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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 18 septembre 2024, n° 23/16547

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Z (Époux)

Défendeur :

Société Générale Banque du Liban (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Sappey-Guesdon, Mme Chaintron

Avocats :

Me Lallement, Me Jarry

TJ Paris, du 6 sept. 2023, n° 22/11764

6 septembre 2023

Faits et procédure :

MM. [S] et [G] [Z] (les consorts [Z]), citoyens français, sont détenteurs indivis de deux comptes bancaires libellés en dollars américains ouverts dans les livres de la société anonyme libanaise Société générale de banque au Liban (la SGBL), à savoir :

un compte 'Sogepargne fidélité AG' n° 0101514176001840,

un compte 'livret d'épargne' n° 116926.

Les consorts [Z] font valoir que face à la restriction, instaurée par la SGBL, des retraits des déposants à la somme de 300 dollars américains par semaine pendant trois mois, puis à son refus de procéder à tout retrait, ils lui ont demandé le 6 novembre 2019, le transfert des soldes de leurs comptes bancaires vers un compte bancaire indivis, libellé en dollars américains, ouvert dans les livres de la société anonyme Société générale en France.

Par courriers recommandés avec accusés de réception du 25 mars 2022, les consorts [Z] ont mis en demeure M. [T] [J], président-directeur général de la SGBL, et Mme [D] [T] épouse [U], directrice de l'agence de la SGBL située à [Localité 10] au Liban, de procéder au transfert des soldes de leurs comptes ouverts au Liban sur le compte ouvert en France.

Par courriers recommandés avec accusés de réception du 26 avril 2022, M.[J] et Mme [U] ont affirmé être dans l'impossibilité de déférer aux demandes des consorts [Z].

Par courriers recommandés avec accusés de réception en date du 16 juin 2022, les consorts [Z] ont de nouveau vainement mis en demeure M. [J] et Mme [U] de procéder au transfert des soldes de leurs comptes au Liban sur le compte qu'ils possèdent en France.

Par exploits d'huissier du 3 août 2022, les consorts [Z] ont fait assigner M.[J], pris en son nom personnel et en sa qualité de président-directeur général de la SGBL, et Mme [U], prise en son nom personnel et en sa qualité de directrice de l'agence de la SGBL à [Localité 10] au Liban, devant le tribunal judiciaire de Paris afin 'qu'il soit fait injonction solidairement et indéfiniment', sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à la SGBL représentée par M. [J], tant en son nom personnel qu'en sa qualité de président directeur général de la SGBL ainsi qu'à la SGBL, agence de [Localité 10], représentée par Mme [U], tant en son nom personnel qu'en sa qualité de directrice de ladite agence, de leur payer les sommes suivantes :

- dix huit mille dollars américains correspondant au solde du compte n° [XXXXXXXXXX01] 'Sogepargne fidélité AG' ;

- deux cent quatre vingt un mille huit cent quatre dollars américains et quarante sept cents correspondent au solde du compte n° 116926 'livret d'épargne' ;

- dix sept mille neuf cent quatre vingt huit dollars américains et vingt quatre cents au titre des intérêts sur les sommes confisquées pour la période du 6 décembre 2019 au 6 décembre 2021.

Par ordonnance du 26 septembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des demandes formées par les consorts [Z], par assignation du 3 août 2022 ;

- invité les consorts [Z] à mieux se pourvoir ;

- condamné les consorts [Z] aux dépens de l'incident ainsi qu'à payer à la SGBL la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 23 octobre 2023, les consorts [Z] ont interjeté appel de cette ordonnance contre la SGBL, M. [J] et Mme [U].

Le même jour, les consorts [Z] ont saisi la cour d'une requête afin d'être autorisés à assigner à jour fixe la SGBL, M. [J] et Mme [U].

Par ordonnance du 26 octobre 2023, les consorts [Z] ont été autorisés à assigner à jour fixe la SGBL, M. [J] et Mme [U].

Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 décembre 2023, les consorts [Z] demandent à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue en date du 26 septembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en tant qu'il a déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître de leurs demandes formées par assignation du 3 août 2022 et les a invités à mieux se pourvoir, mais encore en ce qu'elle les a condamnés aux dépens de l'incident ainsi qu'à payer à la SGBL la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau :

- déclarer le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître de l'action introduite devant lui par eux,

- débouter la SGBL de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

Évoquant sur le fond :

Vu les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment les articles 8, 14, 17 et 18,

Vu les dispositions du code civil, notamment les articles 1315 et 1937,

Vu les dispositions du code monétaire et financier, notamment les articles L. 312-1-1, L. 312-2 ainsi que l'article R. 312-7 pris pour l'application de l'article L. 312-2,

Vu la jurisprudence des arrêts de la Cour de cassation en date du 10 mars 2015 et du 9 février 2010,

- les dire et juger recevables et bien fondés en leur demande,

- dire et juger que la SGBL, M. [J] et Mme [U] ont manqué à leurs obligations contractuelles,

- condamner la SGBL, M. [J] et Mme [U], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à leur payer les sommes suivantes :

- 18 000 dollars américains correspondant au solde du compte 'Sogepargne fidélité AG', n° 0101514176001840 ;

- 281 804,27 dollars américains correspondant au solde du compte 'livret d'épargne', n° 116926 ;

- 17 988,24 dollars américains au titre des intérêts sur les sommes confisquées pour la période du 6 décembre 2019 au 6 décembre 2021,

- assortir lesdites sommes du taux d'intérêt légal avec capitalisation des intérêts soit :

- 17 988,24 dollars au titre des intérêts sur les sommes confisquées pour la période du 6 décembre 2019 au 6 décembre 2021,

- 5 996,08 dollars au titre des intérêts sur les sommes confisquées pour la période du 6 décembre 2021 au 6 août 2022,

soit au total la somme de 341 776,83 dollars,

- condamner la SGBL, M. [J] et Mme [U] à transférer les sommes susvisées d'un montant total de 341 776,83 dollars sur un compte qu'ils possèdent dans les livres de la Société générale n° IBAN [XXXXXXXXXX09] (RIB [XXXXXXXXXX05]), BIC-Adresse Swift : [XXXXXXXXXX014], dans la devise d'origine, c'est-à-dire des dollars américains et sans qu'aucune soustraction frauduleuse de quelle que forme que ce soit ne soit commise de la part de la SGBL à l'occasion du transfert de fonds,

- condamner la SGBL à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice moral et de la situation de précarité dans laquelle ils ont été placés pendant la période de confiscation de leurs avoirs,

En tout état de cause :

- condamner la SGBL, M. [J] et Mme [U] à leur payer la somme de 10 000 euros à chacun d'eux au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la S.E.L.A.R.L. BDL avocats en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2024, la SGBL, M. [J] et Mme [U] demandent, au visa des articles 16, 85, 88, 901 et 925 du code de procédure civile, 14, 102 et suivants du code civil, L. 231-1 et L. 232-2 du code de la consommation, 6, 17, 18 et 19 du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de la 'convention de bienvenue / conditions générales' de la SGBL, à la cour de :

À titre principal :

- déclarer les consorts [Z] mal fondés en leur appel ;

En conséquence :

- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

À titre subsidiaire :

- rejeter la demande d'évocation des consorts [Z],

À titre plus subsidiaire :

- ordonner, en cas d'évocation, un renvoi de l'affaire devant le conseiller de la mise en état ;

En tout état de cause :

- débouter les consorts [Z] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner les consorts [Z] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions d'incident afin de rejet des débats notifiées par voie électronique le 10 juin 2024, les consorts [Z] demandent, au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, à la cour de :

- ordonner le rejet des débats des conclusions et des pièces notifiées pour la SGBL, M. [J] et Mme [U] en date du 7 juin 2024,

- condamner la SGBL, M. [J] et Mme [U] solidairement en paiement d'une indemnité de 5 000 euros tant à titre de dommages et intérêts pour procédure dilatoire et abusive qu'à titre d'indemnité de procédure à leur profit,

- condamner les mêmes aux entiers dépens de l'incident, dont distraction au profit de la SELARL BDL Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité des conclusions et pièces des intimés

Il ressort des dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile que :

- 'Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.' (article 15 du code de procédure civile),

- 'Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement...' (article 16 du code de procédure civile).

En l'espèce force est de constater que la SGBL, M. [J] et Mme [U] ont fait notifier leurs conclusions d'intimés par voie électronique le vendredi 7 juin 2024 en vue de l'audience du lundi 10 juin 2024, alors que les consorts [Z] ont :

- interjeté appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en date du 26 septembre 2023, par déclaration du 23 octobre 2023, à laquelle étaient jointes leurs conclusions au soutien de leur appel,

- été autorisés à assigner à jour fixe la SGBL, M. [J] et Mme [U] par ordonnance du 26 octobre 2023 et fait assigner les intimés par exploits d'huissier du 24 novembre 2023, ces assignations ayant été dénoncées le 19 décembre 2023 à l'avocat constitué pour les intimés le 14 décembre 2023,

- notifié aux intimés le 15 décembre 2023, leurs conclusions d'appel et communiqué leurs pièces.

Il en résulte que les intimés ont violé le principe du contradictoire en concluant et en communiquant leurs pièces (30) tardivement et en ne permettant pas ainsi aux appelants d'en débattre contradictoirement, de sorte que leurs pièces et écritures seront rejetées.

Sur la compétence

Sur les règles de compétence applicables

Les consorts [Z] ne critiquent pas l'ordonnance frappée d'appel en ce qu'elle statue sur la compétence par application du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après le 'règlement Bruxelles I bis'). La SGBL, partie défenderesse, a son siège au Liban et n'est donc pas domiciliée sur le territoire d'un État membre. Ils rappellent qu'aux termes de l'article 6.1 du règlement Bruxelles I bis, si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve, notamment de l'application de l'article 18 dudit règlement. Ils entendent se prévaloir de l'article 18.1 du règlement Bruxelles I bis, aux termes duquel l'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l'autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié. En vertu de l'article 17 du règlement Bruxelles I bis, la compétence, en matière de contrat conclu par un consommateur, est déterminée par la section 4 du chapitre 2 dudit règlement, notamment lorsque le contrat a été conclu avec une personne exerçant des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

Sur la qualité de consommateurs et le domicile des consorts [Z]

Les consorts [Z] font valoir qu'il n'est pas contesté qu'ils agissent, en l'espèce, en qualité de consommateurs. Ils rapportent, par ailleurs, la preuve de leur domicile en France. À ce titre, l'article 62 du règlement Bruxelles I bis renvoie aux règles nationales, soit à l'article 102 du code civil qui précise que le domicile de tout français est le lieu où il a son principal établissement, c'est-à-dire une résidence stable se déduisant d'éléments factuels tels que le lieu de paiement des impôts, l'inscription sur les listes électorales, le lieu de réception des correspondances, le lieu de travail ou celui des attaches familiales. Au titre de ses attaches familiales, M. [G] [Z] n'a plus de famille vivant au Liban en ce que ses deux fils et sa petite-fille unique, soit sa seule famille, vivent en France. M. [S] [Z] n'a pas non plus de famille vivant au Liban en ce que son père, son frère ainsi que sa nièce, soit sa seule famille, vivent en France. Le juge de la mise en état a relevé de manière erronée que les consorts [Z] ne prouvaient pas leur résidence fiscale en France à la date de leur assignation au fond, alors qu'ils versent de nombreuses pièces à cet égard. Contrairement à ce qu'a retenu le juge de la mise en état en ce qui concerne les factures afférentes au domicile principal des consorts [Z] sis [Adresse 2] dans le [Localité 15], la relative faiblesse de leur consommation d'eau et d'énergie s'explique par le fait que seul M. [G] [Z] y vit régulièrement, M. [S] [Z] est, quant à lui, fréquemment absent en raison de sa profession de steward à Air France. Enfin, le récapitulatif des charges de copropriété de l'appartement parisien des consorts [Z] démontre que les charges en eau sont incluses dans ces charges et réparties en fonction des millièmes de copropriété. C'est la raison pour laquelle les consorts [Z] ne peuvent produire de factures d'eau. C'est à bon droit qu'ils invoquent l'option de compétence de l'article 18.1 du règlement Bruxelles I bis, leur permettant de saisir la juridiction du lieu de leur domicile.

Ils soutiennent ensuite que si par extraordinaire, la cour venait à considérer qu'ils n'avaient pas leur domicile sur le territoire français, il y aurait lieu de faire application de l'article 6 du règlement Bruxelles I bis. Les comptes litigieux ayant été ouverts au Liban et les consorts [Z] étant des citoyens français, ils sont fondés à invoquer le bénéfice du privilège de juridiction prévu à l'article 14 du code civil.

Sur la direction des activités de la SGBL vers la France

Les consorts [Z] font valoir que le juge de la mise en état a retenu de manière erronée qu'ils ne rapportaient pas la preuve que la SGBL dirigeait ses activités vers la France, au sens de l'article 17 du règlement Bruxelles I bis. Il est admis par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'afin de déterminer si l'activité d'un commerçant est dirigée ou non vers un État membre, il convient de vérifier si, avant la conclusion éventuelle d'un contrat avec le consommateur, le professionnel était disposé à commercer avec des consommateurs domiciliés dans un ou plusieurs États membres, dont celui dans lequel ce consommateur a son domicile. Cette disposition à commercer se révèle, notamment, par de multiples indices démontrant une vocation internationale au service proposé. En l'espèce, les éléments contractuels entre les parties sont principalement rédigés en français. La SGBL propose, au sein de la convention d'ouverture de compte, la gestion de comptes en devises autres que la livre libanaise, notamment en euros ou dollars américains. L'activité de la SGBL a, enfin, une vocation internationale en ce que cette dernière recherche activement des clients à l'étranger, notamment en France.

Sur la clause attributive de compétence

Les consorts [Z] font valoir qu'ils sont également fondés, en vertu des articles 19.1 et 19.2 du règlement Bruxelles I bis, à se prévaloir de la prohibition des clauses attributives de compétence stipulées antérieurement à la naissance du différend, en défaveur du consommateur, et privant ce dernier de l'option de compétence dont il dispose. Il est acquis, d'une part, que leur demande de transfert des soldes de leurs comptes bancaires au Liban vers leur compte en France est antérieure à la promulgation et à l'entrée en vigueur de la loi libanaise imposant des restrictions aux banques libanaises en ce qui concerne les transferts vers l'étranger et les retraits d'espèces. D'autre part, en vertu du règlement Bruxelles I bis, un consommateur ne peut se voir opposer, dans ses rapports avec un professionnel, une clause attributive de compétence, qu'il s'agisse ou non d'un consommateur contractant de sa propre initiative. La SGBL ne peut donc valablement se prévaloir de la convention d'ouverture de compte et de la clause attributive de compétence y figurant.

Ils soutiennent enfin que la clause attributive de compétence est également nulle au regard des articles L. 212-1 et L. 232-1 du code de la consommation du fait de son caractère imprévisible, potestatif et abusif. Ils rapportent la preuve de leur domiciliation en France, de sorte qu'un lien étroit est établi avec la France, au regard de l'article L. 231-1 du code de la consommation.

L'ordonnance frappée d'appel n'est pas critiquée en ce qu'elle statue sur la compétence par application du règlement no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

La Société générale de banque au Liban, partie défenderesse, a son siège au Liban et n'est donc pas domiciliée sur le territoire d'un État membre.

Aux termes de l'article 6, paragraphe premier, du règlement du 12 décembre 2012, si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, paragraphe premier, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25.

Les consorts [Z] se prévalent en l'espèce des dispositions de l'article 18, paragraphe premier, de la section IV 'Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs' du règlement, aux termes duquel 'L'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l'autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié.'

Or, selon l'article 17, paragraphe premier, du règlement précité :

'En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6 et de l'article 7, point 5:

a) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels ;

b) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets ; ou

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.'

Il n'est pas discuté que les consorts [Z] agissent en qualité de consommateurs au sens du règlement du 12 décembre 2012.

Il convient donc de déterminer si la condition posée à l'article 17, paragraphe premier, c, est remplie en l'espèce.

Il est constant que la Société générale de banque au Liban ne possède aucune succursale ni agence en France, de sorte qu'elle n'exerce pas d'activités commerciales ou professionnelles dans l'Etat membre sur le territoire duquel les consorts [Z] prétendent avoir leur domicile, en l'espèce en France, ce qui est contesté par les intimés.

Les consorts [Z] soutiennent à cet égard que la Société générale de banque au Liban dirige ses activités vers la France au motif que :

- les éléments contractuels entre les parties sont principalement rédigés en français,

- la SGBL propose, au sein de la convention d'ouverture de compte, la gestion de comptes en devises autres que la livre libanaise, notamment en euros ou dollars américains,

- l'activité de la SGBL a, enfin, une vocation internationale en ce que cette dernière recherche activement des clients à l'étranger, notamment en France.

Cependant, le fait que la Société générale de banque au Liban propose, à destination de sa clientèle étrangère, des traductions de son site et de sa documentation contractuelle en français, ne démontre pas qu'elle dirige son activité vers la France, alors que le français est d'un usage courant au Liban, les pièces contractuelles concernant le présent litige étant d'ailleurs rédigées en arabe et en français ainsi que cela ressort de la décision du premier juge.

Le fait que la SGBL propose, au sein de la convention d'ouverture de compte, la gestion de comptes en devises autres que la livre libanaise, notamment en euros ou dollars américains, et dispose d'un site internet international, n'est pas davantage probant à cet égard.

Enfin, il est constant que les contrats d'ouverture de comptes ont été signés dans les locaux de la SGBL au Liban, à l'agence de [Localité 8], les consorts [Z] se domiciliant alors dans ce pays.

Il n'est ainsi pas démontré qu'avant la conclusion des contrats en cause, la Société générale de banque au Liban ait dirigé ses activités vers la France.

Les parties ne se trouvant pas dans le cas c, ni dans aucun autre des cas prévus par l'article 17, paragraphe premier, précité, la compétence n'est pas déterminée par la section IV 'Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs'. Il s'ensuit que l'article 18 du règlement du 12 décembre 2012 doit être écarté au profit de la loi française, conformément à l'article 6 précité.

Invoquant le bénéfice des dispositions du paragraphe 2 de ce texte, les consorts [Z] entendent se prévaloir du privilège de juridiction de l'article 14 du code civil.

Aux termes de l'article 6, paragraphe 2, du règlement du 12 décembre 2012, 'Toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui est domiciliée sur le territoire d'un État membre, peut, comme les ressortissants de cet État membre, invoquer dans cet État membre contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment celles que les États membres doivent notifier à la Commission en vertu de l'article 76, paragraphe 1, point a).'

Il ressort des dispositions de l'article 14 du code civil que : 'L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français.'

La combinaison de ces textes permet ainsi aux consorts [Z] de se prévaloir de l'article 14 du code civil, dès lors que la Société générale de banque au Liban l'est en dehors d'un État membre de l'Union européenne.

Cependant, outre le fait que la SGBL conteste que les consorts [Z] aient leur domicile en France, il ressort de l'ordonnance dont appel que la convention de bienvenue souscrite par les appelants comporte à l'article G une clause attributive de compétence libellée comme suit :

'Tout litige pouvant surgir à l'occasion de l'application ou de l'interprétation de la présente convention de compte SGBL ainsi que des produits et services y figurant sera régi par les lois libanaises et relèvera de la compétence territoriale exclusive des tribunaux de Beyrouth. Toutefois, la SGBL a la possibilité d'ester en justice par devant tout tribunal compétent, au Liban ou à l'étranger.'

C'est donc à tort que les intimés invoquent, comme l'a retenu à juste titre le premier juge, le bénéfice des dispositions de l'article 14 du code civil, dans la mesure où l'insertion d'une clause attributive de compétence dans un contrat international fait partie de l'économie de la convention et emporte renonciation à tout privilège de juridiction (1re Civ., 25 nov. 1986, no 84-17.745).

Les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites lorsqu'elles ne font pas échec à la compétence impérative d'une juridiction française et sont invoquées dans un litige de caractère international.

Les consorts [Z] ne sont pas davantage fondés à contester cette clause au regard de l'article 19 du règlement Bruxelles 1 bis, alors que ce texte n'est pas applicable en l'espèce.

Par ailleurs, les consorts [Z] ne contestent pas la validité de la clause attributive de compétence au regard du droit libanais, mais au regard du droit français en soulevant sa nullité sur le fondement des articles L. 212-1 et L. 232-1 du code de la consommation du fait de son caractère imprévisible, potestatif et abusif.

À cet égard, l'article L. 232-1 du code de la consommation dispose que :

'Nonobstant toute stipulation contraire, le consommateur ne peut être privé de la protection que lui assurent les dispositions prises par un État membre de l'Union européenne en application de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire d'un État membre.'

L'article L. 231-1 du même code dispose que :

'Pour l'application des articles L. 232-1, L. 232-2, L. 232-3 et L. 232-4, un lien étroit avec le territoire d'un État membre est réputé établi notamment :

« 1o Si le contrat a été conclu dans l'État membre du lieu de résidence habituelle du consommateur ;

« 2o Si le professionnel dirige son activité vers le territoire de l'État membre où réside le consommateur, sous réserve que le contrat entre dans le cadre de cette activité ;

« 3o Si le contrat a été précédé dans cet État membre d'une offre spécialement faite ou d'une publicité et des actes accomplis par le consommateur nécessaires à la conclusion de ce contrat ;

« 4o Si le contrat a été conclu dans un État membre où le consommateur s'est rendu à la suite d'une proposition de voyage ou de séjour faite, directement ou indirectement, par le vendeur pour l'inciter à conclure ce contrat. »

En l'espèce, les contrats ont été conclus au Liban entre deux parties se domiciliant au Liban, il n'est pas sérieusement établi que les appelants aient été démarchés en France, les contrats avaient pour objet des fonds déposés au Liban.

En outre, il a été précédemment démontré que les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que la Société générale de banque au Liban dirigeait alors son activité vers le territoire français, de sorte qu'aucun lien étroit avec le territoire national ne peut être réputé établi au regard du secundo de l'article L. 231-1 précité.

La clause attributive de compétence désigne donc valablement les tribunaux de Beyrouth, que le droit interne du Liban permet de déterminer.

L'ordonnance dont appel sera donc confirmée en toutes ses dispositions.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Au regard du sens de la présente décision, les consorts [Z] seront déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et procédure dilatoire et abusive, étant de surcroît relevé que de ce dernier chef, les intimés ne sont pas à l'origine de la procédure.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les appelants en supporteront donc la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Il n'y a pas lieu en équité à condamnation sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Rejette des débats les conclusions et pièces communiquées par la société anonyme de droit libanais Société générale de banque au Liban (SGBL), M. [T] [J] et Mme [D] [T] épouse [U] ;

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 26 septembre 2023 ;

Y ajoutant,

DEBOUTE la société anonyme de droit libanais Société générale de banque au Liban (SGBL), M. [T] [J] et Mme [D] [T] épouse [U] de leurs demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et procédure dilatoire et abusive ;

Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne MM. [S] et [G] [Z] aux dépens d'appel.