CA Rouen, ch. civ. et com., 19 septembre 2024, n° 23/03541
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Bonne Ambiance (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Foucher-Gros
Conseillers :
M. Urbano, Mme Menard-Gogibu
Avocats :
Me Chevalier, Me Bergeron-Durand
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte authentique du 23 janvier 2014, Monsieur [Y] [U], Mesdames [B] [U] épouse [K] et [M] [U] épouse [F] ont consenti un bail commercial à la SARL Le Boujou, portant sur un local situé [Adresse 1].
La société La Bonne Ambiance a racheté le fonds de commerce de la société Le Boujou dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire de la société preneuse et le bail commercial s'est poursuivi à compter du 1er mars 2021 au profit de la société La Bonne Ambiance.
Les bailleurs ont fait signifier le 8 juillet 2022 à la société La Bonne Ambiance un commandement de payer, visant la clause résolutoire, la somme de 10 342,12 euros au titre des loyers et charges impayés.
Monsieur [Y] [U] est décédé le 12 novembre 2022 laissant pour lui succéder ses filles [M] et [B] [U].
Par acte de commissaire de justice du 9 mai 2023, la société La Bonne Ambiance a fait délivrer une assignation aux bailleurs devant le président du tribunal judiciaire d'Evreux aux fins de voir, entre autres demandes, ordonner en référé une mesure d'expertise judiciaire, et condamner les bailleurs à faire réaliser sous astreinte la remise en état de la toiture.
Les consorts [U] ont sollicité du juge des référés qu'il constate l'acquisition de la clause résolutoire et ordonne l'expulsion de la société preneuse des lieux loués, avec toutes conséquences de droit.
Par ordonnance de référé du 11 octobre 2023, le président du tribunal judiciaire d'Evreux a :
- constaté la résiliation du bail liant les parties à compter du 8 août 2022,
- condamné la SARL La Bonne Ambiance à restituer les lieux dans le mois de la signification de la présente décision sous peine, passé ce délai, d'expulsion et de celle de tous occupants de son fait par les voies au besoin avec l'assistance de la force publique,
- condamné la SARL La Bonne Ambiance à payer à [B] [U] épouse [K] et [M] [U] épouse [F], à titre provisionnel :
* 11 416,32 euros au titre des loyers et charges impayés à la date de la résolution,
* une indemnité mensuelle d'occupation de 1 074,20 euros à compter du 1er septembre 2022 et jusqu'à la date de libération effective des lieux,
- dit que la somme de 10 342,12 euros portera à taux légal à compter du commandement de payer, que le surplus des sommes échues porteront intérêts à compter du jour de la présente ordonnance et que les indemnités mensuelles à échoir porteront intérêts du jour de leur exigibilité,
- rejeté les demandes de La Bonne Ambiance,
- rejeté les demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL La Bonne Ambiance aux entiers dépens y compris le coût du commandement de payer,
- rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.
La société La Bonne Ambiance a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 26 octobre 2023
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 26 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société La Bonne Ambiance qui demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance dont appel des chefs critiqués,
Statuant à nouveau,
- accorder à la société La Bonne Ambiance de pouvoir s'acquitter de sa dette locative en vingt-quatre échéances mensuelles successives d'égal montant, la première payable sous un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, les suivantes chaque mois à même date,
En conséquence,
- suspendre les effets de la clause résolutoire du bail visée dans le commandement de payer signifié le 8.07.2022 et dire qu'elle ne jouera pas si la société La Bonne Ambiance se libère dans les délais qui lui auront été accordés ;
- ordonner une mesure d'expertise et désigner à cette fin tel expert qu'il plaira à la Cour avec mission d'usage en la matière et notamment de :
- se rendre sur place,[Adresse 1],
- entendre les parties ainsi que tous sachants, se faire communiquer toutes pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,
- examiner les désordres allégués, les décrire et en déterminer la nature, l'ampleur, l'origine et la cause,
- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction qui pourrait éventuellement être saisie de statuer sur les responsabilités encourues et les préjudices subis,
- fournir en particulier tous éléments permettant d'apprécier si au regard des désordres, les locaux sont en état de servir à l'usage pour lequel ils ont été loués,
- donner son avis sur les travaux nécessaires pour remédier aux désordres, ainsi que le coût de ces travaux au regard des devis qui lui seront communiqués par les parties,
- dire que l'expertise sera menée et que l'expert accomplira sa mission conformément aux articles 263 et suivants du Code de procédure civile et dans le délai qui sera fixé par la présente juridiction,
- dire que l'expert informera le juge de l'avancement de ses opérations et de ses diligences,
- dire qu'il en sera référé au juge en cas de difficultés,
- réserver les dépens,
- condamner solidairement Mesdames [B] [U] épouse [K] et [M] [U] épouse [F] à faire réaliser les travaux de réfection et de mise en sécurité de la toiture sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du 15e jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner solidairement Mesdames [B] [U] épouse [K] et MurielJourdain épouse [F] à payer à la société La Bonne Ambiance une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement Mesdames [B] [U] épouse [K] et [M] [U] épouse [F] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Eric Chevalier, avocat au Barreau de l'Eure, conformément aux dispositions de l'article 699 du code civil.
Vu les conclusions du 20 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Madame [B] [K] et Madame [M] [F] qui demandent à la cour de :
- déclarer recevable l'appel de la SARL La Bonne Ambiance,
- déclarer mal-fondé l'appel de la SARL La Bonne Ambiance,
- déclarer irrecevables les demandes de la SARL La Bonne Ambiance,
- débouter la SARL La Bonne Ambiance de toutes ses demandes,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 11 octobre 2023 en ce qu'elle a :
- constaté la résiliation du bail liant les parties à compter du 8 août 2022,
- condamné la SARL La Bonne Ambiance à restituer les lieux dans le mois de la signification de la présente décision sous peine, passé ce délai, d'expulsion et de celle de tous occupants de son fait par les voies légales, au besoin avec l'assistance de la force publique,
- condamné la SARL La Bonne Ambiance à payer à [B] [U] épouse [K] et [M] [U] épouse [F], à titre provisionnel :
* 11 416,32 euros au titre des loyers et charges impayés à la date de la résolution,
* une indemnité mensuelle d'occupation de 1.074,20 euros à compter du 1er septembre 2022 et jusqu'à la date de libération effective des lieux,
- dit que la somme de 10 342,12 euros portera intérêts à taux légal à compter du commandement de payer, que le surplus des sommes échues, porteront intérêts à compter du jour de la présente ordonnance et que les indemnités mensuelles à échoir porteront intérêts du jour de leur exigibilité,
- rejeté les demandes de la SARL La Bonne Ambiance,
- débouter la SARL La Bonne Ambiance de toutes ses demandes, plus amples ou contraires,
- condamner la SARL La Bonne Ambiance à régler une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SARL La Bonne Ambiance aux entiers dépens engagés devant la cour d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article 954 du même code : ''La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.''
La société La Bonne Ambiance sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, des délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire visée dans le commandement de payer signifié le 8 juillet 2022 outre une mesure d'expertise et la condamnation des consorts [U] à faire réaliser les travaux de réfection et de mise en sécurité de la toiture sous astreinte.
Sur la demande délais et de suspension des effets de la clause résolutoire
La société La Bonne Ambiance fait valoir que :
* elle ne peut poursuivre l'exploitation du fonds de commerce du fait de la défaillance du bailleur dans l'exécution de ses obligations d'entretien ;
* elle souhaite pouvoir s'acquitter de sa dette en 24 échéances d'égal montant.
Les consorts [U] répliquent que :
* au visa de l'article 564 du code de procédure civile, la SARL La Bonne Ambiance ne peut solliciter la suspension de la clause résolutoire alors qu'elle n'a jamais fait valoir cette demande devant le juge de première instance ;
* la demande de suspension de la clause résolutoire, ne peut aboutir, la SARL La Bonne Ambiance n'exploitant plus le fonds de commerce et les lieux d'habitation.
Réponse de la cour
- Sur la recevabilité de la demande
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, ''A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.''
La demande de suspension des effets de la clause résolutoire insérée dans un bail commercial qui tend à faire écarter la demande du bailleur en constatation de la résiliation du bail est recevable.
Dès lors que les consorts [U] sollicitent la confirmation de l'ordonnance de référé qui a constaté la résiliation du bail liant les parties à compter du 8 août 2022, la société La Bonne Ambiance est recevable en ses demandes de suspension des effets de la clause résolutoire et de délai de paiement.
- Sur la suspension des effets de la clause résolutoire et les délais
L'article L145-41 du code de commerce dispose que '' les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.''
L'article 1343-5 du code civil dispose que ''le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.''
La situation de la société La Bonne Ambiance doit être appréciée au jour où la cour statue.
En premier lieu, il convient de relever que la société La Bonne Ambiance ne produit aucun élément financier pour démontrer sa capacité à honorer un échéancier d'apurement de sa dette d'un montant de 18 683,64 euros arrêtée en mai 2023 et elle ne justifie d'aucun paiement auprès des consorts [U] depuis l'ordonnance entreprise.
En deuxième lieu, les consorts [U] produisent, d'une part, un article de presse du journal L'Eveil, mentionnant que Madame [T] - qui est la gérante de La société La Bonne Ambiance- a repris en juin 2023 l'auberge de la Fontaine à [Localité 8] dans l'Eure et, d'autre part, le procès-verbal de reprise des lieux dressé les 15 et 20 décembre 2023 par Maître [Z], commissaire de justice à [Localité 6] qui a relevé que Madame [T] lui a remis spontanément les clés du local le 14 décembre 2023.
Ainsi la société La Bonne Ambiance ne démontrant pas ses capacités à se libérer effectivement de sa dette et eu égard à son départ des locaux loués, il convient de la débouter de ses demandes de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire.
Sur la demande d'expertise judiciaire et de condamnation des consorts [U] à faire réaliser les travaux de réfection de la toiture
La société La Bonne Ambiance soutient que :
* peu de temps après son entrée dans les lieux, elle a constaté l'existence de nombreux désordres, notamment en toiture, engendrant des dégâts des eaux ;
* le procès-verbal de constat du 11 décembre 2023 fait état de désordres nécessitant des grosses réparations ; les bailleurs ont refusé de prendre en charge les travaux de remise en état manquant à leur obligation d'entretien et de jouissance paisible qu'ils doivent au locataire ;
* elle a un intérêt légitime à voir ordonner une expertise judiciaire pour pouvoir justifier du préjudice consécutif à la perte d'exploitation ;
* compte tenu de l'évidence des désordres et de leur nature de grosse réparation, elle est bien fondée à solliciter la condamnation des bailleurs à faire réaliser les travaux de réfection et de mise en sécurité de la toiture.
Les consorts [U] répliquent que :
* le 16 août 2020, il a été procédé à la fourniture et pose d'un faîtage de zinc pour assurer l'étanchéité du bâtiment ; le 16 février 2022, il a été procédé à la vérification de la toiture et à la fixation d'ardoise ; ce n'est que le procès-verbal de constat du 9 janvier 2023 qui fait état de problèmes d'inondation ; les impayés datent de juillet 2022 alors même qu'il n'y avait aucune demande de travaux à cette époque ;
* la SARL La Bonne Ambiance exploite un autre fonds de commerce ;
* compte tenu de la résolution du bail, par l'acquisition de la clause résolutoire, la demande d'expertise visant à obtenir la réfection de la toiture est sans motif légitime.
Réponse de la cour
- Sur la demande de travaux en toiture
La société La Bonne Ambiance ayant quitté les lieux, elle ne justifie d'aucun intérêt à solliciter que les consorts [U] fassent procéder aux travaux réclamés de sorte qu'il convient de la débouter de cette demande.
- Sur l'expertise
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, '' S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instructions légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.''
Le procès-verbal de constat de désordres affectant les locaux loués dressé par Maître [H] [X], commissaire de justice au [Localité 7], que la société La Bonne Ambiance produit devant la cour date du 11 décembre 2023 et est ainsi contemporain à son départ intervenu le 14 décembre 2023 et non à son entrée dans les lieux le 1er mars 2021 ni au 8 juillet 2022, date de délivrance du commandement de payer.
Or la société La Bonne Ambiance a été occupante sans droit ni titre du local à compter du 8 août 2022 et elle a désormais quitté les lieux depuis neuf mois de sorte qu'il n'apparaît pas que l'apport technique d'un expert judiciaire serait de nature à démontrer l'existence de désordres antérieurs au 8 août 2022 et le manquement allégué du bailleur à son obligation d'entretien le temps de l'exécution du bail qui a pris fin à cette même date.
Compte tenu du caractère inutile de la mesure sollicitée, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a débouté la société La Bonne Ambiance de sa demande d'expertise.
Pour le surplus de ses dispositions, l'ordonnance sera confirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Dit recevable la demande de la société La Bonne Ambiance de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Déboute la société La Bonne Ambiance de sa demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire,
Déboute la société La Bonne Ambiance de sa demande tendant à la condamnation des consorts [U] à faire réaliser les travaux de réfection et de mise en sécurité de la toiture,
Condamne la société La Bonne Ambiance aux dépens de l'appel,
Condamne la société La Bonne Ambiance à payer à Mesdames [B] [U] épouse [K] et [M] [U] épouse [F], ensemble, la somme de 1 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles exposés en appel.