CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 19 septembre 2024, n° 21/21169
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jallow & Cie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Lebée
Avocats :
Me Chuquet, Me Verschaeve
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing prive' du 21 octobre 2013, M [L] [U], usufruitier et M. [P] [S], nu-proprie'taire, ont donne' a' bail pour une dure'e de neuf ans a' compter du 1er novembre 2013 a' Mme [Z] [F], des locaux commerciaux situe's [Adresse 2] a' [Localité 6], destine's a' l'activite' de « restaurant, alimentation ou artisanat asiatique », moyennant un loyer annuel principal de 19.800 euros hors taxes et hors charges.
Par acte sous seing prive' du 6 juin 2014, Mme [F] a ce'de' son fonds de commerce a' la socie'te' Thai house. Par avenant du 28 juin 2017, les parties sont convenues de porter le loyer a' la somme de 22.800 euros hors taxes et hors charges et de modifier la clause d'activite' en « restaurant, alimentation ou artisanat, asiatique et africain ».
Par acte sous seing prive' du 12 juillet 2017, la socie'te' Thai house a ce'de' son fonds de commerce a' la socie'te' Jallow & Cie.
Par acte extrajudiciaire du 18 juin 2019, M. [U] et M. [S] ont fait de'livrer a' la socie'te' Jallow & Cie un commandement de payer visant la clause re'solutoire pour obtenir paiement de la somme de 7.211,87 euros.
Par ordonnance re'pute'e contradictoire du 12 de'cembre 2019, le juge des re'fe're's du tribunal de grande instance de Paris, saisi a' la demande de M. [S], a constate' l'acquisition de la clause re'solutoire inse're'e au bail a' la date du 19 juillet 2019, ordonne' l'expulsion de la socie'te' locataire et de tous occupants de son chef, et condamne' celle- ci :
- a' verser a' M [S], a' titre provisionnel une indemnite' d'occupation e'gale au montant du loyer contractuel outre les taxes, charges et accessoires a' compter de la re'siliation du bail et jusqu'a' la libe'ration effective des locaux ;
- a' lui payer la somme de 9.158,62 euros au titre du solde des loyers, charges, accessoires et indemnite's d'occupation arre'te' au 4 octobre 2019.
Par acte extrajudiciaire du 23 octobre 2020, un commandement de quitter les lieux a e'te' de'livre' a' la socie'te' Jallow & Cie. L'ordonnance de re'fe're' du 12 de'cembre 2019 a e'te' mise a' exe'cution en janvier 2021.
Par acte du 25 mai 2021, la socie'te' Jallow & Cie a fait assigner M. [U] et M. [S] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir la suspension des effets de la clause re'solutoire du bail du 21 octobre 2013 et des de'lais pour se libe'rer du montant des arrie're's de loyers et charges e'ventuellement re'clame's par les bailleurs.
Par jugement du 26 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
- jugé recevable la demande de suspension des effets de la clause re'solutoire introduite par la socie'te' Jallow & Cie ;
- constaté l'acquisition, au 18 juillet 2019, de la clause re'solutoire inse're'e au bail du 21 octobre 2013 portant sur les locaux situe's [Adresse 2], a' [Localité 6] ;
- de'bouté la socie'te' Jallow & Cie de sa demande de suspension des effets de ladite clause re'solutoire ;
- dit que le bail du 21 octobre 2013 a pris fin le 18 juillet 2019 ;
- rejeté les demandes reconventionnelles de re'siliation de ce bail et de condamnation de la socie'te' Jallow & Cie a' s'acquitter des loyers, taxes et charges impaye's au 7 juin 2021 ;
- condamné la socie'te' Jallow & Cie aux entiers de'pens de l'instance ;
- condamné la socie'te' Jallow & Cie a' payer a' M. [S] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de proce'dure civile ;
- ordonné l'exe'cution provisoire de la de'cision ;
- rejeté toutes autres demandes.
Par déclaration du 2 décembre 2021, la société Jallow et Cie a interjeté appel partiel du jugement.
Par conclusions du 18 mai 2022, M. [P] [S] a demande' au conseiller de la mise en e'tat de prononcer la nullite' de la de'claration d'appel, subsidiairement la nullite' des conclusions signifie'es le 02 mars 2022, tre's subsidiairement leur irrecevabilite', et en tout e'tat de cause de prononcer la caducite' de la de'claration d'appel et de condamner la socie'te' Jallow et compagnie a' lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de proce'dure civile, ainsi qu'aux de'pens. Par conclusions du 18 octobre 2022, la socie'te' Jallow et Cie s'est oppose'e a' ces demandes.
Par ordonnance du 9 novembre 2022, le conseiller de la mise en e'tat a :
- rejete' les moyens de nullite' et d'irrecevabilite' et de'boute' M. [P] [S] de toutes ses pre'tentions ;
- l'a condamne' a' payer a' la socie'te' Jallow & Cie la somme de 1.500 euros pour frais irre'pe'tibles d'instance ;
- l'a condamne' aux de'pens et autorise' Mai'tre Jessica Chuquet a' recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir de provision.
Le 17 novembre 2022, M. [P] [S] a de'pose' une reque'te en de'fe're'.
Par arrêt du 10 mai 2023, le pôle 5 - chambre 3 de la cour d'appel de Paris a :
- rejeté comme tardives les conclusions en re'ponse a' la reque'te en de'fe're' du 17 novembre 2022 signifie'es par la socie'te' Jallow et Cie le 27 fe'vrier 2023, ainsi que les conclusions re'capitulatives de M. [P] [S] signifie'es le 28 fe'vrier 2023 ;
- confirmé l'ordonnance de'fe're' en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamné Monsieur [P] [S] aux de'pens relatifs a' la proce'dure de de'fe're'.
L'instance au fond a repris et l'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 mars 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 2 février 2022, la société Jallow & Cie, appelante, demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 26 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :
- constater l'acquisition, au 18 juillet 2019, de la clause re'solutoire inse're'e au bail du 21 octobre 2013 portant sur les locaux situe's [Adresse 2], a' [Localité 6] ;
- de'bouter la socie'te' Jallow & Cie de sa demande de suspension des effets de ladite clause re'solutoire ;
- dit que le bail du 21 octobre 2013 a pris fin le 18 juillet 2019,
En conse'quence et statuant a' nouveau ;
- dire et juger fonde'e la demande forme'e par la société Jallow & Cie a' l'encontre de Monsieur [P] [S] en suspension des effets de la clause résolutoire du bail du 21 octobre 2013 ;
- accorder a' la société Jallow & Cie les de'lais pour se libe'rer du montant e'ventuellement re'clame' en vertu des dispositions de l'article 1343-5 du code civil ;
- suspendre les effets des clauses re'solutoires du bail du 21 octobre 2013 ;
- dire et juger que le dit bail sera poursuivi selon les conditions du contrat et que la clause re'solutoire est cense'e n'avoir jamais joue' ;
- condamner Monsieur [P] [S] en tous les de'pens, qui pourront e'tre recouvre's conforme'ment aux dispositions de l'article 699 du code de proce'dure civile ;
- condamner Monsieur [P] [S] au paiement d'une somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de proce'dure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société Jallow & Cie fait valoir :
- sur le fondement des articles 488 du code de procédure civile, L. 145-41 du code de commerce et 1343-5 du code civil que le preneur a' bail peut demander des de'lais de paiement et la suspension des effets de la clause re'solutoire me'me apre's l'expiration du de'lai d'un mois a' compter du commandement tant que la re'siliation n'est pas constate'e par une de'cision de justice passe'e en force de chose juge'e, étant précisé en l'espèce que la décision n'est pas passée en force de chose jugée ;
- sur le paiement des loyers arriérés et charges, qu'elle n'a jamais « omis » de payer les loyers et charges depuis son entrée dans les lieux en juillet 2017, malgré les difficultés financières ; que du fait de la crise sanitaire, la concluante entre dans le champ d'application de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 et est fonde'e a' se pre'valoir des dispositions relatives aux clauses re'solutoires pendant la pe'riode prote'ge'e du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 (ordonnance n°2020- 306) et du 12 mars 2020 au 11 septembre 2020 et du dispositif de la loi 2020-1379 du 14 novembre 2020 ; qu'elle a payé tous ses loyers sauf les loyers Covid pour lesquels elle est fondée à solliciter des délais de règlement que des démarches en cours doivent lui permettre de respecter ; que l'intimée a été de mauvaise foi puisqu'elle a maintenu la concluante dans les locaux en continuant de percevoir les loyers postérieurement à l'ordonnance de référé.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 27 mai 2022, M. [P] [S], intimé, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
Subsidiairement, en cas de réformation, statuant de nouveau :
- prononcer la résiliation du bail commercial pre'cite' ;
- condamner la Socie'te' Jallow & Cie a' payer a' Monsieur [S] la somme de 59.751,56 € au titre des loyers, taxes et charges impaye's au 1er juin 2022 ;
- dire et juger que la Socie'te' Jallow & Cie est de'pourvue de tout droit ou titre quant au local qu'elle occupait [Adresse 2] a' [Localité 6] ;
- condamner la socie'te' Jallow & Cie a' verser a' M. [S] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la socie'te' Jallow & Cie aux entiers frais et de'pens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, M. [S] oppose que la présente action a été « très tardivement » initiée en vue d'obtenir la suspension des effets d'une clause résolutoire acquise depuis bientôt trois ans ; que l'appelante n'a jamais contesté la résolution du contrat ; qu'au jour de l'assignation, le 4 octobre 2019, la socie'te' Jallow restait redevable d'un montant de 9.361,23 € et lors du prononce' de l'ordonnance le 12 de'cembre 2019, elle demeurait toujours de'bitrice, malgre' son virement du 5 décembre 2019, d'une somme de 10.564,08 € ; que la suspension des effets de la clause est inopportune dès lors que l'appelante n'est pas solvable, étant précisé que l'exploitation des lieux ne lui permettait pas, dès 2019, soit avant la crise sanitaire, de dégager la marge nécessaire au paiement de ses loyers et charges ; que le total des loyers et charges impayés s'élève à la somme de 59.751,56 euros arrêtée au 1er juin 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
SUR CE,
Sur la demande de suspension de l'acquisition de la clause résolutoire
Aux termes de l'article L. 145-41 code de commerce, « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. »
Conformément aux dispositions de l'article 1244-1 du code civil, dans sa version applicable au cas d'espèce, le juge décide d'accorder ou non des délais de paiement « compte-tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier ».
Comme relevé par le premier juge, le bail liant les parties prévoit, en son article XII, la résiliation de plein droit du bail un mois après la délivrance d'un commandement de payer resté infructueux, rappelle qu'un commandement de payer a été régulièrement délivré à la société Jallow&Cie le 18 juin 2019 pour un arriéré locatif d'un montant de 7.211,87 euros arrêté à juin 2019, que malgré divers paiements opérés, pour le détail desquels la cour renvoie aux motifs du jugement, non seulement le preneur ne s'est pas acquitté de la totalité de la dette locative dans le mois du commandement, de sorte que l'acquisition de la clause résolutoire est de droit, mais encore reste devoir au bailleur la somme de 10.731,70 euros au 12 juin 2020 puis de 20.731,78 euros au moment de la délivrance du commandement de quitter les lieux le 22 octobre 2020 et la somme actualisée au jour de la restitution des lieux, soit le 20 mars 2021, de 31.589,01 euros arrêtée au 1er mars 2021.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, s'il est incontestable qu'une ordonnance de référé a autorité provisoire de la chose jugée conformément aux dispositions de l'article 488 du code de procédure civile, au cas d'espèce, le premier juge a, par motifs détaillés auxquels la cour renvoie et qu' elle adopte, examiné les moyens et pièces versés aux débats par cette dernière s'agissant, d'une part, d'un prêt espéré de nature à lui permettre d'apurer sa dette dont elle n'a pas été en mesure de justifier de l'octroi, d'autre part, d'un arriéré locatif au jour de la délivrance du commandement de quitter les lieux, non contesté au demeurant, dont l'augmentation a permis de démontrer la défaillance de la débitrice à s'acquitter de la dette mais aussi du loyer et indemnité d'occupation courants, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de suspension des effets de la clause résolutoire et dit que le bail avait pris fin le 18 juillet 2019.
Force est de constater que, devant la cour, la société Jallow & Cie ne justifie pas davantage de ses capacités financières, qu'elle ne peut soutenir être de bonne foi en ce qu'il ressort des éléments du dossier que toutes les propositions faîtes de paiement échelonné n'ont pas été tenues, qu'aucune proposition sérieuse sur ce point n'est formulée devant la cour et que la débitrice apparaît insolvable au regard du crédit porté à son compte d'un montant de 69,99 euros au 3 mai 2021, de sorte que la cour confirmera le premier juge en ce qu'il a rejeté la demande d'octroi de délais de paiement, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner le moyen inopérant tiré de l'application de l'ordonnance du 25 mars 2020, l'acquisition de la clause résolutoire étant antérieure à la crise sanitaire.
Le jugement sera ainsi confirmé de ces chefs.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Succombant en ses prétentions, la société Jallow & Cie sera condamnée à payer à M. [S] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 26 octobre 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Jallow & Cie à payer à M. [S] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Jallow & Cie à supporter la charge des dépens d'appel.