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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 19 septembre 2024, n° 23/04120

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lvmh Swiss Manufactures (SA), Tag Heuer (Sté)

Défendeur :

Logo (SAS), Mj Synergie (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Laffly, Me Verfaillie Tanguy, Me Moïse, Me Bremond, Me Sourbe, Me Bolland-Blanchard, Me Gonnet, Me Aguiraud, Me Scarfogliero

T. com. Lyon, du 30 nov. 2018, n° 2017jc…

30 novembre 2018

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 6 septembre 1999, la société Logo et la société de droit suisse TAG Heuer ont conclu un contrat de licence portant sur la marque « TAG Heuer », qui a été renouvelé plusieurs fois. En cours d'exécution de ce contrat, la société TAG Heuer est devenue une succursale de la société anonyme de droit suisse LVMH Swiss Manufactures SA (la société LVMH).

Par courrier du 18 décembre 2015, la société TAG Heuer a notifié à la société Logo le non-renouvellement du contrat à effet du 31 décembre 2017, date de son échéance contractuelle, du fait de défaillances dans l'exécution du contrat.

Par jugement du 12 mai 2016, la société Logo, qui a été déclaré en cessation des paiements en mentionnant notamment une créance litigieuse de TAG Heuer d'un montant de 1.015.928 euros, a été placée en redressement judiciaire. La société MJ Synergie - mandataires judiciaires (la société MJ Synergie) a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Le 2 juin 2016, « TAG Heuer, succursale de LVMH Swiss Manufacture, société anonyme de droit suisse, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Neuchâtel (Suisse) » a déclaré sa créance et demandé son admission à titre chirographaire. Cette déclaration de créance a été réduite en son montant, et ainsi portée à la somme de 2.402.714,91 euros, par une déclaration modificative du 9 septembre 2016.

Le 15 novembre 2016, la procédure collective de la société Logo a été convertie en liquidation judiciaire. La société MJ synergie, désignée en qualité de liquidateur judiciaire, a informé la société TAG Heuer de la contestation de sa créance.

Le juge-commissaire ayant été saisi de cette contestation, la société LVMH est intervenue volontairement à l'instance le 15 mai 2017 et lui a demandé d' « admettre la créance déclarée par LVMH Swiss Manufactures pour un montant total de 2.402.714,91 euros à titre chirographaire ».

Par ordonnance du 30 novembre 2018, le juge-commissaire :

' a pris acte de ce que le liquidateur judiciaire ès-qualités s'en remet à justice,

' s'est déclaré compétent pour statuer sur les exceptions de nullité soulevées,

' a déclaré nulles les déclarations de créances des 2 juin et 22 décembre 2016, y compris la déclaration rectificative du 9 septembre 2016,

' a rejeté la demande d'admission pour un montant de 2.402.714,91 euros au titre de ces déclarations de créance,

' a pris acte de l'intervention volontaire de LVMH,

' a admis au passif de Logo la créance de 1.015.928,19€ à titre chirographaire de LVMH,

' a déclaré irrecevable la demande d'admission au titre de la créance d'indemnité de résiliation,

' a dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

' a ordonné la notification de l'ordonnance, sa mention sur la liste des créances et son dépôt au greffe,

' et a tiré les dépens en frais de procédure.

Les sociétés LVMH Swiss manufactures, TAG Heuer et Logo ont interjeté appel.

Par arrêt du 27 mai 2021, la cour d'appel de Lyon a :

- confirmé l'ordonnance déférée du 30 novembre 2018 en ce que le juge commissaire :

' a pris acte de l'intervention volontaire de la société LVMH Swiss Manufactures SA,

' a pris acte de ce que la SELARL MJ Synergie représentée par Me [X] [F] ès qualités de mandataire judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société Logo s'en remet à justice,

' s'est déclaré compétent pour statuer sur les exceptions de nullité soulevées relativement à la créance déclarée à hauteur de 2.402.714,91 euros,

' a déclaré nulles les déclarations de créances des 2 juin et 9 septembre 2016 (sauf sur sa mention de la déclaration de créance du « 22 décembre 2016 ») de la société LVMH Swiss Manufactures SA,

' a en conséquence rejeté la demande d'admission de la créance de 2.402.714,91 euros,

- infirmé sur le surplus, statuant à nouveau et ajoutant,

- rejeté la demande d'infirmation des sociétés LVMH Swiss Manufactures SA et TAG Heuer à propos de la créance de 1.362.441,89 euros et dit que cette créance est étrangère à la cause,

- rappelé qu'est également étrangère à la cause la déclaration de créance à hauteur de 428.936 euros concernant des royautés sollicitées par TAG Heuer au titre de la période d'observation,

- rejeté la demande formée par la société LVMH Swiss Manufactures SA en admission d'une créance de 1.015.928,19 euros dite déclarée par Logo,

- rejeté l'incident de communication de pièces soulevé par la société LVMH Swiss Manufactures SA et TAG Heuer,

- rejeté la demande de mise hors de cause formée par M. [Z],

- rejeté les demandes de M. [Z] en dommages-intérêts et en prononcé d'une amende civile,

- condamné la société LVMH Swiss Manufactures SA à verser à la société Logo une indemnité de procédure de 5.000 euros,

- rejeté les demandes d'indemnités de procédure formées par LVMH Swiss Manufactures SA et M. [Z],

- condamné LVMH Swiss Manufactures SA aux entiers dépens.

Les sociétés LVMH Swiss manufactures et Tag Heuer ont formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt du 19 avril 2023 (pourvoi n° 21-20.183), la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel de Lyon, et renvoyé l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

La Cour de cassation a dit qu'il appartenait au juge, d'une part, de se référer au droit suisse, droit du contrat, pour identifier le titulaire de la créance, d'autre part, de prendre en considération la ratification des déclarations de créances qui avait été expressément effectuée par la société LVMH dès sa comparution devant le juge-commissaire puis dans ses conclusions d'appel.

Par déclaration de saisine du 15 mai 2023, la société LVMH et sa succursale Tag Heuer ont saisi la cour d'appel de renvoi.

Par ordonnance du 10 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures n° RG 23/04276 et 23/04120 sous le numéro 23/04120.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 11 juillet 2023, la société LVMH Swiss manufactures et sa succursale Tag Heuer demandent à la cour, au visa des articles 699 et 700 du code de procédure civile et des articles L. 622-6, L. 622-17, L. 622-24, L. 624-2, L. 641-11-1, L. 641-13 et R. 624-5 du code de commerce de :

- recevoir les concluantes en leur appel,

in limine litis

- se déclarer incompétente sur le fond mais uniquement pour la créance déclarée le 2 juin 2016 rectifiée le 9 septembre 2016,

- inviter les parties à mieux se pourvoir sur le fond au vu de la clause compromissoire figurant au contrat de licence pour voir fixer le montant de la créance de LVMH Swiss manufactures au passif de la société Logo,

- infirmer l'ordonnance querellée, en ce qu'elle a :

' déclaré nulle la déclaration de créance en date du 2 juin 2016, rectifiée le 9 septembre 2016, d'un montant de 2.402.714,91 euros,

' rejeté la demande d'admission pour un montant de 2.402.714,91 euros au titre de cette déclaration de créance,

' admis au passif de la société Logo la créance de 1.015.928,19 euros à titre chirographaire de la société LVMH Swiss manufactures SA,

' déclaré irrecevable la demande d'admission au titre de la créance d'indemnité de résiliation,

' dit qu'il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant a nouveau sur ces chefs,

A titre principal comme demande in limine litis

- se déclarer incompétente sur le fond mais uniquement pour la créance déclarée le 2 juin 2016 rectifiée le 9 septembre 2016,

- inviter les parties à mieux se pourvoir sur le fond au vu de la clause compromissoire figurant au contrat de licence pour voir fixer le montant de la créance de LVMH Swiss manufactures.

A titre subsidiaire, s'il advenait que la cour s'estime compétente sur le fond,

- admettre la créance de LVMH Swiss manufactures au passif de logo à titre chirographaire pour un montant de 2 402 714,91euros.

A titre infiniment subsidiaire, s'il advenait que la cour confirme l'ordonnance querellée en ce qu'elle a déclaré nulle la déclaration de créance du 2 juin 2016, rectifiée le 9 septembre 2016,

- admettre au passif de Logo la créance déclarée par Logo pour le compte de LVMH Swiss manufactures à titre chirographaire pour un montant de 1.015.928,19 euros,

En tout état de cause,

- prononcer la jonction des instances enrôlées sous les numéros RG 23/0412 et 23/04276 telle que sollicitée par courrier en date du 21 juin 2023 auprès du conseiller de la mise en état et régularisé par RPVA le même jour,

- juger n'y avoir lieu à statuer en ce que sont étrangers à la cause :

' la déclaration de créance du 23 mai 2017, de 1.362.441,89 euros relative à l'indemnité de résiliation du contrat de licence,

' le courrier du 22 décembre 2016, de 428.963 euros relatif aux royautés dues par la société Logo au titre de la période d'observation,

- débouter la société Logo de son appel et de l'ensemble de ses demandes, notamment concernant (i) la déclaration de créance (indemnité de résiliation) et le courrier (royauté de période d'observation) précités et (ii) la prétendue nullité de la déclaration de créance du 2 juin 2016, rectifiée le 9 septembre 2016,

- débouter monsieur [Z] de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes,

- condamner monsieur [Z] au paiement d'une somme de 20.000 euros au profit de LVMH swiss manufactures sa sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [Z] au paiement des entiers dépens,

- juger que les dépens pourront être directement recouvrés par la selarl Laffly et associés ' Lexavoué Lyon, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 7 juin 2024, la société Logo demande à la cour, au visa des articles 32, 117 et 122 du code de procédure civile et des articles L.622-24, R.622-24, L.624-1 et R.624-1 du code de commerce, de :

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 30 novembre 2018 en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur les exceptions de nullité soulevées par logo,

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 30 novembre 2018 en ce qu'il a déclaré nulles les déclarations de créances en date des 2 juin et 22 décembre 2016, en ce compris la déclaration rectificative du 9 septembre,

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 30 novembre 2018 en ce qu'il a rejeté la demande d'admission pour un montant de 2.402.714,91 euros à titre chirographaire de la société LVMH Swiss manufactures sa correspondant aux royautés dues à l'ouverture de la procédure collective,

Y ajoutant,

- déclarer irrecevable les déclarations de créances en date des 2 juin et 22 décembre 2016, en ce compris la déclaration rectificative du 9 septembre en ce qu'elles ont été réalisées par une entité (la succursale Tag Heuer) dépourvue de toute personnalité juridique et donc de droit à agir,

En conséquence,

- rejeter les créances produites par la succursale Tag Heuer aux termes de ses déclarations des 2 juin et 22 décembre 2016, en ce compris la déclaration rectificative du 9 septembre,

- infirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 30 novembre 2018 en ce qu'il a admis au passif de la société Logo une créance chirographaire échue d'un montant de 1.015.928,19 euros au profit de la société LVMH Swiss manufactures,

En tout état de cause,

- rejeter toutes les demandes d'admission au passif de la société Logo formulées par la succursale Tag Heuer et/ou la société LVMH Swiss manufactures,

- condamner la société LVMH Swiss manufactures sa à payer à la société Logo la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société LVMH Swiss manufactures aux entiers dépens de première instance et d'appel.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 11 septembre 2023, la selarl MJ synergie, ès-qualités, demande à la cour, de :

- juger que la selarl MJ synergie mandataires judiciaires déclare ne pas s'opposer à l'admission de la créance déclarée par la société Tag Heuer,

- juger que la selarl MJ synergie mandataires judiciaires déclare ne pas s'opposer à la position soutenue par la société Logo dans l'exercice de ses droits propres,

- juger que la selarl MJ synergie mandataires judiciaires entend demeurer totalement neutre dans le cadre de cette instance.

***

M. [Z], à qui la déclaration de saisine a été signifiée par acte du 26 juin 2023, n'a pas notifié de nouvelles conclusions. Aux termes de ses dernières conclusions avant cassation, notifiées le 13 mars 2020, M. [Z] demande à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, R.624-4 du code de commerce sur renvoi de l'article R. 641-28 du même code, et 3261 du code de procédure civile, de :

- constater le défaut du droit d'agir des sociétés LVMH et TAG Heuer à son encontre ;

En conséquence,

- dire et juger irrecevable l'action engagée par les sociétés LVMH et TAG Heuer à son encontre et prononcer sa mise hors de cause ;

- condamner solidairement les sociétés LVMH et TAG Heuer à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une amende civile à déterminer par la cour d'appel ;

En toute hypothèse,

- débouter les sociétés LVMH et TAG Heuer de leurs demandes, fins et conclusions à son égard ;

- condamner solidairement les sociétés LVMH et TAG Heuer à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner en outre solidairement aux entiers dépens de l'instance.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 juin 2024, les débats étant fixés au 20 juin 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de jonction des procédures

La jonction des procédures n° 23/04120 et n° 23/04276 a été ordonnée par décision du conseiller de la mise en état en date du 10 octobre 2023, de sorte que la demande formée à ce titre par la société LVMH et sa succursale Tag Heuer est sans objet.

Sur l'objet du litige

Dans son ordonnance du 30 novembre 2018, le juge-commissaire a déclaré nulle la déclaration de créance du 22 décembre 2016.

Or, la lettre du 22 décembre 2016 porte à la connaissance du liquidateur judiciaire le montant des redevances échues au titre du contrat de licence pendant la période d'observation. Cette somme de 428.936 euros relève ainsi des dispositions de l'article L. 641-13 du code de commerce et ne fait donc pas l'objet du présent litige. Il convient de dire que cette créance est étrangère à la cause.

Quant à la créance d'indemnité de résiliation, d'un montant de 1.362.441,89 euros, le juge-commissaire l'a déclarée irrecevable au motif qu'il n'en était pas saisi.

Il résulte des éléments produits aux débats que cette créance, déclarée le 23 mai 2017, a fait l'objet d'une procédure de vérification de créances distincte, suivant ordonnance du juge-commissaire du 1er juillet 2020 confirmée par arrêt du 11 mars 2021, le pourvoi contre cet arrêt ayant été rejeté par décision de la Cour de cassation du 18 janvier 2023. Cette créance ne fait donc pas davantage partie du présent litige et sera ainsi déclarée étrangère à la cause, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.

Dès lors, seules sont en débat la déclaration de créance du 2 juin 2016 et la déclaration rectificative du 9 septembre 2016.

Sur la compétence de la cour d'appel

La société LVMH et sa succursale Tag Heuer font valoir que la régularité de la déclaration de créance relève de la compétence du juge commissaire, et partant de la cour d'appel, mais que le contrat de licence contient une clause compromissoire au bénéfice d'un tribunal arbitral formé conformément au règlement d'arbitrage OMPI ; que cette clause ne laisse place à aucune interprétation et que la cour est incompétente pour statuer sur le bien-fondé et le montant de la créance objet de la déclaration de créance, au profit du tribunal arbitral.

La société Logo fait valoir qu'elle soulève la nullité et l'irrecevabilité des déclarations de créances en dehors de tout débat au fond, que ces points relèvent de la compétence du juge-commissaire, et ainsi, par l'effet dévolutif, de la compétence de la cour d'appel de Lyon.

Sur ce,

Selon l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, applicable au litige, 'le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence.'

Il en résulte que le juge-commissaire et, sur recours, la cour d'appel, sont seuls compétents pour statuer sur la régularité de la déclaration de créances.

En l'espèce, le litige porte sur la régularité et la recevabilité des déclarations de créances formées par la succursale Tag Heuer. Dès lors, il convient de confirmer l'ordonnance du juge-commissaire en ce que celui-ci s'est déclaré compétent pour statuer sur les exceptions de nullités soulevées par la société Logo.

Ce n'est que si les déclarations de créances sont jugées recevables et régulières, que les parties seront invitées à saisir le tribunal arbitral afin qu'il statue sur la contestation au fond, dès lors qu'une clause compromissoire est prévue à l'article 16 du contrat de licence du 1er janvier 2007 et qu'en conséquence la présente cour est dénuée de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation de créance au fond.

Sur la régularité des déclarations de créances

La société LVMH et sa succursale Tag Heuer font valoir que :

- la cour de cassation a considéré qu'il appartenait à la cour d'appel de Lyon de se référer au droit suisse du contrat pour identifier le titulaire de la créance, et de prendre en considération la ratification des déclarations de créances expressément effectuées par la société LVMH dès sa comparution devant le juge-commissaire et dans ses conclusions d'appel,

- la qualité de créancier de l'auteur de la déclaration de créance ne peut être appréciée qu'au regard de la loi de la source de la créance ; la société LVMH est une société de droit suisse, sa succursale Tag Heuer relève du droit suisse et la créance a été déclarée sur le fondement du droit suisse conformément à l'article 16 du contrat de licence ; il en résulte que la loi source des créances est la loi suisse ;

- en application du droit suisse, la succursale TAG Heuer fait juridiquement partie intégrante de la société LVMH Swiss Manufactures SA ; elle a été l'émettrice des factures adressées à la société Logo et a été partie au dernier avenant au contrat de licence conclu avec la société Logo, de sorte qu'elle est bien créancière de cette dernière, même si elle n'a pas la capacité de faire valoir ses droits de créance en justice ;

- la succursale Tag Heuer étant créancière de la société Logo, elle a qualité pour déclarer des créances tant en son nom qu'au nom de la société LVMH dont elle fait partie intégrante ; l'identité de la société LVMH Swiss Manufactures SA ressort clairement des bordereaux de déclaration de créance ;

- une déclaration de créance est un acte conservatoire et non une action en justice ; or, en droit suisse, une succursale ne peut pas ester en justice mais peut accomplir des actes conservatoires,

- si par extraordinaire la cour devait constater que la succursale TAG Heuer a déclaré la créance uniquement en son nom, il demeure qu'elle avait qualité pour exercer l'acte conservatoire qu'est devenue la déclaration de créance,

- si TAG Heuer n'avait pas qualité pour déclarer la créance, il demeure que cet acte conservatoire a été régularisé par la société LVMH, par voie de ratification le 12 mai 2017 par son conseil d'administration,

- en tout état de cause, même sans cet acte de ratification, la déclaration de créance avait fait l'objet d'une ratification implicite par la société LVMH du fait de sa demande d'admission dans le cadre de la contestation de créance ; la régularisation de la déclaration de créance par voie de ratification est valable tant en droit suisse que français ;

- la créance de 2.402.714,91 euros à titre chirographaire a été déclarée dans les délais impartis ; il ne faut pas confondre la lettre de la concluante au liquidateur du 22 décembre 2016 qui porte à sa connaissance une créance au titre de redevances dues par l'intimée durant la période d'observation avec une déclaration de créance ; cette créance postérieure n'est pas l'objet du présent litige et ne peut faire l'objet d'une annulation.

La société Logo réplique que :

- selon le droit suisse, la succursale TAG Heuer n'a pas de personnalité juridique et donc aucune capacité à agir en justice ni aucun patrimoine propre ; or, une déclaration de créance est une demande en justice et un acte de procédure ;

- seul le droit français est applicable s'agissant des conditions de validité et de recevabilité des déclarations de créances ;

- le défaut de capacité juridique de la succursale TAG Heuer entraîne la nullité par irrégularité de fond des déclarations de créances qu'elle a déposées, ainsi que l'irrecevabilité des déclarations de créance ;

- les déclarations de créances sollicitent toutes l'admission de la succursale TAG Heuer au passif de la concluante, en son nom propre ; elles n'ont pas été faites au nom et pour le compte de la société LVMH Swiss Manufactures SA ; n'ayant pas de patrimoine propre, la succursale TG Heuer ne peut avoir la qualité de créancier de la société Logo, de sorte que les déclarations de créance sont irrecevables ;

- la théorie des vices réparables du droit suisse n'est pas applicable car c'est à la loi procédurale française de régler cette question ;

- la succursale TAG Heuer n'a pas la capacité de contracter un contrat de mandat ; elle n'est pas une personne physique pouvant justifier d'une délégation de pouvoir de sorte qu'elle ne peut pas être préposée de la société LVMH ; il n'était donc pas possible de ratifier a posteriori ses déclarations de créances ;

- la ratification n'a aucune incidence sur l'irrecevabilité des déclarations de créances puisqu'elle intervient après l'expiration du délai de forclusion ; même à la supposer possible, elle est donc tardive et inefficace.

Sur ce,

Il résulte de l'article 4.2.H) du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, que, si la loi de l'Etat d'ouverture de la procédure collective détermine les règles concernant la production, la vérification et l'admission des créances, il appartient à la loi de la source de celles-ci de définir la qualité de créancier.

Il s'en déduit en l'espèce que, les créances en cause étant fondées sur le contrat de licence lequel, en vertu de son article 16, est soumis au droit suisse, la détermination du titulaire de ces créances relève du droit suisse. En revanche, la détermination de la personne ayant capacité à déclarer les créances relève du droit français dès lors que la procédure collective de la société Logo a été ouverte en France.

Par ailleurs, l'article L. 622-24, alinéa 2, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, applicable au litige, prévoit que 'la déclaration des créances peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix. Le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu'à ce que le juge statue sur l'admission de la créance.'

Il est désormais jugé, sur le fondement de ce texte, qu'un créancier peut ratifier, sans forme particulière pour cette ratification qui peut être implicite, une déclaration de créance effectuée par un tiers dénué de pouvoir.

En l'espèce, postérieurement à la signature du contrat de licence du 1er janvier 2007, Tag Heuer est devenue une succursale de la société suisse LVMH.

Il résulte des consultations juridiques produites aux débats et des conclusions concordantes des parties sur ce point, qu'en droit suisse, la succursale n'a pas la personnalité juridique. Elle n'est qu'une partie de l'entreprise principale, même si elle 'jouit d'une certaine indépendance financière et commerciale' selon les termes de la consultation de M. [E].

Dès lors, quand bien même la succursale aurait la maîtrise du contrat en ce qu'elle dispose d'une certaine autonomie, elle ne dispose pas d'un patrimoine distinct de celui de l'entité principale, de sorte qu'elle ne peut être seule titulaire des créances résultant du contrat de licence. Si elle peut être créancière, comme l'indique M. [E], avocat suisse consulté par la société LVMH, ce n'est nécessairement qu'avec l'entreprise principale dont elle fait partie intégrante.

Ainsi, comme le soutient justement la société Logo, c'est bien la société LVMH qui est titulaire des créances en cause.

C'est également ce que soutient la société LVMH aux termes de la décision adoptée par son conseil d'administration le 12 mai 2017, produite aux débats.

Or, cette dernière a confirmé sa volonté de reprendre à son propre compte la déclaration de créance du 2 juin 2016 et la déclaration rectificative du 9 septembre 2016 effectuées par Tag Heuer dès lors que, devant le juge-commissaire et encore dans ses écritures d'appel, elle soutient expressément ratifier ces déclarations de créance. Et déjà dans la décision du 12 mai 2017 précitée, le conseil d'administration de la société LVMH décidait : 'A toutes fins utiles, le conseil d'administration ratifie à l'unanimité les déclarations de créances des 2 juin et 9 septembre 2016, LVMH Swiss Manufactures SA étant la créancière de la société LOGO.'

Il est sans effet que la déclaration de créance du 2 juin 2016 et la déclaration rectificative du 9 septembre 2016 aient été faites au nom de Tag Heuer, succursale de la société LVMH, sans indication que la déclaration était faite au nom de la société LVMH. En effet, il est admis que le créancier peut ratifier une déclaration de créance effectuée, de façon erronée, au nom du déclarant. Dès lors, la ratification, effectuée par la société LVMH créancière, avant qu'il ne soit statué sur l'admission de la créance, est valable et recevable.

En conséquence, il convient d'infirmer l'ordonnance du juge-commissaire en ce qu'elle déclare nulles la déclaration de créances du 2 juin 2016 et la déclaration rectificative du 9 septembre 2016, et de déclarer régulières et recevables ces déclarations.

Au fond, sur le montant de la créance, le contrat de licence du 1er janvier 2007 comporte, en son article 16, une clause compromissoire. Dès lors, il convient de renvoyer les parties à mieux se pourvoir et inviter la société Logo, qui conteste les redevances facturées au titre du contrat, à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, à peine de forclusion.

En conséquence, l'ordonnance sera infirmée en ce qu'elle admet au passif de la société Logo la créance de 1.015.928,19 euros à titre chirographaire de la société LVMH Swiss Manufactures.

Sur les demandes de M. [Z]

Dans ses conclusions n° 4 du 13 mars 2020 avant cassation, M. [Z] soulève l'irrecevabilité de l'action engagée par la société LVMH et sa succursale Tag Heuer à son encontre, et sollicite sa mise hors de cause. Il demande, en outre la condamnation de celles-ci à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Il fait valoir qu'en vertu de l'article R. 624-4 du code de commerce, le dirigeant n'a pas à être présent à l'audience de contestation de créance et que la société LVMH et sa succursale Tag Heuer n'avaient aucune raison de l'intimer dès lors qu'il n'est pas le débiteur ; que c'est donc à titre personnel qu'il a été mis en cause.

Toutefois, il résulte de l'ordonnance du juge-commissaire du 30 novembre 2018, que M. [Z] a été convoqué à comparaître devant celui-ci, en sa qualité de dirigeant de la société Logo. Il convient de rappeler que l'audition du débiteur, la société Logo en l'espèce, constitue un droit propre de celui-ci qui n'est pas exercé par le liquidateur judiciaire. M. [Z] était donc légitimement partie à la première instance.

Quant à l'appel, il est jugé avec constance qu'il existe un lien d'indivisibilité, en matière d'admission des créances, entre le créancier, le débiteur et le liquidateur.

C'est donc à bon droit que la société LVMH et sa succursale Tag Heuer ont également intimé M. [Z], étant souligné qu'aux termes de leur déclaration d'appel formée le 13 décembre 2018, ce dernier est bien intimé en sa qualité de dirigeant de la société Logo.

Ce n'est donc pas à titre personnel que M. [Z] est partie à la présente procédure. Sa demande tendant à l'irrecevabilité de l'action à son encontre et à sa mise hors de cause sera donc rejetée, de même que sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L'affaire étant renvoyée, il convient de réserver les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement dans les limites de l'appel,

Dit sans objet la demande de jonction des procédures ;

Confirme l'ordonnance du juge-commissaire en date du 30 novembre 2018, sauf en ce qu'elle :

déclare nulle les déclarations de créances des 2 juin et 22 décembre 2016, y compris la déclaration rectificative du 9 septembre 2016,

rejette la demande d'admission pour un montant de 2.402.714,91 euros au titre de ces déclarations de créance,

admet au passif de la société Logo la créance de 1.015.928,19 euros à titre chirographaire de la société LVMH Swiss Manufactures SA,

déclare irrecevable la demande d'admission au titre de la créance d'indemnité de résiliation ;

Statuant à nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la créance de 428.936 euros mentionnée dans la lettre du 22 décembre 2016, ainsi que la créance de 1.362.441,89 euros au titre de l'indemnité de rupture déclarée le 23 mai 2017, sont étrangères à la cause ;

Déclare régulières et recevables la déclaration de créance du 2 juin 2016 et la déclaration rectificative du 9 septembre 2016 ;

Constate que la contestation, qui porte sur les sommes dues au titre des redevances facturées en application du contrat de licence, ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire et de la cour d'appel statuant sur recours ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

Invite la société Logo à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, à peine de forclusion ;

Renvoie à l'audience du 21 novembre 2024 pour examen de la saisine de la juridiction compétente par la société Logo dans le délai imparti ;

Déclare recevable l'action de la société LVMH Swiss Manufactures SA et sa succursale Tag Heuer contre M. [Z], dirigeant de la société Logo ;

Rejette l'ensemble des demandes de M. [Z] ;

Réserve les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.