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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 19 septembre 2024, n° 22/01180

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CSF (SAS), Profidis (SAS), Selima (SAS)

Défendeur :

Pauldis (SAS), Selarl AJ Up (ès qual.), Selarl MJ Alpes (ès qual.), Carrefour Proximité France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Laffly, Me Wilhelm, Me Dumur, Me Kopf, Me Della Vittoria, Me Dumoulin, Me Awatar, Me Belluc, Me Adam

T. com. Lyon, du 3 févr. 2022, n° 2021f1…

3 février 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 9 décembre 2020, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé l'ouverture des procédures de sauvegardes au bénéfice des sociétés Ainaydis, Lumidis, Pauldis, Seredis et Servalis.

Les sociétés Ainaydis, Lumidis et Pauldis sont des sociétés exploitant des magasins pour la vente de tous produits alimentaires en supermarché. Elles ont conclu un contrat de franchise ainsi qu'un contrat d'approvisionnement avec respectivement les sociétés Carrefour Proximité France, ci-après dénommées CPF, et Carrefour Supermarché France, ci-après dénommée CSF.

La société Servalis exploite un fonds de commerce donné en location gérance par la société Seredis pour une activité identique à celle des sociétés susvisées. Elles ont toutes deux signé des contrats de franchise et d'approvisionnement avec le groupe Carrefour.

La société Pauldis est une société franchisée aujourd'hui détenue à hauteur de 74% par la société FWH, représentée par M. [V] [Z], et à hauteur de 26% par les sociétés Selima et Profidis (filiales à 100% du groupe Carrefour).

Le contrat de franchise conclu initialement entre la société Seredis et CPF a été, d'un commun accord, suspendu durant le temps de cette location-gérance. Un avenant de prorogation au contrat de franchise a été signé le 2 septembre 2015 et un avenant au contrat d'approvisionnement le 1er décembre 2014.

La société Servalis a dénoncé ses contrats en cours avec le groupe Carrefour, avec résiliation effective à compter du 1er décembre 2021, de sorte que les contrats Seredis retrouvent application à compter du 1er décembre 2021.

Les contrats de franchise et d'approvisionnement signés par les sociétés Ainaydis, Pauldis et Seredis ont fait l'objet de requêtes en résiliation déposées par leur administrateur judiciaire.

Par ordonnances du 18 juin 2021, le juge commissaire a prononcé la résiliation de ces contrats avec effet au 1er juillet 2021 concernant la société Pauldis.

Les sociétés CSF et Carrefour Proximité France ont formé des tierces-oppositions, par déclarations du 25 juin 2021, à l'encontre des ordonnances rendues le 18 juin 2021 et ont demandé leur rétractation. Les sociétés Selima et Profidis sont intervenues volontairement à l'instance aux fins de rétractation des ordonnances.

Par jugement contradictoire du 1er février 2022, le tribunal de commerce de Lyon a :

rejeté in limine litis la demande de communication des pièces effectuée par les sociétés Selima et Profidis,

déclaré irrecevable l'intervention volontaire des sociétés Selima et Profidis,

confirmé l'ordonnance rendue par Monsieur le juge-commissaire le 18 juin 2021, en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande d'intervention volontaire des sociétés Selima et Profidis, et les a débouté en conséquence de l'intégralité de leurs demandes',

rejeté l'intégralité des autres demandes, fins et prétentions, des parties,

condamné les sociétés Selima et Profidis à payer chacune la somme de 15.000 euros (soit 30.000 euros) à la société Pauldis au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné les sociétés Selima et Profidis aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître François-Xavier Awatar.

Les sociétés Profidis, Selima et CSF ont interjeté appel par déclaration du 9 février 2022.

Par arrêt du 3 février 2022, la cour d'appel de Lyon a validé l'ouverture de la procédure de sauvegarde et a débouté le groupe Carrefour de ses prétentions. Par arrêts du 4 octobre 2023, la Cour de cassation a rejeté les pourvois des sociétés Selima, Profidis et Carrefour.

Par jugement du 4 mai 2023, le tribunal de commerce de Lyon entre la société Carrefour Proximité France et la société Pauldis ainsi que la Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes a :

rejeté la demande de sursis à statuer de la société Carrefour Proximité France

confirmé l'ordonnance rendue le 18 juin 2021 par le juge-commissaire en toutes ses dispositions

débouté la société Carrefour Proximité France de l'intégralité de ses demandes

débouté les parties de toutes leurs autres demandes fins et prétentions

condamné la société Carrefour Proximité France à payer la somme de 15.000 euros à la société Pauldis sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

La société Carrefour Proximité France a interjeté appel de cette décision le 15 mai 2023.

Par jugement du 4 mai 2023, concernant la SAS CSF, la société Pauldis et la Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes, le tribunal de commerce de Lyon a :

rejeté la demande de sursis à statuer formée par la société CSF

confirmé l'ordonnance rendue le 18 juin 2021 par le juge-commissaire

débouté la société CSF de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

débouté les parties de toutes leurs autres demandes fins et prétentions,

condamné la société CSF à payer à la société Pauldis la somme de 15.000 euros à titre d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société CSF a interjeté appel de cette décision le 15 mai 2023.

***

La société Pauldis a sollicité, auprès du président de la 3ème chambre A de la cour d'appel de Lyon, une jonction d'instance entre les 3 instances introduites par les sociétés CSF et Carrefour proximité France à son encontre avec celles introduites par les sociétés Selima et Profidis à son encontre.

Par ordonnances du 28 novembre 2023, la présidente chargée de la mise en état a ordonné la jonction des affaires.

Les sociétés CSF et Carrefour, par conclusions d'incident du 19 janvier 2024, ont saisi le conseiller de la mise en état de l'article 909 du code de procédure civile aux fins d'irrecevabilité des conclusions déposées par la société Pauldis.

Par ordonnance du 14 mai 2024, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables à l'encontre des sociétés CSF et Carrefour Proximité France les conclusions déposées le 21 décembre 2023 et le 22 janvier 2024 par la société Pauldis dans le dossier 22/1180, en ce qu'elles répondaient au-delà du délai prévu à l'article 909 du code de procédure civile aux conclusions notifiées le 8 août 2023 dans les procédures RG 23/4030 et 23/3034 qui avaient été jointes à la procédure la plus ancienne.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 3 juin 2024, les sociétés Selima et Profidis demandent à la cour, au visa des articles 9, 10, 15, 16, 66, 132 à 134, 325 et 330 du code de procédure civile, les articles L. 151-1, L. 153-1, L. 622-13, R. 621-21 et R. 661-3 du code de commerce et 1102 et 1833 du code civil, de :

avant dire droit :

ordonner à Pauldis de communiquer à Selima et Profidis, dans un délai de cinq (5) jours ouvrés à compter de la décision à intervenir, tout accord conclu avec toute entité du groupe Système U organisant l'adhésion de Pauldis au réseau système u et/ou définissant le cadre et les conditions de leur partenariat, ainsi que l'ensemble des annexes y attachées.

À titre principal :

infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 1er février 2022 (RG n° 2021f01701), et notamment en ce qu'il a :

rejeté in limine litis la demande de communication de pièces effectuées par les sociétés Selima et Profidis,

déclaré irrecevable l'intervention volontaire des sociétés Selima et Profidis,

confirmé l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 18 juin 2021 en ce qu'elle a déclaré « irrecevable la demande d'intervention volontaire des sociétés Selima et Profidis, et les déboutons en conséquence de l'intégralité de leurs demandes »,

rejeté l'intégralité des autres demandes, fins et prétentions, des parties,

condamné les sociétés Selima et Profidis à payer chacune la somme de 15.000 euros (soit 30.000 euros) à la société Pauldis au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné les sociétés Selima et Profidis aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement,

Et statuant à nouveau :

déclarer recevables les interventions volontaires de Selima et Profidis,

infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge-commissaire de Pauldis du 18 juin 2021 (RG n° 2021jc02079),

rejeter la demande de résiliation des contrats présentée par Pauldis et son administrateur judiciaire,

rejeter la demande de condamnation de Selima et Profidis à verser chacune à Pauldis la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

débouter la société Pauldis et la Selarl AJ UP ès-qualités de l'intégralité de leurs demandes, fins, moyens et prétentions,

condamner la société Pauldis à payer à Selima et Profidis la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société Pauldis aux entiers dépens.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 3 juin 2024, la société CSF et la société Carrefour Proximité France (ci-après la société CPF) demandent à la cour, au visa des articles L. 151-1, L. 622-13, L. 626-10, L. 626-21 et R. 622-21 du code de commerce et les articles 16, 132 et 367 du code de procédure civile, de :

Infirmer en toutes leurs dispositions les jugements du tribunal de commerce de Lyon du 4 mai 2023 et statuant à nouveau,

ordonner la rétractation des jugements du 4 mai 2023 du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'ils ont confirmé l'ordonnance du juge commissaire du 18 juin 2021 prononçant la résiliation au 25 juin 2021 des contrats sollicités par l'administrateur judiciaire,

rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Pauldis et de la SELARL AJ UP, es-qualités d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Pauldis,

ordonner en outre qu'il soit fait défense d'exécuter les ordonnances rendues par le juge-commissaire le 18 juin 2021 contre CPF et CSF à peine de dommages et intérêts,

condamner la société Pauldis au paiement des entiers dépens ainsi qu'à payer à chacune des sociétés CPF et CSF la somme de 10.000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile,

infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 1er février 2022 (RG n° 2021f01701), et notamment en ce qu'il a :

rejeté in limine litis la demande de communication de pièces effectuées par les sociétés Selima et Profidis ;

déclaré irrecevable l'intervention volontaire des sociétés Selima et Profidis,

confirmé l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 18 juin 2021 en ce qu'elle a déclaré « irrecevable la demande d'intervention volontaire des sociétés Selima et Profidis, et les déboutons en conséquence de l'intégralité de leurs demandes »,

rejeté l'intégralité des autres demandes, fins et prétentions, des parties,

condamné les sociétés Selima et Profidis à payer chacune la somme de 15.000 euros à la société Pauldis au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné les sociétés Selima et Profidis aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement,

ordonner à la société Pauldis de communiquer, dans un délai de cinq (5) jours ouvrés à compter de la décision à intervenir, tout accord conclu avec toute entité du groupe Système U organisant l'adhésion de la société Pauldis au réseau Système U et/ou définissant le cadre et les conditions de leur partenariat, ainsi que l'ensemble des annexes y attachées.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 3 juin 2024, la société Pauldis, la Selarl AJ UP et la Selarl MJ Alpes demandent à la cour, au visa des articles 330 et suivants, 11, 15, 16, 132 à 134, 954 du code de procédure civile et les articles L.151-1 et L.622-13 du code de commerce, de :

déclarer les sociétés Selima et Profidis irrecevables en leurs interventions volontaires,

confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er février 2022 par le tribunal de commerce de Lyon (RG n°2021f1701),

rejeter la demande de communication de pièces présentée par les sociétés Selima et Profidis,

rejeter la demande de communication de pièces présentée par la société Carrefour proximité France dans ses conclusions produites dans le cadre de la procédure n°22/01180,

débouter les sociétés Selima et Profidis de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions.

débouter la société Carrefour Proximité France de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions, présentées en qualité d'intimée dans la procédure n°22/01180,

condamner solidairement les sociétés Selima et Profidis à payer chacune la somme de 15.000 euros (soit 30.000 euros) à la société Pauldis au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner les sociétés Selima et Profidis aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement.

Le ministère public, n'a pas présenté d'avis sur la procédure.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 juin 2024, les débats étant fixés au 20 juin 2024.

La société Pauldis, la Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes ont sollicité la rabat de l'ordonnance de clôture afin de verser aux débats des conclusions du Ministère des Finances et de l'Économie concernant une procédure ouverte devant le tribunal de commerce de Rennes entre différents franchisés de la société Carrefour et cette dernière société.

Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande rabat de clôture et de réouverture des débats aux fins de production de nouvelles pièces

L'article 803 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que : « L'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation. »

En l'espèce, les conclusions que la société Pauldis et la Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes souhaitent produire aux débats n'ont pas de lien avec les faits de l'espèce et portent sur un contentieux plus général entre certains franchisés de la marque Carrefour et le groupe Carrefour.

Ces pièces n'étant pas de nature à apporter des éclaircissements de droit ou de fait concernant l'objet du litige, il convient de rejeter la demande réouverture des débats, étant noté que les parties ont eu le temps préalablement à l'audience dans le cadre de la mise en état et avant l'audience de présenter les moyens nécessaires dans l'instance les opposant.

Sur l'opposabilité des conclusions de la société Pauldis et de la Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes aux parties au litige

Il convient de rappeler que suivant décision du conseiller de la mise en état du 14 mai 2024, ont été déclarées irrecevables à l'encontre des sociétés CSF et Carrefour Proximité France les conclusions déposées le 21 décembre 2023 et le 22 janvier 2024 par la société Pauldis dans le dossier 22/1180 en ce qu'elles répondent aux conclusions d'appelant notifiées le 8 août 2023 dans les procédures 23/4030 et 23/4034.

Il en ressort que les conclusions antérieures et postérieures demeurent opposables à la société Profidis et la société Selima et que les intimées sont réputées avoir admis les termes de la décision déférée concernant la société CSF et la société CPF.

Sur la demande de communication de pièces

Les sociétés Selima et Profidis font valoir que :

la demande de résiliation des contrats est principalement motivée par la volonté de procéder à un changement d'enseigne et un accord avec le réseau Système U,

les intimées citent le groupement Système U à de nombreuses reprises dans leurs conclusions et produisent des éléments soutenant qu'il apporterait une rentabilité,

l'absence de communication des accords conclus avec Système U empêche d'apprécier les informations sur lesquelles les intimés ont fondé leurs prétentions et créé une rupture d'équilibre dans l'exercice du principe du contradictoire,

les appelantes sont associées minoritaires des débitrices et disposent d'un droit d'information permanent concernant ses informations économiques et sociales,

il n'est pas démontré que les accords avec Système U comportent une clause de confidentialité, ni que cette clause ferait obstacle à leur communication aux propres associés de la société,

les données financières figurent déjà dans les prévisionnels de sorte qu'aucune donnée commercialement sensible ou secrète n'a vocation à être protégée,

les protocoles ne contiennent pas d'informations protégées par le secret des affaires qui sont contenues dans d'autres documents non concernés par la procédure,

le secret des affaires n'empêche pas la communication des accords dont les éléments sensibles peuvent être biffés, et les intimées peuvent solliciter l'application de mesures de protection pour encadrer la communication,

les jurisprudences antérieures à l'entrée en vigueur de l'article L.153-1 du code de commerce relatif au secret des affaires ne reflètent plus l'état du droit positif.

La société CSF et la société CPF font valoir que :

l'absence de production des protocoles conclus entre les débitrices et la société Système U empêche d'apprécier la nécessité de résilier les contrats avec le groupe Carrefour, et de vérifier l'exactitude des données présentées par les intimées,

l'absence de communication des accords est une violation manifeste du principe du contradictoire qui fait obstacle à l'organisation de la défense des parties,

le tribunal de commerce et la cour d'appel ne peuvent valablement exercer leur contrôle de légalité en l'absence de production des contrats avec la société Système U par l'administrateur judiciaire,

les intimés ne démontrent pas la réunion des critères cumulatifs caractérisant le secret des affaires, sans compter qu'il n'est pas démontré que des données sensibles sont contenues dans les accords,

il n'est pas démontré que la communication des accords aurait des conséquences préjudiciables pour les débitrices ou la société Système U,

en tout état de cause, l'opposition totale à la communication des accords est disproportionnée dès lors que cette pièce est nécessaire à la résolution du litige et que le juge peut ordonner une limitation du nombre de personnes pouvant y avoir accès.

La société Pauldis, la Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes font valoir que :

l'ensemble des rapports a été versé au débat et que les parties ont pu échanger de manière contradictoire sur leur contenu,

la concluante était dans une situation financière délicate en raison des contrats défavorables auxquels elle était soumise sous enseigne Carrefour et qu'elle recouvre une santé financière peu à peu depuis son passage sous l'enseigne U,

la nécessité de communication des contrats conclus avec la société Système U n'est pas démontrée,

elles ne cherchent pas une meilleure rentabilité sous enseigne U mais souhaitent éviter l'absence de rentabilité connue sous enseigne Carrefour,

il existe un risque de détournement des documents communiqués,

le secret des affaires couvre les documents dont il est demandé communication puisqu'ils présentent un caractère confidentiel, ont une valeur commerciale effective importante qui découle de leur caractère secret puisqu'ils régissent les relations entre la société Système U et la société Pauldis, et contiennent des informations sensibles comme la transmission du savoir-faire ou les conditions financières,

les pièces concernées sont conservées par les contractantes avec accès restreint en leur sein et contiennent des clauses de confidentialité,

le droit d'information de tout associé est limité et doit se faire dans le respect du secret des affaires,

au surplus, la société Système U est un concurrent direct des sociétés Selima et Profidis, de sorte que la demande de communication est de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale, et le présent litige doit rester exempt de cette concurrence.

Sur ce,

L'article 15 du code de procédure civile dispose que : « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. »

L'article 16 alinéas 1 et 2 du même code dispose que : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. »

L'article 132 du code de procédure civile dispose : « La partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance.

La communication des pièces doit être spontanée. »

L'article L151-1 du code de commerce dispose que : « Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

En l'espèce, les parties appelantes entendent obtenir la communication des accords conclus entre la société Pauldis avec toute entité du Groupe Système U organisant l'adhésion de l'intimée au réseau Système U et/ou définissant le cadre et les conditions de leur partenariat ainsi que l'ensemble des annexes qui y sont attachées. Elles estiment que seuls ces documents sont à même d'éclairer la cour quant à la rentabilité évoquée qui a mené à la résiliation des contrats de franchise liant lasociété Pauldis à la société CSF et la société CPF.

Il est relevé que dans le cadre des pièces communiquées à la société Profidis et la société Selima, ces dernières ont pu obtenir les marges commerciales comparées de la société Pauldis entre la période sous franchise Carrefour et la période après adhésion au Groupe Système U, via la transmission des marges commerciales depuis le changement d'enseigne ainsi que les marges brutes outre les comptes de résultat (pièces 82, 88 et 90).

Par ailleurs, il est noté que les appelantes ont pu obtenir un rapport, versé en pièce 10, et rédigé par le cabinet Finexsi, établissant une analyse tarifaire comparative entre les enseignes Carrefour City et Système U.

Il est noté également que la société intimée a remis les pièces permettant d'établir un comparatif entre les produits disponibles pour chaque société à laquelle elle pourrait être affiliée (pièces 112 et 113) ce qui permet donc une information des associées minoritaires complète.

Ces documents peuvent être mis en perspective avec les prévisionnels établis par le groupe Carrefour qui sont également communiqués dans le cadre de la présente instance aux appelantes associées minoritaires (pièces 34, 35, 40 et 41).

Ces pièces sont opposables à la société CSF et la société CPF puisqu'elles ont été communiquées à l'appui de leurs conclusions du 2 mai 2022 dans le dossier 22/1180, seules les pièces communiquées postérieurement avec les conclusions notifiées le 21 décembre 2023 et le 22 janvier 2024 sont inopposables.

De même, les parties ont à disposition les notes de Carrefour concernant les propositions formées dans le cadre de la procédure de sauvegarde et l'analyse réalisée par le cabinet Finexsi (pièce 84) du 22 juin 2021. Il est à relever que ce rapport se fonde sur des éléments issus des chiffres d'exploitation, notamment de la société Lumidis, ancienne société dans laquelle M. [Z] avait des parts et était caution bancaire, sous enseigne Carrefour et étant passée sous enseigne U et effectue des comparaisons avec la société Pauldis et sa situation, soit une analyse basée sur des éléments objectifs et non des prévisionnels ou des propositions, ce qui permet de donner une image différenciée des conditions de compétitivité entre les différentes enseignes et d'apporter une information permettant aux parties de se positionner.

Les documents réclamées par la société Profidis et la société Selima avant dire-droit, mais aussi par la société CSF et la société CPF au fond, portent sur des pièces non versées aux débats mais comportant par contre des éléments essentiels de l'adhésion au groupe Système U et notamment son savoir-faire ou bien les marges qui peuvent être envisagées de manière globale. Il est en outre noté que cette demande est peu claire puisqu'il y est question de toute annexe, ce qui démontre qu'il n'y a pas de volonté d'obtenir un document précis qui serait dissimulé mais bien d'entrer en possession des conditions proposées par un groupe concurrent à ses adhérents ou franchisés.

In fine, il doit être retenu que la société Pauldis, à aucun moment, n'a entendu se prévaloir des contrats réclamés par les appelantes au soutien de ses moyens, ce qui dès lors exclut toute application des dispositions de l'article 132 du code de procédure civile.

En outre, il est rappelé que la société Pauldis a fourni des éléments de comparaison qui permette à la cour de se positionner quant aux différences entre les propositions émanant des deux groupes Carrefour et Système U au profit de ses franchisés ou adhérents. Ces éléments ont été transmis en leur temps aux sociétés société Profidis et la société Selima, qui a pu les étudier et ne dispose d'aucune qualité particulière pour réclamer des documents d'une société tierce.

De plus, les appelantes ont été destinataires du rapport (pièce 84) concernant l'impact des propositions du groupe Carrefour dans le cadre de la procédure, qui insiste sur une particulière prudence quant aux propositions faites, à mettre en parallèle avec les comptes de gestion qui leur ont été remis. Il est rappelé que les appelantes ont produit de leur côté un rapport établi par M. [L], expert près la cour d'appel de Lyon, qui a également porté un avis sur les propositions faites par le groupe Carrefour, en se prononçant uniquement dans ses conclusions sur le remboursement possible ou pas des dettes de la société Pauldis.

Concernant la société CSF et la société CPF, il doit être retenu que les pièces déposées par la société Pauldis lui sont opposables mais également que leur demande tombe sous le coup de l'article L151-1 du code de commerce puisqu'elles obtiendraient par ce biais des éléments confidentiels concernant le groupe Système U qui est un de leur concurrent direct, en disposant notamment des éléments de savoir-faire transmis dans le cadre de l'adhésion, ce qui reviendrait à créer une atteinte à la libre concurrence, allant au-delà du litige opposant les présentes parties s'agissant d'une rupture de franchise. Les appelantes ne peuvent prétendre à la nécessité d'obtenir ces pièces en raison de l'objet du litige qui porte sur la résiliation d'un contrat de franchise dans le cadre d'une procédure de sauvegarde judiciaire.

En conséquence, il convient de rejeter les demandes de production de pièces formulées tant par la société Profidis et la société Selima que par la société CSF et la société CPF.

Dès lors, les décisions déférées seront confirmées sur ce point.

Sur la recevabilité des recours et interventions volontaires des sociétés Selima et Profidis

Les sociétés Selima et Profidis font valoir que :

elles sont intervenues volontairement dans le cadre de l'instance devant le juge-commissaire et sont donc devenues parties à la procédure,

l'ordonnance du juge-commissaire ne leur a pas été notifiée par le greffe, de sorte que son délai de recours n'a pas pu commencer à courir,

en tout état de cause, elles ont formé le recours le 28 juin 2021, dans les dix jours du prononcé de l'ordonnance du juge-commissaire,

elles sont intervenues devant le juge-commissaire aux fins de soutenir les prétentions de la société Carrefour Proximité France, qui a également formé un recours devant le juge-commissaire,

la résiliation des contrats de franchise et d'approvisionnement constitue une remise en cause du schéma de franchise participative portant atteinte à leurs droits en tant qu'associées minoritaires, et ont donc intérêt à appuyer les prétentions des sociétés CSF et CPF,

elles n'ont pas été représentées à cette procédure par l'associé principal de la société Pauldis qui poursuit des intérêts différents des leurs,

elles sont mises en cause comme étant à l'origine des difficultés ayant mené à la résiliation des contrats d'approvisionnement et de franchise, ce qui leur offrent la possibilité de faire état de moyens propres,

la procédure devant le juge-commissaire ne leur a pas permis de préparer leur défense en violation de l'article 6§1 de la CEDH,

le changement d'enseigne est intervenu en violation des stipulations statutaires, et elles seules peuvent défendre le respect des clauses statutaires par des moyens propres,

en tant qu'associées minoritaires, elles ont un intérêt propre à défendre l'application de la clause d'objet social limitant l'activité à l'exploitation d'un magasin sous enseigne Carrefour, sans défendre abusivement cette dernière,

leur maintien au capital de la société Pauldis ne suffit pas à établir qu'elles n'étaient pas affectées par la décision,

la loi Macron du 6 août 2015 ne s'applique pas en raison du principe de non-rétroactivité, de sorte que les clauses statutaires de la débitrice sont valables,

M. [Z] a conclu des accords avec le groupement Système U mettant en place un schéma de franchise similaire, de sorte qu'il ne peut être illicite, frauduleux ou abusif,

elles ont intérêt à s'opposer à la résiliation des contrats conclus avec la société Carrefour Proximité France, dès lors qu'elle conduirait à la défaillance de la débitrice.

La société CSF et la société CPF font valoir que le recours de la société Profidis et la société Selima est recevable et bien-fondé.

La société Pauldis, la Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes font valoir que :

les sociétés Selima et Profidis sont associées de la société débitrice et ont donc intérêt à ce qu'elle retrouve une rentabilité,

la société Profidis et la société Selima ne sont pas parties au contrat de franchise ce qui entraîne l'absence de conséquence de la résiliation sur leurs droits, et qu'elles sont représentées par le dirigeant de la société Pauldis, seule cocontractante avec la société CSF et la société CPF,

le groupe Carrefour, via la société Profidis et la société Selima se livre à un détournement du principe de la franchise participative,

la société Profidis et la société Selima défendent abusivement les intérêts du groupe Carrefour, au détriment de la société Pauldis,

la société débitrice n'est pas indissociable de son franchiseur, et quand bien même elle le serait, l'intérêt à agir des appelantes ne serait pas démontré.

Sur ce,

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'article 329 du même code dispose que l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme et n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.

En l'espèce, même si la société Profidis et la société Selima sont des associées minoritaires de la société Pauldis, elles disposent du fait de leur participation au capital d'un droit à pouvoir obtenir des explications sur la structure placée en sauvegarde judiciaire, mais aussi de la possibilité de faire valoir leurs droits si un désaccord existe entre les différents actionnaires quant à l'orientation donnée à la société dans laquelle elles possèdent des parts.

Dès lors, les appelantes disposent d'un intérêt à agir et leur action sera déclarée recevable, la décision les concernant étant infirmée sur ce point.

Sur la demande de résiliation des contrats conclus avec le groupe Carrefour

Les sociétés Selima et Profidis font valoir que :

l'objet social de la société débitrice était limité à l'exploitation d'un fonds de commerce sous enseigne Carrefour, à l'exclusion de tout autre,

toute modification des statuts ne pouvait être prise que par les associés à la majorité des trois quarts,

la dénonciation des contrats qui conduit à la nécessité pour la société franchisée de modifier son objet social échappe à la compétence des gérants,

la résiliation des contrats de franchise impliquait un arrêt de l'exploitation de la société ou la conclusion d'un nouveau contrat de franchise avec un groupe autre que Carrefour,

le juge-commissaire a commis un excès de pouvoir en résiliant les contrats conclus avec le groupe Carrefour en violation des statuts de la société,

les difficultés rencontrées sont conjoncturelles et ne peuvent être imputées aux accords conclus avec la société CSF et la société CPF, la résiliation des contrats n'étant pas nécessaire à la sauvegarde de la société Pauldis,

le groupe Carrefour a proposé un aménagement du fonctionnement qui permettait la sauvegarde de la société Pauldis,

la comparaison des conditions tarifaires du groupe Carrefour avec celles du groupement Système U est sans objet puisque ce n'est pas un motif de résiliation,

le choix de M. [Z], gérant de la société Pauldis, de poursuivre son activité sous enseigne U n'était motivé que par la volonté d'obtenir un bénéfice personnel par le biais de sa holding, la société FWH, et a instrumentalisé la procédure de sauvegarde pour obtenir la résiliation des contrats de franchise et d'approvisionnement,

en l'absence de transmission des contrats conclus avec le groupe Système U, aucun débat ne peut être tenu concernant les conditions financières et leur caractère avantageux ou pas,

les tensions avec le groupe Carrefour ne font pas obstacle à la sauvegarde, d'autant plus qu'aucun manquement contractuel ne saurait être reproché à la société CSF et la société CPF,

en cas de manquement, le juge-commissaire n'avait pas compétence pour les apprécier, et prononcer la résiliation,

aucun abus de minorité ne peut être qualifié à leur égard puisque les concluantes n'ont pas obtenu d'information en temps utile avant la tenue des assemblées générales,

le gérant de la société Pauldis est à l'origine des tensions avec le franchiseur en ayant refusé toute solution amiable, et ne peut donc s'en prévaloir pour obtenir la résiliation des contrats,

la résiliation des contrats augmenterait le passif de la société Pauldis de manière conséquente, ce qui n'a pas été pris en compte par les organes de la procédure, et le plan de sauvegarde mis en 'uvre ne suffira pas à apurer ledit passif augmenté, ce qui mettra la société Pauldis en péril,

les créances d'indemnité de résiliation déclarées par les sociétés Carrefour proximité France et CSF étaient identifiables et sérieuses, résultant de clauses contractuelles claires, précises et opposables et ont été exclues sans fondement du passif,

les intimés ne démontrent pas que la société débitrice pourrait obtenir des dommages et intérêts en cas d'action à l'encontre du groupe Carrefour, pour compenser les indemnités de résiliation déclarées par la société CSF et la société CPF,

les créances potentielles résultant d'actions judiciaires initiées par le débiteur ne peuvent être prises en compte dans le cadre du plan.

La société CSF et la société Carrefour proximité France font valoir que :

l'hypothèse de résiliation en sauvegarde par le juge-commissaire ne concerne que les contrats dont la contrepartie est trop coûteuse de sorte qu'elle contreviendrait à la sauvegarde,

la demande de résiliation des contrats signés par l'intimée avec les concluantes ne se justifie pas au regard du plan de sauvegarde,

la conclusion d'un contrat prétendument moins coûteux ne suffit pas à constituer une nécessité aux fins de sauvegarde,

aucun élément ne démontre la rentabilité pour l'intimée après la résiliation des contrats et le tribunal ne disposait pas des informations nécessaires pour procéder au contrôle de nécessité,

l'intimée s'est réengagée en connaissance de cause avec le groupe Carrefour en 2019,

le tribunal n'aurait dû se fonder que sur les contrats litant l'intimée et le groupe Carrefour et les propositions émises par ce dernier pour apprécier la nécessité ou non de résilier les contrats,

il n'est pas démontré que le maintien de l'intimée au sein du réseau Carrefour ne serait pas rentable,

le maintien de l'intimée dans le réseau Carrefour dans les conditions de la dernière offre proposée par le groupe Carrefour, comportant des aides, serait plus avantageux pour elle et aurait permis un retour à la rentabilité,

les sentences arbitrales du 20 février 2024 ont confirmé que la résiliation des contrats entraînait la constitution d'un passif complémentaire important ce qui est donc contraire à l'intérêt du franchisé de voir son passif apuré, d'autant plus que ce passif n'a pas été pris en compte dans son plan de sauvegarde,

les créances indemnitaires du groupe Carrefour étaient prévisibles et vraisemblables, montrant que la résiliation n'étaient donc pas nécessaire,

le schéma de franchise participative et le soutien du groupe Carrefour a permis à la société débitrice de se constituer un patrimoine mobilier et immobilier substantiel sans apport significatif de ses associés,

les difficultés financières sont dues à la crise sanitaire et non aux conditions des contrats de franchise et d'approvisionnement,

la société Pauldis n'a pas engagée la procédure amiable et contractuelle de règlement des litiges avec les concluantes qui aurait pourtant permis de traiter les difficultés alléguées,

l'absence de contrôle des prix et de la marge par le franchisé, ainsi que les conditions contractuelles telles que l'utilisation d'un logiciel informatique spécifique ne constituent pas un motif de résiliation,

le modèle de la franchise participative du groupe Carrefour présente des avantages qui n'ont pas été pris en compte et qui expliquent son caractère répandu y compris chez d'autres enseignes permettant notamment un développement avec des apports minimes, ce dont avait connaissance M. [Z],

la résiliation cause un préjudice disproportionné aux concluantes,

le défaut de prise en compte de leurs créances dans le plan de sauvegarde démontre qu'elles n'ont pas été traitées comme les autres créanciers,

la résiliation des contrats porte une atteinte excessive à leurs droits en raison de la perte de territoires attractifs, de gains financiers importants, en particulier dans un schéma de franchise participative qui prévoit un investissement initial faible du franchisé,

ni la société FWH, maison-mère de l'intimée, ni les concluantes n'ont dénoncé le protocole d'accord du 13 juin 2019 qui demeure en vigueur, la résiliation des contrats emportant sa violation,

la résiliation porte une atteinte excessive aux droits des concluantes en faisant courir un risque de défaillances en chaîne des autres franchisés du groupe, notamment dans un contexte de fronde instigué par le groupe Système U, avec un détournement de la procédure de sauvegarde pour ce faire.

La société Pauldis, Selarl AJ'UP et la Selarl MJ Alpes font valoir que :

le contrôle du juge-commissaire a régulièrement porté sur la nécessité et l'absence d'atteinte excessive,

la société débitrice a rencontré des difficultés économiques importantes, aggravées par la crise sanitaire,

le groupe Carrefour a été défaillant dans son devoir d'assistance, de sorte que la confiance a été rompue,

la société FWH a été en conséquence contrainte de procéder à des remontées de fonds, notamment pour faire face à la concurrence ; ces remontées de fonds ont été validées par les sociétés Selima et Profidis, qui ne peuvent dès lors contester la légitimité de ces opérations,

le juge-commissaire a relevé l'absence de rentabilité de la concluante,

face à ces difficultés, la résiliation du contrat était nécessaire à la sauvegarde de la débitrice,

le groupe Carrefour a fait preuve de plusieurs manquements contractuels à l'égard du groupe de la concluante, notamment de dysfonctionnements du logiciel de vente ou de caisse, ou de retards dans les livraisons, ou de baisse arbitraire des ristournes de fin d'année,

il était urgent pour retrouver une rentabilité suffisante de rééquilibrer la relation entre la débitrice et le cocontractant, ou à défaut de sortir du réseau Carrefour,

depuis que les sociétés du groupe de la concluante ont changé d'enseigne, elles retrouvent la rentabilité,

la contre-étude économique du groupe Carrefour est erronée, imprécise et partiale, de sorte qu'elle n'est pas probante d'autant plus que les progrès financiers sous la nouvelle enseigne démontrent son caractère erroné,

les propositions d'apurement du passif n'avaient pas à intégrer les créances indemnitaires déclarées par le groupe Carrefour et contestées par la débitrice,

ces créances relèvent de la compétence du tribunal arbitral qui aura à en connaître, et si jamais il les acceptait, une compensation interviendrait en raison des dommages et intérêts que la société Pauldisest en droit de réclamer,

la sentence arbitrale invoquée par les appelantes n'est pas assortie de l'exécution provisoire,

ma société Profidis et la société Selima disposent d'une minorité de blocage et ne votent que dans les intérêts du groupe Carrefour, au détriment de l'intérêt sociale de la société Pauldis,

l'article L.626-3 du code de commerce a permis la modification des statuts de la concluante lors de l'assemblée générale du 2 février 2022, qui n'a pas fait l'objet d'un recours en nullité,

même sans appliquer ce texte, la clause d'enseigne demeure réputée non écrite,

l'abus de minorité des sociétés Selima et Profidis justifie la nomination d'un administrateur ad hoc pour modifier la clause d'enseigne sans compter que d'autres sanctions peuvent être prononcées en cas de minorité de blocage,

la cour d'appel de Lyon s'est déjà prononcée sur la clause d'enseigne dans ses arrêts du 11 janvier 2024,

la concluante peut être exploitée sous une enseigne autre que Carrefour, de sorte que les contrats dont la résiliation est sollicitée ne sont pas essentiels à son activité,

l'Autorité de la concurrence n'a pas approuvé la validité du montage mis en place par le groupe Carrefour et affirme que son immixtion dans la gestion des franchisés est forte,

les engagements perpétuels sont prohibés, or, l'argumentaire du groupe Carrefour soutient ce type d'engagement,

la poursuite des contrats se confronterait à la perte de confiance entre la concluante et le groupe Carrefour,

le groupe Carrefour n'a pas proposé de solution concrète et sérieuse permettant à la concluante et à ses s'urs de retrouver une rentabilité suffisante et ne répondait pas aux griefs soulevés notamment concernant les problèmes de logistique ou de perte de confiance,

l'absence de sauvegarde et de résiliation des contrats par le juge-commissaire aurait placé la concluante dans une situation financière dramatique,

la question de l'atteinte excessive aux sociétés Selima et Profidis est indifférente puisqu'elles ne sont pas cocontractantes et bénéficient par ailleurs de la rentabilité nouvelle de la société Pauldis,

la société Carrefour Proximité France, seule véritable cocontractante, ne souffrira d'aucun préjudice excessif de la résiliation du contrat, tant financièrement qu'en termes d'image de même que la société CSF,

le schéma du groupement Système U est différent du schéma proposé par le groupe Carrefour, et les statuts peuvent être modifiés avec un changement d'enseigne,

il n'existe ni tentative de déstabilisation du réseau ni fraude de la part de la concluante ou de M. [Z], cette question étant par ailleurs étrangère à la présente instance,

la possibilité d'une défaillance en chaîne du réseau Carrefour est indifférent puisque le litige ne porte que sur le sort de la société Pauldis,

la société CSF et la société CPF ne peuvent considérer la débitrice comme une succursale puisqu'elle est un franchisé qui par définition est un indépendant qui a donc la possibilité de changer d'enseigne.

Sur ce,

L'article L622-13 IV du code de commerce dispose que : « A la demande de l'administrateur, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. »

Il s'évince de ce texte la nécessité de respecter deux critères cumulatifs à savoir la sauvegarde de la société débitrice et l'absence d'atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

S'agissant des statuts de la société Pauldis, il convient de rappeler que la répartition du capital permet à la société Profidis et la société Selima de détenir 26% de celui-ci et d'une minorité de blocage.

Dans une décision précédente, ayant déjà fait l'objet de recours, le juge-commissaire a autorisé la tenue d'assemblées générales permettant la modification des statuts mais aussi modifiant les modalités de vote, excluant de ce fait la minorité de blocage des appelantes, dans le but de redresser la société débitrice.

Il est nécessaire de rappeler que la société Profidis et la société Selima ne sont pas les cocontractantes de la société CSF et la société CPF, seule la société Pauldis ayant cette qualité. De fait, c'est uniquement le redressement de cette entreprise qui doit être pris en compte et non la volonté de chacun des associés.

S'agissant du statut de chacune des sociétés, il est rappelé que la société Pauldis a comme objet social indiqué au K Bis « Supermarché ». Il est également constant qu'en tant que franchisé, la société Pauldis est indépendante du franchiseur, ce qui est un des principes essentiels de la notion de franchises à la différence des succursales.

Le concept de franchise participative a mené à ce que la société Profidis et la société Selima prennent des parts dans la société Pauldis afin de permettre la mise sur pied de la structure.

S'agissant de la société Profidis et la société Selima, leur K Bis indique qu'elles ont pour activité une activité financière, de gestion de holding et d'investissement.

Si les statuts initiaux indiquaient que la société avait pour objet social d'exercer une activité de supermarché ou supérette sous l'enseigne Carrefour, il convient de rappeler que suite à l'autorisation donnée par le juge-commissaire, une assemblée générale s'est tenue, menant à la modification des statuts concernant l'enseigne, l'objet social demeurant le même, à savoir l'exploitation d'un supermarché ou d'une supérette, avec disparition de la clause d'enseigne qui de jurisprudence constante est inopposable pour éviter tout engagement perpétuel.

En outre, la rédaction des statuts antérieurs ne menaient pas à indiquer que la société Pauldis ne pouvait exister que si elle exerçait sous l'enseigne Carrefour.

Il convient en outre de rappeler que la clause d'enseigne pour un franchisé ne peut le lier de manière indéfinie. De même, il sera rappelé qu'objet social et intérêt social d'une entreprise ne sont pas identique, l'intérêt social d'une entreprise étant de continuer à exercer sans connaître de difficultés financières menant à sa fermeture.

Il est noté que la société Profidis et la société Selima n'ont pas attaqué en justice les résolutions votées dans le cadre de l'assemblée générale en nullité.

Les appelantes estiment que la décision du juge-commissaire, confirmée par le tribunal de commerce a été prise en ne tenant pas compte des critères cumulatifs prévus à l'article L622-13 IV du code de commerce à savoir la nécessité de sauvegarde de la société débitrice et l'absence d'atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

Sur ce point, les sociétés Profidis et la société Selima qui présentent de nombreux moyens, si elles disposent d'un intérêt effectif à agir, ne sont pas pour autant parties au contrat liant la société Pauldis à la société CSF et la société CPF.

De fait, il convient donc de s'intéresser à la sauvegarde de la société Pauldis et à l'existence ou non d'une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

Sur le premier point, il est relevé que le placement sous le régime de la sauvegarde de la société Pauldis était une nécessité afin de prévenir l'aggravation des difficultés financières existantes, étant rappelé son endettement mais aussi la nécessité de remboursement d'un PGE.

La Chambre Commerciale de la cour de cassation dans plusieurs arrêts du 17 janvier 2024 a rejeté les pourvois relatifs à la contestation de la mise en 'uvre de la procédure de sauvegarde étant rappelé que la société Profidis et la société Selima estimaient, de même que la société CSF et la société CPF, que cette procédure avait été ouverte via un mécanisme de fraude afin de changer d'enseigne, moyens non retenus par la cour de cassation.

Les différents éléments et bilans financiers versés aux débats par la société Pauldis et opposables dans les limites susmentionnées aux parties appelantes, permettent de retenir une situation obérée avant la demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde et la nécessité de trouver des solutions adaptées pour apurer le passif de l'entreprise et revenir a minima à une situation de stabilité financière.

Concernant la société intimée, il est relevé au cours de l'année 2020 une perte de 252k€ et des résultats déficitaires pendant la période d'observation outre un endettement de 1.609.240 euros.

Ces éléments traduisent de manière objective une absence de rentabilité de la structure. Devant le juge-commissaire puis les différentes juridictions ont été présentés les prévisionnels relatifs à cette même société en cas de changement d'enseigne ce qui permettrait un apurement de ses dettes, y compris au niveau de ses fournisseurs ou en cas de nouvelle déclaration de créances qui permettrait l'ouverture d'une procédure de contestation.

Il est rappelé que la procédure arbitrale concernant les sommes réclamées par la société CSF et la société CPF a été mise en 'uvre et que la sentence fait l'objet d'une contestation dont le résultat n'était pas connu à la clôture de la mise en état, étant rappelé que l'exécution provisoire des sentences arbitrales n'a pas été ordonnée.

La société CSF et la société CPF mettent en avant le fait que la société Pauldis cherche avant tout à faire une opération bénéficiaire et ne pas s'acquitter de ses dettes envers elle, mais met également en péril le réseau de franchisés par sa volonté de résiliation du contrat de franchise.

Sur ce dernier point, la société CSF et la société CPF ne rapportent pas la preuve que le poids de la société Pauldis dans son résultat net est d'une importance telle que son départ causerait un déséquilibre financier irrémédiable et n'indique pas non plus quelle part elle représente également dans son résultat, étant rappelé que l'article L622-13 IV du code de commerce vise une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

Or, la société CSF et la société CPF expliquent elles-mêmes dans leurs écritures qu'elles disposent d'un réseau conséquent de franchisés et n'indique pas, dans ses conclusions ou dans les pièces versées aux débats que le départ de la société Pauldis porterait une atteinte grave à ses intérêts financiers.

Les deux appelantes se contentent en l'état de procéder par généralités sans dire pourquoi le départ de l'intimée leur nuirait profondément.

Il est constant que la société CSF et la société CPF ne rapportent pas cette preuve et le seul fait qu'elles envisagent de déclarer une créance d'un montant conséquent en cas de résiliation du contrat ne vient pas non plus caractériser l'existence d'un déséquilibre à son détriment eu égard aux bilans comptables versés aux débats par la société Pauldis concernant le groupe Carrefour et ses structures.

Le fait que la société CSF et la société CPF indiquent que cette rupture de contrat de franchise pourrait nuire à son maillage territorial et inciter d'autres franchisés à faire de même relève en l'état de la spéculation faute de preuves en la matière.

En outre, il est rappelé que la procédure de sauvegarde a pour objet principal d'aider une entreprise à faire face à ses difficultés financières et à leur survivre tout en remboursant les dettes existantes.

Les éléments de comparaison entre la franchise Carrefour et l'adhésion au Groupe Système U, permettent de noter dans un premier temps au regard de l'expérience de la société Lumidis, qui est un point de comparaison repris par les différentes parties, un retour à une meilleure santé financière mais aussi à une rentabilité, ce qui relève de l'intérêt social de toute société.

Par ailleurs, les constats d'huissier versés en procédure montrent un plus grand nombre de références au sein du Groupe U qu'au sein de la franchise Carrefour avec des prix plus bas chez le premier.

S'il existe un désaccord entre les différents avis techniques fournis par les parties, que ce soit par le rapport du cabinet Finexsi et le rapport de M. [L], le fait que le premier soit fondé sur des éléments objectifs et non sur des projections permet d'envisager de manière claire un retour à l'équilibre voire à une rentabilité au profit de la société Pauldis, soit ce qui est demandé dans le cadre d'une procédure de sauvegarde.

En outre, les premiers éléments de comptes de gestion remis par la société Pauldis démontrent que cette dernière affiche un retour à la rentabilité mais aussi peut recouvrer des bénéfices, ce qui est non seulement dans l'intérêt de la société mais aussi de ses associées, la société Profidis et la société Selima, le fait qu'elles soient des émanations du Groupe Carrefour étant indifférent puisqu'elles profiteront à terme de la rentabilité de la société Pauldis.

De fait, l'analyse des différents éléments comptables versés aux débats démontre tout l'intérêt d'une résiliation du contrat de franchise conclu avec la société CSF et la société CPF.

En conséquence, il convient de confirmer les décisions déférées sur ce point.

Sur les demandes accessoires

La société Profidis et la société Selima et la société CSF et la société CPF échouant en leurs prétentions, elles seront condamnées à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel.

L'équité commande d'accorder à la société Pauldis une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Étant rappelé que les conclusions postérieures au 2 mai 2022 ne sont pas opposables à la société CSF et la société CPF, seule la demande formée à l'encontre de la société Profidis et la société Selima peut être examinée.

En conséquence, la société Profidis et la société Selima seront condamnées solidairement à payer à la société Pauldis la somme de 10.000 euros à titre d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel

Déboute la SAS Profidis, la SAS Selima, la SAS Carrefour Proximité France et la SAS C.S.F de leur demande de production de pièces,

Confirme les décisions déférées sauf en ce qu'elles ont déclaré la SAS Profidis et la SAS Selima irrecevables en leur intervention,

Y ajoutant

Condamne la SAS Profidis, la SAS Selima, la SAS Carrefour Proximité France et la SAS C.S.F à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel,

Condamne solidairement la SAS Profidis et la SAS Selima à payer à la SAS Pauldis la somme unique de 10.000 euros à titre d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.