CA Poitiers, ch. du premier président, 19 septembre 2024, n° 24/00044
POITIERS
Ordonnance
Autre
PARTIES
Défendeur :
Euro-Leasing GmbH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lafond
Avocats :
Me Mazaudon, Me Clerc
Faits et procédure :
La société TRANS EUROPE 17 a pour activité le transport routier de fret de proximité.
Selon jugement en date du 10 mai 2022, le tribunal de commerce de Niort a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société TRANS EUROPE 17 et désigné Maître [B] [I] en qualité d'administrateur et la SARL [O], en la personne de Maître [T] [O], en qualité de mandataire judiciaire.
Selon jugement en date du 11 octobre 2022, le tribunal de commerce de Niort a prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire de la société TRANS EUROPE 17 en liquidation judiciaire et désigné la SELARL [O], en la personne de Maître [T] [O], en qualité de liquidateur.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 24 octobre 2022, la société EURO LEASING GMBH, a adressé à la SELARL [O] ès qualités, par l'intermédiaire de son conseil, une demande de revendication portant sur 18 véhicules donnés en location à la société TRANS EUROPE 17.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 25 octobre 2022, la SELALR [O] ès qualités indiquait au conseil de la société EURO LEASING GMBH qu'elle ne pouvait donner une suite favorable à sa demande au motif que celle-ci aurait été faite hors délai, soit plus de trois mois après la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective.
Par requête en date du 4 novembre 2022, la société EURO LEASING GMBH a saisi le juge-commissaire aux fins de voir constater son droit de propriété sur les 18 véhicules loués à la société TRANS EUROPE 17.
Selon ordonnance en date du 7 février 2023, le juge-commissaire a rejeté toutes les demandes de la société EURO LEASING GMBH.
Selon lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en date du 13 février 2023, la société EURO LEASING GMBH a formé un recours à l'encontre de cette décision devant le tribunal de commerce de Niort.
Par jugement en date du 20 février 2024, le tribunal de commerce de Niort a :
ordonné l'annulation de l'ordonnance du 7 février 2023,
jugé que l'administrateur judiciaire a effectué une demande de poursuite tacite des contrats de location de véhicules conclus entre la société EURO LEASING GMBH et la société TRANS EUROPE 17 et que le non-paiement des échéances vaut résiliation de plein droit de ceux-ci ;
ordonné la restitution des véhicules objet des deux contrats du 26 juillet 2021 ;
condamné la SELARL [O] ès qualités à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la SELARL [O] ès qualités aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés pour 123,46 euros toutes taxes comprises ;
débouté la SELARL [O] ès qualités de toutes ses demandes, fins et conclusions.
La SELARL [O] ès qualités a relevé appel dudit jugement selon déclaration en date du 28 mars 2024.
Par exploit en date du 3 juillet 2024, la SELARL [O] ès qualités a fait assigner la société EURO LEASING GMBH devant la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, aux fins d'obtenir, par application des dispositions de l'article R.661-1 alinéa 1du code de commerce, l'arrêt de l'exécution provisoire de la décision dont appel.
L'affaire a été appelée à l'audience du 18 juillet 2024.
La SELARL [O] ès qualités fait valoir que les contrats de location conclus entre la société EURO LEASING GMBH et la société TRANS EUROPE le 26 juillet 2021 n'auraient fait l'objet d'aucune publicité avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société TRANS EUROPE 17, de sorte qu'il appartenait à la société EURO LEASING GMBH de revendiquer la propriété des véhicules donnés en location dans les conditions prévus par l'article L.624-9 du code de commerce, lequel impose que l'action soit formée dans le délai de trois mois suivant l'ouverture de la procédure collective.
Elle expose que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société TRANS-EUROPE 17 a été publié au BODACC le 13 mai 2022, de sorte que le délai de revendication aurait expiré le 16 août 2022.
Elle indique que la société EURO LEASING GMBH a adressé sa demande de revendication à la SELARL [O] le 24 octobre 2024, soit plus de deux mois après l'expiration du délai imparti, de sorte que sa demande de revendication serait irrecevable.
Elle fait ainsi valoir que le droit de propriété des véhicules objets des contrats de location serait inopposable à la liquidation judiciaire de la société TRANS EUROPE 17 et que la société EURO LEASING GMBH ne pourrait prétendre en obtenir la restitution.
Elle soutient que contrairement à ce qu'à retenu le tribunal de commerce de Niort, il importerait peu que l'administrateur ait été informé, au cours de la période d'observation, de l'existence de contrats de location et du droit de propriété de la société EURO LEASING GMBH, que les contrats aient été poursuivis au cours de cette période ou encore que la résiliation de plein droit des contrats de location pour défaut de paiement des loyers soit encourue.
Selon avis en date du 11 juillet 2024, le ministère public conclue qu'il existe des moyens sérieux à l'appui de l'appel, justifiant qu'il soit fait droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la décision dont appel.
La société EURO LEASING GMBH s'oppose à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Elle fait valoir que la SELARL [O] ne justifierait d'aucun moyen sérieux de réformation.
Elle rappelle ainsi les dispositions des article L.622-13 et L641-11-1 du code de commerce et soutient que le liquidateur serait tenu de mettre fin aux contrats en cours lorsqu'il apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir ses obligations.
Elle indique que l'administrateur ne contesterait pas avoir pris la décision de poursuivre les contrats conclus avec elle sans pour autant régler les échéances pendant la période d'observation et que cette admission aurait été entérinée par le juge-commissaire à hauteur de 80 756,21 euros au terme d'une décision passée en autorité de chose jugée.
Elle fait ainsi valoir que l'article 20-1 desdits contrats prévoirait expressément une résiliation de plein droit en cas de défaut de paiement de plus d'un loyer, de sorte que les deux contrats de locations de véhicules auraient été résiliés de plein droit et que les véhicules objets desdits contrats auraient dû être restitués.
Elle soutient ainsi que ce serait à bon droit que le tribunal de commerce de Niort a retenu la résiliation de plein droit des contrats de location et ordonné la restitution des véhicules objet des contrats de location.
Elle fait valoir qu'au regard des dispositions de l'article L.624-10 du code de commerce et de la jurisprudence de la cour de cassation, la propriété des véhicules serait opposable à la procédure collective.
Elle ajoute que sa propriété sur les véhicules litigieux aurait été portée à la connaissance de l'administrateur dans les jours suivants l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et qu'elle aurait été expressément mentionnée sur l'inventaire réalisé par Maître [C].
Elle soutient que la SELARL [O] ne justifierait d'aucune conséquence manifestement excessive alors que la situation de la société en liquidation judiciaire n'aurait pas évolué et que rien ne justifierait un arrêt de l'exécution du jugement.
Elle ajoute que la situation serait d'avantage préjudiciable pour elle, les véhicules étant stockés depuis plusieurs mois à l'extérieur, sans surveillance, ni entretien, de sorte qu'ils perdraient de leur valeur.
Elle sollicite la condamnation de la SELARL [O] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Motifs :
L'article R.661-1 du code de commerce dispose que « les jugements et ordonnances rendus en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire.
Toutefois, ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire les jugements et ordonnances rendus en application des articles L. 622-8, L. 626-22, du premier alinéa de l'article L. 642-20-1, de l'article L. 651-2, des articles L. 663-1 à L. 663-4 ainsi que les décisions prises sur le fondement de l'article L. 663-1-1 et les jugements qui prononcent la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8.
Par dérogation aux dispositions de l'article 524 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux. L'exécution provisoire des décisions prises sur le fondement de l'article L. 663-1-1 peut être arrêtée, en outre, lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Dès le prononcé de la décision du premier président arrêtant l'exécution provisoire, le greffier de la cour d'appel en informe le greffier du tribunal.
En cas d'appel du ministère public d'un jugement mentionné aux articles L. 645-11, L. 661-1, à l'exception du jugement statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, L. 661-6 et L. 661-11, l'exécution provisoire est arrêtée de plein droit à compter du jour de cet appel. Le premier président de la cour d'appel peut, sur requête du procureur général, prendre toute mesure conservatoire pour la durée de l'instance d'appel ».
Par application des dispositions de l'article L.624-9 du code de commerce, il est admis que seul le propriétaire d'un bien faisant l'objet d'un contrat publié selon les modalités de l'article R.624-15 du code de commerce, est dispensé d'agir en revendication et qu'en conséquence, tout autre propriétaire est tenu d'agir par la voie de l'action en revendication dans le délai de trois mois suivant la publication au Bodacc de la décision d'ouverture de la procédure collective.
En l'espèce, sans reprendre les dispositions des articles L.624-9 et L.624-10 du code de commerce, le tribunal retient que « l'inventaire du commissaire-priseur en date du 26/07/2022 fait apparaitre clairement que la propriété des 18 véhicules en location est celle d'EURO-LEASING GMBH et ne font donc pas partie des actifs de l'entreprise. Cette propriété n'est contestée par aucune des parties et ces déclarations ont été effectuées dans un délai de trois mois suivant la mise en place de la procédure de redressement judiciaire ».
Or, la société EURO-LEASING GMBH ne conteste pas ne pas avoir agi en revendication dans le délai de trois mois, mais soutient, au regard de la jurisprudence de la cour de cassation concernant la propriété d'un aéronef, que l'immatriculation des véhicules serait de nature à constituer une publication au sens de l'article L.624-10 du code de commerce, de sorte qu'elle aurait été dispensée d'agir en revendication.
Il en résulte que la motivation du tribunal de commerce ne permet pas de répondre aux moyens soulevés par les parties.
En conséquence, le moyen invoqué par la SELARL [O] paraît sérieux.
Succombant à la présente instance, la société EURO-LEASING GMBH sera condamnée aux dépens de la présente instance.
Décision :
Par ces motifs, nous, Estelle LAFOND, conseillère chargée du secrétariat général de la première présidence déléguée par la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, statuant par ordonnance contradictoire :
Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement rendu par le tribunal de commerce de Niort le 20 février 2024,
Condamnons la société EURO-LEASING GMBH aux dépens de la présente instance
Deboutons la société EURO-LEASING GMBH de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile
Et nous avons signé la présente ordonnance avec le greffier.