Décisions
CA Douai, 3e ch., 19 septembre 2024, n° 23/00851
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 19/09/2024
****
N° de MINUTE : 24/281
N° RG 23/00851 - N° Portalis DBVT-V-B7H-UYQE
Jugement (N° 17/02434) rendu le 21 Juin 2018 par le Tribunal de grande instance de Valenciennes
APPELANTE
SA Electrabel venant aux droits de SA Electrabel Customer Solutions
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Loic Ruol, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué, assistée de Me Stephane Rasquin, avocat au barreau des Ardennes, avocat plaidant
INTIMÉ
Maître [B] [Z]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Rodolphe Piret, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, constitué aux lieu et place de Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, assisté de Me Jean-Pierre Fabre, avocat au barreau de Paris et de Me Yves-Marie Le Corff, avocat au barreau de Paris substitués par Me Ivan Mathis, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau
DÉBATS à l'audience publique du 14 mars 2024 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024 après prorogation en date du 06 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 22 janvier 2024
****
EXPOSE DU LITIGE :
La société Illochroma Belgique a conclu avec la SA de droit belge Electrabel customer solutions le 22 mars 2005 un contrat à exécution successive de fourniture d'énergie en électricité et le 8 février 2006 un contrat à exécution successive de fourniture d'énergie en gaz.
Par jugement du 21 avril 2008, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a prononcé le redressement judiciaire de la société Illochroma Belgique et a désigné Me [B] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire.
Les contrats de fourniture d'énergie se sont poursuivis.
La SA Electrabel Customer Solution a déclaré sa créance au passif de la procédure collective.
Par jugement du 25 novembre 2008, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a arrêté un plan de cession au profit de la société Green Recovery, prononcé la liquidation judiciaire de la société Illochroma Belgique et désigné Me [T] [L] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 13 août 2013, la SA Electrabel customer solutions a fait assigner Me [B] [Z] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de :
- voir dire que l'administrateur a commis une faute en poursuivant les contrats d'abonnement en énergie électrique et en gaz, en ne payant pas comptant le premier terme, en ne s'assurant pas qu'il pouvait régler les mensualités suivantes, en ne mettant pas fin au contrat dès la première échéance impayée, en laissant impayées les factures nées postérieurement au redressement judiciaire pour un montant de 115 994,70 euros pour l'électricité et de 127 601,95 euros pour le gaz,
- voir retenue sa responsabilité pleine et entière en son nom personnel, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil,
- le voir condamner au paiement de la somme de 243 596,65 euros à titre de dommages et intérêts,
- voir dire que l'inexécution donnera lieu à des dommages et intérêts à hauteur de 100 000 euros qui seront déclarés au passif,
- le voir condamner au paiement des engagements contractuels soit 26 132,20 euros et 404 134,50 euros.
Par ordonnance du 25 avril 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille a, au visa de l'article 47 du code de procédure civile, renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Valenciennes.
Par jugement du 21 juin 2018, le tribunal de grande instance de Valenciennes a déclaré recevable l'action de la société Electrobel Customer solutions, mais l'a déboutée de toutes ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Suivant déclaration du 28 septembre 2018, la SA Electrabel Customer solutions a fait appel de ce jugement en intimant 'Me [Z] [B] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique'.
Par actes du 29 novembre 2018, la SA Electrabel Customer solutions a fait assigner devant la cour d'appel :
'la Selarl AJC (') dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure'
'la Selarl AJC (') en qualité d'administrateur judiciaire de la société SA Illochroma Belgique'
'Me [Z] [B] (') en son nom personnel
dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure'
'Me [Z] [B] (') es qualités d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique',
Suivant conclusions d'incident notifiées le 21 février 2019, Me [B] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, la Selarl AJC, la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la société SA Illochroma Belgique et Me [B] [Z] agissant en son nom personnel, ont saisi, au visa de l'article 908 du code de procédure civile, le magistrat de la mise en état aux fins de :
dire irrecevable l'appel dirigé contre Me [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique non partie en première instance,
dire et juger caduque la déclaration d'appel, l'appelante n'ayant pas conclu dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile contre Me [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique, seul intimé,
dire et juger que Me [B] [Z] en nom propre, partie en première instance, non intimé par la déclaration d'appel, n'a pu l'être par voie d'assignation,
dire et juger nulles, irrecevables et tout le moins sans effet ni objet les assignations qui leur ont été délivrées le 29 novembre 2018,
condamner la société Electrabel Customer solutions à payer à chacun des concluants la somme de 2000 euros d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile en plus des dépens dont distraction au profit de Me Marie-Hélène Laurent.
Par ordonnance rendue le 16 mai 2019, le magistrat chargé de la mise en état a :
- déclaré irrecevable l'appel interjeté par déclaration du 28 septembre 2018 par la SA Electrabel Customer solutions à l'encontre de Me [B] [Z] «en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique » ;
- déclaré irrecevable l'appel interjeté par la SA Electrabel Customer solutions par voie de signification de déclaration d'appel et conclusions avec assignations devant la cour d'appel en date du 29 novembre 2018 à l'encontre de Me [Z] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, Me [Z] en son nom personnel, la Selarl AJC dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure et la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique » ;
- déclaré irrecevables les actes de déclaration d'appel et conclusions avec assignation en date du 29 novembre 2018 à l'encontre de Me [Z] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, Me [Z] en son nom personnel, la Selarl AJC dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure et la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique » ;
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné la SA Electrabel Customer solutions aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile, au profit de Me [H] [O], et en considération de l'équité, à payer respectivement à Me [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma, à Me [Z] en son nom personnel, à la Selarl AJC en son nom personnel et à la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma, la somme de 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles.
Par requête du 29 mai 2019, cette ordonnance a été déférée à la cour par la SA Electrabel Customer solutions. Par arrêt du 10 décembre 2020, la procédure a été radiée. Sur les conclusions de la SA Electrabel Customer solutions, elle a été réinscrite au rôle.
Par arrêt du 16 septembre 2021, la cour a, statuant sur le déféré :
- réformé l'ordonnance rendue le 16 mai 2019 par le conseiller de la mise en état, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevables la signification de déclaration d'appel et les conclusions avec assignation devant la cour d'appel en date du 29 novembre 2018 à l'encontre de Me [Z] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, Me [Z] en son nom personnel, la Selarl AJC dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure et la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique ;
- déclaré par conséquent recevable la déclaration d'appel formée le 28 septembre 2018 par la SA Electrabel Customers Solutions à l'encontre de Me [B] [Z] ;
- déclaré recevable l'appel formé le 28 septembre 2018 par la SA Electrabel Customers Solutions à l'encontre de Me [B] [Z], les conclusions de l'appelant ayant été produites dans les délais requis.
L'affaire a été radiée le 3 octobre 2022 et réinscrite à l'audience du 21 février 2023.
Vu les conclusions notifiées le 6 octobre 2023 par la Sa Electrobel, venant aux droits de la Sa Electrobel Customer solutions, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 622-13 du code de commerce, et 1382 et 1383 du code civil de
=> « infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Valenciennes sauf en ce qu'il a déclaré la société recevable et bien fondée en son action ;
- constater le choix opéré par l'administrateur judiciaire de continuer les contrats en cours ;
- constater que les mensualités postérieures à l'option de continuation n'ont pas été honorées au comptant,
- dire et juger en conséquence que l'administrateur judiciaire a commis une faute en poursuivant les contrats d'abonnement en énergie Electrique et en énergie Gaz ;
- dire et juger que l'administrateur judiciaire à la date à laquelle il a exercé l'option, ne pouvait ignorer que les factures d'énergie étaient en moyenne de
50 000 euros par mois et par énergie,
- constater que les factures suivantes n'ont pas été réglées, après l'option prise par l'administrateur judiciaire, alors qu'elles auraient dû être payées au comptant ;
en électricité :
' n° 8400652424 du 6 août 2008 de 58.465,77 euros
' n°8001037710 du 26 Septembre 2008 de 57.528,93 euros
soit un total de : 115.994,70 euros
en gaz :
' n° 8001020685 du 31 juillet 2008 de 33 997.04 euros
' n° 8001020683 du 31 juillet 2008 de 846.88 euros
' n° 8200817949 du 19 août 2008 de 35 081.07 euros
' n° 8001032950 du 10 septembre 2008 de 29 837.98 euros
' n° 800801338 du 14 octobre 2008 de 27 838.98 euros
soit un total de : 127 601.95 euros
- constater que l'administrateur, dès la première échéance non honorée soit dès août 2008, aurait dû mettre fin à la relation contractuelle, que tel n'a pas été le cas ;
- constater que l'administrateur aurait dû, ensuite, s'assurer et avant chaque terme des factures d'énergie suivantes, qu'il disposait bien des fonds nécessaires pour effectuer le paiement, que tel n'a pas été le cas ;
- qu'il aurait alors dû mettre fin à la relation contractuelle tout aussitôt, que tel n'a pas été le cas ;
- qu'il a dés lors a contrevenu, à trois reprises à ses obligations de prudence et de diligence ;
- dire et juger en conséquence qu'il a commis une triple faute en ne payant pas au comptant dès le premier terme, en ne s'assurant pas qu'il pouvait régler les mensualités suivantes et en mettant pas fin au contrat à la première échéance non réglée ;
- retenir en conséquence la responsabilité pleine et entière de l'administrateur judiciaire en son nom personnel sur le fondement des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil ;
- condamner en conséquence l'administrateur à rembourser la somme de
243 596.65 euros, correspondant aux prestations fournies par la requérante après l'option exercée par Me [Z], et ce à titre de dommage et intérêts,
- dire et juger que l'inexécution donnera lieu à des dommages et intérêts fixés à la somme de 100 000 euros qui seront déclarés au passif ;
- condamner l'administrateur à des dommages et intérêts fixés à 20 000 euros en raison des man'uvres dilatoires effectuées depuis maintenant 8 ans, et ce, sur le fondement de l'article 123 et suivants du code de procédure civile.
- juger, que l'inexécution du contrat Gaz et sa résiliation, donne lieu à l'application de la clause de prise ferme,
- condamner en conséquence l'administrateur au paiement des engagements contractuels, soit les sommes de 26 132.20 euros et de 404 134.50 euros pour la somme de 430 266, 70 euros ;
- condamner le défendeur, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 28 000 euros ;
- condamner à une amende civile au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- condamner le défendeur aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de Maître Rasquin et Ruol, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- assortir la décision à intervenir de l'exécution provisoire ».
Vu les conclusions au fond notifiées le 13 octobre 2023 par Me [Z], par lesquelles il demande à la cour, au visa des articles 122, 696 et 700 du code de procédure civile, L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce, 1351, 2224, 1382 et 1383 (désormais 1240 et 1241) du code de civil, de :
=> infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a dit la société Electrabel Customer solutions recevable et, statuant à nouveau, déclarer ses action et demandes, irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, comme prescrites et pour défaut d'intérêt et de qualité en demande et en défense,
=> en tant que de besoin, confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Electrabel Customer solutions de toutes ses prétentions et l'a condamnée au titre des frais irrépétibles et dépens, la société Electrabel Customer solutions ne faisant la démonstration d'aucun préjudice en lien causal avec une faute du concluant, qui n'en a commis aucune,
- donner acte, s'il était utile, au concluant de ce qu'il est fait sommation à la Société Electrabel Customer solutions de verser aux débats tous éléments relatifs à toutes procédures en cours ou achevées l'opposant à Maître [L] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Illochroma Belgique, ainsi qu'à toutes répartitions, en cours ou achevées, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Illochroma Belgique,
=> en toute hypothèse, ajoutant au jugement entrepris, condamner la Société Electrabel Customer solutions
- à payer au concluant une indemnité procédurale de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,
- aux entiers dépens d'appel, dont distraction au Maître Rodolphe Piret, membre de la société d'avocats Dragon & Biernacki & Piret.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée :
moyens des parties :
Me [Z] fait valoir que la première instance engagée le 19 avril 2009 par la société Electrobel Customer solutions devant le tribunal de grande instance de Lille et ayant donné lieu à un jugement de débouté rendu le 9 juillet 2013 par le tribunal de commerce d'Amiens visait sa responsabilité professionnelle. La nouvelle instance se heurte par conséquent à l'autorité de chose jugée qui s'attache à ce jugement.
La société Electrobel fait valoir qu'aucune autorité de chose jugée ne peut lui être opposée, dès lors que la procédure initiée en 2019 concernait la « responsabilité professionnelle » de Me [Z], alors qu'elle sollicite dans le cadre de la présente instance de reconnaître la « responsabilité personnelle » de ce dernier.
réponse de la cour :
Aux termes de l'article 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 dy 10 février 2016, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En l'espèce, la société Electrabel Customer solutions a fait assigner par acte du 17 avril 2009 devant le tribunal de grande instance de Lille « Me [B] [Z], es-qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique ». Dans le dernier état de cette procédure, tel qu'il résulte de l'exposé du litige figurant dans le dispositif rendu le 19 juillet 2013 par le tribunal de commerce d'Amiens, elle a formulé strictement les mêmes demandes que celles figurant dans ses dernières conclusions devant la cour dans le cadre de la présente instance, à la seule exception d'un montant différent au titre des frais irrépétibles (porté à 28 000 euros devant la cour, alors qu'était sollicitée la somme de 10 000 euros devant le tribunal de grande instance).
La cause et les demandes sont donc identiques à celles de la présente instance.
Seule la qualité des parties est par conséquent discutée, en l'espèce celle de Me [Z] au titre de chacune des instances successives.
Le tribunal de commerce d'Amiens a rendu le 19 juillet 2013 un jugement définitif par lequel il a :
- « dit irrecevable l'action de la société Electrabel Customer solutions à l'encontre de Me [Z], es-qualités d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique ;
- en conséquent l'en a débouté ;
- débouté Me [Z], es-qualités de sa demande reconventionnelle d'article 700 du code de procédure civile »
- laissé les dépens à la charge de la société Electrabel.
Si l'expression « ès qualité » renvoie classiquement à une action exercée en réalité à l'encontre de la société pour laquelle l'administrateur a été missionnée, il résulte toutefois de la procédure précédemment engagée par la société Electrabel Customer solutions que cette notion a été interprétée par les juridictions successives comme visant à engager la responsabilité personnelle de l'administrateur judiciaire au titre d'une faute commise par ce dernier, étant précisé qu'une telle responsabilité est nécessairement professionnelle dès lors qu'elle vise des fautes commises dans le cadre de ses attributions d'administrateur judiciaire.
- Ainsi, dans son ordonnance du 1er avril 2010, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille a estimé que l'assignation délivrée le 17 avril 2009 par la société Electrobel Customer solutions visait à « reconnaître une faute à l'encontre de Me [Z] ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma ».
Alors que Me [Z] invoquait l'article R. 662-3 du code de commerce pour soulever l'incompétence d'attribution du tribunal de grande instance au profit de la juridiction de la procédure collective, il résulte de cette ordonnance que la société Electrobel Customer solutions a elle-même opposé à cette exception d'incompétence que les actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur sont de la compétence du tribunal de grande instance.
Le juge de la mise en état a toutefois estimé que « la question de la responsabilité personnelle de l'administrateur pendant la période de sauvegarde ne peut être analysée hors du contexte particulier de la procédure collective », de sorte qu'il a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing.
Aucun contredit n'ayant été formé à l'encontre de cette ordonnance, elle est devenue définitive et a acquis autorité de chose jugée en application de l'article 775 du code de procédure civile, ainsi que l'a ultérieurement considéré la cour d'appel dans son arrêt du 31 janvier 2013.
- Dans son jugement du 22 mars 2012, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing s'est toutefois déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Lille, en dépit de sa désignation par le juge de la mise en état de Lille. À cet égard, il a relevé que « par dérogation à la compétence exclusive du tribunal de la procédure collective, la législation a formalisé la compétence du tribunal de grande instance pour les actions en responsabilité civiles exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur », au visa de l'article R. 662-3 précité.
- Par arrêt du 31 janvier 2013 rendu sur contredit à l'encontre de ce jugement, la cour d'appel de Douai a réformé le jugement du tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, constatant que l'ordonnance d'incompétence du 1er avril 2010 rendue par le juge de la mise en état de Lille s'impose à la juridiction de renvoi, mais a dit toutefois que cette désignation de compétence ne fait pas obstacle à la mise en 'uvre de l'article 47 du code de procédure civile, dont la société Electrobel Customer solutions avait par ailleurs sollicité l'application. La cour a par conséquent renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce d'Amiens.
Pour statuer ainsi, la cour a :
* d'abord exposé que, par acte du 17 avril 2009, la société Electrobel Customer solutions a assigné devant le tribunal de grande instance de Lille « Me [Z], ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique, ['] aux fins d'obtenir, au titre de sa responsabilité civile professionnelle, sa condamnation à réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ».
* puis, validé l'analyse du tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, pour considérer qu'il résultait en effet de l'article R. 662-3 du code de commerce que la compétence matérielle du juge de la procédure collective est exclue lorsqu'est en cause la responsabilité civile de l'administrateur judiciaire. Pour autant, ayant constaté l'autorité de chose jugée qui s'attachait à l'ordonnance du juge de la mise en état en dépit d'une interprétation erronée de l'article précité, la cour a maintenu la compétence d'attribution de la juridiction consulaire.
- Enfin, dans son jugement du 19 juillet 2013, le tribunal de commerce d'Amiens rappelle que « il ne doit pas être perdu de vue que Me [Z] avait été assigné par acte du 17 avril 2019 devant le tribunal de grande instance de Lille, ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique sur le fondement à la fois des dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce et des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, soit la responsabilité pour fautes ».
L'identité de causes avec la présente instance est ainsi caractérisée, alors que le visa de la responsabilité délictuelle était de nature à caractériser une action en responsabilité personnelle à l'encontre de l'administrateur judiciaire, étant rappelé que la relation entre la société Electrobel Customer solutions et la société Illochroma Belgique elle-même était contractuelle.
Les demandes devant le tribunal de commerce d'Amiens étaient strictement identiques à celles présentées devant la présente cour : en particulier, elles visaient clairement une « triple faute » de Me [Z] et « la responsabilité pleine et entière de l'administrateur judiciaire ès-qualité sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil », de sorte que l'objet du litige visait clairement à imputer la responsabilité à Me [Z] en personne.
Outre que ce jugement a cumulativement déclaré « irrecevable l'action » et débouté la société Electrobel Customer solutions de ses demandes, il a dans un premier temps indiqué : « à supposer que Me [B] [Z] ait été attrait à titre personnel ' ce qui n'est pas et la société Electrabel depuis le début de la procédure initiée à l'encontre de Me [Z] es-qualités d'administrateur, n'a jamais pris d'écriture pour fustiger la seule responsabilité personnelle de Me [B] [Z] », avant de statuer pourtant dans un second temps sur la responsabilité pour faute personnelle de ce dernier.
Quel que soit le mérite de ce jugement, il est définitif et bénéficie à ce titre d'une autorité de chose jugée que Me [Z] peut valablement opposer à la société Electrobel, dès lors qu'il présente une triple identité d'objet, de cause et de parties, avec la présente instance.
En dépit de l'emploi de l'expression « es-qualités », il a ainsi été déjà statué définitivement sur la responsabilité personnelle de l'administrateur judiciaire.
Les demandes formulées par la société Electrobel devant la cour à l'encontre de Me [Z] sont par conséquent irrecevables.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
et d'autre part, à condamner la société Electrobel, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à Me [Z] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.
En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Me Rodolphe Piret à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.
En revanche, la société Electrobel est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aucune amende civile, qu'il appartient exclusivement à la juridiction de prononcer au profit du Trésor public, n'a vocation à être prononcée, en l'absence de tout abus de procédure par Me [Z].
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement rendu le 21 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Valenciennes en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'action de la société Electrobel Customer solutions ;
- débouté la société Electrobel Customer solutions ;
Le confirme pour le surplus de ses dispositions ;
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Déclare irrecevables les demandes de la société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions aux fins de :
- condamner en conséquence l'administrateur à rembourser la somme de 243 596.65 euros, correspondant aux prestations fournies par la requérante après l'option exercée par Me [Z], et ce à titre de dommage et intérêts,
- dire et juger que l'inexécution donnera lieu à des dommages et intérêts fixés à la somme de 100 000 euros qui seront déclarés au passif;
- condamner l'administrateur à des dommages et intérêts fixés à 20 000 euros en raison des man'uvres dilatoires effectuées depuis maintenant 8 ans, et ce, sur le fondement de l'article 123 et suivants du code de procédure civile.
- juger, que l'inexécution du contrat Gaz et sa résiliation, donne lieu à l'application de la clause de prise ferme,
- condamner en conséquence l'administrateur au paiement des engagements contractuels, soit les sommes de 26 132.20 euros et de 404 134.50 euros pour la somme de 430 266, 70 euros ;
Condamne société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions aux entiers dépens d'appel ;
Autorise Me Rodolphe Piret à recouvrer directement à l'encontre de société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans recevoir provision ;
Condamne société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions à payer à Me [B] [Z] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à prononcer une amende civile.
Le greffier
Harmony POYTEAU
Le président
Guillaume SALOMON
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 19/09/2024
****
N° de MINUTE : 24/281
N° RG 23/00851 - N° Portalis DBVT-V-B7H-UYQE
Jugement (N° 17/02434) rendu le 21 Juin 2018 par le Tribunal de grande instance de Valenciennes
APPELANTE
SA Electrabel venant aux droits de SA Electrabel Customer Solutions
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Loic Ruol, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué, assistée de Me Stephane Rasquin, avocat au barreau des Ardennes, avocat plaidant
INTIMÉ
Maître [B] [Z]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Rodolphe Piret, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, constitué aux lieu et place de Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, assisté de Me Jean-Pierre Fabre, avocat au barreau de Paris et de Me Yves-Marie Le Corff, avocat au barreau de Paris substitués par Me Ivan Mathis, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau
DÉBATS à l'audience publique du 14 mars 2024 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024 après prorogation en date du 06 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 22 janvier 2024
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EXPOSE DU LITIGE :
La société Illochroma Belgique a conclu avec la SA de droit belge Electrabel customer solutions le 22 mars 2005 un contrat à exécution successive de fourniture d'énergie en électricité et le 8 février 2006 un contrat à exécution successive de fourniture d'énergie en gaz.
Par jugement du 21 avril 2008, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a prononcé le redressement judiciaire de la société Illochroma Belgique et a désigné Me [B] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire.
Les contrats de fourniture d'énergie se sont poursuivis.
La SA Electrabel Customer Solution a déclaré sa créance au passif de la procédure collective.
Par jugement du 25 novembre 2008, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a arrêté un plan de cession au profit de la société Green Recovery, prononcé la liquidation judiciaire de la société Illochroma Belgique et désigné Me [T] [L] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 13 août 2013, la SA Electrabel customer solutions a fait assigner Me [B] [Z] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de :
- voir dire que l'administrateur a commis une faute en poursuivant les contrats d'abonnement en énergie électrique et en gaz, en ne payant pas comptant le premier terme, en ne s'assurant pas qu'il pouvait régler les mensualités suivantes, en ne mettant pas fin au contrat dès la première échéance impayée, en laissant impayées les factures nées postérieurement au redressement judiciaire pour un montant de 115 994,70 euros pour l'électricité et de 127 601,95 euros pour le gaz,
- voir retenue sa responsabilité pleine et entière en son nom personnel, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil,
- le voir condamner au paiement de la somme de 243 596,65 euros à titre de dommages et intérêts,
- voir dire que l'inexécution donnera lieu à des dommages et intérêts à hauteur de 100 000 euros qui seront déclarés au passif,
- le voir condamner au paiement des engagements contractuels soit 26 132,20 euros et 404 134,50 euros.
Par ordonnance du 25 avril 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille a, au visa de l'article 47 du code de procédure civile, renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Valenciennes.
Par jugement du 21 juin 2018, le tribunal de grande instance de Valenciennes a déclaré recevable l'action de la société Electrobel Customer solutions, mais l'a déboutée de toutes ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Suivant déclaration du 28 septembre 2018, la SA Electrabel Customer solutions a fait appel de ce jugement en intimant 'Me [Z] [B] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique'.
Par actes du 29 novembre 2018, la SA Electrabel Customer solutions a fait assigner devant la cour d'appel :
'la Selarl AJC (') dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure'
'la Selarl AJC (') en qualité d'administrateur judiciaire de la société SA Illochroma Belgique'
'Me [Z] [B] (') en son nom personnel
dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure'
'Me [Z] [B] (') es qualités d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique',
Suivant conclusions d'incident notifiées le 21 février 2019, Me [B] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, la Selarl AJC, la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la société SA Illochroma Belgique et Me [B] [Z] agissant en son nom personnel, ont saisi, au visa de l'article 908 du code de procédure civile, le magistrat de la mise en état aux fins de :
dire irrecevable l'appel dirigé contre Me [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique non partie en première instance,
dire et juger caduque la déclaration d'appel, l'appelante n'ayant pas conclu dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile contre Me [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique, seul intimé,
dire et juger que Me [B] [Z] en nom propre, partie en première instance, non intimé par la déclaration d'appel, n'a pu l'être par voie d'assignation,
dire et juger nulles, irrecevables et tout le moins sans effet ni objet les assignations qui leur ont été délivrées le 29 novembre 2018,
condamner la société Electrabel Customer solutions à payer à chacun des concluants la somme de 2000 euros d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile en plus des dépens dont distraction au profit de Me Marie-Hélène Laurent.
Par ordonnance rendue le 16 mai 2019, le magistrat chargé de la mise en état a :
- déclaré irrecevable l'appel interjeté par déclaration du 28 septembre 2018 par la SA Electrabel Customer solutions à l'encontre de Me [B] [Z] «en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique » ;
- déclaré irrecevable l'appel interjeté par la SA Electrabel Customer solutions par voie de signification de déclaration d'appel et conclusions avec assignations devant la cour d'appel en date du 29 novembre 2018 à l'encontre de Me [Z] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, Me [Z] en son nom personnel, la Selarl AJC dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure et la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique » ;
- déclaré irrecevables les actes de déclaration d'appel et conclusions avec assignation en date du 29 novembre 2018 à l'encontre de Me [Z] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, Me [Z] en son nom personnel, la Selarl AJC dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure et la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique » ;
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné la SA Electrabel Customer solutions aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile, au profit de Me [H] [O], et en considération de l'équité, à payer respectivement à Me [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma, à Me [Z] en son nom personnel, à la Selarl AJC en son nom personnel et à la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma, la somme de 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles.
Par requête du 29 mai 2019, cette ordonnance a été déférée à la cour par la SA Electrabel Customer solutions. Par arrêt du 10 décembre 2020, la procédure a été radiée. Sur les conclusions de la SA Electrabel Customer solutions, elle a été réinscrite au rôle.
Par arrêt du 16 septembre 2021, la cour a, statuant sur le déféré :
- réformé l'ordonnance rendue le 16 mai 2019 par le conseiller de la mise en état, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevables la signification de déclaration d'appel et les conclusions avec assignation devant la cour d'appel en date du 29 novembre 2018 à l'encontre de Me [Z] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique, Me [Z] en son nom personnel, la Selarl AJC dont la responsabilité est mise en cause par la présente procédure et la Selarl AJC en qualité d'administrateur judiciaire de la SA Illochroma Belgique ;
- déclaré par conséquent recevable la déclaration d'appel formée le 28 septembre 2018 par la SA Electrabel Customers Solutions à l'encontre de Me [B] [Z] ;
- déclaré recevable l'appel formé le 28 septembre 2018 par la SA Electrabel Customers Solutions à l'encontre de Me [B] [Z], les conclusions de l'appelant ayant été produites dans les délais requis.
L'affaire a été radiée le 3 octobre 2022 et réinscrite à l'audience du 21 février 2023.
Vu les conclusions notifiées le 6 octobre 2023 par la Sa Electrobel, venant aux droits de la Sa Electrobel Customer solutions, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 622-13 du code de commerce, et 1382 et 1383 du code civil de
=> « infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Valenciennes sauf en ce qu'il a déclaré la société recevable et bien fondée en son action ;
- constater le choix opéré par l'administrateur judiciaire de continuer les contrats en cours ;
- constater que les mensualités postérieures à l'option de continuation n'ont pas été honorées au comptant,
- dire et juger en conséquence que l'administrateur judiciaire a commis une faute en poursuivant les contrats d'abonnement en énergie Electrique et en énergie Gaz ;
- dire et juger que l'administrateur judiciaire à la date à laquelle il a exercé l'option, ne pouvait ignorer que les factures d'énergie étaient en moyenne de
50 000 euros par mois et par énergie,
- constater que les factures suivantes n'ont pas été réglées, après l'option prise par l'administrateur judiciaire, alors qu'elles auraient dû être payées au comptant ;
en électricité :
' n° 8400652424 du 6 août 2008 de 58.465,77 euros
' n°8001037710 du 26 Septembre 2008 de 57.528,93 euros
soit un total de : 115.994,70 euros
en gaz :
' n° 8001020685 du 31 juillet 2008 de 33 997.04 euros
' n° 8001020683 du 31 juillet 2008 de 846.88 euros
' n° 8200817949 du 19 août 2008 de 35 081.07 euros
' n° 8001032950 du 10 septembre 2008 de 29 837.98 euros
' n° 800801338 du 14 octobre 2008 de 27 838.98 euros
soit un total de : 127 601.95 euros
- constater que l'administrateur, dès la première échéance non honorée soit dès août 2008, aurait dû mettre fin à la relation contractuelle, que tel n'a pas été le cas ;
- constater que l'administrateur aurait dû, ensuite, s'assurer et avant chaque terme des factures d'énergie suivantes, qu'il disposait bien des fonds nécessaires pour effectuer le paiement, que tel n'a pas été le cas ;
- qu'il aurait alors dû mettre fin à la relation contractuelle tout aussitôt, que tel n'a pas été le cas ;
- qu'il a dés lors a contrevenu, à trois reprises à ses obligations de prudence et de diligence ;
- dire et juger en conséquence qu'il a commis une triple faute en ne payant pas au comptant dès le premier terme, en ne s'assurant pas qu'il pouvait régler les mensualités suivantes et en mettant pas fin au contrat à la première échéance non réglée ;
- retenir en conséquence la responsabilité pleine et entière de l'administrateur judiciaire en son nom personnel sur le fondement des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil ;
- condamner en conséquence l'administrateur à rembourser la somme de
243 596.65 euros, correspondant aux prestations fournies par la requérante après l'option exercée par Me [Z], et ce à titre de dommage et intérêts,
- dire et juger que l'inexécution donnera lieu à des dommages et intérêts fixés à la somme de 100 000 euros qui seront déclarés au passif ;
- condamner l'administrateur à des dommages et intérêts fixés à 20 000 euros en raison des man'uvres dilatoires effectuées depuis maintenant 8 ans, et ce, sur le fondement de l'article 123 et suivants du code de procédure civile.
- juger, que l'inexécution du contrat Gaz et sa résiliation, donne lieu à l'application de la clause de prise ferme,
- condamner en conséquence l'administrateur au paiement des engagements contractuels, soit les sommes de 26 132.20 euros et de 404 134.50 euros pour la somme de 430 266, 70 euros ;
- condamner le défendeur, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 28 000 euros ;
- condamner à une amende civile au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- condamner le défendeur aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de Maître Rasquin et Ruol, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- assortir la décision à intervenir de l'exécution provisoire ».
Vu les conclusions au fond notifiées le 13 octobre 2023 par Me [Z], par lesquelles il demande à la cour, au visa des articles 122, 696 et 700 du code de procédure civile, L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce, 1351, 2224, 1382 et 1383 (désormais 1240 et 1241) du code de civil, de :
=> infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a dit la société Electrabel Customer solutions recevable et, statuant à nouveau, déclarer ses action et demandes, irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, comme prescrites et pour défaut d'intérêt et de qualité en demande et en défense,
=> en tant que de besoin, confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Electrabel Customer solutions de toutes ses prétentions et l'a condamnée au titre des frais irrépétibles et dépens, la société Electrabel Customer solutions ne faisant la démonstration d'aucun préjudice en lien causal avec une faute du concluant, qui n'en a commis aucune,
- donner acte, s'il était utile, au concluant de ce qu'il est fait sommation à la Société Electrabel Customer solutions de verser aux débats tous éléments relatifs à toutes procédures en cours ou achevées l'opposant à Maître [L] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Illochroma Belgique, ainsi qu'à toutes répartitions, en cours ou achevées, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Illochroma Belgique,
=> en toute hypothèse, ajoutant au jugement entrepris, condamner la Société Electrabel Customer solutions
- à payer au concluant une indemnité procédurale de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,
- aux entiers dépens d'appel, dont distraction au Maître Rodolphe Piret, membre de la société d'avocats Dragon & Biernacki & Piret.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée :
moyens des parties :
Me [Z] fait valoir que la première instance engagée le 19 avril 2009 par la société Electrobel Customer solutions devant le tribunal de grande instance de Lille et ayant donné lieu à un jugement de débouté rendu le 9 juillet 2013 par le tribunal de commerce d'Amiens visait sa responsabilité professionnelle. La nouvelle instance se heurte par conséquent à l'autorité de chose jugée qui s'attache à ce jugement.
La société Electrobel fait valoir qu'aucune autorité de chose jugée ne peut lui être opposée, dès lors que la procédure initiée en 2019 concernait la « responsabilité professionnelle » de Me [Z], alors qu'elle sollicite dans le cadre de la présente instance de reconnaître la « responsabilité personnelle » de ce dernier.
réponse de la cour :
Aux termes de l'article 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 dy 10 février 2016, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En l'espèce, la société Electrabel Customer solutions a fait assigner par acte du 17 avril 2009 devant le tribunal de grande instance de Lille « Me [B] [Z], es-qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique ». Dans le dernier état de cette procédure, tel qu'il résulte de l'exposé du litige figurant dans le dispositif rendu le 19 juillet 2013 par le tribunal de commerce d'Amiens, elle a formulé strictement les mêmes demandes que celles figurant dans ses dernières conclusions devant la cour dans le cadre de la présente instance, à la seule exception d'un montant différent au titre des frais irrépétibles (porté à 28 000 euros devant la cour, alors qu'était sollicitée la somme de 10 000 euros devant le tribunal de grande instance).
La cause et les demandes sont donc identiques à celles de la présente instance.
Seule la qualité des parties est par conséquent discutée, en l'espèce celle de Me [Z] au titre de chacune des instances successives.
Le tribunal de commerce d'Amiens a rendu le 19 juillet 2013 un jugement définitif par lequel il a :
- « dit irrecevable l'action de la société Electrabel Customer solutions à l'encontre de Me [Z], es-qualités d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique ;
- en conséquent l'en a débouté ;
- débouté Me [Z], es-qualités de sa demande reconventionnelle d'article 700 du code de procédure civile »
- laissé les dépens à la charge de la société Electrabel.
Si l'expression « ès qualité » renvoie classiquement à une action exercée en réalité à l'encontre de la société pour laquelle l'administrateur a été missionnée, il résulte toutefois de la procédure précédemment engagée par la société Electrabel Customer solutions que cette notion a été interprétée par les juridictions successives comme visant à engager la responsabilité personnelle de l'administrateur judiciaire au titre d'une faute commise par ce dernier, étant précisé qu'une telle responsabilité est nécessairement professionnelle dès lors qu'elle vise des fautes commises dans le cadre de ses attributions d'administrateur judiciaire.
- Ainsi, dans son ordonnance du 1er avril 2010, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lille a estimé que l'assignation délivrée le 17 avril 2009 par la société Electrobel Customer solutions visait à « reconnaître une faute à l'encontre de Me [Z] ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma ».
Alors que Me [Z] invoquait l'article R. 662-3 du code de commerce pour soulever l'incompétence d'attribution du tribunal de grande instance au profit de la juridiction de la procédure collective, il résulte de cette ordonnance que la société Electrobel Customer solutions a elle-même opposé à cette exception d'incompétence que les actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur sont de la compétence du tribunal de grande instance.
Le juge de la mise en état a toutefois estimé que « la question de la responsabilité personnelle de l'administrateur pendant la période de sauvegarde ne peut être analysée hors du contexte particulier de la procédure collective », de sorte qu'il a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing.
Aucun contredit n'ayant été formé à l'encontre de cette ordonnance, elle est devenue définitive et a acquis autorité de chose jugée en application de l'article 775 du code de procédure civile, ainsi que l'a ultérieurement considéré la cour d'appel dans son arrêt du 31 janvier 2013.
- Dans son jugement du 22 mars 2012, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing s'est toutefois déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Lille, en dépit de sa désignation par le juge de la mise en état de Lille. À cet égard, il a relevé que « par dérogation à la compétence exclusive du tribunal de la procédure collective, la législation a formalisé la compétence du tribunal de grande instance pour les actions en responsabilité civiles exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur », au visa de l'article R. 662-3 précité.
- Par arrêt du 31 janvier 2013 rendu sur contredit à l'encontre de ce jugement, la cour d'appel de Douai a réformé le jugement du tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, constatant que l'ordonnance d'incompétence du 1er avril 2010 rendue par le juge de la mise en état de Lille s'impose à la juridiction de renvoi, mais a dit toutefois que cette désignation de compétence ne fait pas obstacle à la mise en 'uvre de l'article 47 du code de procédure civile, dont la société Electrobel Customer solutions avait par ailleurs sollicité l'application. La cour a par conséquent renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce d'Amiens.
Pour statuer ainsi, la cour a :
* d'abord exposé que, par acte du 17 avril 2009, la société Electrobel Customer solutions a assigné devant le tribunal de grande instance de Lille « Me [Z], ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique, ['] aux fins d'obtenir, au titre de sa responsabilité civile professionnelle, sa condamnation à réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ».
* puis, validé l'analyse du tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, pour considérer qu'il résultait en effet de l'article R. 662-3 du code de commerce que la compétence matérielle du juge de la procédure collective est exclue lorsqu'est en cause la responsabilité civile de l'administrateur judiciaire. Pour autant, ayant constaté l'autorité de chose jugée qui s'attachait à l'ordonnance du juge de la mise en état en dépit d'une interprétation erronée de l'article précité, la cour a maintenu la compétence d'attribution de la juridiction consulaire.
- Enfin, dans son jugement du 19 juillet 2013, le tribunal de commerce d'Amiens rappelle que « il ne doit pas être perdu de vue que Me [Z] avait été assigné par acte du 17 avril 2019 devant le tribunal de grande instance de Lille, ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Illochroma Belgique sur le fondement à la fois des dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce et des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, soit la responsabilité pour fautes ».
L'identité de causes avec la présente instance est ainsi caractérisée, alors que le visa de la responsabilité délictuelle était de nature à caractériser une action en responsabilité personnelle à l'encontre de l'administrateur judiciaire, étant rappelé que la relation entre la société Electrobel Customer solutions et la société Illochroma Belgique elle-même était contractuelle.
Les demandes devant le tribunal de commerce d'Amiens étaient strictement identiques à celles présentées devant la présente cour : en particulier, elles visaient clairement une « triple faute » de Me [Z] et « la responsabilité pleine et entière de l'administrateur judiciaire ès-qualité sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil », de sorte que l'objet du litige visait clairement à imputer la responsabilité à Me [Z] en personne.
Outre que ce jugement a cumulativement déclaré « irrecevable l'action » et débouté la société Electrobel Customer solutions de ses demandes, il a dans un premier temps indiqué : « à supposer que Me [B] [Z] ait été attrait à titre personnel ' ce qui n'est pas et la société Electrabel depuis le début de la procédure initiée à l'encontre de Me [Z] es-qualités d'administrateur, n'a jamais pris d'écriture pour fustiger la seule responsabilité personnelle de Me [B] [Z] », avant de statuer pourtant dans un second temps sur la responsabilité pour faute personnelle de ce dernier.
Quel que soit le mérite de ce jugement, il est définitif et bénéficie à ce titre d'une autorité de chose jugée que Me [Z] peut valablement opposer à la société Electrobel, dès lors qu'il présente une triple identité d'objet, de cause et de parties, avec la présente instance.
En dépit de l'emploi de l'expression « es-qualités », il a ainsi été déjà statué définitivement sur la responsabilité personnelle de l'administrateur judiciaire.
Les demandes formulées par la société Electrobel devant la cour à l'encontre de Me [Z] sont par conséquent irrecevables.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
et d'autre part, à condamner la société Electrobel, outre aux entiers dépens d'appel, à payer à Me [Z] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.
En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Me Rodolphe Piret à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.
En revanche, la société Electrobel est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aucune amende civile, qu'il appartient exclusivement à la juridiction de prononcer au profit du Trésor public, n'a vocation à être prononcée, en l'absence de tout abus de procédure par Me [Z].
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement rendu le 21 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Valenciennes en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'action de la société Electrobel Customer solutions ;
- débouté la société Electrobel Customer solutions ;
Le confirme pour le surplus de ses dispositions ;
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Déclare irrecevables les demandes de la société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions aux fins de :
- condamner en conséquence l'administrateur à rembourser la somme de 243 596.65 euros, correspondant aux prestations fournies par la requérante après l'option exercée par Me [Z], et ce à titre de dommage et intérêts,
- dire et juger que l'inexécution donnera lieu à des dommages et intérêts fixés à la somme de 100 000 euros qui seront déclarés au passif;
- condamner l'administrateur à des dommages et intérêts fixés à 20 000 euros en raison des man'uvres dilatoires effectuées depuis maintenant 8 ans, et ce, sur le fondement de l'article 123 et suivants du code de procédure civile.
- juger, que l'inexécution du contrat Gaz et sa résiliation, donne lieu à l'application de la clause de prise ferme,
- condamner en conséquence l'administrateur au paiement des engagements contractuels, soit les sommes de 26 132.20 euros et de 404 134.50 euros pour la somme de 430 266, 70 euros ;
Condamne société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions aux entiers dépens d'appel ;
Autorise Me Rodolphe Piret à recouvrer directement à l'encontre de société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans recevoir provision ;
Condamne société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions à payer à Me [B] [Z] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute société Electrobel, venant aux droits de la société Electrobel Customer solutions de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à prononcer une amende civile.
Le greffier
Harmony POYTEAU
Le président
Guillaume SALOMON