CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 18 juin 2024, n° 21/02464
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Compagnie d'assurance GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme PIRAT
Conseillers :
Mme REAIDY, M. SAUVAGE
Avocats :
SELARL PERSPECTIVES MEROTTO FAVRE, Me ZOUAOUI, Me LEDAIN
Faits et procédure
M. [S] a confié des travaux de charpente, couverture et zinguerie sur un local commercial et d'habitation lui appartenant à la société Axess Keskin Ibadet. Les travaux ont été facturés le 26 juin 2008.
Par acte authentique du 14 décembre 2012, M. [E] [V] a acquis de M. [W] [S] le bien immobilier précité, situé [Adresse 1]).
Suite à des infiltrations d'eau par la toiture de la partie habitation, M. [V] a signalé son sinistre auprès de la société Groupama Rhône-Alpes, assureur de la société Axess Keskin Ibadet.
Un rapport d'expertise amiable a été rendu le 27 septembre 2013 à la demande de la société Groupama Rhône-Alpes concluant que les infiltrations étaient dues à la mauvaise exécution d'un pan de la couverture qui ne comporte aucune pente et n'est pas recouvert d'élément d'étanchéité.
Par ordonnance du 2 juillet 2015, le présidente du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a ordonné une expertise judiciaire au contradictoire de la société Groupama Rhône-Alpes et M. [S], qui a été appelé en cause, à la demande de M. [V] et commis M. [M] [C] pour y procéder.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 6 juillet 2016.
Soutenant que la société Groupama Rhône-Alpes ne lui a pas adressé d'offre d'indemnisation, par acte extrajudiciaire du 26 septembre 2018, M. [V] a assigné la société Groupama Rhône-Alpes devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, notamment aux fins de la faire condamner à lui payer la somme de 28 729,80 euros.
Par acte d'huissier du 5 février 2019, la société Groupama Rhône-Alpes a appelé en la cause M. [S] notamment aux fins de la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Les instances ont été jointes.
Par jugement du 8 novembre 2021, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, devenu le tribunal judiciaire, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- Débouté la société Groupama Rhône-Alpes de sa demande tendant à obtenir sa mise hors de cause ;
- Débouté la société Groupama Rhône-Alpes de sa demande tendant à voir reconnue la responsabilité de M. [S] en raison de son immixtion fautive dans la réalisation des travaux de la société Axess Keskin Ibadet et le partage de sa condamnation à indemniser M. [V] ;
- Condamné la société Groupama Rhône-Alpes à payer à M. [V] la somme de 28 729,80 euros TTC au titre des travaux de reprise, outre les intérêts au taux légal qui courront à compter du prononcé du présent jugement ;
- Ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil ;
- Débouté M. [V] de sa demande de condamnation de la société Groupama Rhône-Alpes à l'indemniser de son préjudice de jouissance ;
- Condamné la société Groupama Rhône-Alpes à payer à M. [V] la somme de 3 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Groupama Rhône-Alpes à payer à M. [S] la somme de 1 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société M. [S] aux dépens lesquels comprendront les dépens de la présente instance, les dépens de l'instance en référé à l'issue de laquelle l'ordonnance du 2 juillet 2015 a été rendue ainsi que les frais de l'expertise judiciaire, avec possibilité, pour M. Sid Ahmed Zouaoui, avocat, de procéder au recouvrement des dépens dont il aura fait l'avance, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au visa principalement des motifs suivants :
M. [V] a acquis, en 2012, un local inachevé dans lequel le précédent propriétaire, M. [S], avait fait réaliser des travaux ;
M. [S] n'a fait état, au cours de l'expertise judiciaire puis durant la procédure d'aucun grief formulé à l'encontre de la société Axess Keskin Ibadet avant la vente du local ;
En dépit de l'absence de réception expresse, la volonté non équivoque du maître d'ouvrage de recevoir des travaux de société Axess Keskin Ibadet doit ainsi être constatée, dès lors la réception tacite sera fixée à la date du 26 juin 2008 ;
Aucune réception partielle des travaux litigieux n'a été réalisée ;
L'expertise judiciaire n'a d'ailleurs pas mis en évidence que les désordres seraient dus à l'inexécution de travaux ou d'ouvrages incombant à la société Axess Keskin Badet ou à d'autres lots ;
Le transfert du permis de construire avant la vente, également avancé par la société Groupama Rhône- Alpes pour contester la réalité de la réception des travaux, est donc sans emport sur le présent litige ;
La société Groupama Rhône-Alpes, qui ne peut donc valablement opposer la cause d'exclusion tirée de la prétendue faute dolosive de la société Axess Keskin Badet, ni l'absence de réception des travaux, sera tenu de fournir sa garantie décennale pour indemniser M. [V] ;
La société Groupama Rhône-Alpes, qui ne parvient pas à établir l'immixtion fautive de M. [S], sera déboutée de sa demande de participation du défendeur à son obligation contributive.
Par déclaration au greffe du 21 décembre 2021, la société Groupama Rhône-Alpes a interjeté appel de la décision en toutes dispositions, hormis en ce qu'elle a débouté M. [V] de sa demande de condamnation de la société Groupama Rhône-Alpes à l'indemniser de son préjudice de jouissance.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 15 novembre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Groupama Rhône-Alpes sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
Statuant à nouveau,
À titre principal,
- Dire et juger, en l'absence de réception des travaux et compte tenu de la faute dolosive commise par la société Axess Keskin Badet dans l'exécution de son marché, ses garanties « responsabilité civile décennale » et « préjudices immatériels consécutifs » non mobilisables ;
- Prononcer en conséquence sa mise hors de cause et rejeter l'ensemble des demandes présentées à son encontre par M. [V] ;
Reconventionnellement,
- Condamner M. [V] à lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance qui comprendront les frais d'expertise judiciaire ;
A titre subsidiaire et en tout état de cause,
- Dire et juger M. [S], de par son immixtion fautive dans les travaux de « gros 'uvre / couverture », coresponsable de la survenue des désordres d'infiltrations d'eau ;
- En conséquence, limiter dans le cadre de la contribution à la dette des coobligés, son intervention à hauteur de 50 % du coût des travaux de reprise ;
- Réduire en tout état de cause et pour tenir compte des postes de travaux inutiles, le montant de la remise en état de la charpente couverture de l'immeuble de M. [V] à hauteur de 20.506,20 euros ;
- Réduire à de plus justes proportions l'indemnité adverse au titre des frais irrépétibles et statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société Groupama Rhône-Alpes fait valoir notamment que :
Le non-respect des préconisations du permis de construire dont M. [S], en tant que maître de l'ouvrage, a pris l'initiative, matérialise le caractère fautif de son intervention sans qu'il soit nécessaire de démontrer sa connaissance de la prévisibilité des désordres d'infiltrations ;
La société Axess Keskin Badet a délibérément manqué à une obligation à laquelle elle est tenu en considération des règles de l'art et des DTU applicables et a eu conscience du caractère inéluctable de la survenue des désordres, caractérisant ainsi le dol ;
L'engagement de la responsabilité civile décennale de la société Axess Keskin Badet, suppose la survenue, à postériori de la réception des travaux, d'un désordre de nature décennale affectant l'ouvrage ;
En l'état et compte tenu de l'absence de réception, seule la responsabilité contractuelle de droit commun de la société Axess Keskin Badet est susceptible d'être engagée ;
La réception tacite des lots techniques confiés à la société Axess Keskin Badet ne sera donc pas présumée faute pour M. [V] de démontrer le règlement effectif des travaux litigieux par M. [S].
Par dernières écritures du 27 mai 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [V] sollicite de la cour de :
- Débouter purement et simplement les demandes formulées par la société Groupama Rhône-Alpes ;
- Confirmer le jugement du 8 novembre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains ;
- Ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343- 2 du code civil ;
- Condamner la société Groupama Rhône-Alpes à lui verser la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Groupama Rhône-Alpes aux entiers dépens lesquels comprendront les dépens de la présente instance les dépens de l'instance de référé ainsi que les frais d'expertise judiciaire en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, M. [V] fait valoir notamment que :
La société Groupama Rhône-Alpes ne rapporte pas la preuve d'une immixtion fautive ;
Une simple erreur au regard de la non-conformité des normes et du DTU ne permet pas de qualifier la faute de la société Axess Keskin Badet en une faute dolosive ;
Les critères de la réception tacite des travaux sont remplis en raison du paiement des travaux et de la prise de possession des locaux à la suite des travaux sans formuler la moindre remarques ou réserves.
Par dernières écritures du 2 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [S] sollicite de la cour de :
- Débouter la société Groupama Rhône Alpes Auvergne de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions formulées à son encontre ;
- Confirmer les dispositions du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains ;
- Juger qu'aucune demande de condamnation n'est formulée à son encontre en appel ; A titre subsidiaire,
- Condamner M. [V] à le relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge dans le cadre de la présente instance ;
En tout état de cause,
- Condamner in solidum la société Groupama Rhône Alpes Auvergne et M. [V] à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit de Mme Ledain, avocate.
Au soutien de ses prétentions, M. [S] fait valoir notamment que :
Ni la société Groupama Rhone Alpes Auvergne ni M. [V] ne formulent de demande de condamnation à son encontre ;
Sa responsabilité ne peut être engagée en l'espèce, compte tenu du transfert de permis de construire au profit de M. [V] et la prise en charge exclusive par ce dernier de l'achèvement des travaux, qui a donc seul qualité de maître d'ouvrage.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 5 février 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 12 mars 2024, au cours de laquelle l'irrecevabilité des conclusions de M. [V] a été soulevée au visa des articles 1635 bis P du code général des impôts, 963, 964 et 930-1 du code de procédure civile. Un délai de 10 jours a été imparti à l'intimé pour déposer une note en délibéré. Aucun élément n'est parvenu à la cour d'appel avant le 22 mars 2024.
MOTIFS ET DECISION
I- Sur l'irrecevabilité des conclusions de M. [E] [V]
L'article 963 du code de procédure civile prévoit que 'lorsque l'appel entre dans le champ d'application de l'article 1635 bis P du code général des impôts, les parties justifient, à peine d'irrecevabilité de l'appel ou des défenses selon le cas, de l'acquittement du droit prévu à cet article', sauf en cas de demande d'aide juridictionnelle.
Il résulte en outre de l'article 126 du code de procédure civile que le défaut de paiement de ce droit peut être régularisé jusqu'à ce que le juge statue (2e Civ. 25 mars 2021, pourvoi n°20-11.039), l'irrecevabilité ne pouvant être prononcée qu'après avis à la partie défaillante dans la justification de l'acquittement de son obligation de régulariser la situation, par avis du greffe et après été mis en mesure de faire valoir ses obligations sur cette fin de non-recevoir soulevée d'office (2e Civ. 11 janvier 2018, pourvoi n°16-27.614, 2e Civ. 20 mai 2021, pourvoi n°19-25.949).
En l'espèce, la procédure relève de la représentation obligatoire par avocat, soit de l'acquittement par les parties appelantes et intimées du timbre fiscal de 225 euros prévu pour l'indemnisation de la profession des avoués près les cours d'appel, et l'intimé, qui justifie du bénéfice de l'aide juridictionnelle pour une procédure 'appel avec référé ou recours devant le premier président statuant en procédure accélérée', mais non pour la présente procédure d'appel au fond, a été destinataire de deux avis du greffe, le premier du 14 février 2022 et le second avis du 22 février 2024 lui rappelant l'obligation de s'acquitter de ce timbre ainsi que la sanction encourue, et a été destinataire d'un message RPVA le 12 mars 2024, lui accordant un délai de 10 jours pour faire valoir ses observations sur la fin de non-recevoir soulevée d'office par la juridiction.
En l'absence de régularisation du timbre fiscal prévu à l'article 1635 bis P du code général des impôts avant l'audience de plaidoiries et en application de l'article 963 et 964 du code de procédure civile, les conclusions de M. [E] [V] notifiées le 17 février 2022 ne sont pas recevables.
II- Sur l'existence d'une réception
Il est de droit que la cour d'appel qui n'est pas saisie de conclusions par l'intimé doit, pour statuer sur l'appel, examiner les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de cette partie en première
instance ; la cour d'appel doit donc statuer sur les prétentions de première instance de l'intimé dont les conclusions sont déclarées irrecevables, lorsque ces prétentions ont été accueillies par les premiers juges ; elle ne doit examiner que celles des prétentions de l'intimé qui avaient été accueillies en première instance.
L'article 1792-6 alinéa 1 du code civil dispose 'la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.'
Cet article n'exclut pas la possibilité d'une réception tacite, qui se présume lorsque deux éléments sont réunis : la prise de possession par le maître d'ouvrage sans protestations, caractérisant la volonté non- équivoque d'accepter les travaux et le paiement intégral de l'entreprise (3e Civ. 30 janvier 2019, pourvoi n°18-01.197, 3e Civ. 18 avril 2019, pourvoi n°18-13.734, 3e Civ. 1er avril 2021, pourvoi n°19-25.563).
Il n'appartient pas à un expert de se prononcer sur les éléments permettant de retenir une réception tacite ou non, à ce sujet, la société Saretec énonce en page 4 de son rapport amiable 'la réception a été prononcée de manière tacite par paiement des factures', et M. [C], au sein de son expertise judiciaire en page 10 'il n'y a pas eu de réception ni de déclaration des travaux', sans toutefois qu'il justifie avoir connaissance du paiement ou non de la facture de l'entreprise Axess Keskin Ibadet.
C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que le premier juge a retenu :
- que les travaux de charpente, couverture, ferblanterie de la société Axess Keskin Ibadet ont fait l'objet d'un devis accepté le 9 juin 2008, et d'une facture du 26 juin 2008 portant la mention 'payé' accompagnée d'une signature ;
- que la signature présente sur la facture ne correspond ni à la signature de M. [S], ni à celle de M. [V], en comparaison avec les exemplaires figurant sur l'acte notarié du 14 décembre 2012, de sorte qu'il est bien démontré que cette signature, émanant du créancier, attestait du paiement effectué par le débiteur ;
- que la réception d'un lot sans attendre l'achèvement complet des travaux est admise (3e Civ. 2 février 2017, pourvoi n°14-19.279), et que M. [S], maître d'ouvrage au moment de la réalisation des travaux de charpente-couverture, n'a formulé aucun grief et aucune réclamation envers la société Axess ;
- que la réception tacite des travaux de la société Axess doit être retenue à la date du 26 juin 2008.
III- Sur l'existence de désordres de nature décennale
L'article 1792 du code civil dispose 'Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses équipements, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le contructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.'
L'expert judiciaire désigné, M. [C], a retenu dans son rapport 'un non-respect du permis de construire et une non-conformité aux normes de construction', et que 'le petit pan arrière est maintenant avec une pente de 4 à 5% non conforme au permis de construire', à l'origine d'infiltrations en toiture puisque 'pour la pose de petits éléments, il est nécessaire de respecter une pente minimum de 29% pour être conforme au DTU 40.24.' et enfin 'le local est impropre à destination', et 'à terme, la toiture arrière est condamnée à sa ruine.'
Les désordres, correspondant à des infiltrations du pan arrière de la toiture présentant une pente insuffisante, sont bien de nature décennale. Il n'est pas soutenu que ces désordres étaient apparents lors de la réception, M. [V] et M. [S] datent leur apparition de décembre 2012, et le rapport amiable de la société Saretec réalisé en septembre 2013 relate 'nous constatons l'existence de champignons sur les éléments de charpente qui permettent de penser que les infiltrations ont débuté depuis plusieurs mois, mais il n'est pas possible de déterminer la date exacte.' S'agissant de désordres de nature décennale apparus après la réception, la garantie de la société Axess Keskin Ibadet et celle de son assureur la société Groupama Rhône Alpes, est acquise.
IV- Sur les exclusions de garantie et immixtion fautive du maître d'ouvrage
L'assurance responsabilité décennale est une assurance obligatoire, relevant de l'article 241-1 du code des assurances, et l'assureur ne dispose que d'un nombre limité de cas d'exclusions pouvant être opposées au maître d'ouvrage sinistré pour refuser la prise en charge du dommage. Il s'agit selon l'annexe II de l'article A243-1 de l'exclusion des 'dommages résultant exclusivement : a) du fait intentionnel ou du dol du souscripteur ou de l'assuré, b) des effets de l'usure normale, du défaut d'entretien ou d el'usage anormal, c) de la cause étrangère.'
C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive et exempte d'insuffisance que le premier juge a retenu :
- que les propos tenus par le gérant de la société Axess Keskin Ibadet par téléphone à la société Saretec construction, auteur d'un rapport d'expertise amiable pour le compte de l'assureur 'expliquant qu'il a été mis devant le fait accompli en constatant que la maçonnerie ne lui permettait pas de respecter une pente de 40% à l'arrière du bâtiment et qu'il a été contraint par le maître d'ouvrage à réaliser les travaux tel quel sous peine de ne pas être payé' ne sont corroborés par aucun autre élément permettant leur prise en compte ;
- qu'il appartenait à la société Axess Keskin Ibadet soit de refuser son concours aux travaux sollicités, soit d'obtenir un accord écrit du maître d'ouvrage pour la réalisation de travaux non conformes au DTU et susceptibles d'entraîner des désordres ;
- qu'il convient de rajouter que la compétence de M. [S] dans ce domaine précis de la construction, n'est pas établie, celui-ci étant, selon l'acte de vente signé avec M. [V], plombier ;
- qu'il appartenait à la société Groupama de rapporter la preuve, non seulement du manquement délibéré de l'assuré à une obligation de respect des règles de l'art et du DTU applicable, mais également de la conscience de l'assuré du caractère inéluctable de la survenue des désordres sans pour autant rechercher le dommage à venir (3e Civ. 30 mars 2023, pourvoi n°21-21.084), ;
- que l'expert Saretec a, sur ce point, rapporté les propos tenus au téléphone par la société Axess Keskin Ibadet 'il (le gérant) nous dit lui (M. [S]) avoir indiqué que les tuiles n'étaient pas faites pour couvrir des toitures de pente nulle et qu'il s'exposait à des infiltrations', qu'il convient là encore de retenir que ces dires ne sont que rapportés, indirectement, au sein d'une expertise non contradictoire et non corroborés par un quelconque élément extérieur, rien ne permettant d'affirmer que la société Axess a avisé le maître d'ouvrage avant réalisation des travaux du risque d'infiltrations.
En conséquence, les exclusions de garantie opposées par la société Groupama, qui ne démontre ni une faute dolosive de son assurée, ni une immixtion fautive du maître de l'ouvrage, seront rejetées.
V- Sur les préjudices
M. [C], expert judiciaire, a décrit, dans son rapport du 6 juillet 2016, de la façon suivante les travaux de reprise devant être réalisés :
'- dépose complète du pan arrière y compris les éléments de structure dont certains sont apparus dégradés par l'humidité,
- réfection d'une structure en bois massif avec pannes contrecollées et chevrons pour recevoir un plancher avec une pente de 5%,
- couverture en grandes feuilles de zinc avec joint debout posée avec l'incorporation d'un film parepluis entre le plancher et la feuille de zinc, parepluie qui sera raccordé très largement sur le parepluis du grand pan avec démontage de sa partie supérierue de la toiture sur deux rangées de tuiles pour réaliser ce recouvrement étanche du faîtage,
- isolation entre chevrons avec pare vapeur,
- lambris d'habillage parallèles aux apnnes porteuses.'. Il a en outre, dans son annexe 9b, rectifié le devis de réparation du 15 mai 2016 obtenu de la société TM74, en supprimant des postes de travaux la pose de lambris et celle d'une isolation laine de roche 200 mm pour admettre le montant de 28 729,80 euros TTC comme base de calcul, en indiquant également 'ce devis reprend une surface de 90 m2 de
couverture avec réfection de la charpente. Le bâtiment actuel est d'une surface de toiture de 85m2 dont 20m2 pour le pan arrière qui doit être refait.'
La prétention de la société Groupama Rhône Alpes de voir réduire le coût des travaux en considération du poste de remplacement des tuiles calculé pour 90m2 alors que 20 à 25m2 seulement sont nécessaires, sera donc accueillie. La somme de 20 506,20 euros TTC sera retenue comme satisfactoire pour l'indemnisation du dommage de M. [V].
VI- Sur les mesures accessoires
Succombant partiellement en son appel, la société Groupama Rhône Alpes Auvergne supportera les dépens de l'instance, ainsi qu'une indemnité procédurale de 1 000 euros au bénéfice de M. [S]. Il n'apparaît enfin pas inéquitable de rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par M. [S] à l'encontre de M. [E] [V].
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare les conclusions d'intimé de M. [E] [V] irrecevables en application de l'article 963 du code de procédure civile,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a condamné la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à M. [E] [V] la somme de 28 729,80 euros TTC au titre des travaux de reprise, outre les intérêts au taux légal qui courront à compter du prononcé du présent jugement,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à M. [E] [V] la somme de 20 506,20 euros TTC au titre des travaux de reprise, outre les intérêts au taux légal qui courront à compter du prononcé du jugement du 8 novembre 2021,
Y ajoutant,
Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux dépens de l'instance d'appel, avec distraction au profit de Me Ledain,
Condamne la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à M. [W] [S] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus de la demande de M. [W] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de M. [E] [V].
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.