurait été déterminant du consentement de M. [L], de sorte qu'aucune dol ni réticence dolosive n'est caractérisée. M. [L] se plaint, également et en définitive, de n'avoir pas été alerté de la nature et des conséquences juridiques de l'aval donné au billet à ordre mais il ne peut utilement dès lors, d'une part, que ses qualités de président d'une société par action simplifié et de gérant d'une s.à.r.l., outre celle de gérant d'une société holding le répute averti à cet égard et, d'autre part, qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de cassation sur renvoi duquel il est statué que, s'agissant de la souscription d'un engagement cambiaire, la banque ne peut être recherchée pour un manquement à une obligation d'information, de sorte qu'aucune dissimulation ne peut lui être reprochée.

Il résulte de ce qui précède, statuant dans les limites de la saisine de la cour sur renvoi de cassation, d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Reims du 28 janvier 2020 en ce qu'il a ordonné 'de lever la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros' et en ce qu'il a débouté la société Cic-Est de ses demandes de condamnation de M. [L] au titre de l'aval et, statuant à nouveau, de condamner M. [K] [L] à payer à la société Cic-Est la somme de 70 000 euros avec intérêts au taux de 2,80 % à compter du 27 juin 2019.

Il y a lieu de condamner M. [K] [L] aux dépens de la présente instance ainsi qu'à payer à la société Cic-Est une somme que l'équité commande de limier à 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de la saisine sur renvoi de cassation,

INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Reims du 28 janvier 2020 en ce qu'il a :

- ordonné de lever la garantie bancaire pour le prêt de 70 000 euros à titre chirographaire correspondant au billet à ordre impayé N°000200753 pour un montant initiale de 70 000 euros ;

- débouté la société Cic-Est de ses demandes de condamnation de M. [L] au titre de l'aval ;

Et, statuant à nouveau de ces chefs,

DÉBOUTE M. [K] [L] de sa demande tendant au prononcé de la nullité de l'aval pour dol ;

CONDAMNE M. [K] [L] à payer à la société Cic-Est la somme de 70 000 euros avec intérêts au taux de 2,80 % à compter du 27 juin 2019 ;

CONDAMNE M. [K] [L] à payer à la société Cic-Est la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [K] [L] aux dépens de la présente instance qui seront recouvrés par Maître Nicolas Duval, comme il est disposé à l'article 699 du code de procédure civile.

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LE GREFFIER LE PRÉSIDENT