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Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 19 septembre 2024, n° 22/03053

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Wuji - École d'arts martiaux (Sté)

Défendeur :

Locam (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soubeyran

Conseillers :

M. Bruey, Mme Franco

Avocats :

Me Archimbaud, Me Leclerc, Me Laporte, Me Garrigue, SELARL Lexi Conseil ' Defense

TJ Béziers, du 10 janv. 2022, n° 18/0062…

10 janvier 2022

FAITS ET PROCÉDURE

1- Le 24 novembre 2014, l'association Wuji a conclu suite à un démarchage téléphonique un contrat de location de longue durée avec la SAS Locam portant sur un photocopieur de marque Olivetti MF 3100 commandée à la SARL Chrome Bureautique devenue depuis lors 'IME'.

2- Le matériel a été installé le 6 janvier 2015.

3- Le 27 février 2017, arguant de ce qu'elle aurait été victime de manoeuvres dolosives, l'association Wuji a mis en demeure la société IME de tenir ses engagements contractuels à savoir le versement d'une participation commerciale tous les 21 mois à trois reprises sur la durée des 63 mois de location du matériel, en vain.

4- Le 8 août 2017, la SAS Locam a vainement mis en demeure l'association Wuji d'avoir à régler les mensualités impayées sous peine de résiliation du contrat.

5- C'est dans ce contexte que, par actes en date des 28 novembre 2017 et 18 mai 2020, l'association Wuji a fait assigner la SAS Locam et la société IME en qualité de mandataire de celle-ci devant le tribunal judiciaire de Béziers en nullité du contrat.

6- Par jugement du 24 novembre 2017, la société IME a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Montpellier.

7- La clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actifs a été prononcée par jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 12 novembre 2021.

8- Par jugement réputé contradictoire en date du 10 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Béziers a :

- constaté que le contrat de location longue durée conclu entre l'association Wuji et la SAS Locam le 24 novembre 2014 a été résilié pour défaut de paiement de l'association le 17 août 2017 ;

- fixé à 9 246,12 euros le montant dû par l'association Wuji au titre de l'échéance impayée et des échéances restant dues ;

- réduit à 462,30 euros le montant de la clause pénale afférente ;

- débouté l'association Wuji du surplus de ses demandes ;

- condamné l'association Wuji à payer à la SAS Locam la somme totale de 9 708,42 euros, ladite somme portant intérêts au taux légal à compter du 17 août 2017 ;

- condamné l'association à payer à la SAS Locam la somme de 1200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

- rejeté toute demande plus ample ou contraire.

9- L'association Wuji a relevé appel de ce jugement le 8 juin 2022.

PRÉTENTIONS

10- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 7 mai 2024, l'association Wuji demande en substance à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de nullité et de caducité du contrat de location et l'a condamnée à lui payer la somme de 9 702,42 euros outre intérêts, à la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le réformer et, y ajoutant, de :

- Annuler sur le fondement de l'article L. 242-1 du code de la consommation le contrat de location de longue durée entre l'association Wuji et la SAS Locam ;

- Tirer toutes conséquences de droit de cette nullité, et juger l'absence de toute créance de la société Locam fondée sur ce contrat, et la condamner à restituer l'ensemble des loyers perçus par elle ;

- Débouter en conséquence la société Locam de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Donner acte à l'association Wuji de sa volonté de payer une indemnité mensuelle de 5 euros, au titre de la location du matériel, jusqu'à la date de la mise en demeure délivrée par l'association Wuji à la société Locam ;

- A titre subsidiaire, annuler pour dol sur le fondement de l'article 1116 du Code civil le contrat de location de longue durée, afin qu'en soient tirées toutes conséquences de droit, spécialement la restitution par la société Locam de tous les loyers perçus ;

Tirant toutes les conséquences de droit de cette annulation, constater l'absence de toute créance de la société Locam ayant pour fondement ce contrat de location ;

Donner acte à l'association Wuji de sa volonté de payer une indemnité mensuelle de 5 euros, au titre de la location du matériel, jusqu'à la date de la mise en demeure délivrée par l'association Wuji à la société Locam ;

Dire et juger, du fait du lien d'interdépendance, que le contrat de garantie et de maintenance est caduc ;

- A titre très subsidiaire,

Annuler pour dol sur le fondement de l'article L.242-1 du code de la consommation et de l'article 1116 du code civil le « bon de commande » et le contrat de partenariat-client référent signés le 24 novembre 2014 en vue de la location du matériel entre l'association Wuji, d'une part, et la société Chrome Bureautique, d'autre part, et du fait du lien d'interdépendance entre le bon de commande et le contrat de location financière, prononcer par voie de conséquence, la caducité du contrat de location longue durée conclu le 24 novembre 2014, entre l'association Wuji, et la société Locam ;

Tirant toutes les conséquences de droit de cette annulation, ordonner la restitution par la société Locam de tous les loyers perçus, sauf à en déduire la somme correspondant à une indemnité d'utilisation des biens loués par l'association Wuji jusqu'au mois d'avril 2017, date du courrier de mise en demeure envoyé à Locam, et que le tribunal fixera à 5 euros par mois pour toute la durée d'utilisation susdite du matériel loué, conformément à la proposition faite par Chrome Bureautique, constater l'absence de toute créance de la société Locam ayant pour fondement ce contrat de location ;

Dire et juger, du fait du lien d'interdépendance, que le contrat de garantie et de maintenance est caduc.

- A titre infiniment subsidiaire,

Constater que le contrat de partenariat client référent conclu le 24 novembre 2014 a été frappé de caducité suite au refus de la société Chrome Bureautique de poursuivre le partenariat, et suite enfin au refus par le liquidateur judiciaire de poursuivre l'exécution de ce contrat ;

Dire et juger que, par voie de conséquence, du fait du lien d'interdépendance unissant ce contrat au bon de commande et au contrat de location financière conclu le même jour, le contrat de location financière est devenu caduc, et ce à compter de l'issue de la première période de 21 mois le 24 août 2016 ;

Tirant toutes conséquences de droit de cette caducité, dire et juger que la SAS Locam doit restituer à l'association Wuji l'ensemble des loyers acquittés par elle au titre de la location, postérieurement à l'expiration de la première période de 21 mois ;

Donner acte à l'association Wuji de sa volonté de payer depuis le mois d'août 2016 une indemnité mensuelle de 5 euros, au titre de l'utilisation du matériel, et ce jusqu'à la date du 9 avril 2017, date de l'envoi de la lettre de mise en demeure adressée à la société Locam ;

- En toute hypothèse, dire et juger que la restitution du matériel se fera à la diligence et aux frais des sociétés Chrome Bureautique et Locam ;

- Débouter la société Locam de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;

- Ordonner l'exécution provisoire des dispositions du jugement faisant droit aux prétentions de l'association Wuji;

- Condamner la société Locam au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 1er décembre 2022, la société Locam entend voir juger non fondé l'appel de l'association Wuji, la débouter de toutes ses demandes comme pour partie irrecevables et toutes non fondées, confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a réduit à l'euro symbolique la clause pénale de 10 %, le réformer de ce chef et :

- Allouer à la société Locam au titre de ladite clause pénale la somme de 924,60 euros (portant donc à 10 170,72 euros le montant de la créance totale de la société Locam outre intérêts au taux légal) ;

- Condamner la société Wuji à lui régler une indemnité de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'instance comme d'appel.

11- Vu l'ordonnance du clôture du 15 mai 2024.

12- Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

13- L'association Wuji soutient à titre principal la nullité du contrat litigieux en raison du non-respect des règles du droit de la consommation applicables au droit de rétractation dans le cadre des contrats conclus hors établissement.

14- La société Locam soutient, quant à elle, à l'appui de sa demande de confirmation du jugement que :

- ce moyen doit être déclaré irrecevable en vertu du principe de l'estoppel dès lors que l'association a soutenu en première instance l'application des dispositions du code monétaire et financier.

- les dispositions du droit consumériste sont inapplicables au contrat litigieux dès lors que si elles s'étendent sous certaines conditions à deux professionnels, elles sont inapplicables aux non-professionnels tels que l'association Wuji.

- le code de la consommation exclut par application de la directive européenne 2011/83/UE du 25 octobre 2011 qu'il transpose, les services financiers de son champ d'application.

15- Sur le premier point, en application des dispositions des articles 72 et 563 du code de procédure civile, les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause et, pour justifier les prétentions qu'elles ont soumises au premier juge, les parties peuvent en cause d'appel invoquer des moyens nouveaux. Il a été jugé que viole ces dispositions la cour d'appel qui déclare irrecevable un moyen nouveau en invoquant la règle de l'estoppel, selon laquelle nul ne peut se contredire au détriment d'autrui (Com. 10 février 2015 n°13-28.262). Ce moyen sera en conséquence rejeté.

16- S'agissant de l'application du droit consumériste, suivant l'article L121-16 du code de la consommation dans sa version en vigueur à la date de conclusion du contrat litigieux antérieure à l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, est considéré comme un :

2° "Contrat hors établissement" tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :

a) Dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;

c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur ;

3° "Support durable" tout instrument permettant au consommateur ou au professionnel de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s'y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l'identique des informations stockées.

17- L'article 121-16-1,III du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur à la date de conclusion du contrat litigieux antérieure à l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, rend applicable les dispositions relatives aux contrats hors établissements entre consommateurs et professionnels aux contrats conclus hors établissements entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité.

18- Il est constant que le contrat litigieux a été conclu hors établissement dès lors qu'il y est mentionné qu'il a été signé à [Localité 5] (34) entre l'association Wuji qui exerce son activité à [Localité 1] (34) et la société Locam dont le siège est à [Localité 2] (42).

19- Et contrairement à ce qui est soutenu par la société Locam, l'association Wuji doit être qualifiée de contractant professionnel en dépit de sa forme juridique de nature associative dès lors d'une part qu'elle exerce une activité économique rémunérée d'enseignement et de formation et que ses ressources ne sont pas limitées aux cotisations de ses adhérents, et que, d'autre part, la location d'un photocopieur n'entre pas dans le champ de l'activité principale de l'association Wuji qui est consacrée à l'enseignement des activités de Tai Chi Chuan et Qi Gong.

20- S'agissant enfin du moyen selon lequel en application de l'article L221-2 4° du code de la consommation, le contrat litigieux échapperait aux dispositions propres aux contrats conclus hors établissements dès lors qu'il s'agit d'un contrat portant sur un service financier, il sera observé que les dispositions invoquées ne sont pas celles applicables à la cause dès lors que l'article L221-2 4° du code de la consommation est entré en vigueur dans sa première version postérieurement à la conclusion du contrat litigieux, mais celles de l'article L121-16-1 dans sa rédaction applicable au litige qui écarte du champ d'application des dispositions relatives aux contrats conclus à distance ceux portant sur des services financiers.

21- En tout état de cause, le contrat conclu entre l'association Wuji et la société Locam n'est pas assimilable à une opération de crédit mais à une location simple, faute d'être assorti d'une option d'achat.

22- Enfin, la directive européenne invoquée par la société Locam définit un service financier comme « tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l'assurance aux pensions individuelles, aux investissements ou aux paiements », les locations de longue durée n'y étant pas mentionnées.

23- Il suit de l'ensemble de ces considérations que le contrat liant les parties est bien soumis aux dispositions d'ordre public du code de la consommation relatives aux contrats conclus hors établissements dans leur version en vigueur à la date de conclusion du contrat litigieux antérieure à l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 et notamment aux dispositions des articles L121-17'et L121-18-1 imposant au professionnel de fournir au consommateur un exemplaire du contrat conclu hors établissement comprenant à peine de nullité les informations relatives aux conditions et modalités d'exercice du droit de rétractation ainsi qu'un formulaire type de rétractation qui doit contenir l'adresse exacte où il doit être envoyé ainsi que les mentions obligatoires énoncées à l'article R121-5'du code de la consommation et les conditions dans lesquelles ce droit peut être exercé.

24- Or, en l'espèce, le contrat objet du litige ne comporte pas de bordereau de rétractation ni ne mentionne les dispositions relatives aux conditions et modalités du droit de rétractation ce que ne conteste au demeurant pas la société Locam.

25- La cour ne pourra dès lors que prononcer la nullité du contrat liant les parties et, partant, infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, déboutera la société Locam de l'ensemble de ses demandes, la condamnera à restituer à l'association Wuji l'ensemble des loyers acquittés par elle et dira en outre que la restitution du matériel objet du contrat se fera à la diligence et aux frais de la société Locam.

26- Il n'y a pas lieu de donner acte à l'association Wuji de sa volonté de payer une indemnité mensuelle au titre de la location du matériel en l'absence d'une quelconque demande subsidiaire formulée de ce chef par l'intimée.

27- Partie succombante, la société Locam sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel par application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce la nullité du contrat de location de longue durée conclu entre la société Wuji et la société Locam le 24 novembre 2014.

Déboute la société Locam de l'ensemble de ses demandes.

Condamne la société Locam à restituer à l'association Wuji l'ensemble des loyers acquittés.

Dit que la restitution par l'association Wuji du matériel objet du contrat se fera à la diligence et aux frais de la société Locam.

Déboute l'association Wuji du surplus de ses demandes.

Condamne la société Locam aux dépens de première instance et d'appel.

Condamne la société Locam à payer à l'association Wuji la somme de 2500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.