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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 5, 19 septembre 2024, n° 24/07207

PARIS

Ordonnance

Autre

CA Paris n° 24/07207

19 septembre 2024

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 5

ORDONNANCE DU 19 SEPTEMBRE 2024

(n° /2024)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/07207 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJI4X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mars 2024 du Tribunal de Commerce de PARIS - RG n°2023027075

Nature de la décision : Contradictoire

NOUS, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assisté de Cécilie MARTEL, Greffière.

Vu l'assignation en référé délivrée à la requête de :

DEMANDEUR

S.A.S. LA LOCO

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Et assistée de Me Matthieu DE VALLOIS de l'AARPI 186 Avocats, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : D0010

à

DÉFENDEUR

S.A.S. FAST

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Clémence BOISSONNET substituant Me Jean-Baptiste GOUACHE de la SELARL GOUACHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1852

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 20 Juin 2024 :

Par jugement contradictoire du 27 mars 2024, rendu entre d'une part la Sas Fast et d'autre part la Sas La Loco, la 19e chambre mixte du tribunal de commerce de Paris a :

- Condamné la société La Loco à payer à la société Fast les sommes suivantes à titre d'indemnisation pour les préjudices subis du fait des manquements de la société La Loco :

. 45 640,44 euros au titre du préjudice subi en 2022 (octobre-décembre 2022), débouté pour le surplus

. 152 134,80 euros au titre du préjudice subi pendant les 10 premiers mois de l'année 2023 arrêté à la date de la demande et à parfaire au rythme de 15 213,48 euros par mois à compter du 1er novembre 2023 jusqu'au rétablissement de l'accès à l'ensemble des offres des cours, débouté pour le surplus

- Débouté la société Fast de sa demande de condamnation de la société La Loco au paiement de la somme de 75 000 euros au titre du temps perdu par ses co-fondateurs pour suivre ce dossier compte tenu des blocages de la société La Loco, au paiement de la somme de 50 0000 euros au titre du préjudice d'image subi par la société Fast

- Débouté MM. [L] et [I], fondateurs de la société Fast de leur demande de condamnation de la société La Loco au paiement de la somme de 25 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral

- Condamné la société La Loco aux dépens

- Condamné la société La Loco à payer à la société Fast la somme de 43 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Débouté les parties de toutes leurs demandes autres, plus amples ou contraires

- Dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration du 04 avril 2024, la Sas La Loco a interjeté appel de cette décision.

Par acte de commissaire de justice du 24 avril 2024, la Sas La Loco a fait assigner en référé la Sas Fast devant le premier président de la Cour d'appel de Paris afin de :

- Prononcer la recevabilité de l'intégralité des moyens et prétentions de la société La Loco

- Ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement n° 2023027075 du 27 mars 2024 du tribunal de commerce de Paris

- Condamner la société Fast à payer à la société La Loco la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner la société Fast aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions en réponse déposées et développées oralement à l'audience de plaidoiries du 20 juin 2024, la société La Loco a maintenu ses demandes sur le fondement de l'article 514-3 du code de procédure civile.

Par conclusions n°2 déposées et soutenues oralement à l'audience de plaidoiries du 20 juin 2024, la Sas Fast demande au premier président de :

- Déclarer irrecevable la société La Loco en sa demande de suspension de l'exécution provisoire

- Débouter la société La Loco de sa demande de suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement du 27 mars 2024

A titre subsidiaire et reconventionnel :

- Débouter la société La Loco de sa demande de suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement du 27 mars 2024 s'agissant de la remise des programmes exploités dans le réseau Le Wagon

- Débouter la société La Loco de toutes ses demandes, fins et conclusions

- Condamner la société La Loco à payer à la société Fast 4 990 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner la société La Loco aux dépens.

SUR CE,

L'article 514-3 du code de procédure civile dispose que le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision dont appel lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.

Ces deux conditions sont cumulatives.

Le texte prévoit en son deuxième alinéa que la demande de la partie qui a comparu en première instance, sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire, n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.

Un moyen sérieux d'annulation ou de réformation est un moyen, qui, compte tenu de son caractère très pertinent, sera nécessairement pris en compte par la juridiction d'appel avec des chances suffisamment raisonnables de succès.

Les conséquences manifestement excessives s'apprécient, en ce qui concerne les condamnations pécuniaires, par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d'infirmation de la décision assortie de l'exécution provisoire.

Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d'infirmation.

1- Sur la recevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire :

La Sas Fast soulève l'irrecevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par la société La Loco au motif que cette dernière n'a pas présenté d'observation sur l'exécution provisoire en première instance, se contentant de demander le rejet de l'exécution provisoire dans ses conclusions n°4, sans aucun argumentaire, et que les conséquences manifestement excessives dont elle se prévaut ne se sont pas révélées postérieurement à la décision de première instance. Or, selon elle, la jurisprudence impose de présenter une véritable argumentaire pour s'opposer l'exécution provisoire et non pas de simplement demander son rejet. Elle fait valoir que la demanderesse ne fait état d'aucun élément nouveau qui n'aurait pas été connu par elle antérieurement à la décision de justice dont appel.

En réponse, la Sas La Loco indique avoir précisé dans ses conclusions n°4 qu'elle avait expressément sollicité le rejet de l'exécution provisoire et que sa demande est recevable.

En l'espèce, il y a lieu de noter que le jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 mars 2024 fait état d'observation de la société La Loco sur l'exécution provisoire dont pourrait être assortie la décision dans ses motifs. De plus, il ressort aussi bien des motifs que du dispositif des conclusions n° 4 de la société La Loco que cette dernière avait bien présenté des observations sur l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

En outre, la jurisprudence ne fait pas obligation de présenter un véritable argumentaire sur le rejet de l'exécution provisoire, mais il suffit de présenter des observations aux fins de rejet de cette exécution provisoire pour qu'il soit considéré que les dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile ont bien été respectées. C'est le cas en l'espèce.

Dans ces conditions la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par la société La Loco est recevable.

2- Sur le bien-fondé de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire :

A) Sur le moyen sérieux d'annulation ou de réformation du jugement entrepris :

Selon la société La Loco, le jugement entrepris du tribunal de commerce de Paris fait l'objet de plusieurs moyens sérieux d'annulation ou de réformation. En effet, elle craint que le tribunal n'ait pas tenu compte de ses dernières conclusions n°4 mais s'en soit tenu aux conclusions n° 3 tel que cela semble ressortir de son résumé des prétentions des parties. En outre, elle considère que la décision du tribunal présente des défauts de motivation et des erreurs manifestes. C'est ainsi notamment que le tribunal n'a pas répondu aux conclusions de la société La Loco sur ses prétendus manquements et répondu aux quatre griefs, n'a pas apporté de définition du Savoir Faire invoqué qui constituait pourtant un élément important du contrat de franchise et son avenant, n'a pas non plus répondu sur l'évaluation du prétendu préjudice de la société Fast et a adopté un raisonnement totalement décorrélé de la réalité économique. Le tribunal a également procédé à plusieurs violations manifestes de la loi en statuant ultra petita et sur un point qui est de la compétence exclusive du tribunal judiciaire s'agissant de la propriété intellectuelle.

En réponse, la société Fast estime que rien ne fait craindre que le tribunal n'ait pas retenu les conclusions n°4 de son adversaire, que la juridiction consulaire a bien motivé les différents manquements qui étaient reprochés à la société La Loco et notamment les 4 griefs, que la définition du Savoir Faire n'était pas une des questions posées à la juridiction, que le tribunal a bien examiné le contrat et son avenant qui ne comportaient pas de limite. Le tribunal a bien motivé également l'évaluation du préjudice et n'a commis aucune violation de la loi dans sa décision. Dans ces conditions, elle estime que la demanderesse ne dispose d'aucun moyen sérieux d'annulation ou de réformation du jugement entrepris.

Il ressort des pièces produites aux débats que la société la Loco a conclu en mars 2017 un contrat de franchise avec la société Chavane devenue la société Fast portant sur le droit d'exploiter sous la marque "Le Wagon" un concept de formation à la programmation informatique appliquée au travers de sessions d'apprentissage intensives de 9 semaines dans des camps d'entraînement dits "bootcamps", ainsi que d'autres programmes conçus pour être enseignés selon son Savoir Faire.

Dans un contexte d'échec de rachat de la société Fast par la société La Loco, ces dernières ont signé un avenant le 31 janvier 2022 pour actualiser ce contrat de franchise.

La société La Loco a racheté en juillet 202 la société EMIL qui effectuait des programmes de quelques heures, dispensés 100% en ligne dits programmes courts ou short courses.

Au vu de l'avenant au contrat de franchise prévoyant que la société La Loco, franchiseur, devait transmettre au franchisé, la société Fast, toute autre activité ou programme de formation développé par Le Wagon depuis la signature du contrat de franchise, la société Fast a sollicité que lui soit aussi transmis ces derniers programmes, ce que la société la Loco a refusé.

C'est dans ces conditions que, par assignation du 15 mai 2023, la société Fast a assigné la société La Loco devant le tribunal de commerce de Paris pris aux fins de condamner la société la Loco à fournir à la société Fast sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard l'accès aux programmes courts et de condamner cette dernière à lui verser diverses indemnités au titre de la perte de marge entre octobre 2023 et octobre 2023, du temps perdu par les co-fondateurs de la société Fast pour suivre ce dossier, d'atteinte au préjudice d'image, de préjudice moral et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 27 mars 2024, le tribunal de commerce de Paris a reconnu que la société La Loco avant commis des manquements dans le cadre de l'avenant au contrat de franchise et a condamné cette dernière à verser plus de 150 000 euros de dommages et intérêts à la société Fast en réparation de ses différents préjudices.

En l'espèce, il y a lieu de noter que les 4 arguments invoqués par la société la Loco pour dire qu'elle n'avait commis aucun manquement sont expressément repris par la juridiction consulaire en pages 7 et 8 du jugement entrepris. Ensuite le tribunal a indiqué que la différence invoquée entre la méthodologie des programmes courts et de son Savoir Faire n'apparaissait pas et que la société La Loco échoue à démontrer que la disponibilité des programmes courts pourrait être refusé à la société Fast en raison de leur nature.

Sur la définition du Savoir Faire, le tribunal indique que "le contrat et son avenant ne mentionnent pas, au sein du périmètre géographique défini, un profil de clientèle autorisé ou non selon les types de formation déclinées et qu'il n'est pas non plus fait de différence entre formation en présentiel et en distanciel".

Le tribunal a également répondu à l'argument selon lequel les programmes courts sont des 'uvres de l'esprit sur lesquels la société La Loco disposerait d'un monopole d'exploitation, en indiquant que " les mises à jour des formations, leur adaptation ou leur évolution ne constituent pas des créations originales devant être exclues du champ de la franchise. Elle s'est engagée contractuellement à concéder à la société Fast le droit d'exploiter le concept Le Wagon."

Le tribunal a en outre ajouté que la clause est parfaitement claire et dénuée de toute ambiguïté et a donc répondu à l'argument selon lequel la transmission des programmes courts serait contraire à l'intention des parties et serait contraire au droit de la concurrence.

De même, le tribunal de commerce de Paris a parfaitement motivé son évaluation des préjudices de la société Fast en pages 10 et 11 de son jugement en indiquant notamment que "le tribunal considère que les frais liés à la mise à disposition du public d'une gamme de cours sont sensiblement les mêmes pour chaque gamme de cours. Attendu que le prix moyen des gammes de cours dont Fast a été privée s'établit à 1 540 euros... Attendu qu'il en découle une marge moyenne de 16,88%...". C'est ainsi que les manquements relevés et l'évaluation du préjudice ont été motivés par le tribunal. Cette juridiction a également statué sur la demande d'annulation partielle de l'avenant en retenant que "attendu cependant que la clause est parfaitement claire, dénuée de toute ambiguïté et qu'il appartenait à La Loco de refuser de la signer si elle l'estimait contraire à ses intérêts, ce qu'elle n'a pas fait."

De même, il n'est pas d'avantage démontré que le tribunal a violé la loi et n'a pas statué ultra petita sur les sommes sollicitées par la société Fast qui prévoyait dans son assignation que les sommes étaient à parfaire, ce que reprend le tribunal dans son dispositif. Il n'est pas démontré que le tribunal ait statué sur la nature des formations en indiquant qu'elles ne constituaient pas des créations originales, mais il a seulement précisé que leur caractère original n'était pas démontré.

C'est ainsi que la société La Loco échoue à démontrer qu'elle dispose de moyens sérieux d'annulation ou de réformation du jugement du tribunal de commerce du 27 mars 2024.

B) Sur les conséquences manifestement excessives :

Dans la mesure ou les deux conditions prévues par les dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile sont cumulatives et qu'il a été retenu que la société La Loco ne disposait pas de moyens sérieux d'annulation ou de réformation du jugement entrepris, il n'y a pas lieu d'apprécier si l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris engendrerait de conséquences manifestement excessives pour la société La Loco si elle était maintenue.

Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande d'arrêt de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 mars 2024 présentée par la Sas La Loco.

3- Sur les autres demandes :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la Sas Fast ses frais irrépétibles non compris dans les dépens et il lui sera donc alloué une somme de 2 0000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est par contre pas inéquitable de laisser à la charge de la Sas La Loco la charge de ses frais irrépétibles et aucune somme ne lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront laissés à la charge de la Sas La Loco.

PAR CES MOTIFS,

Déclarons recevable la demande en arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 27 mars 2024 du tribunal de commerce de Paris ;

Rejetons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement entrepris précité présentée par la Sas La Loco ;

Rejetons la demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile formulée par la Sas la Loco ;

Condamnons la Sas La Loco à payer à la Sas Fast une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laissons à la Sas La Loco la charge des dépens de l'instance.

ORDONNANCE rendue par M. Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, assisté de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, Le Président