Décisions
CA Versailles, ch. civ. 1-5, 19 septembre 2024, n° 24/01027
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 SEPTEMBRE 2024
N° RG 24/01027 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WLII
AFFAIRE :
S.A.S. FRANCELEC-ADE
C/
S.A.S. JCD AVA
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 07 Février 2024 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° RG : 2023R00287
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 19.09.2024
à :
Me Victoire GUILLUY, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. FRANCELEC-ADE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Victoire GUILLUY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 446
Plaidant : Me Valentine COUDERT, du barreau de Paris
APPELANTE
****************
S.A.S. JCD AVA
prise en la personne de son représentant légal domicilié es
qualitéaudit siège.
N° SIRET : 491 88 7 7 09
[Adresse 1]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. AJRS
mission conduite par Maître [D] [Y], ès qualités
d'Administrateur Judiciaire de la société JCD AVA.
N° SIRET : 510 22 7 4 32
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
Plaidant : Me Sybille BARATIN, su barreau de Lyon
Substituée par Me Alexandre LANCEAU, du barreau de Lyon
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Juillet 2024, Monsieur Thomas VASSEUR, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI
EXPOSE DU LITIGE
La société JCD Ava, qui appartient au groupe Armony, est un distributeur de pièces automobiles auprès duquel la société Francelec-Ade, grossiste dans le même domaine, avait l'habitude de se fournir.
Par jugements du 25 juillet 2023, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert des procédures de redressement judiciaire à l'égard des sociétés du groupe Armony, dont la société JCD Ava.
La société AJRS, prise en la personne de Me [Y], a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire, avec mission d'assistance, et la société MLConseils a été désignée comme mandataire judiciaire.
Par acte du 22 décembre 2023, la société JCD Ava et la société AJRS, prise en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société, ont fait assigner en référé la société Francelec-Ade en paiement d'une somme provisionnelle de 225.428,66 euros, correspondant, selon les demandeurs, à un ensemble de factures impayées.
La société Francelec-Ade a soulevé l'incompétence du juge des référés du tribunal de commerce de Versailles au profit de celui de Bayonne.
Par ordonnance contradictoire rendue le 7 février 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles :
a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
cependant, dès à présent,
a reçu la société Francelec-Ade en son déclinatoire de compétence, l'a déclarée mal fondée et l'en a déboutée ;
s'est déclaré compétent ;
a mis en demeure la société Francelec-Ade de conclure au fond avant le 14 février 2024 ;
a convoqué la cause et les parties à l'audience du 21 février 2024 à 9 h ;
a condamné la société Francelec-Ade à payer à la société JCD Ava la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
a condamné la société Francelec-Ade aux dépens dont les frais de greffe qui s'élèvent à la somme de 57,65 euros.
Par déclaration reçue au greffe le 13 février 2024, la société Francelec-Ade a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de dispositif.
Par ordonnance rendue le 14 mars 2024, la société Francelec-Ade a été autorisée à faire assigner à jour fixe la société JCD Ava et la société AJRS pour l'audience du 3 juillet 2024 à 9h30.
Dans ses dernières conclusions déposées le 27 juin 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Francelec-Ade demande à la cour, au visa des articles 42, 46 alinéa 1 et 48 du code de procédure civile, de :
'- déclarer la société Francelec-Ade recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Versailles du 7 février 2024 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- déclarer le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles incompétent territorialement,
- renvoyer l'affaire à l'examen du juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne
Subsidiairement,
- renvoyer la société JCD AVA à mieux se pourvoir au fond,
- débouter la société JCD AVA de l'ensemble de ses prétentions,
Plus subsidiairement,
- ordonner le séquestre de toutes sommes qui pourraient être mises à charge de la société Francelec ADE au profit de la société JCD AVA entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris ;
En tout état de cause,
- débouter la société JCD AVA et la SELARL AJRS de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner la société JCD Ava à payer à la société Francelec Ade la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société JCD Ava aux dépens.'
L'appelante expose que la clause attributive de compétence, pour être valable, doit figurer de manière « très apparente », selon l'article 48 du code de procédure civile, dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée, de sorte que cette clause doit se distinguer des autres paragraphes et se présenter en des caractères à tout le moins différents de ceux utilisés pour les autres clauses ; or, indique l'appelante, tel n'est pas le cas en l'espèce, la clause figurant dans la même typographie que les autres clauses. Elle considère qu'il ressort de l'examen des factures versées aux débats par la société JCD Ava que la clause en question est stipulée au verso d'une facture, document non signé par la société Francelec-Ade, en petits caractères d'imprimerie, à la fin d'un texte conséquent difficilement lisible ; elle est ainsi, selon l'appelante, peu apparente pour un lecteur moyen.
Dès lors, cette clause attributive de juridiction, doit être réputée non écrite et les règles de compétence de droit commun doivent trouver à s'appliquer. Or, en l'espèce, les deux critères de détermination de la compétence territoriale renvoient à celle du tribunal de commerce de Bayonne, qui est le lieu du siège social de la société Francelec-Ade ainsi que le lieu où sont effectuées les livraisons.
Subsidiairement, sur l'évocation, la société Francelec indique que la demande de condamnation provisionnelle de son adversaire correspond à des factures dont le paiement est sollicité, alors que ces factures ne correspondent elles-mêmes à aucune livraison, voire à aucune commande. L'appelante indique qu'elle détient elle-même des créances au titre du contrat liant les parties, créances portant sur des bonus, des aides au développement et des garanties non remboursées ainsi que d'autres avoirs à émettre. Elle fait valoir qu'elle a déclaré une créance indemnitaire entre les mains du mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société JCD AVA, somme correspondant aux préjudices qu'elle subit en raison de l'inexécution contractuelle et de la rupture des relations contractuelles entre les parties.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 2 juillet 2024, auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés JCD Ava et AJRS demandent à la cour, au visa des articles 15 et suivants, 42, 48, 88, 872 et 873 du code de procédure civile, L. 110-3, L. 441-1 et suivants du code de commerce, 1103, 1104, 1109, 1172 et 1343-2 du code civil, de :
'- confirmer l'ordonnance RG 2023R00287, rendue le 7 février 2024 par le juge des référés près le tribunal de commerce de Versailles en ce qu'elle a :
- retenu sa compétence en déclarant mal fondée Francelec-Ade ;
- condamné Francelec-ade à payer à la JCD Ava 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
et usant de son pouvoir d'évocation,
- condamner Francelec-ade à payer la somme de 242.456,25 euros, outre intérêts et pénalités au jour du prononcé de la décision,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil applicable en la matière,
- maintenir l'exécution provisoire,
En tout état de cause,
- débouter Francelec-Ade de toutes ses exceptions, fins, demandes et conclusions.
- condamner Francelec-Ade à verser à JCD Ava la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, ces derniers distraits au profit de Maître Christophe Debray conformément à l'article 699 du code de procédure civile.'
Au soutien de leur appel, les intimées indiquent que la société JCD Ava a déjà vendu à la société Francelec-Ade environ 69.000 pièces automobiles pour plus de 2 millions d'euros. Elles rappellent que les parties au contrat étant toutes deux commerçantes, il leur était loisible de déroger aux règles de compétence territoriale et elles indiquent à cet égard que les conditions générales de vente de la société JCD Ava stipulent de façon apparente la clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Versailles, quel que soit le lieu de livraison et ce, sur les 170 factures adressées à la société Francelec-Ade, laquelle a par ailleurs reçu et payé plus de 140 factures, sur lesquelles figurent ces mêmes conditions générales. Elles ajoutent que le site internet de la société JCD Ava mentionne également cette option de compétence pour le tribunal de commerce de Versailles. La société Francelec-Ade, qui est un commerçant rompu à la vie des affaires, a ainsi accepté à maintes reprises cette option de compétence. La société JCD Ava ajoute que la clause attributive de compétence est en outre justifiée par l'urgence dans laquelle elle se trouve, compte-tenu des difficultés économiques qui sont les siennes à présent.
Au titre de l'évocation, la société JCD AVA liste les factures qui n'ont pas été réglées, que ce soit à leur émission, à leur date d'exigibilité ou après une mise en demeure. Elle expose que toutes les marchandises correspondantes ont été livrées et que la société Francelec-Ade a signé tous les bons de livraison. L'intimée expose qu'aucun moyen de compensation en l'occurrence ne pourrait être élevé dès lors que les obligations invoquées du côté de la société Francelec-Ade ne sont ni fongibles, ni certaines, ni liquides ni exigibles.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 48 du code de procédure civile dispose : 'Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.'
S'il est de principe que 'la clause attributive de compétence [est] inopposable à la partie qui saisit le juge des référés' (Civ. 2ème, 19 novembre 2008, pourvoi n° 08-11.646), il est en revanche loisible à cette dernière de s'en prévaloir (Civ. 1ère, 10 novembre 2009, n° 08-15.127).
Pour autant, la clause invoquée par la société JCD Ava ne saurait en l'occurrence emporter une dérogation des règles de compétence territoriale au profit de la juridiction versaillaise.
En effet, en premier lieu, le seul type de support sur lequel se trouve la clause attributive de compétence dont la société JCD Ava se prévaut est un ensemble de factures, émises par elle, sans convention signée par son adversaire qui, de surcroît, conteste même que certaines de ces factures correspondent à des commandes. L'existence de relations d'affaires antérieures n'induit en soi, ni la reconduction des relations ni, le cas échéant, l'application des mêmes stipulations contractuelles.
Pour cette première raison, l'allégation même, par la société JCD Ava, de la clause attributive de compétence sur un seul ensemble de factures est inopérante et, à tout le moins, suppose une interprétation de la teneur de la convention tacite entre les parties, laquelle excèderait les pouvoirs du juge des référés.
En outre et surabondamment, même à s'en tenir à ce que la société JCD Ava indique être, en pièces n° 17, des exemples de factures déjà payées, qui ne correspondent ainsi par hypothèse pas au contrat sur lequel elle fonde sa demande en paiement, la clause attributive de compétence figure dans le dernier tiers des conditions générales de vente, qui, quoique nombreuses, sont rassemblées en une seule page au prix d'une police de caractères éminemment petite, ce qui en rend la lecture d'autant plus malaisée. Or, rien dans le paragraphe de cette clause, qu'il s'agisse de la taille des caractères, de leur caractère gras ou non, ou de leur couleur ou qu'il s'agisse encore de la manière dont est introduit ledit paragraphe, qui n'est notamment pas encadré ni même séparé des autres clauses par un espace, ne fait ressortir que cette clause figure de manière très apparente.
Pour cette seconde raison, la clause attributive de compétence alléguée par la société JCD Ava est inopérante.
L'article 42 du code de procédure civile dispose, en son 1er alinéa, que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
En l'occurrence, la société Francelec-Ade, défenderesse, a son siège à Villefranque, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, au sein du ressort du tribunal de commerce de Bayonne.
En outre, l'article 46 du code de procédure civile dispose notamment qu'en matière contracutelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur celle du lieu de la livraison effective de la chose. Or, la livraison des marchandises dont la société JCD Ava indique avoir reçu commande a également été effectuée dans le même endroit.
Ainsi, en l'absence de clause attributive de compétence opposable, seul le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne est compétent pour connaître de la demande de la société JCD Ava.
Aussi convient-il, en infirmant l'ordonnance entreprise, d'ordonner le renvoi de l'affaire devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne, conformément aux dispositions de l'article 86 du code de procédure civile.
Compte-tenu de ce renvoi, la demande d'évocation faite par la société JCD Ava est sans objet.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déclare le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles incompétent ;
Ordonne le renvoi de l'affaire devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne ;
Dit que le dossier de l'affaire sera transmis par le greffe au tribunal de commerce de Bayonne, avec copie du présent arrêt ;
Condamne la société JCD Ava et la société AJRS, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société JCD Ava aux dépens de première instance et d'appel jusqu'à présent exposés ;
Condamne la société JCD Ava et la société AJRS, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société JCD Ava, à verser à la société Francelec-Ade la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président
DE
VERSAILLES
Code nac : 56B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 SEPTEMBRE 2024
N° RG 24/01027 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WLII
AFFAIRE :
S.A.S. FRANCELEC-ADE
C/
S.A.S. JCD AVA
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 07 Février 2024 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° RG : 2023R00287
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 19.09.2024
à :
Me Victoire GUILLUY, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. FRANCELEC-ADE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Victoire GUILLUY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 446
Plaidant : Me Valentine COUDERT, du barreau de Paris
APPELANTE
****************
S.A.S. JCD AVA
prise en la personne de son représentant légal domicilié es
qualitéaudit siège.
N° SIRET : 491 88 7 7 09
[Adresse 1]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. AJRS
mission conduite par Maître [D] [Y], ès qualités
d'Administrateur Judiciaire de la société JCD AVA.
N° SIRET : 510 22 7 4 32
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
Plaidant : Me Sybille BARATIN, su barreau de Lyon
Substituée par Me Alexandre LANCEAU, du barreau de Lyon
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Juillet 2024, Monsieur Thomas VASSEUR, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI
EXPOSE DU LITIGE
La société JCD Ava, qui appartient au groupe Armony, est un distributeur de pièces automobiles auprès duquel la société Francelec-Ade, grossiste dans le même domaine, avait l'habitude de se fournir.
Par jugements du 25 juillet 2023, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert des procédures de redressement judiciaire à l'égard des sociétés du groupe Armony, dont la société JCD Ava.
La société AJRS, prise en la personne de Me [Y], a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire, avec mission d'assistance, et la société MLConseils a été désignée comme mandataire judiciaire.
Par acte du 22 décembre 2023, la société JCD Ava et la société AJRS, prise en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société, ont fait assigner en référé la société Francelec-Ade en paiement d'une somme provisionnelle de 225.428,66 euros, correspondant, selon les demandeurs, à un ensemble de factures impayées.
La société Francelec-Ade a soulevé l'incompétence du juge des référés du tribunal de commerce de Versailles au profit de celui de Bayonne.
Par ordonnance contradictoire rendue le 7 février 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles :
a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
cependant, dès à présent,
a reçu la société Francelec-Ade en son déclinatoire de compétence, l'a déclarée mal fondée et l'en a déboutée ;
s'est déclaré compétent ;
a mis en demeure la société Francelec-Ade de conclure au fond avant le 14 février 2024 ;
a convoqué la cause et les parties à l'audience du 21 février 2024 à 9 h ;
a condamné la société Francelec-Ade à payer à la société JCD Ava la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
a condamné la société Francelec-Ade aux dépens dont les frais de greffe qui s'élèvent à la somme de 57,65 euros.
Par déclaration reçue au greffe le 13 février 2024, la société Francelec-Ade a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de dispositif.
Par ordonnance rendue le 14 mars 2024, la société Francelec-Ade a été autorisée à faire assigner à jour fixe la société JCD Ava et la société AJRS pour l'audience du 3 juillet 2024 à 9h30.
Dans ses dernières conclusions déposées le 27 juin 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Francelec-Ade demande à la cour, au visa des articles 42, 46 alinéa 1 et 48 du code de procédure civile, de :
'- déclarer la société Francelec-Ade recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Versailles du 7 février 2024 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- déclarer le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles incompétent territorialement,
- renvoyer l'affaire à l'examen du juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne
Subsidiairement,
- renvoyer la société JCD AVA à mieux se pourvoir au fond,
- débouter la société JCD AVA de l'ensemble de ses prétentions,
Plus subsidiairement,
- ordonner le séquestre de toutes sommes qui pourraient être mises à charge de la société Francelec ADE au profit de la société JCD AVA entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris ;
En tout état de cause,
- débouter la société JCD AVA et la SELARL AJRS de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner la société JCD Ava à payer à la société Francelec Ade la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société JCD Ava aux dépens.'
L'appelante expose que la clause attributive de compétence, pour être valable, doit figurer de manière « très apparente », selon l'article 48 du code de procédure civile, dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée, de sorte que cette clause doit se distinguer des autres paragraphes et se présenter en des caractères à tout le moins différents de ceux utilisés pour les autres clauses ; or, indique l'appelante, tel n'est pas le cas en l'espèce, la clause figurant dans la même typographie que les autres clauses. Elle considère qu'il ressort de l'examen des factures versées aux débats par la société JCD Ava que la clause en question est stipulée au verso d'une facture, document non signé par la société Francelec-Ade, en petits caractères d'imprimerie, à la fin d'un texte conséquent difficilement lisible ; elle est ainsi, selon l'appelante, peu apparente pour un lecteur moyen.
Dès lors, cette clause attributive de juridiction, doit être réputée non écrite et les règles de compétence de droit commun doivent trouver à s'appliquer. Or, en l'espèce, les deux critères de détermination de la compétence territoriale renvoient à celle du tribunal de commerce de Bayonne, qui est le lieu du siège social de la société Francelec-Ade ainsi que le lieu où sont effectuées les livraisons.
Subsidiairement, sur l'évocation, la société Francelec indique que la demande de condamnation provisionnelle de son adversaire correspond à des factures dont le paiement est sollicité, alors que ces factures ne correspondent elles-mêmes à aucune livraison, voire à aucune commande. L'appelante indique qu'elle détient elle-même des créances au titre du contrat liant les parties, créances portant sur des bonus, des aides au développement et des garanties non remboursées ainsi que d'autres avoirs à émettre. Elle fait valoir qu'elle a déclaré une créance indemnitaire entre les mains du mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société JCD AVA, somme correspondant aux préjudices qu'elle subit en raison de l'inexécution contractuelle et de la rupture des relations contractuelles entre les parties.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 2 juillet 2024, auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés JCD Ava et AJRS demandent à la cour, au visa des articles 15 et suivants, 42, 48, 88, 872 et 873 du code de procédure civile, L. 110-3, L. 441-1 et suivants du code de commerce, 1103, 1104, 1109, 1172 et 1343-2 du code civil, de :
'- confirmer l'ordonnance RG 2023R00287, rendue le 7 février 2024 par le juge des référés près le tribunal de commerce de Versailles en ce qu'elle a :
- retenu sa compétence en déclarant mal fondée Francelec-Ade ;
- condamné Francelec-ade à payer à la JCD Ava 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
et usant de son pouvoir d'évocation,
- condamner Francelec-ade à payer la somme de 242.456,25 euros, outre intérêts et pénalités au jour du prononcé de la décision,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil applicable en la matière,
- maintenir l'exécution provisoire,
En tout état de cause,
- débouter Francelec-Ade de toutes ses exceptions, fins, demandes et conclusions.
- condamner Francelec-Ade à verser à JCD Ava la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, ces derniers distraits au profit de Maître Christophe Debray conformément à l'article 699 du code de procédure civile.'
Au soutien de leur appel, les intimées indiquent que la société JCD Ava a déjà vendu à la société Francelec-Ade environ 69.000 pièces automobiles pour plus de 2 millions d'euros. Elles rappellent que les parties au contrat étant toutes deux commerçantes, il leur était loisible de déroger aux règles de compétence territoriale et elles indiquent à cet égard que les conditions générales de vente de la société JCD Ava stipulent de façon apparente la clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Versailles, quel que soit le lieu de livraison et ce, sur les 170 factures adressées à la société Francelec-Ade, laquelle a par ailleurs reçu et payé plus de 140 factures, sur lesquelles figurent ces mêmes conditions générales. Elles ajoutent que le site internet de la société JCD Ava mentionne également cette option de compétence pour le tribunal de commerce de Versailles. La société Francelec-Ade, qui est un commerçant rompu à la vie des affaires, a ainsi accepté à maintes reprises cette option de compétence. La société JCD Ava ajoute que la clause attributive de compétence est en outre justifiée par l'urgence dans laquelle elle se trouve, compte-tenu des difficultés économiques qui sont les siennes à présent.
Au titre de l'évocation, la société JCD AVA liste les factures qui n'ont pas été réglées, que ce soit à leur émission, à leur date d'exigibilité ou après une mise en demeure. Elle expose que toutes les marchandises correspondantes ont été livrées et que la société Francelec-Ade a signé tous les bons de livraison. L'intimée expose qu'aucun moyen de compensation en l'occurrence ne pourrait être élevé dès lors que les obligations invoquées du côté de la société Francelec-Ade ne sont ni fongibles, ni certaines, ni liquides ni exigibles.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 48 du code de procédure civile dispose : 'Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.'
S'il est de principe que 'la clause attributive de compétence [est] inopposable à la partie qui saisit le juge des référés' (Civ. 2ème, 19 novembre 2008, pourvoi n° 08-11.646), il est en revanche loisible à cette dernière de s'en prévaloir (Civ. 1ère, 10 novembre 2009, n° 08-15.127).
Pour autant, la clause invoquée par la société JCD Ava ne saurait en l'occurrence emporter une dérogation des règles de compétence territoriale au profit de la juridiction versaillaise.
En effet, en premier lieu, le seul type de support sur lequel se trouve la clause attributive de compétence dont la société JCD Ava se prévaut est un ensemble de factures, émises par elle, sans convention signée par son adversaire qui, de surcroît, conteste même que certaines de ces factures correspondent à des commandes. L'existence de relations d'affaires antérieures n'induit en soi, ni la reconduction des relations ni, le cas échéant, l'application des mêmes stipulations contractuelles.
Pour cette première raison, l'allégation même, par la société JCD Ava, de la clause attributive de compétence sur un seul ensemble de factures est inopérante et, à tout le moins, suppose une interprétation de la teneur de la convention tacite entre les parties, laquelle excèderait les pouvoirs du juge des référés.
En outre et surabondamment, même à s'en tenir à ce que la société JCD Ava indique être, en pièces n° 17, des exemples de factures déjà payées, qui ne correspondent ainsi par hypothèse pas au contrat sur lequel elle fonde sa demande en paiement, la clause attributive de compétence figure dans le dernier tiers des conditions générales de vente, qui, quoique nombreuses, sont rassemblées en une seule page au prix d'une police de caractères éminemment petite, ce qui en rend la lecture d'autant plus malaisée. Or, rien dans le paragraphe de cette clause, qu'il s'agisse de la taille des caractères, de leur caractère gras ou non, ou de leur couleur ou qu'il s'agisse encore de la manière dont est introduit ledit paragraphe, qui n'est notamment pas encadré ni même séparé des autres clauses par un espace, ne fait ressortir que cette clause figure de manière très apparente.
Pour cette seconde raison, la clause attributive de compétence alléguée par la société JCD Ava est inopérante.
L'article 42 du code de procédure civile dispose, en son 1er alinéa, que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
En l'occurrence, la société Francelec-Ade, défenderesse, a son siège à Villefranque, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, au sein du ressort du tribunal de commerce de Bayonne.
En outre, l'article 46 du code de procédure civile dispose notamment qu'en matière contracutelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur celle du lieu de la livraison effective de la chose. Or, la livraison des marchandises dont la société JCD Ava indique avoir reçu commande a également été effectuée dans le même endroit.
Ainsi, en l'absence de clause attributive de compétence opposable, seul le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne est compétent pour connaître de la demande de la société JCD Ava.
Aussi convient-il, en infirmant l'ordonnance entreprise, d'ordonner le renvoi de l'affaire devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne, conformément aux dispositions de l'article 86 du code de procédure civile.
Compte-tenu de ce renvoi, la demande d'évocation faite par la société JCD Ava est sans objet.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déclare le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles incompétent ;
Ordonne le renvoi de l'affaire devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne ;
Dit que le dossier de l'affaire sera transmis par le greffe au tribunal de commerce de Bayonne, avec copie du présent arrêt ;
Condamne la société JCD Ava et la société AJRS, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société JCD Ava aux dépens de première instance et d'appel jusqu'à présent exposés ;
Condamne la société JCD Ava et la société AJRS, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société JCD Ava, à verser à la société Francelec-Ade la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président