Décisions
CA Rouen, ch. civ. et com., 19 septembre 2024, n° 23/02500
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 23/02500 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JNMA
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/02933
Tribunal judiciaire de Rouen du 12 juillet 2023
APPELANTE :
Madame [T] [N]
née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Claire VACHER, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORMANDIE
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Pascal MARTIN-MENARD de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau du HAVRE et assisté par Me Julien MARTINET, avocat au barreau de PARIS, plaidant, substitué par Me Mehdi BENTOUNES, avocat au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 29 mai 2024 sans opposition des avocats devant M. URBANO, conseiller, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme FOUCHER-GROS, présidente
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 29 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 septembre 2024.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 19 septembre 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par M. URBANO, conseiller, pour la présidente empêchée et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [T] [N] veuve [C] est née le [Date naissance 1] 1948 et est retraitée depuis l'année 2008.
Son époux, M. [L] [C], était également à la retraite depuis l'année 2010 et à ce titre, percevait une pension de retraite de l'ordre de 2 225 euros par mois en 2018. Il est décédé le [Date décès 3] 2018.
Les revenus mensuels des époux étaient d'environ 3 144 euros par mois pour l'année 2018.
M. [C] était client de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie.
Mme [C] expose qu'au cours du mois de décembre 2017, son époux a été contacté par la société Trade-My-Bitcoin qui s'est présentée comme étant spécialisée dans l'acquisition et la gestion de crypto-monnaies lui indiquant que le marché des monnaies virtuelles était sûr et connaissait une rentabilité forte permettant d'effectuer des plus-values très importantes, que son époux a décidé d'investir dans des cryptos-actifs par l'intermédiaire de cette société et lui en a confié la gestion en ouvrant un compte et en signant plusieurs contrats avec la société.
Entre le 25 janvier 2018 et le 12 juin 2018, M. [C] a procédé aux virements suivants depuis son compte tenu par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie conformément aux coordonnées bancaires transmises par la société Trade-My-Bitcoin :
- 1 500 euros le 25 janvier 2018 ;
- 7 000 euros le 25 janvier 2018 ;
- 3 000 euros le 5 février 2018 ;
- 3 000 euros le 10 février 2018 ;
- 6 000 euros le 15 février 2018 ;
- 1 500 euros le 20 février 2018 ;
- 3 500 euros le 27 février 2018 ;
- 100 euros le 19 mai 2018 ;
- 5 000 euros le 2 juin 2018 ;
- 200 euros le 12 juin 2018.
Soit la somme totale de 30 800 euros.
S'estimant victime d'escroqueries, M. et Mme [C] ont pris attache avec l'Association ADC (Association de Défense des Consommateurs) France, spécialisée dans les escroqueries financières internationales et il a été demandé à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie de s'expliquer quant à son contrôle et sa vigilance au sujet des opérations passées.
Mme [C] précise que l'Association ADC FRANCE s'est constituée partie civile dans le dossier d'information judiciaire ouvert à l'encontre de la société mère de la société Trade-My-Bitcoin au cours du mois d'avril 2018, que son époux a déposé une plainte pour escroquerie le 6 août 2018 et que Mme [C] s'est constituée partie civile par la suite, l'information judiciaire étant en cours.
Faute par la banque d'avoir répondu favorablement aux demandes de Mme [C], celle-ci l'a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Rouen du 16 août 2021 qui, par jugement du 12 juillet 2023, a :
- rejeté toutes les demandes de Mme [T] [N],
- condamné Mme [T] [N] aux entiers dépens,
- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné Mme [T] [N] à payer à la société Caisse d'Epargne Et De Prévoyance Normandie la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes, les demandes contraires ou plus amples,
- rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire,
Mme [T] [N] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 18 juillet 2023.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 21 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Mme [T] [N] qui demande à la cour de :
- infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger et retenir que la société CEP Normandie n'a pas respecté son obligation légale de vigilance,
- juger que la société CEP Normandie est responsable des préjudices subis par Mme [C],
A titre subsidiaire,
- juger et retenir que la société CEP Normandie n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de M. [C],
- juger que la société CEP Normandie est responsable des préjudices subis par Mme [C],
En tout état de cause,
- condamner la société CEP Normandie à rembourser à Mme [C] la somme de 30 800 euros, correspondant à la totalité de l'investissement de M. [C] auprès de la structure Trade-My-Bitcoin, en réparation de son préjudice matériel,
- condamner la société CEP Normandie à verser à Mme [C] la somme de 6 160 euros, correspondant à 20 % du montant de l'investissement, en réparation de son préjudice moral,
- condamner la société CEP Normandie à verser à Mme [C] la somme de 6 000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Vu les conclusions du 28 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Caisse d'Epargne Et De Prévoyance Normandie qui demande à la cour de :
- débouter Mme [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- condamner Mme [C] à payer à la Caisse d'Epargne Et De Prévoyance Normandie une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Enoncé des moyens :
Mme [N] veuve [C] soutient que :
- les banques ont une obligation de vigilance et de contrôle en faveur des consommateurs qui découle des textes européens et qui ne peut se réduire au dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ; elle peut se fonder sur les textes imposant aux banques une obligation de vigilance et de contrôle et elle peut réclamer des dommages et intérêts dès lors que ces obligations ont été méconnues ;
- le fait de constater que les virements ont bien été ordonnés par M. [C] ne dispense pas la banque de son obligation de vigilance et de contrôle et il en est de même lorsque le compte bancaire à partir duquel les virements ont été effectués est toujours demeuré créditeur ;
- la non-immixtion de la banque n'est pas de nature à exonérer la banque de sa responsabilité en cas d'anomalie matérielle ou intellectuelle affectant une opération bancaire ordonnée par son client ;
- il n'existe aucune obligation pour la banque d'exécuter un ordre de paiement ;
- les virements étaient anormaux et potentiellement frauduleux comme :
- excédant le montant mensuel des ressources de M. et Mme [C],
- excédant au total le montant annuel de leurs ressources ;
- étant fréquents de façon inhabituelle ;
- étant ordonnés vers Malte, destination inconnue de M. et Mme [C] ;
- la banque, professionnel du secteur financier, ne peut ignorer l'existence des placements dénoncés par les autorités européennes et publiques ainsi que par l'Autorité des Marchés Financiers, laquelle préconise que tous les « transmetteurs de fonds » identifient les bénéficiaires de ces fonds, notamment en matière de crypto-monnaies ; elle n'a sollicité aucune information relative à ces virements opérés dans les conditions anormales indiquées ci-dessus ;
- les produits financiers vendus par Trade-My-Bitcoin étaient illégaux, cette société étant dépourvue d'agrément et la banque n'a rien vérifié ;
- la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie a méconnu son propre plafond de virement qui était de 5000 euros et elle ne peut prétendre avoir ignoré la teneur des opérations d'investissement de M. [C] puisqu'elle a contresigné l'un de ses virements ;
- il appartenait à la banque de refuser d'exécuter les virements ;
- la banque est tenue à un devoir d'information selon l'article 1112-1 du code civil qu'elle devait exécuter au vu des multiples virements anormaux dont elle constatait l'existence et c'est à elle de justifier qu'elle y a satisfait étant observé que d'autres banques informent leurs clients ;
- Mme [N] veuve [C] a perdu la somme de 30 800 euros mais a également subi un préjudice moral, sa banque ne l'ayant ni soutenu ni informée ;
- Mme [N] veuve [C] ayant été victime d'une escroquerie internationale n'a commis aucune faute.
La Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie expose que :
- les règles applicables aux opérations de paiement sont exclusivement celles des articles L133-18 à L133-24 du code monétaire et financier découlant de la directive 2007/64/CE et ces règles ne prévoient aucun devoir de vigilance s'agissant des paiements autorisés ;
- les obligations tirées de la législation sur le blanchiment ne sont pas sources de responsabilité civile ;
- elle a valablement exécuté les virements litigieux qui ont été ordonnés par son client, M. [C] et elle était tenue de les exécuter promptement;
- étant tenue d'une obligation de non-immixtion, elle ne doit vérifier que les anomalies flagrantes et, l'identité de son donneur d'ordre étant certaine, le caractère inhabituel d'une opération ne constitue pas une telle anomalie ;
- le seul cas où la banque doit refuser d'exécuter un ordre de paiement est celui où l'identité de son client n'a pu être vérifiée ;
- la seule obligation d'information pesant sur la banque est celle qui porte sur ses produits et services ; au surplus, M. [C] n'a jamais informé la banque de l'objet des virements litigieux, le libellé des virements ne mentionnant nullement qu'ils étaient destinés à des investissements sur des crypto-monnaies ;
- les politiques commerciales des autres établissements bancaires ne créent pas d'obligation pour la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie ;
- M. [C] a été imprudent et ne pouvait raisonnablement croire que les rendements promis de l'ordre de 13% sur 3 mois étaient sérieux ; il est seul responsable de sa perte ; le préjudice moral de Mme [N] veuve [C] n'est pas justifié.
Réponse de la cour
L'article L133-6 du code monétaire et financier dispose qu'une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.
L'article L133-21 du même code dans sa version en vigueur du 13 janvier au 6 août 2018 disposait que : « Un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique.
Si l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n'est pas responsable de la mauvaise exécution de l'opération de paiement.
Toutefois, le prestataire de services de paiement du payeur s'efforce de récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement. Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire communique au prestataire de services de paiement du payeur toutes les informations utiles pour récupérer les fonds. Si le prestataire de services de paiement du payeur ne parvient pas à récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement, il met à disposition du payeur, à sa demande, les informations qu'il détient pouvant documenter le recours en justice du payeur en vue de récupérer les fonds.
Si la convention de compte de dépôt ou le contrat-cadre de services de paiement le prévoit, le prestataire de services de paiement peut imputer des frais de recouvrement à l'utilisateur de services de paiement.
Si l'utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l'identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l'exécution correcte de l'ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n'est responsable que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement. »
L'article 1231-1 du code civil dispose que : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »
L'article 1112-1 du code civil dispose que : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
Il résulte du relevé de compte bancaire versé aux débats et des écritures de Mme [N] veuve [C], que l'époux de cette dernière, titulaire d'un compte ouvert à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie, a donné des ordres à la banque afin qu'elle effectue dix virements de 1500 euros le 25 janvier 2018, 7000 euros le 25 janvier 2018, 3000 euros le 5 février 2018, 3000 euros le 10 février 2018, 6000 euros le 15 février 2018, 1500 euros le 20 février 2018, 3500 euros le 27 février 2018, 100 euros le 19 mai 2018, 5000 euros le 2 juin 2018 et de 200 euros le 12 juin 2018. Le virement du 25 janvier 2018 pour 7000 euros a été effectué au guichet de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie au profit d'un certain « Kerdelo » dont la banque était située à Malte, d'autres ont été effectués au profit de « Kerdelo » et d'autres ont été effectués par internet. Ils ont été exécutés pour un total de 30 800 euros.
Mme [N] veuve [C] verse par ailleurs aux débats une suite de courriers électroniques échangés entre son époux et la société Trade-My-Bitcoin desquels il résulte que M. [C] a expressément viré au crédit de son compte diverses sommes lui permettant de procéder aux virements litigieux ce qui est également confirmé par un relevé bancaire allant du 1er janvier au 1er septembre 2018 produit en pièce n° 7 par Mme [N] veuve [C].
Il est constant que l'auteur de tous ces virements a été M. [C].
La responsabilité contractuelle de droit commun prévue par l'article 1231-1 du code civil n'est pas applicable en présence d'un régime de responsabilité exclusif.
Dans son arrêt du 16 mars 2023, Beobank (C-351/21), la Cour de justice a interprété en ces termes les article 58, 59 et 60 de la directive 2007/64/CE : « 37[...] le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu à l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu'aux articles 58 et 59 de cette directive a fait l'objet d'une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d'un même fait générateur qu'un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l'utilisateur de services de paiement d'engager cette responsabilité sur le fondement d'autres faits générateurs (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] points 42 et 46).
38 En effet, le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national reposant sur les mêmes faits et le même fondement qu'à condition de ne pas porter préjudice au régime ainsi harmonisé et de ne pas porter atteinte aux objectifs et à l'effet utile de cette directive (arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] point 45). »
Il s'ensuit que, dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 précités, qui transposent les articles 58, 59 et 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE, à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national.
A plus forte raison, il doit en être de même lorsque la responsabilité d'un prestataire de service de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement autorisée.
Les articles L133-6 et suivants du code monétaire et financier ne prévoient aucune obligation de vigilance pesant sur le prestataire de service de paiement qui, une fois l'ordre de paiement donné par le titulaire du compte, n'est responsable, aux termes de l'article L122-22 du code monétaire et financier dans sa version applicable jusqu'au 6 août 2018 que « de la bonne exécution de l'opération de paiement à l'égard du payeur jusqu'à réception du montant de l'opération de paiement, conformément au I de l'article L.133-13, par le prestataire de services de paiement du bénéficiaire. Ensuite, le prestataire de services de paiement du bénéficiaire est responsable de la bonne exécution de l'opération de paiement à l'égard du bénéficiaire. »
Ces articles ne prévoient pas plus une obligation d'information qui pèserait sur la banque s'agissant des ordres de paiement qui leur seraient donnés par leur client afin d'opérer des investissements proposés par des tiers et ce, à supposer même que les banques aient connaissance de ces opérations d'investissement.
Les dispositions des articles L561-1 et suivantes du code monétaire et financier qui sont relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement des activités terroristes, les loteries, jeux et paris prohibés et l'évasion et la fraude fiscales ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'éventuelle inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages et intérêts à l'organisme financier.
A titre surabondant, le devoir de vigilance du banquier ne peut pas être général et absolu. Il demeure subsidiaire au devoir de non-immixtion qui impose au banquier de ne pas procéder à des investigations sur l'origine, le motif ou l'opportunité des mouvements sur le compte de dépôt de son client, ni à se substituer à lui. Le principe de non-immixtion ne cède face au devoir de vigilance que lorsqu'il est démontré au préalable qu'une opération litigieuse est entachée d'une anomalie apparente, de nature matérielle ou intellectuelle, qui révèle un risque d'illicéité.
Dès lors que M. [C] a effectivement donné l'ordre de procéder aux virements et a fourni les coordonnées bancaires du bénéficiaire en faveur duquel les virements ont été réalisés, les opérations de paiement ont été autorisées au sens de l'article L133-6 du code monétaire et financier.
Outre le fait que Mme [N] veuve [C] ne produit pas les conditions générales du compte de son époux de sorte qu'elle ne justifie pas que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie a prévu un plafond de 5000 euros applicable aux virements, le fait que ce plafond n'ait pas été respecté n'est de nature à entraîner aucune conséquence dès lors que c'est bien le titulaire du compte bancaire qui a donné expressément les ordres de virement à la banque laquelle les a ponctuellement exécutés.
Alors que la banque a l'obligation d'exécuter d'un ordre de virement formellement régulier et de ne pas bloquer le virement en cause sous peine d'engager sa responsabilité, le caractère international des virements litigieux, leurs montants parfois importants, la courte durée et le nombre de ces virements, au regard du fonctionnement habituel du compte de M. [C], ne constituent pas pour autant des anomalies puisqu'il résulte des relevés bancaires de ce dernier qu'il s'est systématiquement assuré que son compte était suffisamment crédité, notamment par des virements pour des sommes équivalentes ou suffisantes, pour effectuer chacun des virements litigieux et que la banque pouvait légitiment estimer que les opérations auxquelles correspondaient ces virements étaient conformes à la volonté de son client.
La banque n'a pas à intervenir pour dissuader son client d'effectuer un acte inopportun ou dangereux.
Toujours à titre surabondant, les dispositions de l'article 1112-1 du code civil sont inapplicables aux faits de l'espèce dès lors qu'elles ne visent qu'une information détenue par l'une des parties au contrat qu'il s'agit de conclure et non une information que la banque détiendrait s'agissant de l'investissement envisagé par son client auprès d'un tiers auquel la banque n'est nullement liée. Par ailleurs, ainsi que l'a indiqué avec pertinence le premier juge, il n'existe aucun élément de nature à démontrer que M. [C] a indiqué à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie qu'il effectuait des virements afin de réaliser des placements en crypto-monnaies par l'intermédiaire de la société Trade-My-Bitcoin de sorte que Mme [N] veuve [C] ne peut imputer aucune omission d'information à la banque sur ce point.
Enfin, le fait que d'autres établissements bancaires mènent des politiques d'information auprès de leur clientèle distincte de celle de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie n'est pas créateur d'une obligation qui n'est pas prévue par la loi.
Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire;
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 12 juillet 2023 en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [N] veuve [C] aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne Mme [N] veuve [C] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La greffière, Le conseiller pour la présidente empêchée,
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/02933
Tribunal judiciaire de Rouen du 12 juillet 2023
APPELANTE :
Madame [T] [N]
née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Claire VACHER, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORMANDIE
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Pascal MARTIN-MENARD de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau du HAVRE et assisté par Me Julien MARTINET, avocat au barreau de PARIS, plaidant, substitué par Me Mehdi BENTOUNES, avocat au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 29 mai 2024 sans opposition des avocats devant M. URBANO, conseiller, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme FOUCHER-GROS, présidente
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 29 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 septembre 2024.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 19 septembre 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par M. URBANO, conseiller, pour la présidente empêchée et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [T] [N] veuve [C] est née le [Date naissance 1] 1948 et est retraitée depuis l'année 2008.
Son époux, M. [L] [C], était également à la retraite depuis l'année 2010 et à ce titre, percevait une pension de retraite de l'ordre de 2 225 euros par mois en 2018. Il est décédé le [Date décès 3] 2018.
Les revenus mensuels des époux étaient d'environ 3 144 euros par mois pour l'année 2018.
M. [C] était client de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie.
Mme [C] expose qu'au cours du mois de décembre 2017, son époux a été contacté par la société Trade-My-Bitcoin qui s'est présentée comme étant spécialisée dans l'acquisition et la gestion de crypto-monnaies lui indiquant que le marché des monnaies virtuelles était sûr et connaissait une rentabilité forte permettant d'effectuer des plus-values très importantes, que son époux a décidé d'investir dans des cryptos-actifs par l'intermédiaire de cette société et lui en a confié la gestion en ouvrant un compte et en signant plusieurs contrats avec la société.
Entre le 25 janvier 2018 et le 12 juin 2018, M. [C] a procédé aux virements suivants depuis son compte tenu par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie conformément aux coordonnées bancaires transmises par la société Trade-My-Bitcoin :
- 1 500 euros le 25 janvier 2018 ;
- 7 000 euros le 25 janvier 2018 ;
- 3 000 euros le 5 février 2018 ;
- 3 000 euros le 10 février 2018 ;
- 6 000 euros le 15 février 2018 ;
- 1 500 euros le 20 février 2018 ;
- 3 500 euros le 27 février 2018 ;
- 100 euros le 19 mai 2018 ;
- 5 000 euros le 2 juin 2018 ;
- 200 euros le 12 juin 2018.
Soit la somme totale de 30 800 euros.
S'estimant victime d'escroqueries, M. et Mme [C] ont pris attache avec l'Association ADC (Association de Défense des Consommateurs) France, spécialisée dans les escroqueries financières internationales et il a été demandé à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie de s'expliquer quant à son contrôle et sa vigilance au sujet des opérations passées.
Mme [C] précise que l'Association ADC FRANCE s'est constituée partie civile dans le dossier d'information judiciaire ouvert à l'encontre de la société mère de la société Trade-My-Bitcoin au cours du mois d'avril 2018, que son époux a déposé une plainte pour escroquerie le 6 août 2018 et que Mme [C] s'est constituée partie civile par la suite, l'information judiciaire étant en cours.
Faute par la banque d'avoir répondu favorablement aux demandes de Mme [C], celle-ci l'a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Rouen du 16 août 2021 qui, par jugement du 12 juillet 2023, a :
- rejeté toutes les demandes de Mme [T] [N],
- condamné Mme [T] [N] aux entiers dépens,
- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné Mme [T] [N] à payer à la société Caisse d'Epargne Et De Prévoyance Normandie la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes, les demandes contraires ou plus amples,
- rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire,
Mme [T] [N] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 18 juillet 2023.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 21 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Mme [T] [N] qui demande à la cour de :
- infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger et retenir que la société CEP Normandie n'a pas respecté son obligation légale de vigilance,
- juger que la société CEP Normandie est responsable des préjudices subis par Mme [C],
A titre subsidiaire,
- juger et retenir que la société CEP Normandie n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de M. [C],
- juger que la société CEP Normandie est responsable des préjudices subis par Mme [C],
En tout état de cause,
- condamner la société CEP Normandie à rembourser à Mme [C] la somme de 30 800 euros, correspondant à la totalité de l'investissement de M. [C] auprès de la structure Trade-My-Bitcoin, en réparation de son préjudice matériel,
- condamner la société CEP Normandie à verser à Mme [C] la somme de 6 160 euros, correspondant à 20 % du montant de l'investissement, en réparation de son préjudice moral,
- condamner la société CEP Normandie à verser à Mme [C] la somme de 6 000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Vu les conclusions du 28 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Caisse d'Epargne Et De Prévoyance Normandie qui demande à la cour de :
- débouter Mme [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- condamner Mme [C] à payer à la Caisse d'Epargne Et De Prévoyance Normandie une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Enoncé des moyens :
Mme [N] veuve [C] soutient que :
- les banques ont une obligation de vigilance et de contrôle en faveur des consommateurs qui découle des textes européens et qui ne peut se réduire au dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ; elle peut se fonder sur les textes imposant aux banques une obligation de vigilance et de contrôle et elle peut réclamer des dommages et intérêts dès lors que ces obligations ont été méconnues ;
- le fait de constater que les virements ont bien été ordonnés par M. [C] ne dispense pas la banque de son obligation de vigilance et de contrôle et il en est de même lorsque le compte bancaire à partir duquel les virements ont été effectués est toujours demeuré créditeur ;
- la non-immixtion de la banque n'est pas de nature à exonérer la banque de sa responsabilité en cas d'anomalie matérielle ou intellectuelle affectant une opération bancaire ordonnée par son client ;
- il n'existe aucune obligation pour la banque d'exécuter un ordre de paiement ;
- les virements étaient anormaux et potentiellement frauduleux comme :
- excédant le montant mensuel des ressources de M. et Mme [C],
- excédant au total le montant annuel de leurs ressources ;
- étant fréquents de façon inhabituelle ;
- étant ordonnés vers Malte, destination inconnue de M. et Mme [C] ;
- la banque, professionnel du secteur financier, ne peut ignorer l'existence des placements dénoncés par les autorités européennes et publiques ainsi que par l'Autorité des Marchés Financiers, laquelle préconise que tous les « transmetteurs de fonds » identifient les bénéficiaires de ces fonds, notamment en matière de crypto-monnaies ; elle n'a sollicité aucune information relative à ces virements opérés dans les conditions anormales indiquées ci-dessus ;
- les produits financiers vendus par Trade-My-Bitcoin étaient illégaux, cette société étant dépourvue d'agrément et la banque n'a rien vérifié ;
- la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie a méconnu son propre plafond de virement qui était de 5000 euros et elle ne peut prétendre avoir ignoré la teneur des opérations d'investissement de M. [C] puisqu'elle a contresigné l'un de ses virements ;
- il appartenait à la banque de refuser d'exécuter les virements ;
- la banque est tenue à un devoir d'information selon l'article 1112-1 du code civil qu'elle devait exécuter au vu des multiples virements anormaux dont elle constatait l'existence et c'est à elle de justifier qu'elle y a satisfait étant observé que d'autres banques informent leurs clients ;
- Mme [N] veuve [C] a perdu la somme de 30 800 euros mais a également subi un préjudice moral, sa banque ne l'ayant ni soutenu ni informée ;
- Mme [N] veuve [C] ayant été victime d'une escroquerie internationale n'a commis aucune faute.
La Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie expose que :
- les règles applicables aux opérations de paiement sont exclusivement celles des articles L133-18 à L133-24 du code monétaire et financier découlant de la directive 2007/64/CE et ces règles ne prévoient aucun devoir de vigilance s'agissant des paiements autorisés ;
- les obligations tirées de la législation sur le blanchiment ne sont pas sources de responsabilité civile ;
- elle a valablement exécuté les virements litigieux qui ont été ordonnés par son client, M. [C] et elle était tenue de les exécuter promptement;
- étant tenue d'une obligation de non-immixtion, elle ne doit vérifier que les anomalies flagrantes et, l'identité de son donneur d'ordre étant certaine, le caractère inhabituel d'une opération ne constitue pas une telle anomalie ;
- le seul cas où la banque doit refuser d'exécuter un ordre de paiement est celui où l'identité de son client n'a pu être vérifiée ;
- la seule obligation d'information pesant sur la banque est celle qui porte sur ses produits et services ; au surplus, M. [C] n'a jamais informé la banque de l'objet des virements litigieux, le libellé des virements ne mentionnant nullement qu'ils étaient destinés à des investissements sur des crypto-monnaies ;
- les politiques commerciales des autres établissements bancaires ne créent pas d'obligation pour la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie ;
- M. [C] a été imprudent et ne pouvait raisonnablement croire que les rendements promis de l'ordre de 13% sur 3 mois étaient sérieux ; il est seul responsable de sa perte ; le préjudice moral de Mme [N] veuve [C] n'est pas justifié.
Réponse de la cour
L'article L133-6 du code monétaire et financier dispose qu'une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.
L'article L133-21 du même code dans sa version en vigueur du 13 janvier au 6 août 2018 disposait que : « Un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique.
Si l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n'est pas responsable de la mauvaise exécution de l'opération de paiement.
Toutefois, le prestataire de services de paiement du payeur s'efforce de récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement. Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire communique au prestataire de services de paiement du payeur toutes les informations utiles pour récupérer les fonds. Si le prestataire de services de paiement du payeur ne parvient pas à récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement, il met à disposition du payeur, à sa demande, les informations qu'il détient pouvant documenter le recours en justice du payeur en vue de récupérer les fonds.
Si la convention de compte de dépôt ou le contrat-cadre de services de paiement le prévoit, le prestataire de services de paiement peut imputer des frais de recouvrement à l'utilisateur de services de paiement.
Si l'utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l'identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l'exécution correcte de l'ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n'est responsable que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement. »
L'article 1231-1 du code civil dispose que : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »
L'article 1112-1 du code civil dispose que : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
Il résulte du relevé de compte bancaire versé aux débats et des écritures de Mme [N] veuve [C], que l'époux de cette dernière, titulaire d'un compte ouvert à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie, a donné des ordres à la banque afin qu'elle effectue dix virements de 1500 euros le 25 janvier 2018, 7000 euros le 25 janvier 2018, 3000 euros le 5 février 2018, 3000 euros le 10 février 2018, 6000 euros le 15 février 2018, 1500 euros le 20 février 2018, 3500 euros le 27 février 2018, 100 euros le 19 mai 2018, 5000 euros le 2 juin 2018 et de 200 euros le 12 juin 2018. Le virement du 25 janvier 2018 pour 7000 euros a été effectué au guichet de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie au profit d'un certain « Kerdelo » dont la banque était située à Malte, d'autres ont été effectués au profit de « Kerdelo » et d'autres ont été effectués par internet. Ils ont été exécutés pour un total de 30 800 euros.
Mme [N] veuve [C] verse par ailleurs aux débats une suite de courriers électroniques échangés entre son époux et la société Trade-My-Bitcoin desquels il résulte que M. [C] a expressément viré au crédit de son compte diverses sommes lui permettant de procéder aux virements litigieux ce qui est également confirmé par un relevé bancaire allant du 1er janvier au 1er septembre 2018 produit en pièce n° 7 par Mme [N] veuve [C].
Il est constant que l'auteur de tous ces virements a été M. [C].
La responsabilité contractuelle de droit commun prévue par l'article 1231-1 du code civil n'est pas applicable en présence d'un régime de responsabilité exclusif.
Dans son arrêt du 16 mars 2023, Beobank (C-351/21), la Cour de justice a interprété en ces termes les article 58, 59 et 60 de la directive 2007/64/CE : « 37[...] le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu à l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu'aux articles 58 et 59 de cette directive a fait l'objet d'une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d'un même fait générateur qu'un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l'utilisateur de services de paiement d'engager cette responsabilité sur le fondement d'autres faits générateurs (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] points 42 et 46).
38 En effet, le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national reposant sur les mêmes faits et le même fondement qu'à condition de ne pas porter préjudice au régime ainsi harmonisé et de ne pas porter atteinte aux objectifs et à l'effet utile de cette directive (arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] point 45). »
Il s'ensuit que, dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 précités, qui transposent les articles 58, 59 et 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE, à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national.
A plus forte raison, il doit en être de même lorsque la responsabilité d'un prestataire de service de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement autorisée.
Les articles L133-6 et suivants du code monétaire et financier ne prévoient aucune obligation de vigilance pesant sur le prestataire de service de paiement qui, une fois l'ordre de paiement donné par le titulaire du compte, n'est responsable, aux termes de l'article L122-22 du code monétaire et financier dans sa version applicable jusqu'au 6 août 2018 que « de la bonne exécution de l'opération de paiement à l'égard du payeur jusqu'à réception du montant de l'opération de paiement, conformément au I de l'article L.133-13, par le prestataire de services de paiement du bénéficiaire. Ensuite, le prestataire de services de paiement du bénéficiaire est responsable de la bonne exécution de l'opération de paiement à l'égard du bénéficiaire. »
Ces articles ne prévoient pas plus une obligation d'information qui pèserait sur la banque s'agissant des ordres de paiement qui leur seraient donnés par leur client afin d'opérer des investissements proposés par des tiers et ce, à supposer même que les banques aient connaissance de ces opérations d'investissement.
Les dispositions des articles L561-1 et suivantes du code monétaire et financier qui sont relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement des activités terroristes, les loteries, jeux et paris prohibés et l'évasion et la fraude fiscales ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'éventuelle inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages et intérêts à l'organisme financier.
A titre surabondant, le devoir de vigilance du banquier ne peut pas être général et absolu. Il demeure subsidiaire au devoir de non-immixtion qui impose au banquier de ne pas procéder à des investigations sur l'origine, le motif ou l'opportunité des mouvements sur le compte de dépôt de son client, ni à se substituer à lui. Le principe de non-immixtion ne cède face au devoir de vigilance que lorsqu'il est démontré au préalable qu'une opération litigieuse est entachée d'une anomalie apparente, de nature matérielle ou intellectuelle, qui révèle un risque d'illicéité.
Dès lors que M. [C] a effectivement donné l'ordre de procéder aux virements et a fourni les coordonnées bancaires du bénéficiaire en faveur duquel les virements ont été réalisés, les opérations de paiement ont été autorisées au sens de l'article L133-6 du code monétaire et financier.
Outre le fait que Mme [N] veuve [C] ne produit pas les conditions générales du compte de son époux de sorte qu'elle ne justifie pas que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie a prévu un plafond de 5000 euros applicable aux virements, le fait que ce plafond n'ait pas été respecté n'est de nature à entraîner aucune conséquence dès lors que c'est bien le titulaire du compte bancaire qui a donné expressément les ordres de virement à la banque laquelle les a ponctuellement exécutés.
Alors que la banque a l'obligation d'exécuter d'un ordre de virement formellement régulier et de ne pas bloquer le virement en cause sous peine d'engager sa responsabilité, le caractère international des virements litigieux, leurs montants parfois importants, la courte durée et le nombre de ces virements, au regard du fonctionnement habituel du compte de M. [C], ne constituent pas pour autant des anomalies puisqu'il résulte des relevés bancaires de ce dernier qu'il s'est systématiquement assuré que son compte était suffisamment crédité, notamment par des virements pour des sommes équivalentes ou suffisantes, pour effectuer chacun des virements litigieux et que la banque pouvait légitiment estimer que les opérations auxquelles correspondaient ces virements étaient conformes à la volonté de son client.
La banque n'a pas à intervenir pour dissuader son client d'effectuer un acte inopportun ou dangereux.
Toujours à titre surabondant, les dispositions de l'article 1112-1 du code civil sont inapplicables aux faits de l'espèce dès lors qu'elles ne visent qu'une information détenue par l'une des parties au contrat qu'il s'agit de conclure et non une information que la banque détiendrait s'agissant de l'investissement envisagé par son client auprès d'un tiers auquel la banque n'est nullement liée. Par ailleurs, ainsi que l'a indiqué avec pertinence le premier juge, il n'existe aucun élément de nature à démontrer que M. [C] a indiqué à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie qu'il effectuait des virements afin de réaliser des placements en crypto-monnaies par l'intermédiaire de la société Trade-My-Bitcoin de sorte que Mme [N] veuve [C] ne peut imputer aucune omission d'information à la banque sur ce point.
Enfin, le fait que d'autres établissements bancaires mènent des politiques d'information auprès de leur clientèle distincte de celle de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie n'est pas créateur d'une obligation qui n'est pas prévue par la loi.
Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire;
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 12 juillet 2023 en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [N] veuve [C] aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne Mme [N] veuve [C] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La greffière, Le conseiller pour la présidente empêchée,