CJUE, 1re ch., 26 septembre 2024, n° C-387/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nord Vest Pro Sani Pro SRL
Défendeur :
Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Satu Mare, Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Cluj-Napoca
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arabadjiev
Juges :
M. von Danwitz, M. Xuereb (rapporteur), M. Kumin, Mme Ziemele
Avocat général :
Mme Kokott
LA COUR (première chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 26 et 56 TFUE ainsi que de l’article 20 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Nord Vest Pro Sani Pro SRL (ci-après « Nord Vest Pro ») à l’Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Satu Mare (administration départementale des finances publiques de Satu Mare, Roumanie) et à la Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Cluj-Napoca (direction générale régionale des finances publiques de Cluj-Napoca, Roumanie) (ci-après, ensemble, les « autorités fiscales ») au sujet du refus de ces autorités de reconnaître aux employés du secteur de la construction exerçant leurs activités dans d’autres États membres le bénéfice d’avantages fiscaux et sociaux dont disposent les employés de ce même secteur opérant sur le territoire roumain.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2006/123
3 Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123, celle-ci ne s’applique pas en matière fiscale.
4 L’article 20 de cette directive, intitulé « Non-discrimination », dispose :
« 1. Les États membres veillent à ce que le destinataire ne soit pas soumis à des exigences discriminatoires fondées sur sa nationalité ou son lieu de résidence.
2. Les États membres veillent à ce que les conditions générales d’accès à un service, qui sont mises à la disposition du public par le prestataire, ne contiennent pas des conditions discriminatoires en raison de la nationalité ou du lieu de résidence du destinataire, sans que cela ne porte atteinte à la possibilité de prévoir des différences dans les conditions d’accès lorsque ces conditions sont directement justifiées par des critères objectifs. »
La directive 96/71/CE
5 L’article 1er de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), intitulé « Champ d’application », dispose :
« 1. La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre.
[...]
3. La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :
a) détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement
[...] »
Le règlement no 883/2004
6 L’article 12 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 883/2004 »), énonce, à son paragraphe 1 :
« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée. »
Le droit roumain
Le code des impôts
7 La Legea nr. 227/2015 privind Codul fiscal (loi no 227/2015 portant code des impôts), du 8 septembre 2015 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 688 du 10 septembre 2015), telle que modifiée et complétée ultérieurement (ci-après le « code des impôts »), prévoit, à son article 60 :
« Sont exonérées de l’impôt sur le revenu les personnes suivantes :
[...]
5. les personnes physiques, au titre des revenus salariaux et des revenus assimilés aux salaires visés à l’article 76, paragraphes 1 à 3, pendant la période allant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2028 inclus, pour lesquelles les conditions suivantes sont cumulativement remplies :
a) les employeurs exercent des activités dans le secteur de la construction [...]
[...]
b) les employeurs réalisent un chiffre d’affaires provenant des activités visées sous a) et d’autres activités spécifiques au secteur de la construction représentant au moins 80 % du chiffre d’affaires total. [...]
c) les revenus mensuels bruts tirés des salaires et assimilés aux salaires visés à l’article 76, paragraphes 1 à 3, perçus par les personnes physiques auxquels l’exonération s’applique sont calculés sur un salaire brut pour 8 heures de travail par jour de minimum 3 000 [lei roumains (RON) (environ 610 euros)] par mois. L’exonération s’applique aux montants des revenus mensuels bruts allant jusqu’à 30 000 RON [(environ 6 100 euros)], tirés de salaires et assimilés à des salaires, visés à l’article 76, paragraphes 1 à 3, réalisés par des personnes physiques. La partie du revenu mensuel brut dépassant 30 000 RON ne bénéficiera pas des avantages fiscaux ;
[...] »
8 Selon l’article 78 du code des impôts :
« (1) Les bénéficiaires de revenus salariaux sont redevables d’un impôt mensuel, définitif, qui est calculé et retenu à la source par les payeurs de ces revenus.
(2) L’impôt mensuel prévu au paragraphe 1 est déterminé comme suit :
a) au lieu d’affectation, en appliquant un taux de 10 % à la base de calcul correspondant à la différence entre le revenu salarial net, calculé en déduisant du revenu brut les cotisations sociales obligatoires pour un mois, dues au titre la loi roumaine ou des instruments juridiques internationaux auxquels la Roumanie est partie, ainsi que, le cas échéant, la contribution individuelle au budget de l’État due conformément à la loi, et les éléments suivants :
(i) l’abattement personnel accordé pour le mois en question ;
(ii) la cotisation syndicale versée pendant le mois en question, conformément à la loi ;
(iii) les contributions aux fonds d’épargne-retraite [...]
(iv) les primes d’assurance maladie complémentaire, ainsi que les services médicaux fournis sous forme d’abonnements, dont le coût est supporté par les employés [...]
[...] »
9 Aux termes de l’article 80, paragraphe 1, de ce code :
« Les payeurs de salaires et de revenus assimilés sont tenus de calculer et de retenir l’impôt sur le revenu pour chaque mois à la date de versement de ces revenus et de le reverser au budget de l’État au plus tard le 25 inclus du mois suivant celui pour lequel ces revenus sont versés. »
10 Conformément à l’article 138, sous a), dudit code :
« Les taux des cotisations de sécurité sociale sont les suivants :
25 % pour les personnes physiques ayant la qualité de salarié ou qui sont redevables de la cotisation de sécurité sociale au titre de la présente loi ».
11 L’article 138 bis du même code énonce, à son paragraphe 1 :
« Pendant la période allant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2028 inclus, pour les personnes physiques qui perçoivent des revenus salariaux et assimilés provenant de contrats de travail conclus avec des employeurs qui exercent des activités dans le secteur de la construction et qui remplissent les conditions prévues à l’article 60, point 5, le taux de cotisation à la sécurité sociale prévu à l’article 138, sous a), est réduit de 3,75 points de pourcentage. »
12 L’article 139 du code des impôts dispose, à son paragraphe 1, sous a) :
« Pour les personnes physiques qui perçoivent des revenus salariaux ou assimilés, la base mensuelle de calcul de la cotisation de sécurité sociale est le revenu brut des salaires et des revenus assimilés, perçu sur le territoire national et à l’étranger, conformément aux dispositions de la législation européenne applicable dans le domaine de la sécurité sociale, ainsi que les accords portant sur les systèmes de sécurité sociale auxquels la Roumanie est partie, et elle comprend :
a) les revenus des salaires et traitements, en espèces et/ou en nature, obtenus dans le cadre d’un contrat de travail, d’une relation de travail ou d’un statut spécial prévu par la loi. [...] »
13 Selon l’article 146, paragraphe 1, de ce code :
« Les personnes physiques et morales qui ont la qualité d’employeur ou assimilées sont tenues de calculer et de retenir à la source les cotisations de sécurité sociale dues par les personnes physiques qui perçoivent des revenus salariaux ou assimilés. Les institutions visées à l’article 136, sous d) à f), ainsi que les personnes physiques et morales qui sont des employeurs, ou assimilées, sont tenues de calculer les cotisations de sécurité sociale dont elles sont redevables en vertu de la loi, selon le cas. »
14 Aux termes de l’article 154, paragraphe 1, sous r), dudit code :
« Les catégories suivantes de personnes physiques sont exemptées du paiement des cotisations à l’assurance maladie :
[...]
r) les personnes physiques pour les revenus salariaux et les revenus assimilés, sur la base de contrats de travail conclus avec des employeurs opérant dans le secteur de la construction et répondant aux conditions prévues à l’article 60, point 5, pendant la période [allant] du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2028 inclus. »
15 Conformément à l’article 156 du même code :
« Le taux de cotisation à l’assurance maladie dont sont redevables les personnes physiques ayant la qualité de salarié ou ayant l’obligation de payer des cotisations à l’assurance maladie en vertu de la présente loi est fixé à 10 %. »
16 L’article 168 du code des impôts dispose, à son paragraphe 1 :
« Les personnes physiques et morales ayant la qualité d’employeur ou assimilées sont tenues de calculer et de retenir à la source la cotisation à l’assurance maladie due par les personnes physiques qui perçoivent des revenus salariaux ou assimilés. »
L’arrêté no 611/2019 et l’arrêté no 2165/2019
17 L’Ordinul nr. 611/138/127/2019 pentru aprobarea modelului, conținutului, modalității de depunere și de gestionare a « Declarației privind obligațiile de plată a contribuțiilor sociale, impozitului pe venit și evidența nominală a persoanelor asigurate » (arrêté no 611/138/127/2019 portant approbation du modèle, du contenu, des modalités de dépôt et de gestion de la « déclaration relative aux obligations de paiement des cotisations de sécurité sociale, de l’impôt sur le revenu et au registre nominal des personnes assurées »), des 31 janvier et 1er février 2019 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 123 du 15 février 2019, ci-après l’« arrêté no 611/2019 »), et l’Ordinul nr. 2165/837/743/2019 pentru aprobarea modelului, conținutului, modalității de depunere și de gestionare a formularului 112 « Declarație privind obligațiile de plată a contribuțiilor sociale, impozitului pe venit și evidența nominală a persoanelor asigurate » (arrêté no 2165/837/743/2019 portant approbation du modèle, du contenu, des modalités de dépôt et de gestion du formulaire 112 « déclaration relative aux obligations de paiement des cotisations de sécurité sociale, de l’impôt sur le revenu et au registre nominal des personnes assurées »), des 10, 15 et 17 mai 2019 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 404 du 23 mai 2019, ci-après l’« arrêté no 2165/2019 »), disposent, à leur annexe 6, huitième alinéa :
« Les avantages fiscaux prévus à l’article 60, point 5, à l’article 138 bis, à l’article 154, paragraphe 1, sous r), et à l’article 220 quater, paragraphe 2, du code des impôts ne sont pas accordés pour les revenus salariaux et assimilés aux salaires perçus par les salariés détachés. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
18 Nord Vest Pro est une société de droit roumain, active dans le secteur de la construction. Dans le cadre de ses activités, elle fournit, notamment, des prestations de services en Allemagne et en Autriche, sous la forme de détachement des travailleurs, en vue d’effectuer des travaux de construction sur le territoire de ces deux États membres.
19 Cette société a fait l’objet d’un contrôle effectué par les autorités fiscales, à la suite duquel un avis d’imposition a été établi le 10 mai 2021. Selon ces autorités, ladite société avait considéré à tort que ses employés effectuant des travaux de construction en Allemagne et en Autriche étaient bénéficiaires de l’exonération prévue à l’article 60, point 5, du code des impôts, concernant l’impôt sur le revenu. Selon lesdites autorités, en vertu de l’article 78, paragraphe 2, sous a), de ce code, le taux applicable à ces employés était de 10 % du revenu. Ces mêmes autorités ont considéré également que Nord Vest Pro avait estimé à tort que la réduction du taux de cotisation à la sécurité sociale et l’exemption du paiement des cotisations à l’assurance maladie, telles que prévues, respectivement, à l’article 138 bis et à l’article 154, paragraphe 1, sous r), dudit code étaient applicables aux employés détachés à l’étranger, alors que, pour ce type d’employés, les taux applicables étaient ceux prévus à l’article 138, sous a), et à l’article 156 du même code, à savoir un taux de 25 % pour les cotisations à la sécurité sociale et de 10 % pour celles relatives à l’assurance maladie.
20 Eu égard aux éléments qui précèdent, l’avis d’imposition a établi les corrections financières qu’il convenait d’effectuer au titre de l’impôt sur le revenu et des cotisations mentionnées au point précédent du présent arrêt à un montant total de 331 906 RON (environ 67 255 euros).
21 La réclamation présentée par Nord Vest Pro contre cet avis d’imposition a été rejetée par la direction générale régionale des finances publiques de Cluj-Napoca, par une décision du 18 octobre 2021.
22 Cette décision de rejet a fait l’objet d’un recours formé par cette société devant le Tribunalul Satu Mare (tribunal de grande instance de Satu Mare, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.
23 Cette juridiction relève que l’avis d’imposition a été adopté par les autorités fiscales sur le fondement de l’article 60, point 5, du code des impôts, lu en combinaison avec les arrêtés nos 611/2019 et 2165/2019, dont il résulte que les avantages en cause au principal ne sont pas accordés pour les revenus salariaux et assimilés perçus par les salariés détachés. En outre, elle relève que les corrections financières ont été rendues nécessaires en conséquence de l’adoption de l’Ordonanță de urgență a Guvernului nr. 114/2018 privind instituirea unor măsuri în domeniul investițiilor publice și a unor măsuri fiscal-bugetare, modificarea și completarea unor acte normative și prorogarea unor termene (ordonnance d’urgence du gouvernement no 114/2018, relative à l’adoption de certaines mesures en matière d’investissement public et de certaines mesures fiscales et budgétaires, modifiant et complétant certains actes législatifs, et prorogeant certains délais), du 28 décembre 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1116 du 29 décembre 2018), dont le but, tel qu’il ressortirait de son exposé des motifs, serait, en substance, de soutenir l’activité du secteur de la construction en Roumanie par l’octroi de certains avantages aux employés de ce secteur exerçant leurs activités sur le territoire national.
24 Selon ladite juridiction, en limitant le bénéfice de ces avantages à ces employés, le législateur roumain aurait réservé un traitement fiscal plus favorable aux entreprises du secteur de la construction opérant en Roumanie qu’à celles opérant sur le territoire d’autres États membres. Or, une telle approche législative irait à l’encontre de l’un des principaux objectifs de l’Union européenne, à savoir la création d’un marché intérieur. En effet, un tel traitement fiscal, en ce qu’il impliquerait que les entreprises du secteur de la construction exerçant leurs activités en dehors du territoire roumain soient imposées davantage que celles opérant sur le territoire national et soient, par conséquent, découragées de fournir des prestations de construction en dehors de la Roumanie, constituerait en pratique un obstacle majeur à l’achèvement d’un marché intérieur.
25 Dans ces conditions, le Tribunalul Satu Mare (tribunal de grande instance de Satu Mare) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les dispositions [des articles 26 et 56 TFUE ainsi que de l’article 20 de la directive 2006/123] peuvent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une situation juridique telle que celle de l’espèce, dans laquelle le législateur roumain peut réserver un traitement fiscal différent aux entreprises roumaines exerçant des activités lucratives sur le territoire de la Roumanie [et à celles qui exercent ces activités] sur le territoire d’autres États [membres de l’Union], de sorte que la société requérante, qui a fourni des services principalement sur le territoire de [la République d]’Autriche et de [la République fédérale d]’Allemagne, ne bénéficie pas des exonérations fiscales dont bénéficient d’autres sociétés du secteur de la construction exerçant leur activité sur le territoire de la Roumanie [ ?] »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
26 Le gouvernement roumain estime que la demande de décision préjudicielle est irrecevable dans la mesure où la juridiction de renvoi a méconnu l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour en s’abstenant de préciser les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation des articles 26 et 56 TFUE ainsi que de l’article 20 de la directive 2006/123, les liens entre ces dispositions et la réglementation en cause au principal et les conséquences qu’elle entendait tirer, pour la résolution du litige au principal, de l’interprétation souhaitée desdites dispositions.
27 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle et figurant de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée avoir connaissance (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 68 ainsi que jurisprudence citée). Ces exigences sont, par ailleurs, rappelées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).
28 Ainsi, il est indispensable, comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la décision de renvoi contienne l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 69 ainsi que jurisprudence citée).
29 En l’occurrence, force est de constater que, en ce que la question préjudicielle vise l’article 20 de la directive 2006/123, la juridiction de renvoi n’a fourni aucune indication au soutien de la mention de cette disposition, de sorte que la Cour ne connaît pas les raisons qui ont conduit cette juridiction à s’interroger sur l’interprétation de ladite disposition ni le lien qu’elle établit entre cette dernière et la réglementation en cause au principal, contrairement aux exigences fixées à l’article 94, sous c), du règlement de procédure. Partant, la question posée est, dans cette mesure, irrecevable.
30 En revanche, en ce qui concerne les articles 26 et 56 TFUE, la juridiction de renvoi estime que les entreprises du secteur de la construction exerçant leurs activités en dehors du territoire roumain bénéficiaient d’un traitement moins favorable que celui réservé aux entreprises opérant sur le territoire national et étaient, par conséquent, découragées de fournir des prestations de construction en dehors de la Roumanie. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la décision de renvoi contient l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de ces dispositions ainsi que le lien qu’elle établit, dans le cadre spécifique de l’affaire au principal, entre lesdites dispositions et la réglementation en cause au principal. Il convient donc de considérer que, dans cette mesure, la demande de décision préjudicielle est recevable et d’y répondre sur le fond.
Sur la question préjudicielle
31 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 26 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui réserve le bénéfice des avantages fiscaux et sociaux aux seuls employés des entreprises du secteur de la construction exerçant leurs activités sur le territoire de cet État membre.
32 À titre liminaire, il convient de relever, d’une part, que, pour autant que la question posée se réfère à l’article 26 TFUE, cette disposition n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques. Or, dès lors que ladite disposition prévoit que le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel, notamment, la libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services sont assurées selon les dispositions des traités et que ces libertés ont été mises en œuvre par les articles 45 et 56 TFUE, il n’y a pas lieu de procéder à une interprétation de l’article 26 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2020, Tesco-Global Áruházak, C 323/18, EU:C:2020:140, points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée, et du 16 décembre 2021, Prefettura di Massa Carrara, C 274/20, EU:C:2021:1022, point 22).
33 D’autre part, s’agissant des doutes de la Commission européenne quant à la compatibilité de la réglementation en cause au principal avec les règles en matière d’aides d’État, il suffit de relever que, dès lors que, en l’occurrence, cet aspect soulevé par la Commission se situe en dehors de l’objet de la question préjudicielle, il n’y a pas lieu d’y statuer.
34 En effet, il est de jurisprudence constante qu’il appartient à la seule juridiction nationale de définir l’objet des questions qu’elle entend poser à la Cour. Ainsi, dès lors que la demande elle-même ne fait pas apparaître la nécessité d’une telle reformulation, la Cour ne saurait, à la demande de l’un des intéressés mentionnés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, examiner des questions qui ne lui ont pas été soumises par la juridiction nationale. Si cette dernière, au vu de l’évolution du litige, devait estimer nécessaire d’obtenir des éléments supplémentaires d’interprétation du droit de l’Union, il lui appartiendrait de saisir à nouveau la Cour (arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland, C 390/18, EU:C:2019:1112, point 37).
35 S’agissant de l’article 56 TFUE, visé par la question posée, la demande de décision préjudicielle ne fait pas apparaître la nécessité d’une reformulation. En effet, cette demande se réfère à une situation dans laquelle la société en cause au principal ne bénéficiait pas des avantages fiscaux et sociaux en cause au principal « pour les employés qui effectuent des prestations de services en Allemagne et en Autriche ».
36 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une réglementation nationale régissant le déplacement temporaire de travailleurs qui sont envoyés vers un autre État membre pour y effectuer des travaux dans le cadre d’une prestation de services de leur employeur et qui retournent dans leur pays d’origine après l’accomplissement de leur mission, sans accéder à aucun moment au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil, relève de la libre prestation des services (arrêts du 27 mars 1990, Rush Portuguesa, C 113/89, EU:C:1990:142, point 15 ; du 9 août 1994, Vander Elst, C 43/93, EU:C:1994:310, point 21 ; du 25 octobre 2001, Finalarte e.a., C 49/98, C 50/98, C 52/98 à C 54/98 et C 68/98 à C 71/98, EU:C:2001:564, points 22 et 23, ainsi que du 3 avril 2008, Rüffert, C 346/06, EU:C:2008:189, point 37).
37 Il s’ensuit que la présente demande de décision préjudicielle doit être analysée à la lumière du seul article 56 TFUE.
Sur l’existence d’une restriction à la libre prestation des services
38 Il importe de rappeler, d’emblée, que les États membres doivent exercer leurs compétences en matière de fiscalité directe dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE (arrêt du 27 avril 2023, L Fund, C 537/20, EU:C:2023:339, point 41 et jurisprudence citée).
39 Il importe de relever que l’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêt du 18 octobre 2012, X, C 498/10, EU:C:2012:635, point 20 et jurisprudence citée).
40 Constituent des restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 18 octobre 2012, X, C 498/10, EU:C:2012:635, point 22 et jurisprudence citée).
41 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour que, conformément à la législation applicable, les autorités fiscales ont refusé, s’agissant des employés de la société requérante au principal, qui étaient détachés sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne et de la République d’Autriche, le bénéfice des avantages prévus à l’article 60, point 5, à l’article 138 bis et à l’article 154, paragraphe 1, sous r), du code des impôts qui sont accordés, en revanche, aux employés exerçant leurs activités sur le territoire roumain. Ces avantages consistent, premièrement, en l’exonération de l’impôt sur le revenu de ces employés, deuxièmement, en l’allègement de leurs cotisations à la sécurité sociale et, troisièmement, en l’exemption de leurs cotisations à l’assurance maladie.
42 Il convient de constater que la réglementation en cause au principal s’applique de manière non discriminatoire à toutes les entreprises, tant roumaines qu’étrangères, du secteur de la construction pour autant que leurs employés exercent leurs fonctions sur le territoire de la Roumanie.
43 Toutefois, une telle réglementation qui instaure un régime fiscal et social différent selon que les employés concernés effectuent leurs tâches dans l’État membre concerné ou dans d’autres États membres, quoique indistinctement applicable aux entreprises du secteur de la construction tant roumaines qu’étrangères opérant sur le territoire roumain, est néanmoins susceptible de dissuader les entreprises roumaines de fournir des services de construction dans un autre État membre en procédant au détachement des travailleurs sur le territoire de cet État membre.
44 En effet, de telles mesures en faveur des employés sont également susceptibles, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, de réduire le coût de la main-d’œuvre et de conférer ainsi un avantage aux entreprises pour autant que leurs activités sont effectuées sur le territoire roumain, en rendant moins attrayante la prestation de services dans un autre État membre.
45 Afin de déterminer si la réglementation en cause au principal peut, malgré son effet restrictif, être considérée comme étant compatible avec la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE, il y a lieu d’examiner si la différence de traitement qu’elle instaure concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables, ou encore si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir, par analogie, arrêt du 16 décembre 2021, UBS Real Estate, C 478/19 et C 479/19, EU:C:2021:1015, point 46 ainsi que jurisprudence citée).
Sur l’existence de situations objectivement comparables
46 La comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne de l’État membre doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause ainsi que de l’objet et du contenu de ces dernières (arrêt du 16 décembre 2021, UBS Real Estate, C 478/19 et C 479/19, EU:C:2021:1015, point 47 et jurisprudence citée).
47 Par ailleurs, seuls les critères de distinction pertinents établis par la réglementation concernée doivent être pris en compte afin d’apprécier si la différence de traitement résultant d’une telle réglementation reflète une différence de situations objective (arrêt du 16 décembre 2021, UBS Real Estate, C 478/19 et C 479/19, EU:C:2021:1015, point 48 et jurisprudence citée).
48 En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national, de procéder à son interprétation pour vérifier l’existence éventuelle de situations objectivement comparables.
49 Il importe cependant de relever que, ainsi que la Commission l’a en substance fait valoir dans ses observations écrites, il apparaît que, au regard de l’objet et du contenu de la réglementation en cause au principal, les entreprises constituées en Roumanie qui fournissent des services de construction dans cet État membre et les entreprises constituées en Roumanie qui fournissent des services de construction en détachant des travailleurs dans un autre État membre se trouvent dans une situation comparable, dans la mesure où elles effectuent les mêmes activités et où elles sont soumises au régime de droit roumain en ce qui concerne leurs obligations tant en ce qui concerne l’impôt sur le revenu que les cotisations à l’assurance maladie et à la sécurité sociale.
50 Cela étant, afin d’examiner s’il existe une différence objective entre la situation des entreprises du secteur de la construction dont les employés travaillent sur le territoire roumain et celle d’entreprises effectuant des prestations de construction dans d’autres États membres, la difficulté tient au fait que la juridiction de renvoi n’expose aucunement l’objectif poursuivi par les avantages fiscaux et sociaux en cause au principal.
51 La juridiction de renvoi pourrait être amenée à considérer que, comme le fait valoir le gouvernement roumain, la réglementation nationale en cause au principal vise à augmenter le salaire net des employés opérant dans le secteur de la construction en Roumanie, afin de contribuer à la protection sociale de ces employés et de répondre, ainsi, aux difficultés en termes de main-d’œuvre caractérisant ce secteur, susceptibles de remettre en cause la viabilité même de celui-ci.
52 À cet égard, si ce gouvernement a relevé que les statistiques publiques attesteraient de ce que, même avec le bénéfice des avantages conférés, les employés actifs en Roumanie perçoivent des salaires nettement inférieurs aux salaires minimaux prévus dans d’autres États membres, tels que la République fédérale d’Allemagne et la République d’Autriche, il convient de relever que ces statistiques n’excluent pas que, dans certains cas, ces employés puissent percevoir les mêmes salaires que ceux effectuant des prestations de construction dans d’autres États membres, dès lors que, selon les indications figurant dans le dossier dont dispose la Cour, l’exonération d’impôt sur le revenu s’applique aux revenus mensuels bruts allant jusqu’à 30 000 RON.
53 Dans ces conditions, il apparaît que la différence de traitement opérée par la réglementation en cause au principal ne reflète pas une différence de situations objective, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur l’existence de raisons impérieuses d’intérêt général
54 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une restriction à la libre prestation des services ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité FUE, se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général et respecte le principe de proportionnalité, ce qui implique que son application soit apte à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif en cause et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne, C 591/17, EU:C:2019:504, point 139 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C 391/20, EU:C:2022:638, point 65 et jurisprudence citée).
55 En l’occurrence, si la juridiction de renvoi ne précise pas l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal, le gouvernement roumain fait valoir, en substance, que celle-ci serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général ayant trait, tout d’abord, à la nécessité d’assurer la protection sociale des employés du secteur de la construction ainsi que de garantir des conditions de travail équitables dans le cadre du marché intérieur en réduisant l’écart salarial existant au niveau de l’Union, ensuite, à l’objectif de lutter contre le travail dissimulé, et, par là même, contre la fraude fiscale, et, enfin, aux problématiques spécifiques du secteur roumain de la construction liées à la pénurie de main-d’œuvre à laquelle ce secteur fait face en raison de la migration alarmante des travailleurs qualifiés dans ce domaine vers l’étranger pour des raisons salariales.
56 S’agissant, en premier lieu, de la nécessité d’assurer la protection sociale des employés dudit secteur ainsi que de garantir des conditions de travail équitables, il y a lieu de rappeler que figurent parmi les raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la Cour tant la protection des travailleurs que le maintien et la promotion de l’emploi en tant qu’objectifs légitimes de politique sociale (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C 201/15, EU:C:2016:972, points 73 à 75 et jurisprudence citée).
57 La Cour a également reconnu en tant que raisons impérieuses d’intérêt général la lutte contre la fraude, notamment sociale, et la prévention des abus (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Maksimovic e.a., C 64/18, C 140/18, C 146/18 et C 148/18, EU:C:2019:723, point 37 ainsi que jurisprudence citée) ainsi que le souci d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi (arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a., C 18/17, EU:C:2018:904, point 48 et jurisprudence citée).
58 En outre, la Cour a jugé que l’Union ayant une finalité économique et sociale, les droits résultant des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux doivent être mis en balance avec les objectifs poursuivis par la politique sociale, parmi lesquels figurent, notamment, ainsi qu’il ressort de l’article 151, premier alinéa, TFUE, l’amélioration des conditions de vie et de travail et une protection sociale adéquate (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C 201/15, EU:C:2016:972, point 77 et jurisprudence citée).
59 En l’occurrence, il est vrai que la réglementation en cause au principal permet, en principe, de conférer aux employés du secteur de la construction travaillant en Roumanie une augmentation du salaire net en proportion des sommes correspondant aux avantages fiscaux et sociaux en cause au principal. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si cette réglementation est apte à assurer, de façon cohérente et systématique, la protection sociale des employés du secteur de la construction en réduisant l’écart salarial existant au niveau de l’Union, en s’assurant, notamment, que les entreprises répercutent en pratique les avantages fiscaux et sociaux perçus sur les salaires versés aux employés conduisant à une augmentation de ces salaires.
60 Dans l’hypothèse où ladite réglementation devrait être considérée comme étant apte à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi, encore faut-il qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
61 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la lutte contre le travail dissimulé et la fraude fiscale, il est de jurisprudence constante que constituent également des raisons impérieuses d’intérêt général, susceptibles de justifier des restrictions à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité FUE, tant la lutte contre le travail dissimulé (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2006, Commission/France, C 255/04, EU:C:2006:401, points 43, 46 et 52), que la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK, C 83/21, EU:C:2022:1018, point 63 ainsi que jurisprudence citée), ainsi que la lutte contre la fraude fiscale (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Pharmacie populaire – La Sauvegarde et Pharma Santé – Réseau Solidaris, C 52/21 et C 53/21, EU:C:2022:127, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
62 À cet égard, il suffit de relever que la lutte contre le travail dissimulé et la fraude fiscale ne saurait justifier de priver, exclusivement, les entreprises dont les employés effectuent leurs prestations de travail dans un autre État membre des avantages fiscaux et sociaux en cause au principal. Il ne saurait, en effet, être présumé que l’exercice de la libre prestation des services donne lieu à des cas de fraude.
63 S’agissant, en troisième lieu, des problématiques spécifiques du secteur roumain de la construction liées à la pénurie de main-d’œuvre due à la migration de travailleurs qualifiés dans ce domaine vers l’étranger pour des raisons salariales, il est de jurisprudence constante que des motifs de nature purement économique, tels que, notamment, la promotion de l’économie nationale ou le bon fonctionnement de celle-ci, ne sauraient servir de justification à des entraves prohibées par le traité (arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C 201/15, EU:C:2016:972, point 72 et jurisprudence citée).
64 Cela étant, ainsi que le fait valoir, en substance, Mme l’avocate générale aux points 45, 46 et 48 de ses conclusions, des considérations liées à l’objectif de lutter contre les risques systémiques auxquels fait face un État membre dans un secteur d’une importance certaine pour son développement, tel que, en l’occurrence, le secteur de la construction, afin d’assurer la viabilité, voire la pérennité, de ce secteur, s’apparentent à des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE. Or, la réglementation nationale conférant des avantages fiscaux et sociaux aux seules entreprises dont les employés effectuent leurs prestations de travail dans cet État membre doit être propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (voir, par analogie, arrêt du 16 décembre 2021, UBS Real Estate, C 478/19 et C 479/19, EU:C:2021:1015, point 73).
65 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précédent, il convient de répondre à la question posée que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui réserve le bénéfice des avantages fiscaux et sociaux aux seuls employés des entreprises du secteur de la construction exerçant leurs activités sur le territoire de cet État membre et se trouvant dans une situation comparable avec celle des entreprises du secteur de la construction dont les employés sont détachés dans d’autres États membres, à condition que cette réglementation nationale soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et respecte le principe de proportionnalité, ce qui implique que son application soit apte à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
Sur les dépens
66 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui réserve le bénéfice des avantages fiscaux et sociaux aux seuls employés des entreprises du secteur de la construction exerçant leurs activités sur le territoire de cet État membre et se trouvant dans une situation comparable avec celle des entreprises du secteur de la construction dont les employés sont détachés dans d’autres États membres, à condition que cette réglementation nationale soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et respecte le principe de proportionnalité, ce qui implique que son application soit apte à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.