CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 19 septembre 2024, n° 23/13083
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Efficience Partenaires (SAS)
Défendeur :
SCP BR Associés (ès qual.), PMM (SAS), SCP CBF Associés (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Keromes
Conseillers :
Mme Vassail, Mme Vadrot
Avocats :
Me Bollet, Me Jousset, Me Munos
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société PMM exerçait l'activité de menuiserie, métallerie, serrurerie, charpente métallique, travaux de maçonnerie, d'électricité, de couverture, d'étanchéité, de bardage et de façade.
La société APH exerçait l'activité de travaux d'entreprise générale tous corps d'état en équipement technique.
La société IN CITA exerçait l'activité de holding animatrice de groupe et dirigeait les sociétés PMM et APH.
La société BELLA STORIA (devenue INOVALIA) exerçait l'activité de holding animatrice du groupe et dirigeait la société IN CITA.
La société EFFICIENCE PARTENAIRES exerçait l'activité de holding.
Le 14 février 2023, elle a cédé à la société BELLA STORIA (devenue INOVALIA) la totalité des titres qu'elle détenait dans la société IN CITA et, indirectement, via la société IN CITA, dans les sociétés PMM et APH qui étaient ses filiales.
Par jugement du 8 juin 2023, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société PMM et désigné :
- la société CBF ASSOCIES en qualité d'administrateur judiciaire,
- la SCP BR ASSOCIES en qualité de mandataire judiciaire.
La date provisoire de cessation des paiements a été fixée au 31 décembre 2022.
Le 22 juin 2023, la société EFFICIENCE PARTENAIRES a formé tierce opposition contre le jugement d'ouverture du redressement judiciaire mais seulement en ce qu'il avait fixé la date de cessation des paiements au 31 décembre 2022.
Par jugement du 22 septembre 2023, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a converti le redressement judiciaire de la société PMM en liquidation judiciaire, mis fin aux fonctions de l'administrateur judiciaire et désigné la SCP BR ASSOCIES en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 12 octobre 2023, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a notamment:
- déclaré recevable la tierce opposition,
- déclaré cette tierce opposition mal fondée,
- dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts,
- employé les dépens en frais privilégiés de procédure collective.
Pour prendre leur décision les premiers juges ont retenu que :
- la tierce opposition a été faite dans les délais légaux,
- en sa qualité de tiers, la société EFFICIENCE PARTENAIRES justifie d'un intérêt à agir,
- le bilan 2022 révèle une situation comptable dégradée avec une perte de 16 359 euros, des disponibilités de 473 103 euros pour faire face à des dettes fiscales et sociales de 169 045 euros et des dettes fournisseurs de 340 577 euros dont la société EFFICIENCE PARTENAIRES ne démontre pas le caractère non exigible,
- la société EFFICIENCE PARTENAIRES ne démontre pas non plus, chiffres à l'appui, en quoi la société PMM ne se trouvait pas en état de cessation des paiements à la date arrêtée par le tribunal, qui n'était que provisoire,
- les arguments selon lesquels le cessionnaire avait connaissance ou non des éléments comptables importent peu à la date de cessation des paiements.
La société EFFICIENCE PARTENAIRES a fait appel de ce jugement le 20 octobre 2023.
Dans ses dernières écritures, déposées au RPVA le 26 juin 2024, elle demande à la cour de juger un certain nombre de choses qui sont autant de moyens et de :
- confirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a déclaré sa tierce opposition recevable,
- infirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a déclaré sa tierce opposition mal fondé,
- rétracter le jugement rendu le 8 juin 2023 mais seulement en ce qu'il a arrêté la date de cessation des paiements de la société PMM au 31 décembre 2022,
- fixer la date de cessation des paiements de la société PMM au 8 juin 2023,
- déclarer les dépens frais privilégiés de la procédure collective.
Dans ses dernières conclusions, communiquées au RPVA le 19 janvier 2024, la SCP BR ASSOCIES, représentée par Mme [Y], demande à la cour :
A titre principal, de confirmer le jugement frappé d'appel en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire, de :
- fixer la date de cessation des paiements de la société PMM au 31 décembre 2022,
- débouter la société EFFICIENCE PARTENAIRES de sa demande de fixation de la date de cessation des paiements au 8 juin 2023,
En tout état de cause, de :
- dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Dans ses dernières conclusions, déposées au RPVA le 17 juin 2024, la société PMM demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement frappé d'appel,
- débouter la société EFFICIENCE PARTENAIRES de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société EFFICIENCE PARTENAIRES aux entiers dépens.
Dans ses dernières réquisitions, notifiées au RPVA le 14 mai 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement frappé d'appel.
La société CBF, citée à domicile le 17 novembre 2023 en la personne de M. [O], n'a pas constitué avocat.
Néanmoins, le 21 décembre 2023, elle a adressé au greffe ses rapports établis pendant la période d'observation et à l'attention des premiers juges.
La présente décision sera rendue par défaut en application de l'article 474 du code de procédure civile.
Le 15 novembre 2023, les parties ont été avisées de la fixation du dossier à l'audience du 5 juin 2024.
La procédure a été clôturée le 16 mai 2024 avec rappel de la date de fixation.
Le 5 juin 2024, le dossier a été renvoyé à la demande des parties à l'audience du 3 juillet 2024 pour y être jugé avec deux autres dossiers et l'ordonnance de clôture a été révoquée.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens de fait et de droit.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Les fonctions d'administrateur judiciaire de la SCP CBF, prise en la personne de M. [E] [O] ont cessé le 22 septembre 2023 par l'effet du jugement de conversion du redressement judiciaire de la société PMM en liquidation judiciaire. Elle sera, en conséquence, mise hors de cause.
2) Ne sont remis en cause ni le principe de la recevabilité de la tierce opposition ni le débouté de la demande de dommages et intérêts ni l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et d'une liquidation judiciaire au bénéfice de la société PMM.
Il en résulte que la seule question qui reste à trancher entre les parties consiste à déterminer la date de cessation des paiements de la société PMM.
3) L'article L.631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme la situation d'une entreprise étant dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
Lorsqu'il est saisi d'une demande de report de la date de cessation des paiements en application de l'article L.631-8 du code de commerce, il incombe au juge de caractériser, conformément à l'article L.631-1 du code de commerce sus-visé, au jour où il envisage de le fixer, l'état de cessation des paiements du débiteur en rétablissant rétrospectivement son impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
4) Dans le cas présent, la date de cessation des paiements de la société PMM a été arrêtée ab initio, à la demande de la débitrice, au 31 décembre 2022 par le jugement du 8 juin 2023 qui a ouvert sa procédure de redressement judiciaire.
Les juges ayant ouvert cette procédure collective ont statué après avoir examiné un certain nombre de pièces comptables versées aux débats par la demanderesse.
Ils se sont appuyés sur l'ensemble de ces documents et sur le rapport déposé au greffe par la société CBF ASSOCIES alors administrateur judiciaire de la société PMM.
Ce rapport a été transmis au greffe de la cour et communiqué contradictoirement aux parties.
Dans le cadre de la présente instance, la SCP BR ASSOCIES, comparant aujourd'hui en qualité de liquidateur judiciaire de la société PMM, se fondant sur les mêmes éléments qu'elle a nécessairement pu analyser, poursuit la confirmation de la décision frappée d'appel.
Dès lors, et contrairement à ce qu'elle soutient :
- il incombe à la société EFFICIENCE PARTENAIRES, agissant en qualité de tiers opposant, de démontrer que la date de cessation des paiements retenue est erronée et qu'il y a lieu de la fixer au 8 juin 2023,
- le tribunal de commerce de Salon-de Provence ne s'est pas exclusivement fondé sur les dires de la société PMM pour arrêter la date de cessation des paiements au 31 décembre 2022.
5) Pour contester la décision des premiers juges, l'appelante soutient qu'ils se sont appuyés sur une simple présentation des comptes de la société PMM clos au 31 décembre 2022 sans procéder à une véritable analyse et que cette simple présentation, qui serait incomplète et erronée, ne permet en aucun cas de démontrer l'état de cessation des paiements à cette date.
Elle se prévaut essentiellement d'un rapport d'expertise amiable qu'elle a fait établir par un expert comptable inscrit sur la liste des experts de la cour de ce siège qui est daté du 12 avril 2024 (sa pièce 12).
6) Il résulte de ce rapport que l'expert amiable, dont la cour relève que l'impartialité n'est pas garantie puisqu'il est le client de l'une des parties, estime que l'actif disponible de la société PMM a été sous-évalué et que son passif exigible a été surévalué.
7) Les premiers juges ont retenu que le bilan comptable de la société PMM au 31 décembre 2022 faisait apparaître un actif disponible de 473 102 euros.
L'actif disponible s'entend de celui qui peut être immédiatement décaissé par l'entreprise. Cela exclut l'actif immobilisé.
Il résulte des comptes annuels de la société PMM (sa pièce 2) qu'au 31 décembre 2022 son actif circulant s'établissait à 1 423 540, 25 euros répartis ainsi qu'il suit :
- stocks et en cours (encours de production de biens et de services, produits intermédiaires et finis, marchandises) : 49 711 euros
- créances (clients et autres comptes rattachés et autres créances) : 766 936, 24 + 131 696, 48 = 898 632, 72 euros
- disponibilités : 473 102, 61 euros
- charges constatées d'avance dont à plus d'un an : 2 093, 92 euros.
Les stocks, encours et créances n'étant pas immédiatement disponibles, leur montant ne peut être comptabilisé au titre de l'actif disponible.
Dans la mesure où il n'est pas établi qu'elles le sont, les charges constatées d'avance doivent également être exclues du calcul de l'actif disponible.
A défaut de détail sur ce point, la cour est fondée à considérer que le poste « disponibilités » comprend la trésorerie, les crédits non utilisés et le découvert autorisé non employé.
La société EFFICIENCE PARTENAIRES s'appuie sur l'avis de son expert pour soutenir que l'actif disponible de la société PMM était de 910 052 euros à la même date. Elle fait valoir que n'auraient pas été comptabilisés :
- une autorisation de découvert consentie par la société BANQUE POPULAIRE à hauteur de 30 000 euros,
- le solde disponible de trois lignes Dailly pour un total de 406 949 euros.
Toutefois, alors que ces éléments n'ont pas été inscrits dans la comptabilité qu'elle a elle-même fait établir en qualité de dirigeante de la société PMM, elle ne soumet à la cour aucun élément pour en rapporter la preuve.
S'il ressort du rapport de l'administrateur judiciaire déposé au greffe de la cour que la société PMM disposait bien de trois lignes Dailly pour un montant total de 451 000 euros, rien ne permet de démontrer qu'elle a cédé aux banques concernées des créances à hauteur des montants accordés et qu'elle disposait des fonds afférents sans obligation de remboursement au 31 décembre 2022.
Cette analyse s'impose d'autant qu'en annexe 1 de son rapport (page 37) l'expert de la société EFFICIENCE PARTENAIRES produit un courriel du directeur du centre d'affaire du CREDIT MUTUEL dont il ressort que la durée des lignes Dailly consenties à la société PMM s'arrêtait au 30 juillet 2022.
Enfin, à elle-seule, l'attestation établie par un prétendu M. [T] le 11 mars 2024, c'est-à-dire plusieurs mois après l'ouverture de la procédure collective, non étayée par un justificatif de l'identité de son rédacteur, est insuffisante pour rapporter la preuve de l'existence d'un découvert bancaire de 30 000 euros qui aurait été consenti à la société PMM par la BANQUE POPULAIRE.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la cour estime que la société EFFICIENCE PARTENAIRES ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un actif disponible de 910 052 euros pour la société PMM au 31 décembre 2022.
C'est donc à juste titre que l'actif disponible de cette société a été arrêté à la somme de 473 102 euros à la même date.
8) Pour fixer l'état de cessation des paiements au 31 décembre 2022, les premiers juges se sont fondés sur le bilan comptable de la société PMM qui enregistrait un passif de 1 487 430, 76 euros (pièce 2 de la société PMM).
Le passif s'entend des sommes exigibles effectivement dues. Les capitaux propres et le passif de l'exercice, en l'occurrence 16 359, 30 euros, doivent en être exclus. Tout comme les emprunts et dettes auprès des établissements de crédit dont il n'est pas établi qu'ils aient été exigibles ou que la clause de déchéance du terme ait pu être actionnée par les banques.
Il y a donc lieu de considérer que le passif exigible de la société PMM était constitué des seules dettes d'exploitation au 31 décembre 2022 :
- dettes fournisseurs et comptes rattachés : 340 576, 69 euros
- dettes sociales et fiscales : 169 045, 22 euros
- autres dettes (restitution d'acomptes à des clients) : 296 363 euros
La cour dispose donc d'éléments suffisants pour arrêter le passif exigible de la société PMM au 31 décembre 2022 à la somme de 653 844, 89 euros.
La société EFFICIENCE PARTENAIRES prétend, sans expliquer pourquoi et en s'appuyant uniquement sur le rapport de son propre expert, que ce passif sera seulement de 84 599 euros correspondant uniquement aux dettes fournisseur échues.
Pour autant, elle ne verse aux débats aucun élément pour démontrer que les autres dettes fournisseur, les dettes sociales et fiscales et les autres dettes n'étaient pas exigibles au 31 décembre 2022 et surtout qu'elles n'étaient pas échues. Il est, en effet, inopérant pour contester l'exigibilité d'une créance (fiscale, sociale ou de toute autre nature) que la société n'ait pas enregistré de retard dans son paiement, ce qui, par ailleurs, n'est nullement démontré en l'espèce.
9) Au vu des développements précédents, sans tenir compte des éléments produits par la SCP BR ASSOCIES qui concernent effectivement le redressement et la liquidation judiciaire et sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'argumentaire des parties sur les conditions de la cession qui sont inopérants, la cour estime qu'il est établi que la société PMM se trouvait en état de cessation des paiements au 31 décembre 2022 dès lors qu'elle ne pouvait faire face à son passif exigible de 653 844 euros avec son actif disponible qui s'élevait seulement à 473 102 euros.
Il s'ensuit que le jugement attaqué doit être confirmé en toutes ses dispositions frappées d'appel et que la société EFFICIENCE PARTENAIRES doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes.
10) Les dépens d'appel seront laissés à la charge de la société EFFICIENCE PARTENAIRES qui succombe
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de sa saisine, publiquement, après débats publics et par arrêt rendu par défaut et mis à disposition au greffe ;
Met hors de cause la SCP CBF ASSOCIES, prise en la personne de M. [O] ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 octobre 2023 par le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE ;
Y ajoutant ;
Condamne la société EFFICIENCE PARTENAIRES aux dépens d'appel.