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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 19 avril 2023, n° 20/01842

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

ALLIANZ IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme SENTUCQ

Conseillers :

Mme THEVENIN-SCOTT, Mme PELIER-TETREA

Avocats :

Me MOISSON, SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN

TGI BOBIGNY, du 25 nov. 2019

25 novembre 2019

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [Y] [S] et Madame [I] [G] [O] épouse [S] (Monsieur et Madame [S]) victimes d'un incendie dans leur logement, sis à [Adresse 5], ont confié la réfection complète de leur bien à Monsieur [E] [V], exerçant sous l'enseigne commerciale PMDT suivant plusieurs devis acceptés le 18 avril 2013, pour un montant total de travaux de 293 446,25 euros TTC.

Dans le cadre de son activité, la SA ALLIANZ IARD a souscrit une police d'assurance auprès de la SA ALLIANZ IARD « Allianz Réalisateurs d'ouvrages de construction » sous le n° 42774615.

Des acomptes d'un montant total de 124 018,46 euros ont été versés par Monsieur et Madame [S].

Le 14 février 2014, Monsieur [E] [V] a assigné Monsieur et Madame [S] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de BOBIGNY aux fons d'obtenir le paiement d'un acompte de 72 139,07 euros.

Dans le cadre de cette procédure, Monsieur et Madame [S] ont fait valoir diverses malfaçons et par ordonnance du 31 mars 2014, un expert judiciaire a été nommé.

Il a rendu son rapport le 2 octobre 2015.

C'est dans ce contexte que Monsieur et Madame [S] ont assigné Monsieur [E] [V] au fond par acte du 23 mars 2016.

Monsieur [E] [V] a fait l'objet d'un jugement d'ouverture de liquidation du 13 mai 2016.

Par ordonnance du 9 avril 2018, le juge de la mise en état a :

- ordonné le sursis à statuer sur l'ensemble des demandes, dans l'attente de la décision de Monsieur [F], es qualité de liquidateur quant à l'acceptation ou non de l'inscription de la créance de Monsieur et Madame [S] au passif de la liquidation de Monsieur [E] [V],

- dit qu'il appartient à Monsieur et Madame [S] d'effectuer les diligences pour informer le tribunal de la réponse donnée par Monsieur [F], et d'en tirer les conséquences quant à une éventuelle poursuivre l'instance à l'expiration de ce sursis,

Parallèlement, par acte du 6 février 2018, Monsieur et Madame [S] ont fait assigner devant le tribunal de BOBIGNY la SA ALLIANZ IARD, en qualité d'assureur de Monsieur [E] [V] aux fins d'obtenir le remboursement d'un trop-perçu et l'indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement en date du 11 février 2019, le tribunal de grande instance a rouvert les débats et ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture pour faire connaître au juge de la mise en état l'issue de l'instance diligentée par Monsieur et Madame [S] à l'encontre de Monsieur [E] [V] (RG 16/3698) et éventuellement procéder à la jonction des instances.

Monsieur et Madame [S] se sont alors désistés de leur instance à l'encontre de Monsieur [E] [V].

Par jugement du 25 novembre 2019, le tribunal de grande instance de BOBIGNY a :

Débouté Monsieur et Madame [S] de leur demande en paiement de la somme de 104 083,19 € au titre du trop-perçu à l'encontre de la société ALLIANZ,

Débouté Monsieur et Madame [S] de leurs demandes de dommages et intérêts au titre des travaux de reprises, du trouble de jouissance et des frais d'études techniques à l'encontre de la société ALLIANZ,

Débouté les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne in solidum Monsieur et Madame [S] aux dépens,

Dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.

Monsieur et Madame [S] ont interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 18 janvier 2020.

Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 5 septembre 2022, Monsieur et Madame [S] demandent à la cour de :

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Vu les articles L.113-1 et L.124-3 du code des assurances, Vu l'article 1147 ancien du code civil,

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D'INFIRMER le jugement rendu le 25 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny en ce qu'il a débouté Monsieur et Madame [S] de leurs prétentions aux motifs que la police d'assurance de la compagnie ALLIANZ souscrite par Monsieur [V] ne serait pas applicable.

JUGER applicable la police d'assurance de la compagnie ALLIANZ, la clause d'exclusion ne répondant pas aux dispositions légales et jurisprudentielles.

JUGER que les désordres résultent de l'abandon de chantier, et, non de l'exécution des travaux par Monsieur [V].

En conséquence,

DEBOUTER la compagnie d'assurance ALLIANZ de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Et statuant à nouveau :

CONDAMNER la compagnie ALLIANZ à payer à Monsieur et Madame [S] les sommes suivantes :

' 17.728,40 Euros au titre de la reprise du lot électricité, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation,

' 9.982,50 Euros au titre de la reprise du parquet, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation

' 18.260 Euros au titre de la reprise de l'isolation, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation,

' 2.040 Euros au titre des honoraires du Cabinet CPE, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation,

' 900 Euros au titre des honoraires de la société ELEC EXPERTISE, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation,

' 240 Euros au titre des honoraires du CONSUEL, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation,

' 296.600 Euros au titre du trouble de jouissance avec intérêt au taux légal à compter de la signification de l'assignation.

Et subsidiairement, en ce qui concerne l'indemnisation du trouble de jouissance :

' 143.576,31 Euros au titre du trouble de jouissance avec intérêt au taux légal à compter de la signification de l'assignation, à parfaire, au regard du coût du relogement supporté par les époux [S].

CONDAMNER la compagnie ALLIANZ à la somme de 5.000 Euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure, recouvrés par Maître Stéphanie MOISSON.

Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 21 novembre 2022, la SA ALLIANZ IARD demande à la cour de :

Vu l'article 1147 du Code civil,

Vu la police ALLIANZ en ses Dispositions Particulières et Générales,

Vu le jugement rendu le 25.11.19 par le TGI de BOBIGNY,

À titre principal,

Confirmer le jugement rendu le 25 novembre 2019 par le TGI de BOBIGNY,

Dire et juger que les Dispositions Particulières sont signées et datées par M. [V] et se réfèrent à des Dispositions Générales dûment identifiées.

Dire que l'ensemble des dispositions de la police ALLIANZ sont opposables aux époux [S]

Dire que les dommages allégués, conséquences de l'inexécution patente et répétée par l'entreprise de ses obligations contractuelles, ne sont ni fortuits ni soudains.

Dire que les désordres, malfaçons, non-conformités et, non-façons allégués relèvent de la seule responsabilité contractuelle de [E] [V]/PMDT .

Dire qu'aucune des garanties souscrites selon police d'assurance « Réalisateurs d'Ouvrage de Construction » n°42774615, et spécialement les garanties A et B, ne peuvent trouver application.

En conséquence,

Débouter les époux [S] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre d'ALLIANZ.

A titre subsidiaire,

Constatant que les époux [S] ne démontrent pas la réalité de leur préjudice de jouissance

Rejeter leur demande d'indemnisation

A titre infiniment subsidiaire,

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Dire et juger que le préjudice de jouissance allégué ne saurait excéder une année de coût de relogement,

Dire qu'ALLIANZ ne saurait être tenu que dans les limites de la police stipulant plafond de garantie et franchise opposables aux tiers.

Condamner les époux [S] à verser à ALLIANZ une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP REGNIER BEQUET MOISAN.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 novembre 2022, l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 7 décembre 2022 et mise en délibéré au 19 avril 2023.

MOTIVATION

A titre liminaire, il y a lieu de constater qu'il n'est plus formé par les appelants, à l'encontre de la SA ALLIANZ IARD, de demande de remboursement d'un trop- perçu par Monsieur [E] [V].

I. Sur la nature, la cause et l'origine du désordre

Il est de principe que le juge n'est lié ni par les constatations d'un expert judiciaire ni par ses conclusions.

Il n'en demeure pas moins qu'un expert judiciaire est choisi pour ses compétences techniques afin de prêter assistance à la juridiction qui elle ne justifie d'aucune compétence technique en la matière et qu'il accomplit sa tâche en respectant le principe de la contradiction.

Il résulte du rapport d'expertise du 2 octobre 2015 réalisé par Monsieur [R] que les désordres sont les suivants :

L'ensemble des travaux d'électricité doit être repris en abandonnant tous les câblages existants

Les travaux de plomberie n'ont pas été exécutés suivant les règles de l'art, la reprise d'une partie de la tuyauterie imposant la démolition d'une partie importante du doublage et de son isolant.

L'absence d'isolant entre les murs extérieurs et le doublage

La nécessité de procéder au ponçage du parquet en l'absence de protection pendant le chantier.

L'expert conclut que les travaux n'ont pas été réalisés conformément aux règles de l'art et que la réfection des travaux d'électricité, de plomberie et d'isolation imposent une démolition importante du gros 'uvre et du doublage.

Aucune autre entreprise n'est intervenue sur le chantier.

II. Sur la responsabilité de l'entrepreneur

Monsieur et Madame [S] souhaitent voir leur action à l'encontre de la société ALLIANZ déclarée recevable dès lors que la responsabilité de son assuré, Monsieur [E] [V], dans les désordres est établie.

Retenue en première instance sur le fondement de l'article 1147 du code civil, elle n'est contestée, ni dans son principe, ni dans son étendue, par les parties.

Réponse de la cour :

La garantie légale des articles 1792 et suivants du code civil n'est due que par l'architecte, les entrepreneurs qui participent directement à la construction de l'ouvrage et qui sont liés au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage, à la différence des sous - traitants exclus de la garantie décennale. Sont bénéficiaires de cette garantie, le maître de l'ouvrage, propriétaire du bien, les acquéreurs de l'ouvrage, le syndic de copropriété pour la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble et relatifs aux parties communes, ou pour les désordres généralisés et les copropriétaires. Toutefois, la garantie légale suppose que soient remplies les conditions suivantes pour pouvoir être actionnée : un ouvrage, une réception, un dommage survenu après cette réception et qui compromet la solidité de l'ouvrage ou l'affecte dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendant impropre à sa destination.

À défaut de pouvoir bénéficier de la garantie légale, le maître d'ouvrage peut rechercher la responsabilité contractuelle de l'entreprise.

Les entrepreneurs sont tenus à une obligation de résultat dans le cadre de leurs rapports avec le maître de l'ouvrage se définissant comme l'obligation de livrer des travaux conformes à la destination convenue, exécutés en respectant les règles de l'art et les normes en vigueur au jour de leur intervention. Ils ne peuvent s'exonérer de leur responsabilité qu'en établissant l'existence d'une cause étrangère ou d'un cas de force majeure.

En l'espèce, il est constant que les travaux réalisés en partie n'ont jamais été réceptionnés. La garantie de l'article 1792 code civil est donc exclue. En revanche, et au regard des éléments du rapport d'expertise déjà énoncés, la responsabilité de Monsieur [E] [V] sur le fondement de l'article 1147 du code civil est établie, ce dernier ayant réalisé des travaux ne respectant pas les règles de l'art tant en ce qui concerne l'électricité, que la plomberie et le lot maçonnerie, le jugement l'ayant retenue sera donc confirmé.

III. Sur la garantie de l'assureur

Monsieur et Madame [S] affirment pouvoir se prévaloir des garanties A et B du contrat souscrit par Monsieur [E] [V] :

Garantie A : Dommages matériels à l'ouvrage et aux biens sur chantier avant réception. À ce titre ils considèrent que les dommages sont survenus de façon soudaine et fortuite, comme l'exige la police, dès lors qu'une partie au moins des désordres serait dû à l'abandon du chantier, événement soudain et fortuit.

Garantie B : Responsabilité civile de l'entreprise à l'égard des tiers : Monsieur et Madame [S] considèrent que la clause d'exclusion dont entend se prévaloir l'assureur conduit à vider le contrat de sa substance et doit être réputée non-écrite.

La SA ALLIANZ IARD, pour sa part, demande la confirmation du jugement qui a exclu sa garantie compte tenu des termes de la police souscrite. Elle conteste le caractère soudain et fortuit des désordres qui résultent non de l'abandon du chantier mais du non-respect des règles de l'art. Elle ajoute que les mises en conformité rendues nécessaires en raison du non-respect des règles de l'art sont exclues de sa garantie, tout comme les réparations dues à une inobservation volontaire ou inexcusables de ces mêmes règles par l'assuré. Enfin, elle précise que la garantie B (responsabilité civile de l'entreprise) couvre les dommages aux tiers et non ceux causés aux propres ouvrages réalisés par l'assuré.

Réponse de la cour :

En application de l'article L.112-6 du code des assurances, l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire.

L'article L.124-1 du même code précise que dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé.

L'article L.124-3 alinéa 1er du code des assurances énonce que le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

En l'espèce, il ressort des conditions générales de la police souscrite par Monsieur [E] [V] :

S'agissant de la garantie A relative aux « dommages matériels à votre ouvrage et aux biens sur chantier avant réception », que ne sont garantis que les dommages survenant de façon « fortuite et soudaine ». Ces deux termes peuvent être ainsi définis : Est « fortuit » ce qui arrive par hasard, qui est imprévu ; et est « soudain » ce qui est prompt, subit, qui se fait en un moment. Or, et contrairement à ce qu'affirment Monsieur et Madame [S], l'ensemble des désordres constatés par l'expert et dont ils demandent réparation sont dus au non-respect des règles de l'art par Monsieur [E] [V] et non à son abandon du chantier qui n'a jamais été la cause desdits désordres. En conséquence, les dommages subis ne sont survenus de façon ni fortuite, ni soudaine.

S'agissant de la garantie B intitulée « Responsabilité civile de votre entreprise » : l'article 3-5-1 des conditions générales précise que sont exclus de la garantie « Les dommages (ou les indemnités compensant ces dommages) aux ouvrages ou travaux que vous avez exécutés ou donnés en sous-traitance, ainsi que les dommages immatériels qui leur sont consécutifs ». Or, l'ensemble des dommages dont demandent réparation Monsieur et Madame [S] sont consécutifs aux travaux réalisés par Monsieur [E] [V], il ne s'agit pas de dommages causés à autrui par l'assuré mais de dommages affectant les ouvrages exécutés par l'assuré lui-même.

Dès lors, c'est à juste titre que le jugement a écarté la garantie de la SA ALLIANZ IARD, assureur de Monsieur [E] [V], et il sera confirmé.

En conséquence, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les demandes de dommages-intérêts de Monsieur et Madame [S] dont ils ont été déboutés en première instance, décision qui est confirmée.

IV. Sur les autres demandes

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

S'agissant des dépens de l'instance d'appel, y seront condamnés Monsieur et Madame [S] qui succombent.

Enfin, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie ses frais irrépétibles. Monsieur et Madame [S] et la SA ALLIANZ IARD seront déboutés de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de BOBIGNY du 25 novembre 2019 ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur [Y] [S] et Madame [I] [G] [O] épouse [S] aux dépens de l'instance d'appel ;

ADMET les avocats qui peuvent y prétendre et en ont fait la demande au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

DEBOUTE Monsieur [Y] [S] et Madame [I] [G] [O] épouse [S] et la SA ALLIANZ IARD de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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