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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 19 septembre 2024, n° 24/05088

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Immobilière Cogolin (SCI)

Défendeur :

Maison (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pacaud

Conseillers :

Mme Leydier, Mme Neto

Avocats :

Me Aubert, Me Cherfils, Me Vandoni, Me Ceresiani

TJ Draguignan, du 24 mars 2021, n° 20/04…

24 mars 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 3 février 2017 et avenant en date du 17 février 2017, avec prise d'effet en date du 15 avril 2017, la SCI Immobilière Cogolin a consenti à M. [W] un bail commercial, portant sur des locaux commerciaux situés dans les lots n°11 et 12 de l'ensemble immobilier dénommé Centre Commercial Agora, sis [Adresse 1].

Ce bail stipulait une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur reprenant les dispositions de l'article L 145-16-2 du code de commerce.

La société à responsabilité limitée (SARL) Maison [W], substituant M. [W], a cédé son fonds de commerce à la SAS Le Traiteur du Golfe de [Localité 4], suivant acte en date du 10 juillet 2018. La clause de garantie solidaire a été reportée en page 4 de l'acte de cession.

Un avenant à la cession du droit au bail a été signé le 20 juillet 2018 aux termes duquel un nantissement a été autorisé par la SAS Le Traiteur du Golfe de [Localité 4] sur du matériel à hauteur de 45 000 euros et ce, en garantie des loyers. Il a été inscrit le 2 octobre suivant.

Constatant que, depuis l'échéance du 1er juillet 2018, la société Le Traiteur du Golfe de Saint Tropez n'avait payé qu'un seul acompte de 700 euros, la SCI Immobilière Cogolin lui a fait délivrer, par acte d'huissier en date du 1er février 2019, un commandement, visant la clause résolutoire du bail, de verser la somme de 23 225,01 euros, correspondant aux loyers et charges impayés.

Par acte d'huissier en date du 4 avril 2019, dénoncée à la SARL Maison [W] en sa qualité de créancier inscrit, elle l'a fait assigner devant la présidente du tribunal judiciaire de Draguignan qui, par ordonnance en date du 25 septembre suivant, a constaté la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire au 2 mars 2019, condamné la SASU Le Traiteur du Golfe de Saint Tropez à payer, à titre provisionnel, la somme de 23 225,01 euros et autorisé cette dernière à s'acquitter de cette condamnation en quatre versements mensuels de 5 806,25 euros entre le 15 juin et le 15 septembre suivant, outre une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens du référé.

La SAS Le Traiteur du Golfe de Saint Tropez a quitté les lieux le 31 octobre 2019.

Par jugement du tribunal de commerce de Fréjus, en date du 20 janvier 2020, publié au BODACC le 26 janvier suivant, elle a été placée en liquidation judiciaire.

Par acte d'huissier en date du 22 juin 2020, la SCI Immobilière Cogolin a fait assigner M. [Y] [W] et la SARL Maison [W] devant la présidente du tribunal judiciaire de Draguignan aux fins de les entendre condamner in solidum à lui verser les sommes de 23 225,01 euros au titre des loyers et charge, 3 6075,05 euros au titre des indemnités d'occupation et 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par ordonnance contradictoire en date du 24 mars 2021, ce magistrat a :

- dit n'y avoir lieu à référé ;

- débouté la SCI Immobilière Cogolin de ses demandes ;

- condamné la SCI Immobilière Cogolin aux dépens ;

- condamné la SCI Immobilière Cogolin à payer à M. [Y] [W] et la SARL Maison [W], in solidum, la somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a notamment considéré qu'en violation des dispositions de l'article L 146-16-1 du code de commerce, aucune information n'avait été délivrée à la cédante sur la situation d'impayés, débutée en juillet 2018, et que la dénonce de l'assignation en référé, du 8 avril 2019, ne lui avait été faite qu'en sa qualité de créancier inscrit.

Selon déclaration reçue au greffe le 30 septembre 2021, la SCI Immobilière Cogolin a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.

Par ordonnance en date du 28 avril 2022, l'affaire a été radiée par application des dispositions de l'article 524 du code de procédure civile. Elle a été réinscrite au rôle le 16 avril suivant, l'appelante ayant justifié s'être acquittée de la somme de 1 500 euros qu'elle avait été condammée à payer, en première instance, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions transmises le 30 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SCI Immobilière Cogolin sollicite de la cour qu'elle :

- condamne in solidum M. [W] et la SARL Maison [W] à lui payer la somme provisionnelle de 23 225,01 euros correspondant aux loyers et charges dus jusqu'au 31 mars 2019 ;

- condamne in solidum M. [W] et la SARL Maison [W] à lui payer la somme provisionnelle de 147,28 euros par jour au titre de l'indemnité d'occupation à compter du 1er avril 2019, date de la résiliation du bail, jusqu'à la complète libération des lieux par la SAS Le Traiteur du Golfe de [Localité 4], en date du 21 octobre 2019, soit la somme totale provisionnelle de 36 076,25 euros ;

- condamne in solidum M. [W] et la SARL Maison [W] à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions transmises le 30 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [W] et la SARL Maison [W] sollicitent de la cour qu'elle confirme l'ordonnance entreprise, déboute la SCI Immobilière Cogolin de l'ensemble de ses demandes et la condamne à leur verser, in solidum, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Maître Romain Cherfils, membre la SELARL LX Aix-en-Provence.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 5 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de provisions

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ... le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence ... peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision, tant en son principe qu'en son montant, et une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposés à ses prétentions laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait intervenir par la suite sur ce point. A l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle, le montant de la provision n'ayant alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée. C'est enfin au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiales ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.

Aux termes de l'article L 145-16-2 du code de commerce, si la cession du bail commercial est accompagnée d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, ce dernier informe le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci.

Si ce texte ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect de cette obligation, il est acquis que le bailleur doit mettre en oeuvre sa garantie en toute bonne foi. L'obligation du cédant peut donc être considérée comme sérieusement contestable, sur le fondement des dispositions de l'article 835 alinéa 2 précité du code de procédure civile, s'il établit une négligence du bailleur ayant provoqué un accroissement anormal de la dette et/ou une diminution de ses garanties.

Reprenant les termes de l'article L 145-16-2 précité, l'article 15-3 du bail signé le 3 février 2017 par la SCI Immobilière Cogolin, bailleur, et M. [Y] [W], preneur, stipule : En cas de cession régulière, celle-ci comportera, conformément au droit commun, garantie solidaire du cédant et du cessionnaire pour le paiement des loyers, charges et accessoires, ainsi que de toutes indemnités d'occupation dus par le passé ou à devoir pour l'avenir, et de l'exécution de toutes les clauses et conditions du bail, sans qu'ils puissent opposer le bénéfice de discussion ou de division. Cette garantie solidaire prendra fin au bout de 3 ans après la signature de la cession.

Il n'est pas contesté qu'alors que les premiers impayés de loyers remontaient à juillet 2018, la SCI Immobilière Cogolin n'en a pas informé M. [Y] [W] que le 9 septembre 2019, contrevant ainsi aux dispositions d'ordre public de l'article L 145-16-2, précité, du code de commerce. Ce faisant, elle a laissé la dette locative augmenter durant une période de plus de 13 mois.

Tout au plus avait-elle dénoncé sa première assignation du 4 avril 2019 à la SARL Maison [W], le 8 avril 2019 soit 9 mois après les premiers impayés, et en sa seule qualité de créancier inscrit.

De plus, alors même qu'elle savait qu'au mois de septembre 2019, la SAS Traiteur du Golfe de [Localité 4] 'déménageait ses locaux', comme en atteste un courrier qu'elle lui a adressé le 9 du même mois, elle n'en a pas informé la SARL Maison [W], alors même que de nouveaux impayés étaient venus augmenter la dette locative, privant ainsi cette dernière d'une information qui lui aurait permis de prendre des dispositions afin de sauvegarder le nantissement de 45 000 euros dont elle disposait sur l'outillage et le matériel de cette dernière.

La bonne foi de la SCI Immobilière Cogolin dans la mise en oeuvre de la clause de garantie du cédant peut donc être questionnée. L'obligation des appelants est donc sérieusement contestable et ce, d'autant que seul le juge du fond pourra apprécier la portée et les conséquences du manquement avéré de l'appelante aux dispositions d'ordre public de l'article L 145-16-2, précité, du code de commerce.

C'est donc par des motifs pertinents que le premier a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SCI Immobilière Cogolin.

L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la SCI Immobilière Cogolin aux dépens et à payer à M. [Y] [W] et la SARL Maison [W] la somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI Immobilière Cogolin, qui succombe au litige, sera déboutée de sa demande formulée sur le fondement de ce texte.

Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais non compris dans les dépens, qu'ils ont exposés pour leur défense. Il leur sera donc alloué une somme de 4 000 euros en cause d'appel.

La SCI Immobilière Cogolin supportera, en outre, les dépens de la procédure d'appel qui seront distraits au profit de Maître Romain Cherfils, membre la SELARL LX Aix-en-Provence sur son affirmation de droits.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne la SCI Immobilière Cogolin à payer à M. [Y] [W] et la SARL Maison [W], ensemble, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SCI Immobilière Cogolin de sa demande sur ce même fondement ;

Condamne la SCI Immobilière Cogolin aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.