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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 19 septembre 2024, n° 23/04049

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Somato (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foucher-Gros

Conseillers :

M. Urbano, Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Bart, Me Havelette, Me Percheron, Me Malexieux

T. com. Rouen, du 21 nov. 2023, n° 2023/…

21 novembre 2023

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur [H] [U] a été engagé par la SASU Somato, exploitante d'un garage automobile, en qualité de mécanicien, échelon 1, par contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2021.

Consécutivement à une perquisition effectuée au lieu d'exercice de la société Somato à [Localité 8], la quasi-totalité des véhicules de la société destinés à la vente a été saisie.

Monsieur [U], privé d'activité et de rémunération pendant plusieurs mois, a signé une rupture conventionnelle sans obtenir la remise des documents de rupture (solde de tout compte, bulletin de salaire, attestation pôle emploi, certificat de travail) le paiement des salaires dus et l'indemnité de rupture.

Par ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Rouen du 12 mai 2023, la société Somato a été condamnée à payer à Monsieur [U] les sommes provisionnelles de 1559,94 euros net pour paiement de l'indemnité de rupture conventionnelle et de son salaire du mois de décembre 2022 et de 10 861,09 euros brut au titre de la rémunération afférente à la période de juin à novembre 2022 et des congés payés afférents.

Cette décision a été signifiée le 19 juin 2023 et mise à exécution.

Le 20 juillet 2023, les saisies attribution diligentées pour le compte de M. [U] pour paiement de la somme de 14.650,72 euros se sont avérées infructueuses.

Par acte de commissaire de justice du 23 octobre 2023, Monsieur [U] a fait assigner la société Somato devant le tribunal de commerce de Rouen aux fins d'ouverture d'une procédure collective.

Par jugement du 21 novembre 2023, le tribunal de commerce de Rouen a :

- prononcé la liquidation judiciaire de : Somato (SAS) - [Adresse 4],

- fixé au 30 juin 2023 la date de la cessation des paiements.

- nommé en qualité de juge-commissaire Monsieur [D] [C],

- nommé en qualité de liquidateur : Me [B] [J] - [Adresse 2],

- dit n'y avoir lieu de faire application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée.

- invité les salariés à désigner, le cas échéant, un représentant au sein de l'entreprise conformément aux dispositions des articles L. 621-4 et R. 621-14 du code de commerce.

- dit que Me [B] [J] devra établir la liste des créances déclarées avec ses propositions dans le délai de douze mois à compter du présent jugement.

- désigné : Me [K] [L], commissaire-priseur judiciaire ' [Adresse 3] ' aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus à l'article L. 622-6 du code de commerce dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente décision,

- dit que les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur seront exercés par Monsieur [V],

- fixé à 24 mois le délai au terme duquel la clôture devra être examinée,

- passé les dépens en frais privilégiés.

La société Somato a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 8 décembre 2023.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 18 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Somato qui demande à la cour de :

A titre principal,

- annuler l'assignation du 23 octobre 2023 délivrée par la SCP Chavoutier Miroux Beckman, du fait de la signification irrégulière et du grief causé à la société Somato,

Par voie de conséquence,

- annuler le jugement déféré

- renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir,

Subsidiairement,

- annuler le jugement du tribunal de commerce de Rouen du 21 novembre 2023,

- en tous cas reformer le jugement du 21 novembre 2023,

Statuant à nouveau,

- prononcer le redressement judiciaire de la société Somato,

- fixer provisoirement la date de cessation des paiements 45 jours avant le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Rouen,

- ouvrir une période d'observation de trois mois,

- condamner Monsieur [U] aux dépens de première instance et d'appel.

Vu les conclusions du 13 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Monsieur [H] [U] qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement du en ce qu'il a ouvert une procédure collective à l'encontre de la société Somato,

- donner acte à Monsieur [U] de ce qu'il s'en rapporte à la justice sur l'appréciation des perspectives éventuelles de redressement de l'entreprise,

- débouter la société Somato de l'intégralité de ses demandes dirigées contre Monsieur

[U],

- condamner la société Somato aux dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle et employés en frais privilégiés comme frais de justice au sens de l'article 696 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du 3 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Maître [B] [J] ès qualités de liquidateur de la société Somato qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rouen le 21 novembre 2023 en ce qu'il a prononcé la liquidation judiciaire de la société Somato,

- dire que les dépens de la présente instance seront employés en frais privilégiés de la présente instance.

Vu les conclusions du 15 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens du ministère public qui :

- conclut à la confirmation du jugement entrepris en date du 21 novembre 2023 ayant prononcé, sur assignation d'un créancier salarié, la liquidation judiciaire de la société appelante,

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de relever que la société Somato soutient que les développements de Maître [J], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Somato quant aux modalités de citation et d'audition du dirigeant de la société sont irrecevables, faute de justifier d'un quelconque intérêt à agir à ce titre, sa nomination ès qualités n'étant qu'une conséquence du jugement de liquidation judiciaire.

Mais aux termes de l'article R 661-6, 1° du code de commerce, ''les mandataires de justice qui ne sont pas appelants doivent être intimés''.

Il en résulte que Maître [J], ès qualités a un intérêt à faire valoir des moyens portant sur les modalités de citation de la société Somato et sur la procédure suivie devant le tribunal de commerce de sorte que le moyen articulé par la société Somato sera écarté.

Sur la nullité de l'assignation du 23 octobre 2023

Moyens des parties

La société Somato soutient que :

* l'huissier de justice, ayant connaissance du fait que la société Somato n'avait plus d'activité au [Adresse 4] à [Localité 8] et que le siège social de la société avait disparu du fait de l'installation d'une autre société dans les locaux, aurait dû procéder à la signification au domicile du gérant ;

* la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré notamment à son représentant légal ;

* la notification destinée à une personne morale de droit privé est faite au lieu de son établissement ; à défaut d'un tel lieu, elle l'est en la personne de l'un de ses membres habilité à la recevoir ;

* il n'est nullement justifié de la mise en 'uvre des dispositions de l'article 659 du code de procédure civile à défaut de justification d'une notification ;

* en matière de procédure collective, c'est le représentant légal de la société qui doit être cité conformément aux dispositions des article R. 631-1 et R. 640-1 du code de commerce ;

* le greffe du tribunal de commerce de Rouen a notifié le jugement prononçant la liquidation judiciaire à la personne du président de la société Somato ;

* la nullité de l'assignation implique que le tribunal de commerce n'a pas été régulièrement saisi et que le jugement déféré est nul ; l'appel est dépourvu d'effet dévolutif, l'appelante n'ayant pas conclu au fond à titre principal mais seulement à titre subsidiaire.

Maître [J], ès qualités réplique que :

* la société Somato n'est pas à l'origine de l'ouverture de la procédure collective ;

* il faut et suffit que l'assignation ait été délivrée au siège social tel qu'il est renseigné sur un extrait Kbis à jour ; le fait que la société soit fermée est sans incidence, l'huissier n'ayant pas à rechercher si la fermeture est temporaire ou définitive ;

* la société Somato s'identifie comme domiciliée [Adresse 4] et non à l'adresse personnelle de son dirigeant.

Monsieur [U] et le ministère public font valoir que :

* l'assignation a été régulièrement délivrée au siège de la société tel que figurant au K-bis.

Réponse de la cour

Si en vertu des dispositions des articles R. 631-1 et R. 640-1 du code de commerce, la demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire est déposée par le représentant légal de la personne morale, il est constant en la cause que la demande a été présentée non par la société Somato mais par Monsieur [U], créancier, de sorte que le moyen tiré de l'application desdites dispositions est inopérant.

Aux termes de l'article 654 alinéa 2 du code de procédure civile, ''la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier, ou à tout autre personne habilitée à cet effet.''

Aux termes de l'article 690 du même code, ''la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement. À défaut d'un tel lieu, elle l'est en la personne de l'un de ses membres habilité à la recevoir.''

Aux termes de l'article 659 du même code '' lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.

Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification.

Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.

Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d'un acte concernant une personne morale qui n'a plus d'établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés.''

S'agissant de la signification à une personne morale de droit privé, l'huissier de justice n'a l'obligation de la tenter qu'au lieu du siège social mentionné au registre du commerce et des sociétés ou de son principal établissement s'il est situé ailleurs.

Dès lors que la personne morale a un siège social, l'huissier instrumentaire n'a pas à tenter de délivrer l'acte à la personne du gérant dont l'adresse est connue de lui-même ou du requérant.

L'huissier de justice n'a pas à rechercher le domicile de la personne habilitée à recevoir la signification pour cette personne morale,

L'assignation en liquidation devant le tribunal de commerce a été signifiée à la société Somato à l'adresse de son siège social telle que déclarée par le demandeur de l'acte, Monsieur [U], au [Adresse 4].

Le procès-verbal de signification dressé par le commissaire de justice le 23 octobre 2023 comporte les mentions suivantes : '' parvenu à l'adresse indiquée, il s'avère que la société Somato n'y exerce plus d'activité. Sur place se trouve actuellement la SAS Soveo ('). Après recherches sur le site société.com, ladite société (la société Somato) est toujours inscrite à l'adresse du siège social : [Adresse 4] à [Localité 8] ('). De retour à l'étude, mes recherches auprès du RCS, et à l'aide d'un moteur de recherche sur Internet, ne m'ont pas permis d'obtenir de quelconque renseignement quant à un éventuel transfert de siège social. En conséquence, j'ai constaté que la société Somato n'a plus d'établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le RCS et j'ai converti le présent acte en procès-verbal de recherches article 659 cpc. J'ai adressé à la dernière adresse connue de l'intéressé une copie du procès-verbal de recherches à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification par lettre recommandée avec accusé de réception ('). La lettre simple l'avisant de l'accomplissement de cette formalité lui a été envoyée le 23 octobre 2023.''

La lettre recommandée avec avis de réception adressée à la société Somato produite aux débats par Monsieur [U] est revenue avec la mention ''destinataire inconnu à l'adresse''.

L'ordonnance dont appel mentionne que la société Somato est domiciliée [Adresse 4].

Il ressort de l'extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés, à jour au 22 novembre 2023, que la société Somato a son siège social au [Adresse 4].

La société Somato s'identifie, aussi bien sur sa déclaration d'appel que dans ses conclusions d'appelante, comme domiciliée [Adresse 4] et non à l'adresse personnelle de son dirigeant.

Dès lors qu'il ressort du procès-verbal de signification que le commissaire de justice a effectué des diligences aux fins de connaître un éventuel transfert du siège social de la société Somato, qu'il a constaté que cette dernière n'avait plus d'établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés, qu'il n'avait l'obligation de tenter de délivrer l'assignation qu'au lieu dudit siège social, peu important que ladite société n'y exerçait plus d'activité, la signification de l'assignation selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile était justifiée.

La nullité de l'assignation n'étant pas encourue, la société Somato sera déboutée de sa demande d'annulation de cet acte.

Sur la demande d'annulation du jugement

Moyens des parties

La société Somato soutient que :

* le tribunal de commerce ne peut statuer sur l'ouverture de la procédure qu'après avoir entendu ou dûment appelé en chambre du conseil le débiteur ; une telle audition a lieu en chambre du conseil ;

* le greffe a bien notifié le jugement prononçant la liquidation judiciaire à la personne du président de la société Somato ;

* les dispositions de l'article L. 621-1 du Code de commerce étant d'ordre public, leur non-respect vicie la procédure et entraîne la nullité du jugement d'ouverture.

Maître [J], ès qualités réplique que :

* la société Somato n'est pas à l'origine de l'ouverture de sa procédure collective puisque celle-ci a été demandée par un créancier, à savoir un salarié impayé, par voie d'assignation ;

* à l'audience, la société Somato n'a pas comparu, ni par son dirigeant ni par une personne valablement munie d'un pouvoir, ce qui n'était pas de nature à empêcher le tribunal de statuer ;

* une fois la procédure collective ouverte, spécialement en cas de liquidation judiciaire, c'est à l'adresse du dirigeant que le greffe doit adresser ses notifications puisque la société est officiellement fermée ainsi que prévu au 4° de l'article R 662-1 du code de commerce.

Monsieur [U] fait valoir que :

* aucune nullité du jugement n'est encourue du fait d'une nullité de l'assignation laquelle n'est pas encourue en l'espèce.

Le ministère public soutient que :

* le jugement de liquidation judiciaire a été régulièrement rendu en l'absence du dirigeant dans le cadre de l'assignation initiée par le créancier.

Réponse de la cour

En vertu des dispositions des articles L 641-1 et L 621-1 du code de commerce, ''le tribunal statue sur l'ouverture de la procédure après avoir entendu ou dûment appelé en chambre du conseil le débiteur ('). ''

Aux termes de l'article R 631-6 du code de procédure civile, ''la cour d'appel, qui annule ou qui infirme un jugement statuant sur l'ouverture de la procédure peut, d'office, ouvrir une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire''.

Le tribunal de commerce a été saisi par Monsieur [U] de la demande de liquidation judiciaire de la société Somato par l'assignation du 23 octobre 2023.

La signification de l'acte introductif d'instance litigieux mentionnant les diligences prévues par l'article 659 du code de procédure civile, la société Somato a été dûment appelée et le tribunal de commerce n'était pas tenu d'ordonner une nouvelle citation de la partie non comparante, aucune disposition légale ou réglementaire n'imposant à la juridiction saisie, en cas de non-comparution du défendeur non cité à sa personne, de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure avec nouvelle convocation du défendeur.

Le moyen tiré de la nullité du jugement, pour ce motif, sera écarté et la demande de nullité du jugement sera rejetée.

En tout état de cause, il sera retenu que l'assignation, qui constitue l'acte introductif d'instance, n'étant pas susceptible d'être annulée, le tribunal de commerce a été valablement saisi de la demande d'ouverture d'une procédure collective. Ainsi, quand bien même, le défaut de convocation du représentant légal par le tribunal de commerce entacherait la régularité des débats devant ce dernier et conduirait à l'annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire, la cour n'en demeurerait pas moins saisie du fond du litige, compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur l'ouverture de la procédure collective

Moyens des parties

La société Somato soutient que :

* pour assigner en liquidation judiciaire, il faut à la fois que le débiteur soit en cessation des paiements et que son redressement apparaisse manifestement impossible, ces deux conditions cumulatives doivent être prouvées par le créancier ; Monsieur [U] n'a jamais fait état dans son assignation d'un redressement manifestement impossible ;

* dans l'hypothèse d'une assignation en liquidation judiciaire, le tribunal de commerce doit s'assurer de l'existence d'éléments de preuve de nature à établir que le redressement est manifestement impossible, et le tribunal ne peut statuer ultra petita, dès lors que le créancier ne soutient même pas l'existence de cette condition de redressement manifestement impossible ;

* en suppléant le créancier dans l'allégation de l'existence de cette condition et en orientant les pièces versées aux débats pour y répondre, le tribunal s'est saisi d'office aux fins d'ouverture de cette liquidation judiciaire ; or une telle saisine est inconstitutionnelle ; la cour d'appel ne pourra que prononcer la nullité du jugement de liquidation judiciaire, ou en tous cas le reformer ;

* la société Somato peut envisager la reprise de son activité et l'apurement de son passif ; elle fait l'objet d'une enquête pénale préliminaire sans avoir pu accéder au dossier ; la totalité de son parc automobile a été saisi, ainsi que l'ensemble des avoirs en banque ; les pièces comptables ont été intégralement appréhendées ; ces saisies ont empêché toute poursuite d'activité ;

* pour limiter les dépenses, les locaux ont été restitués et reloués par le bailleur ;

* elle reste propriétaire de ses biens malgré la saisie pénale qui interdit toute mesure d'exécution sur les biens saisis ; ses disponibilités sont gelées ce qui n'a pas permis le règlement de la créance de Monsieur [U] ;

* elle ne peut être sanctionnée par sa mise en liquidation judiciaire, sans tenir compte du principe constitutionnel de la présomption d'innocence et de sa situation financière réelle ;

* sa situation comptable dressée au 30 juin 2023 sur la base d'une reconstitution partielle, fait apparaître que les capitaux propres de la société sont positifs à hauteur de 175.815 euros ; l'associé unique détient un compte courant créditeur de 122.650 euros ; le stock a une valeur d'actif de 445.000 euros et le compte bancaire est créditeur de 38.858 euros ;

* elle reste propriétaire de la clientèle attachée au fonds de commerce et elle justifie de la qualité de ses prestations ;

* elle a toujours tenu sa comptabilité, et ses comptes ont été déposés ;

* en l'absence d'activité, l'ouverture d'une période d'observation n'entraînera aucune nouvelle dette et ne présente donc aucun risque ; la restitution des actifs durant cette période permettra à la société de reprendre son activité et de présenter un plan de continuation ;

* la fixation de la date de cessation des paiements au 30 juin 2023 n'est nullement justifiée.

Maître [J], ès qualités réplique que :

* le fait que le créancier n'ait prétendument pas caractérisé que le redressement était manifestement impossible est indifférent puisque les dispositions de l'article L 640-1 du code de commerce étant d'ordre public, le tribunal était tenu de se livrer à cette recherche et à cette analyse ;

* la cessation d'activité ne suffit pas à caractériser l'impossibilité de présenter un plan si le débiteur justifie d'autre ressources permettant de financer la période d'observation et de financer l'exécution d'un plan ; la société Somato ne justifie d'aucune ressource et son passif s'établit à ce jour à la somme de 261 K€.

Monsieur [U] fait valoir que :

* la société Somato est dans l'incapacité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible de sorte que la décision ne pourra qu'être confirmée du chef de l'ouverture d'une procédure collective.

Le ministère public soutient que :

* l'état de cessation des paiements est caractérisé ; le liquidateur a recensé un passif de 261 K€ ; la société Somato a fait l'objet de plusieurs saisies pénales portant sur la saisie d'un compte et de 12 véhicules représentant 226 400 euros ; la société Somato ne dispose d'aucune autre ressource.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L 640-1 du code de commerce, ''il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens.''

Aux termes de l'article R 640-1 de ce code, '' (') la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire présentée par un créancier est à peine d'irrecevabilité, qui doit être soulevée d'office, exclusive de toute autre demande, à l'exception d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire formée à titre subsidiaire.

Les éléments de nature à établir que le redressement est manifestement impossible doivent être joints à la demande du débiteur, à l'assignation d'un créancier, à la demande du ministère public ou au rapport du juge commis par le tribunal.''

L'article R 631-2 du même code applicable à la liquidation judiciaire dispose que : '' L'assignation d'un créancier précise la nature et le montant de la créance et contient tout élément de preuve de nature à caractériser la cessation des paiements du débiteur. (') La demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire est à peine d'irrecevabilité, qui doit être soulevée d'office, exclusive de toute autre demande relative au même patrimoine, à l'exception d'une demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire formée à titre subsidiaire.''

Il ressort des dispositions de l'article R. 640-2 du même code qu'en cas d'infirmation d'un jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire, la cour peut, d'office, ouvrir la procédure de redressement judiciaire.

Aux termes de l'assignation délivrée le 23 octobre 2023, Monsieur [U] a sollicité du tribunal de commerce qu'il prononce l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Somato.

L'assignation précise la nature et le montant de la créance soit ''les sommes provisionnelles de 1559,94 euros net au titre de l'indemnité de rupture conventionnelle et du salaire du mois de décembre 2022 et de 10 861,09 euros bruts au titre de la rémunération afférente à la période de juin à novembre 2022 et des congés payés afférents.'' Il est mentionné que ''les saisies attribution diligentées le 20 juillet 2023 pour paiement de la somme de 14 650,72 euros se sont avérées infructueuses'', que ''le caractère infructueux des poursuites prouve à l'évidence que la société Somato est en situation de cessation des paiements caractérisée par l'impossibilité de faire face à son passif exigible en raison d'un actif disponible insuffisant.''

Etaient joints à l'assignation ainsi qu'indiqué dans l'acte, l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes du 12 mai 2023 portant la condamnation de la société Somato à payer à Monsieur [U] les sommes indiquées au paragraphe qui précède ainsi que les procès-verbaux de saisies attribution du 20 juillet 2023 mentionnant que le compte ouvert dans les livres de la Bred Banque Populaire présente un solde nul et celui ouvert dans les livres de la banque le Crédit Lyonnais un débit de 106 480,50 euros.

Il s'ensuit que, conformément aux dispositions précitées de l'article R 640-1 du code de commerce, Monsieur [U] a joint à son assignation les éléments de nature à établir que le redressement est manifestement impossible de sorte qu'il est inexact pour la société Somato de soutenir que le tribunal de commerce, saisi d'une demande de liquidation judiciaire par le créancier, a statué ultra petita ou encore qu'il s'est saisi d'office aux fins d'ouverture de cette liquidation. Le jugement entrepris qui a prononcé la liquidation judiciaire de la société Somato n'encourt dès lors aucun grief de nullité ou de réformation à ce titre.

L'article L 631-1 du code de commerce définit l'état de cessation des paiements par l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible et le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

L'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.

La cessation d'activité ne suffit pas à caractériser l'impossibilité de présenter un plan si le débiteur justifie d'autre ressources permettant de financer la période d'observation et de financer l'exécution d'un plan.

La liste des créances déclarées établie par Maître [J], mandataire judiciaire, laisse apparaître au 12 février 2024 un passif échu de 261 434, 71 euros dont le montant n'est pas critiqué par la société Somato.

Si la société Somato reste propriétaire de ses actifs nonobstant la saisie pénale de ses biens - stocks de véhicules et avoirs en banque - il n'en demeure pas moins qu'ils ne constituent pas un actif disponible de sorte qu'il n'y a pas lieu de les prendre en compte.

Pour la détermination de l'actif disponible, il convient de prendre en compte les valeurs immédiatement mobilisables ou à très court terme comme les disponibilités en banque.

Ne peuvent être prises en compte ni un fonds de commerce non vendu, ni la valeur du stock des marchandises sauf s'il est en cours de réalisation. Le chiffre d'affaires et le résultat ne constituent pas davantage des actifs disponibles pas plus que le capital social non libéré.

Les liquidités fournies par le dirigeant social de la société débitrice sous forme d'avances en compte courant à celle-ci, dès lors qu'elles constituent un actif disponible suffisant pour faire face au passif exigible, peuvent permettre d'écarter son état de cessation des paiements.

La société Somato ne produit pas de relevés de comptes bancaires actualisés pour établir qu'elle dispose en banque sur un compte à vue de la somme de 38 858 euros mentionnée au bilan simplifié à la date du 30 juin 2023. Il ressort au contraire de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles du 27 juillet 2023 que la somme de 31 957,27 euros figurant au crédit du compte Bred Banque Populaire FR 76 101070037900516070123 est saisie.

Ainsi, si la société Somato reste propriétaire de ses actifs nonobstant la saisie pénale de ses biens - stocks de véhicules et avoirs en banque de l'ordre de 258 300 euros - il n'en demeure pas moins qu'elle n'en a pas la libre disposition de sorte qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte cet actif non disponible.

Elle ne justifie pas plus du caractère libéré du capital social de la société qui s'élève à 117 000 euros (mentionné dans les capitaux propres de la société au passif du bilan) et de ce que les sommes inscrites au compte courant de l'associé unique soit de

122 650 euros constituent une trésorerie immédiatement mobilisable.

Au vu de ce qui précède, à défaut de tout actif disponible pour faire face au passif exigible de 261 434, 71 euros, l'état de cessation des paiements est avéré.

La société Somato ne justifiant d'aucune ressource lui permettant de poursuivre l'exploitation, de financer une période d'observation et l'exécution d'un plan, le redressement judiciaire apparaît manifestement impossible de sorte qu'il convient de confirmer le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé la liquidation judiciaire de la société Somato.

En ce qui concerne la fixation de la date de cessation des paiements, le tribunal de commerce a retenu la date du 30 juin 2023 en relevant que la créance salariale de Monsieur [U] avait été fixée à la somme de 14 650,72 euros par ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Rouen du 12 mai 2023 signifiée le 19 juin 2023 et non frappée d'appel. Dès lors que la décision prud'homale était exécutoire de plein droit à titre provisoire, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a fixé au 30 juin 2023 la date de la cessation des paiements.

Pour le surplus de ses dispositions, le jugement sera confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Déboute la société Somato de ses demandes de nullité de l'assignation du 23 octobre 2023 et du jugement du tribunal de commerce du 21 novembre 2023,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.