Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 9 - a, 19 septembre 2024, n° 23/02199

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/02199

19 septembre 2024

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 9 - A

ARRÊT DU 19 SEPTEMBRE 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02199 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHBHV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 décembre 2022 - Juge des contentieux de la protection de PARIS - RG n° 22/02233

APPELANT

Monsieur [N] [P]

né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 5] (ALGERIE)

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Anissa EL-ALAMI, avocat au barreau de PARIS, toque : C0546

INTIMÉE

LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, société anonyme prise en la personne du président du conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège, venant aux droits et obligations de la société CRÉDIT DU NORD aux termes d'un traité de fusion en date du 15 juin 2022 avec effet au 01/01/2023

N° SIRET : 552 120 222 00013

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Loren MAQUIN-JOFFRE de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre

Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère

Mme Sophie COULIBEUF, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Muriel DURAND, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon offre préalable acceptée le 6 juin 2019, la société Crédit du Nord a consenti à M. [N] [P] un crédit personnel d'un montant en capital de 50 000 euros remboursable en 60 mensualités de 918,57 euros hors assurance incluant les intérêts au taux nominal de 3,90 %, le TAEG s'élevant à 4,483 %, soit une mensualité avec assurance de 932,70 euros.

Plusieurs échéances n'ayant pas été honorées, la banque a entendu se prévaloir de la déchéance du terme.

Par acte du 8 novembre 2021, la Société Générale a fait assigner M. [P] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris en paiement du solde du prêt lequel, par jugement contradictoire du 16 décembre 2022, a condamné M. [P] au paiement des sommes de 43 967,25 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2020 représentant le capital restant dû à la déchéance du terme, 2 641,34 euros avec intérêts au taux légal à compter de leur exigibilité et jusqu'à parfait paiement au titre des mensualités impayées et de 500 euros au titre de l'indemnité légale de 8 %, a ordonné la capitalisation des intérêts, a débouté M. [P] de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamné à payer à la Société Générale la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec distraction au profit de Me Maquin-Joffre.

Le premier juge a relevé que M. [P] avait signé et paraphé le contrat de prêt et qu'il était donc indifférent que la banque ne l'ait ni signé ni paraphé, celle-ci ayant matérialisé son accord en débloquant les fonds.

Il a relevé que la banque avait admis ne pas être en mesure de justifier de la remise de la FIPEN et a appliqué la déchéance du droit aux intérêts contractuels.

Il a rejeté la demande de nullité du contrat fondée sur l'absence de vérification suffisante de la solvabilité de M. [P].

Il a considéré que la clause de déchéance du terme était licite et qu'il convenait de réduire l'indemnité de résiliation.

Il a enfin fait droit à la demande de capitalisation des intérêts en relevant qu'elle était de droit dès lors qu'elle était demandée en justice.

Par déclaration réalisée par voie électronique le 23 janvier 2023, M. [P] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions (n° 2) notifiées par voie électronique le 19 mai 2023, il demande à la cour :

- de le juger recevable et bien fondé en ses demandes,

- de juger que la société Crédit du Nord n'a pas signé le contrat de prêt,

- de juger inopposables les conditions générales,

- de juger que la société Crédit du Nord a manqué à son devoir d'information,

- de juger que la société Crédit du Nord a manqué à son obligation de vérifier la solvabilité de l'emprunteur,

- de juger que la clause prononçant la déchéance du terme est abusive ou, à tout le moins, qualifiable de clause pénale,

- en conséquence, à titre principal, d'infirmer le jugement du 16 décembre 2022 rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions, de juger inopposables les conditions générales annexées au contrat de prêt du 6 juin 2019, de juger non écrite la clause de déchéance du terme invoquée par la Société Générale et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions,

- en conséquence, à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de juger la clause prononçant la déchéance du terme comme pénale et d'en réduire le montant à 1 euro, de condamner la Société Générale à lui payer la somme de 47 108,59 euros à titre de dommages et intérêts, d'ordonner le report ou l'échelonnement du paiement des sommes dues, d'ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêts à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital,

- en conséquence, à titre reconventionnel, d'ordonner la mainlevée de son inscription au FICP par la Société Générale,

- en conséquence, en tout état de cause, de condamner la Société Générale à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, y compris ceux de première instance.

Il fait valoir au visa des articles 1103, 1104 et 1199 du code civil que la banque sollicite sa condamnation en application de sa clause "défaillance de l'emprunteur" mais qu'elle-même n'a pas signé ni paraphé le contrat non plus que les conditions générales et qu'elle ne peut donc les lui opposer ni se prévaloir d'un contrat qu'elle n'a pas signé.

Il ajoute au visa des articles 1344 et 1225 du même code que la mise en demeure envoyée par la banque n'est pas valable dès lors qu'elle se borne à faire référence à sa clause de déchéance du terme sans donner aucun numéro d'article. Il soutient que la clause est trop vague et insuffisamment claire car elle vise la défaillance de l'emprunteur dans les remboursements de crédit et ne fait aucune distinction sur l'origine de la défaillance, qu'elle soit due à un cas de force majeure, une perte d'emploi, une maladie, une cause extérieure et qu'elle crée donc un déséquilibre significatif car elle ne contient pas de réciprocité et crée une soumission de l'emprunteur et permet de solliciter un montant manifestement disproportionné, à savoir l'ensemble des échéances à échoir et laisse croire que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire et que l'emprunteur ne peut donc pas contester le bien-fondé de la déchéance du terme. Il relève en outre qu'elle ne prévoit pas l'envoi d'une mise en demeure préalable.

Il affirme que dès lors que le contrat de crédit est manifestement disproportionné à la situation financière de l'emprunteur, la jurisprudence n'hésite pas à annuler le contrat, que le prêteur doit vérifier la solvabilité de l'emprunteur et a une obligation de mise en garde. Il considère que la banque n'a pas suffisamment vérifié sa solvabilité et que les informations inscrites correspondaient bien à la réalité. Il pointe à ce sujet des erreurs relevant qu'il est précisé qu'il est célibataire séparé de biens ce qui est incohérent et sans enfant à charge alors qu'il est marié et a deux enfants. Il indique que ceci n'est pas une erreur de plume et modifie sa situation financière. Il relève également que ses revenus pris en compte sont ceux de 2017 pour un crédit accordé en 2019. Il soutient que l'établissement bancaire a été attiré par son patrimoine mobilier et immobilier suite à une succession favorable.

Il fait valoir que la banque n'a pas non plus respecté son devoir de conseil et de mise en garde, qu'il n'a pas reçu la FIPEN, que la banque ne démontre pas le contraire, que la sanction n'est pas seulement la déchéance du droit aux intérêts contractuels mais aussi l'octroi de dommages et intérêts.

Il relève que l'information annuelle prévue à l'article 2293 du code civil et L. 131-22 du code monétaire et financier n'a pas été délivrée.

A titre reconventionnel il demande la radiation de son inscription au FICP dès lors que la banque sera déboutée de ses demandes.

Il soutient qu'il ne saurait être contesté que la clause de déchéance anticipée du terme est qualifiable de clause pénale, est manifestement excessive puisqu'elle permet d'octroyer à la banque une somme considérable (43 967,25 euros), alors même que l'échéance mensuelle était de 932,70 euros et qu'il en est de même de la clause d'indemnité d'exigibilité anticipée.

A titre très subsidiaire, il soutient qu'il n'est pas en mesure de s'acquitter du montant des condamnations.

Aux termes de ses conclusions n° 2 déposées par voie électronique le 1er juin 2023, la Société Générale demande à la cour :

- de prendre acte de qu'elle vient aux droits de la société Crédit du Nord, et en conséquence,

- de la déclarer recevable et bien fondée,

- de débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de condamner M. [P] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Loren Maquin-Joffre, pour ceux dont elle a fait l'avance, sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

A titre liminaire, elle indique que suivant traité de fusion en date du 15 juin 2022, à effet au 1er janvier 2023, la Société Générale a absorbé la société Crédit du Nord, laquelle a été radiée du Registre du commerce et des sociétés et n'a donc plus d'existence juridique.

Elle souligne que son action n'est pas forclose, le premier impayé non régularisé datant du 5 janvier 2020.

Elle soutient avoir vérifié la solvabilité de M. [P] et avoir consulté le FICP concomitamment à l'octroi du prêt.

Elle relève que les conditions générales n'entrent dans le champ contractuel que si elles ont été acceptées, au moment de la formation du contrat, par celui à qui l'on entend les opposer, qu'elles sont opposées à M. [P] et que c'est donc la signature de ce dernier qui importe et non celle de la banque. Elle souligne que M. [P] a signé le contrat et les conditions générales. Elle considère que la banque qui a émis le contrat et l'a exécuté en connaissait les termes et a démontré sa volonté de conclure.

Elle fait valoir que la clause de déchéance du terme s'analyse en une clause résolutoire, conteste toute irrégularité de la déchéance du terme et souligne qu'elle a bien envoyé la mise en demeure précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle, ce qui est conforme aux exigences de la jurisprudence. Elle ajoute que cette lettre vise bien la clause de déchéance du terme. Elle fait enfin valoir que la clause de déchéance du terme correspond au texte de l'article L. 312-39 du code de la consommation et avoir donné un préavis d'une durée raisonnable et avoir attendu plus longtemps pour faire jouer la clause. Elle conteste que le fait de réclamer le remboursement des échéances impayées et du capital restant dû soit disproportionné ou déraisonnable. Elle rappelle que la clause a joué avant la période protégée liée au Covid 19. Elle souligne avoir attendu avant d'assigner et que M. [P] n'a strictement rien payé.

Elle soutient avoir suffisamment vérifié la solvabilité de M. [P] en obtenant la copie de son avis d'impôt 2018 et d'une attestation de dévolution successorale avec une estimation de l'actif net de la succession, ainsi qu'en lui faisant remplir une fiche ressources et charges dont elle relève qu'elle a été paraphée par M. [P] sur toutes les pages et signées et que ce dernier a certifié en page 4 "l'exactitude des renseignements donnés" et a attesté "n'avoir pas connaissance d'autres charges que celles énoncées". Elle indique que les éléments de revenus correspondaient aux justificatifs. Elle considère que l'erreur sur la situation matrimoniale de M. [P] ou son nombre d'enfants ne modifiait pas l'appréciation de sa solvabilité et du risque. Elle précise avoir consulté le FICP concomitamment à l'octroi du prêt. Elle relève qu'en tout état de cause seule la déchéance du droit aux intérêts pourrait être prononcée pour défaut de vérification suffisante de la solvabilité et en aucun cas la nullité du prêt.

Elle conteste tout manquement à son devoir d'information indiquant avoir remis la FIPEN et à son devoir de mise en garde dont elle rappelle qu'il n'existe qu'en cas de risque d'endettement et soutient que tel n'était pas le cas au regard des éléments dont elle justifie. Elle considère que les dommages et intérêts ne pourraient être d'un montant égal à celui qui est dû par M. [P].

Elle souligne que M. [P] est l'emprunteur et non une caution et que les textes qu'il invoque au titre de l'information annuelle ne lui sont pas applicables.

Elle précise que tant que M. [P] n'a pas réglé les sommes dues, l'inscription au FICP se justifie.

Elle s'estime fondée à obtenir les sommes qu'elle réclame, indique que la seule clause pénale est l'indemnité de résiliation qui a été réduite par le premier juge à 500 euros ce dont elle demande confirmation.

Elle s'oppose à tout délai de paiement.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience le 11 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le présent litige est relatif à un crédit souscrit le 6 juin 2019 soumis aux dispositions de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 de sorte qu'il doit être fait application des articles du code de la consommation dans leur rédaction en vigueur après le 1er mai 2011 et leur numérotation postérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et au décret n° 2016-884 du 29 juin 2016.

Il est justifié que la Société Générale a absorbé la société Crédit du Nord suivant traité de fusion en date du 15 juin 2022, à effet au 1er janvier 2023. M. [P] ne conteste d'ailleurs pas que la Société Générale vient aux droits de la société Crédit du Nord.

Sur la forclusion

L'article R. 312-35 du code de la consommation dispose que les actions en paiement à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur dans le cadre d'un crédit à la consommation, doivent être engagées devant le tribunal dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion et que cet événement est notamment caractérisé par le premier incident de paiement non régularisé.

La recevabilité de l'action de la Société Générale au regard de la forclusion n'a pas été vérifiée par le premier juge. Or en application de l'article 125 du code de procédure civile, il appartient au juge saisi d'une demande en paiement de vérifier d'office même en dehors de toute contestation sur ce point que l'action du prêteur s'inscrit bien dans ce délai.

En l'espèce, il résulte de l'historique de compte que le premier impayé non régularisé date du 5 janvier 2020. Dès lors la banque qui a assigné le 8 novembre 2021 n'est pas forclose en son action et doit être déclarée recevable.

Sur l'opposabilité du contrat

Aucune demande de nullité du crédit n'est formalisée par M. [P] en particulier pour défaut de signature du contrat par la banque. M. [P] fait en effet seulement valoir que ce défaut de signature interdit à cette dernière de se prévaloir des clauses du contrat à son encontre en visant uniquement les articles 1103, 1104 et 1199 du code civil.

L'article 1199 du code civil dispose que le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties et que les tiers ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraints de l'exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV. Il résulte des articles 1103 et 1104 du même code que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et qu'ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette disposition étant d'ordre public.

La Société Générale qui n'a effectivement pas apposé sa signature sur le contrat de crédit ne conteste cependant pas avoir donné son consentement à ce contrat et l'a même exécuté ce qui serait de nature à couvrir une nullité qui n'est pas soulevée et ce en toute connaissance de cause, puisqu'elle a débloqué les fonds et encaissé des mensualités. Elle n'est pas tiers à ce contrat qui lui est donc parfaitement opposable et l'est tout autant à M. [P] qui l'a signé.

M. [P] doit donc être débouté de cette demande et le jugement confirmé sur ce point.

Sur le caractère abusif de la clause de déchéance du terme, sa qualification et sa mise en 'uvre

L'article L. 312-39 du code de la consommation est ainsi libellé "En cas de défaillance de l'emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l'emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l'application de l'article 1231-5 du code civil, est fixée suivant un barème déterminé par décret". La clause résolutoire du crédit se borne à reproduire exactement ces termes. Dès lors sauf à considérer que la loi organise elle-même les conditions d'une clause abusive, elle ne saurait en elle-même être considérée comme abusive. Elle ne crée pas en tant que telle de disproportion, la banque s'étant obligée à verser les fonds et l'emprunteur à les rembourser par termes aux dates prévues.

Cette clause résolutoire qui permet juste de mettre fin au paiement échelonné du remboursement et de récupérer le capital majoré des intérêts contractuels ne saurait être qualifiée de clause pénale, laquelle est communément définie comme celle par laquelle les parties fixent forfaitairement et de manière anticipée le montant des dommages-intérêts dus par l'une des parties à l'autre en cas d'inexécution de ses obligations contractuelles.

S'agissant de sa mise en 'uvre, il convient de rappeler qu'en application de l'article 1224 du code civil, lorsque l'emprunteur cesse de verser les mensualités stipulées, le prêteur est en droit de se prévaloir de la déchéance du terme et de demander le remboursement des fonds avancés soit en raison de l'existence d'une clause résolutoire soit en cas d'inexécution suffisamment grave. L'article 1225 du même code précise qu'en présence d'une clause résolutoire, la résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse qui ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire.

En l'espèce, le 17 février 2020, la Société Générale a mis M. [P] en demeure de payer les mensualités impayées du crédit soit la somme de 1 629,22 euros sous huit jours en indiquant qu'à défaut elle serait "dans l'obligation de faire jouer la clause de déchéance du terme rendant immédiatement exigible toute la créance". Ceci est particulièrement clair et M. [P] ne peut donc prétendre que la clause résolutoire n'est pas mentionnée, l'article 1225 du code civil n'imposant nullement de la recopier en son intégralité ou de viser le numéro de l'article du contrat y afférent. Ce n'est en outre que le 28 février 2020 que la Société Générale a finalement prononcé la déchéance du terme du fait de l'inertie de M. [P]. Dès lors, il doit être considéré qu'un délai raisonnable a été laissé à ce dernier pour régulariser et que cette clause a pleinement joué.

Sur la déchéance du droit aux intérêts et les sommes dues

M. [P] reproche à la Société Générale de ne pas avoir suffisamment vérifié sa solvabilité.

L'article L. 312-16 du code de la consommation impose au prêteur avant de conclure le contrat de crédit, de vérifier la solvabilité de l'emprunteur à partir d'un nombre suffisant d'informations y compris des informations fournies par ce dernier à la demande prêteur et de consulter le fichier prévu à l'article L. 751-1, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné à l'article L. 751-6.

Il résulte de l'article L. 341-2 dudit code que lorsque le prêteur n'a pas respecté les obligations fixées aux articles L. 312-14 et L. 312-16, il est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. La sanction n'est donc pas la nullité du contrat comme semble le soutenir l'appelant qui ne la demande pas formellement.

Le contrat a été conclu en agence. L'article L. 312-17 du même code qui impose à la banque en cas de crédit de plus de 3 000 euros de corroborer les informations de la fiche par des pièces justificatives à jour au moment de son établissement par tout justificatif du domicile de l'emprunteur, tout justificatif du revenu de l'emprunteur et tout justificatif de l'identité de l'emprunteur ne s'applique donc pas.

La Société Générale produit devant la cour une fiche "charges ressources" qui mentionne que M. [P] est retraité, qu'il touche 2 933 euros par mois sur 12 mois, qu'il est propriétaire d'un bien immobilier d'une valeur de 1 600 000 euros, dispose d'un patrimoine mobilier de 300 000 euros et qu'il n'a aucun crédit à charge. Son avis d'imposition de 2018 mentionne des revenus annuels de 35 200 euros, ce qui correspond à ce revenu mensuel à quelques centimes près. La banque a aussi obtenu une attestation d'un notaire dont il résulte que M. [P] est héritier avec sa s'ur d'un patrimoine de 2 930 000 euros dont 230 000 euros d'assurance vie, la de cujus étant décédée en [Date décès 6] 2017. Si ce document démontre qu'il est marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts tandis que sa fiche le qualifie de "célibataire sous le régime de la séparation de biens" la cour observe que son avis d'imposition ne mentionne que son seul nom et une seule part, ce qui tend à démontrer qu'il est effectivement séparé de fait d'avec son épouse, imposé séparément et n'a personne à charge. Le fait qu'il ait pu avoir deux enfants est totalement indifférent dès lors qu'ils ne sont pas à sa charge. Il ne justifie pas non plus verser de pension et a en tout état de cause signé cette fiche après en avoir paraphé les pages et l'a certifiée exacte et a attesté "n'avoir pas connaissance d'autres charges que celles énoncées". Il n'en démontre d'ailleurs aucune pas plus qu'il ne justifie que les ressources prises en compte étaient erronées.

La banque justifie également avoir consulté le FICP le 7 juin 2019 soit avant le déblocage des fonds et produit le résultat.

Elle justifie ainsi avoir vérifié la solvabilité de M. [P] à partir d'un nombre suffisant d'informations au sens de ce texte et n'encourt pas la déchéance du droit aux intérêts pour ce motif.

S'agissant de l'information annuelle prévue à l'article 2293 du code civil et L. 131-22 du code monétaire et financier, la cour relève que ces articles concernent la caution et que M. [P] qui est l'emprunteur principal ne peut utilement s'en prévaloir.

S'agissant de la remise de la FIPEN que M. [P] soutient ne pas avoir reçue, il résulte de l'article L. 312-12du code de la consommation applicable au cas d'espèce que préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le prêteur ou l'intermédiaire de crédit donne à l'emprunteur, par écrit ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l'emprunteur, compte tenu de ses préférences, d'appréhender clairement l'étendue de son engagement.

Cette fiche d'informations précontractuelles -FIPEN- est exigée à peine de déchéance totale du droit aux intérêts (article L. 341-1), étant précisé qu'il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à son obligation d'information et de remise de cette FIPEN.

A cet égard, la clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle l'emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d'informations précontractuelles normalisées européennes, n'est qu'un indice qu'il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.

Il a toutefois été jugé qu'un document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer les mentions de cette clause type de l'offre de prêt pour apporter la preuve de l'effectivité de la remise. (Cass. civ. 1, 7 juin 2023, n° 22-15.552).

En l'espèce cette FIPEN n'est même pas produite par la banque.

Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a considéré qu'une déchéance du droit aux intérêts était encourue de ce seul chef. Il y a toutefois lieu de la prononcer de manière formelle.

Aux termes de l'article L. 341-8 du code de la consommation, lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts, l'emprunteur n'est tenu qu'au seul remboursement du capital suivant l'échéancier prévu, ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n'a pas été déchu. Les sommes déjà perçues par le prêteur au titre des intérêts, qui sont productives d'intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.

Il y a donc lieu de déduire de la totalité des sommes empruntées soit 50 000 euros la totalité des sommes payées soit 5 352,19 euros et de condamner M. [P] à payer la somme de 44 647,81 euros.

Le jugement déféré doit donc être infirmé sur le quantum.

La limitation légale de la créance du préteur exclut qu'il puisse prétendre au paiement de toute autre somme et notamment de la clause pénale prévue par l'article L. 312-39 du code de la consommation. La Société Générale doit donc être déboutée sur ce point et le jugement infirmé en ce qu'il a condamné M. [P] à payer à la banque la somme de 500 euros de ce chef.

Sur les intérêts au taux légal, la majoration des intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts

Le prêteur, bien que déchu de son droit aux intérêts, demeure fondé à solliciter le paiement des intérêts au taux légal, en vertu de l'article 1231-6 du code civil, sur le capital restant dû, majoré de plein droit deux mois après le caractère exécutoire de la décision de justice en application de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier.

Ces dispositions légales doivent cependant être écartées s'il en résulte pour le prêteur la perception de montants équivalents ou proches de ceux qu'il aurait perçus si la déchéance du droit aux intérêts n'avait pas été prononcée, sauf à faire perdre à cette sanction ses caractères de dissuasion et d'efficacité (CJUE 27 mars 2014, affaire C-565/12, Le Crédit Lyonnais SA / Fesih Kalhan).

En l'espèce, le crédit personnel a été accordé à un taux d'intérêts annuel fixe de 3,90 %.

Dès lors, les montants susceptibles d'être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal ne seraient pas significativement inférieurs à ce taux conventionnel. Il convient en conséquence de ne pas faire application de l'article 1231-6 du code civil ni a fortiori de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier. La somme restant due en capital au titre de ce crédit ne portera donc intérêts ni au taux conventionnel ni au taux légal et aucune majoration de retard ne sera due. Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a octroyé des intérêts au taux légal.

La capitalisation des intérêts doit être écartée pour les mêmes motifs, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts

M. [P] soutient que la banque n'a pas respecté son devoir de conseil ni son devoir de mise en garde.

S'agissant du devoir de conseil, ce que soutient M. [P] recouvre en réalité le devoir d'explication de l'article L. 312-14 du code de la consommation qui dispose que le prêteur ou l'intermédiaire de crédit fournit à l'emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, notamment à partir des informations contenues dans la fiche mentionnée à l'article L. 312-12. Il attire l'attention de l'emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. Ces informations sont données, le cas échéant, sur la base des préférences exprimées par l'emprunteur. La sanction en est la déchéance du droit aux intérêts laquelle a déjà été prononcée et non des dommages et intérêts.

Il convient de rappeler que si le banquier n'a pas de devoir de conseil ou de mise en garde concernant l'opportunité de l'opération, il est en revanche tenu d'un devoir de mise en garde par rapport au risque d'endettement généré par le crédit contracté au regard des capacités financières de l'emprunteur. Il est admis qu'en l'absence de risque d'endettement, le banquier n'est pas tenu à ce devoir de mise en garde.

La fiche de dialogue signée par M. [P] dont il a été fait état ne fait ressortir aucun risque d'endettement particulier dans la mesure où il est propriétaire de son logement sans autre charge de crédit, ne démontre pas avoir une personne à charge et devait recueillir une importante succession. Le crédit en cause représentait 31,80 % des revenus, ce qui est communément admis comme ne créant pas de risque d'endettement.

Ainsi il ne saurait être reproché à la banque de n'avoir pas satisfait une obligation générale de mise en garde à laquelle elle n'était pas tenue dès lors que le crédit ne faisait pas naître un risque d'endettement excessif. Il n'appartenait pas au demeurant à la banque de s'immiscer dans les choix de son client.

M. [P] doit donc être débouté de sa demande de dommages et intérêts et le jugement confirmé sur ce point.

Sur les délais de paiement

M. [P] n'apporte aucun élément sur sa situation financière actuelle et notamment qu'il s'agisse de ses revenus ou de la liquidation de l'importante succession dont il est bénéficiaire. Il doit être débouté de cette demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné M. [P] aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il doit être infirmé en ce qu'il a octroyé la distraction des dépens de première instance au profit de Me Maquin-Joffre dès lors que la procédure n'impliquait aucune représentation obligatoire.

Chacune des parties succombant en partie, elles doivent chacune garder la charge de leurs frais irrépétibles. Les dépens d'appel doivent être mis à la charge de la Société Générale avec distraction au profit de Maître Loren Maquin-Joffre en application de l'article 699 du code de procédure civile, la représentation étant obligatoire en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [N] [P] de l'ensemble de ses prétentions hormis sa demande de déchéance du droit aux intérêts et l'a condamné à payer à la Société Générale la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare la Société Générale recevable en sa demande ;

Dit que la déchéance du terme a été valablement prononcée ;

Prononce la déchéance du droit aux intérêts ;

Condamne M. [P] à payer à la Société Générale la somme de 44 647,81 euros au titre du solde du contrat ;

Ecarte l'application des articles 1231-6 du code civil et L. 313-3 du code monétaire et financier et dit que cette somme ne portera pas intérêts même au taux légal ;

Condamne la Société Générale aux dépens d'appel avec distraction pour ceux dont elle a fait l'avance au profit de Maître Loren Maquin-Joffre en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

La greffière La présidente